Thylane&Gabriele - Journée des métiers

Gabriele a toujours été à l’aise en public, et notamment face à un public peu nombreux. Sauf que quand son patron lui a demandé de représenter l’agence dans laquelle il bosse aux journées des métiers de l’université, le bel italien a bizarrement été refroidi. Faire un speech devant tout un amphithéâtre, ce n’est quand même pas pareil que de discuter avec quelques clients lors d’un rendez-vous… Pour ce qui est de tenir le stand aux couleurs de son lieu de travail, ça ne le dérangeait pas du tout par contre.

Assis derrière ce fameux stand, Gabriele est dans un état peu ordinaire pour lui, stressé, voir même angoissé. Les étudiants sont peu nombreux sur le campus à cette heure, alors il se lève et commence à faire les cents pas, tout en répétant mécaniquement ce qu’il va dire devant la grande audience. Présenter son métier, dire ce qu’il aime dans le fait d’être banquier, ce n’est tout de même pas la fin du monde ! Il semble oublier qu’il n’y a aucune note à la fin, mais le simple fait de se dire que toute sa firme compte sur lui suffit à le déstabiliser, lui qui d’habitude a une confiance en lui presque infaillible.

Bientôt, la sortie des cours semble sonner, puisque un troupeau d’étudiants arrive dans les allées. L’italien tente de se reprendre. Il doit jouer son rôle aussi bien qu’il le peut. Alors, il s’adresse à la première étudiante qu’il voit et lui demande : « Mademoiselle, vous aviez déjà pensé à devenir banquière ? » avec un charmant sourire, bien évidemment.

Thylane était si concentrée dans le cours de biochimie que la sonnerie la fit sursauter. C'était assez étonnant de la voir dans cet état d'esprit, mais elle était en ce moment déterminée à remonter ses notes. Pour autant, elle n'était pas prête à supprimer les soirées de ses week-ends, alors il fallait bien compenser en étant cent pour cent attentive pendant les cours. Prendre ses études en main était presque vital. Si ses parents se rendaient compte qu'elle se tournait les pouces à la fac s'en était fini de Bowen, ils la feraient rentrer illico. Et c'était tout ce qu'elle ne voulait pas.

Après cette heure de biochimie, elle et ses copines de classe avaient prévu d'aller faire un tour à la journée des métiers, passage quasi obligatoire surtout pour les premières années. Thylane ne savait pas vraiment ce qu'elle venait chercher ici, peut-être une bonne raison. Un truc qui lui donnerait subitement envie de suivre la voie que lui avait indiqué son père.

La bande de jeunes filles franchit les portes de la grande salle et s'avança dans les allées. Thylane n'était pas contre se renseigner sur les autres métiers, même si elle savait que son parcours était tout tracés. Son père avait décidé qu'elle deviendrait médecin, il n'y avait pas d'autres pistes possibles. Pourtant, elle ne rebroussa pas chemin lorsqu'un jeune - apparemment banquier - s'adressa à elle. « Mademoiselle, vous aviez déjà pensé à devenir banquière ? » Un banquier plutôt carrément mignon, au regard franc et au sourire charmeur... Alerte beau gosse, alerte beau gosse ! « J'y avais jamais pensé à vrai dire, mais maintenant que vous le dites... » Une des camarades de Thylane leva les yeux au ciel et lâcha en un soupire : « T'es irrécupérable Thy'. » Irrécupérable, c'était le cas de le dire. Elle fonçait toujours tête baissée à la vue d'un nouveau mâle. Peu importe l'âge, peu importe la situation. C'était un peu ce qui définissait la fille Hudson, un coureur de jupon au féminin (coureuse de pantalons ?) désespérée et éternellement insatisfaite. La grande brune s'approcha du stand avec un petit sourire en coin. « Allez-y, dîtes moi tout, ça a l'air d'être un milieu très intéressant. » Elle écouterait avec attention tout ce qu'il aurait à lui dire bien sûr, ou pas.

Gabriele ne s’attendait pas spécialement à ce que quelqu’un fasse mouche à son discours. En même temps, il n’était pas là pour recruter de futurs collègues, mais juste pour informer les étudiants sur cette branche parfois trop oubliée malgré tous les avantages qu’elle confère. Tant mieux, il a trouvé à qui parler, c’est déjà un bon début et ainsi, il va un peu oublier que d’ici peu, il sera devant un amphithéâtre entier. Et dire qu’il y a encore quelques années, même si ça commence à remonter maintenant, c’était lui qui était étudiant dans cette université. « Peu de gens qui y pensent justement, et c’est bien cela qui est dommage. » Annonce-t-il avec son plus charmant sourire, comme s’il s’adressait à une de ses clientes qu’il cherche à convaincre. « En résumé, ça vous intéressera surtout si vous aimez avoir beaucoup de vacances dans l’année, un bon salaire et que vous aimez le contact humain – sans trop être empathique ou sensible. » Le résumé est clair et totalement vrai. « Ah et ça bouge pas mal, donc on s’ennuie rarement aussi. » Il sait pertinemment que c’est ce genre de détails que les étudiants ont envie d’entendre et pas juste de dire qu’il vend tel ou tel produit, qu’il fait ceci ou cela de ses journées. Lui le premier s’était renseigné sur le salaire et les perspectives d’évolution dans la branche, avant de la choisir. Fort heureusement, il s’avère qu’il avait un goût avéré et un certain talent pour le monde de la finance et du commerce. Il tente de regarde la belle brune bien dans les yeux, cherchant à déceler si ce qu’il raconte l’intéresse vraiment ou non. Difficile à dire, surtout qu’il n’est pas toujours très doué pour analyser les gens.

La banque ce n'était pas vraiment son truc. Mais qu'est-ce qui l'était au final ? Ses parents avaient toujours tout choisi à sa place, si bien que si on lui avait demandé ce qu'elle aurait réellement aimé faire plus tard elle aurait été incapable de répondre. Difficile de savoir ce qu'on veut et de prendre des décisions quand on a été habitué à laisser parler les autres pour soi.

« En résumé, ça vous intéressera surtout si vous aimez avoir beaucoup de vacances dans l’année, un bon salaire et que vous aimez le contact humain – sans trop être empathique ou sensible. » Sensible, Thylane l'était. Empathique, peut-être un peu moins. Trop tournée sur sa petite personne depuis qu'elle avait goûté à la vie universitaire. Quant au reste... « J'apprécie beaucoup le contact humain ! Je dirais même que j'ai parfois du mal à m'en passer. » répondit-elle en enroulant doucement une mèche de ses cheveux le long de son index. Ses mots avaient un double sens. Thylane avait en effet bien du mal à se passer des autres. Phobique de la solitude, elle avait ce besoin d'être en contact constant avec d'autres personnes, des amis, des connaissances, des amants. Mais ce n'était pas à ce sujet - bien trop intime - qu'elle avait voulu se confier au banquier. En réalité sa phrase était pleine de sous-entendus bien plus sensuels, et ça pouvait se lire dans son regard plutôt évocateur. « Ah et ça bouge pas mal, donc on s’ennuie rarement aussi. » Thylane fit mine d'être intéressée, soutenant le regard du beau brun. « J'imagine. Et vous prenez des stagiaires ? Je serais ravie que vous me fassiez découvrir tout ça plus en profondeur. » Sa camarade de classe leva une fois de plus les yeux au ciel. Elle savait bien qu'elle n'avait aucunement l'intention de se lancer dans cette branche, mais elle avait trouvé son petit amusement de la journée. Une petite pause divertissante avant de reprendre les cours. Ça plaisait ou ça ne plaisait pas, parfois ça faisait rire, et c'était tout aussi bien.

Le problème de Gabriele, c’est que malgré ses nouvelles responsabilités de père de famille, il n’en fait souvent qu’à sa tête et vit sa vie de célibataire – ou plutôt de faux fiancé célibataire – comme il l’entend, et comme s’il avait toujours 20 ans. Il capte très rapidement les intentions de la jeune femme, ou en tout cas, il y voit ce qu’il veut y voir, avec tous les sous-entendus possibles. « J’en ai jamais eu jusqu’à maintenant, mais je pense que ça pourrait s’arranger. » Dit-il avec un large sourire tout en s’adossant à la table posée là. Un peu de drague lui évitera de penser à la performance qu’il devra réaliser d’ici peu. « Aller en profondeur, c’est justement ma spécialité. » L’un et l’autre semblait maitre dans l’art d’utiliser le double sens des mots, d’avoir l’air de parler d’un sujet alors qu’ils sont sans doute tout deux conscients qu’ils parlent de tout autre chose. N’importe qui qui passerait par là et entendrait de loin ne comprendrait pas néanmoins. Gabriele aime ce genre de jeu, plus que tout d’ailleurs. « Vous faites quoi comme études pour l’instant ? » demande-t-il quand même, histoire de dire qu’il a bien fait son boulot si jamais un de ses patrons passait par là, ou viendrait à lui demander des comptes. Et puis, ça peut être intéressant de savoir…

Thylane sentit à l'expression de son regard qu'il avait saisi la perche lancée. Un sourire, des yeux plissés, une pause plus fêline. C'est en général ce genre de petits détails qu'on remarque à peine qui peuvent laisser penser à une ouverture. Une ouverture sur quoi, c'était le plus difficile à deviner. Ça pouvait aller du simple flirt sans avenir à la rencontre de l'âme sœur. Pour Thylane, ça ne s'arrêtait jamais bien loin.

« J’en ai jamais eu jusqu’à maintenant, mais je pense que ça pourrait s’arranger. » « Je serais donc la première, quel honneur ! Je suis sûre que vous ne pourriez pas trouver meilleure stagiaire que moi. » répondit-elle en finissant par un clin d’œil discret. « Aller en profondeur, c’est justement ma spécialité. » Le sourcil droit de la jeune femme se leva comme s'il avait réussi à attiser sa curiosité. Le banquier avait de la répartie, c'était très plaisant et amusant à la fois. On aurait cru assister à un concours de sous-entendus.

« Vous faites quoi comme études pour l’instant ? » « Je suis en quatrième année de médecine. » Mensonge, elle n'était qu'en première année. Mais mentir aux hommes plus âgés c'était un peu sa devise. Et puis elle faisait tellement plus que son âge que la vérité aurait paru plus suspecte que ses mensonges. « Mais je réfléchis à une réorientation. » Deuxième mensonge. Il fallait bien faire semblant pour espérer continuer cette agréable conversation. « La banque est un milieu attrayant, mais je pense que j'aurais besoin de voir ça d'un peu plus près pour me décider vraiment. »

Gab hoche de la tête avec un sourire malin aux lèvres. Ca se pourrait bien, en effet, mais il demande à voir. Il ne relance pas sur le sujet, et lui demande ce qu’elle fait comme études. « Médecine ?! Ca serait quand même sacrément bête de gâcher un si beau potentiel pour venir bosser en banque pour le coup. » Il éclate de rire. Il sait quand même dire les choses lorsqu’il le faut. Il n’y a rien de plus important que ces personnes qui sauvent des vies et il a le plus grand respect pour ces jeunes qui se tapent autant d’années d’études. « Mais à l’occasion, vous pourriez passer me voir à l’agence. En plus, mon patron me disait justement que j’aurais bien besoin d’une formation aux premiers secours. » Evidemment, il pourrait lui montrer à l’occasion le milieu, lui expliquer son métier, la totale… mais ce n’est clairement pas là qu’il voulait en venir avec sa proposition et il n’a aucun doute sur le fait que la demoiselle comprendra l’allusion. « A moins que je vous explique tous les avantages de la banque autour d’un verre… » Il lui tend une brochure, histoire de quand même faire son boulot, même si on est clairement loin du professionnalisme qu’on attend de lui depuis le début de cette discussion. « A vous aussi si vous voulez. » Dit-il à l’autre étudiante dont il avait complètement fait abstraction de la présence jusque là.

« Médecine ?! Ça serait quand même sacrément bête de gâcher un si beau potentiel pour venir bosser en banque pour le coup. » Il n'aurait pas eu tort si Thylane n'avait pas menti sur son année d'étude et si elle avait choisi son cursus scolaire par elle-même. Au final, elle n'était même pas sûre de réussir à passer en deuxième année. Pourtant il le fallait. « Les études sont super difficiles et c'est pas si intéressant qu'on le pense. Je ne suis même pas sûre d'être faite pour le métier... » répondit-elle d'un ton beaucoup plus sérieux. Cette fois, il y avait une grande part de vérité dans ses paroles, même si elle comptait faire de son mieux pour remonter la pente et s'auto-persuader que cette branche pourrait lui convenir. « Mais à l’occasion, vous pourriez passer me voir à l’agence. En plus, mon patron me disait justement que j’aurais bien besoin d’une formation aux premiers secours. A moins que je vous explique tous les avantages de la banque autour d’un verre… » Sa réplique lui arracha un large sourire en coin. « Pourquoi ne pas combiner les deux, le verre et la formation aux premiers secours ? » répondit-elle avec un clin d’œil discret. Sa camarade de classe, jusque là restée muette leva les yeux vers le banquier qui s'était adressé à elle. Elle haussa les épaules avant de répondre un bref : « C'est pas trop mon truc la banque. » Les deux étudiantes s'échangèrent un regard et Thylane comprit que sa réponse voulait plutôt dire "je te le laisse". Le grande brune jeta un coup d’œil furtif à sa montre. L'heure tournait et il fallait qu'elle fasse le tour des stands avant de retourner en cours. Elle s'empara d'un stylo qui traînait sur le comptoir et gribouilla rapidement quelques chiffres et lettres sur une brochure. Comme un petit mémo censé lui rappeler qu'il devait envoyer des informations sur sa branche à une étudiante. Ça passerait complètement inaperçu.

Envoyer renseignements à Thylane :
0405 060 768

Gabriele est assez surpris par la deuxième partie de réponse de la jeune femme. Pourquoi faire 4 ans d’études et s’enquiquiner autant si on n’est pas fait pour un métier ? Il décide de ne pas poser la question parce de toute manière, il se fiche royalement de la réponse, et se contente d’un haussement d’épaules accompagné d’un sourire qui se veut sympathique et compréhensif. Ca lui donne alors l’occasion de proposer de se revoir et aussitôt, la demoiselle accepte et donne son numéro de téléphone à l’italien, ce qui ne manque pas de réjouir ce dernier. « Je n’y manquerais pas ! » Dit-il tout en faisant référence à la ‘demande de renseignements’ indiquée sur le bout de papier, avant d’agiter celui-ci. Un dernier regard et les deux étudiantes s’éloignent déjà. Gabriele regarde l’heure et surprise… faut absolument qu’il se dépêche pour ne pas louper son intervention. Ni une, ni deux, il replie ses affaires et se dirige vers l’assemblée qui l’attend, un peu moins tressé grâce à cette agréable rencontre.

FIN