Comme quoi, c'pas tous des cons !

Quelle journée pourrie ! Enfermée dans son bureau parce que Donovan n'avait pas besoin d'elle en patrouille, Tahlia gérait la paperasse, encore et encore. Déjà que son amour pour son métier en avait pris un coup, voilà qu'elle faisait les tâches les plus barbantes. De longs soupirs s'échappaient de ses lèvres, alors qu'elle jetait parfois quelques coups d'oeil sur le couloir où certains collègues passaient en compagnie des loustics qu'ils avaient attrapé dans leurs filets. Rien de bien intéressant aux yeux de Tahlia. Jusqu'à ce que le collègue, qui partageait son bureau, arrive dans la pièce et jette un dossier en râlant. La brune leva vers lui un regard interrogateur, alors qu'il marmonnait dans sa barbe : « Comme si je n'avais pas assez de boulot comme ça, il fallait qu'on me colle un Deadpool qui a sorti les poings sur la mauvaise personne ! » Tahlia le regarda en haussant les sourcils, en tentant de oomprendre la référence : « Un Deadpool ? » Son collègue sembla se rendre compte de sa présence, alors qu'il secoua la tête : « Ouais, il faudrait que tu voies la gueule du gars. Il a dû se prendre une sacrée raclée dans sa vie. » La policière sembla tiquer sur la phrase de son collègue. Appréciant Ryan reynolds, Tahlia savait pertinemment la tête qu'il avait dans Deadpool. Et cela lui rappelait une personne dont elle ne serait pas surprise de le voir débarquer au commissariat. Elle se releva aussitôt et enchaîna : « Fais ce que tu as à faire, je m'occupe de notre gars. » Sans lui laisser le temps de répliquer, elle récupéra le dossier et quitta la pièce pour rejoindre celle où l'on prenait les dépositions. Quand elle entra dans la pièce, le jeune homme leva la tête. L'instinct de Tahlia ne l'avait pas trompé. C'était Jorge. « Tiens, comme on se retrouve ! » Elle esquissa un léger sourire alors qu'elle prit place face à lui. Le voir en face d'elle resserra cette boule qu'elle avait à l'estomac. La brune ne s'était toujours pas remise de son agression. Mais cette fois, elle était face à lui sans son visage boursouflé, ses lèvres éclatées et sans oeils au beurre noir. Mais les cicatrices étaient toujours là, intérieurement. Mais elle lui était redevable. « Qu'est-ce que vous avez fait pour vous retrouver ici ? »

Tahlia ne s'attendait pas à retrouver Jorge au commissariat. Ou du moins pas aujourd'hui. Elle ne connaissait pas vraiment le jeune homme mais vu le venin qu'il crachait à l'égard des policiers, elle se doutait bien qu'il avait eu affaire à eux à plusieurs reprises. Mais Tahlia, elle, s'en fichait. Elle ne s'affichait pas face à lui avec un quelconque avis sur la question. C'était tout en neutralité. Ou presque. Elle avait une sacrée dette envers lui, il fallait quand même le préciser. La brune esquissa un léger sourire quand il affirma qu'il n'aurait pas voulu la retrouver là, ce à quoi elle rétorqua, en haussant les épaules : « Entre la ruelle et le commissariat, il faut croire qu'on se retrouve toujours quand on est dans de beaux draps. » Etrangement, Tahlia était très sereine. Une fois le choc passé et les souvenirs qui en découlaient, elle enfilait sa casquette de professionnelle alors qu'elle lui demanda les raisons de sa présence ici. Bien sûr, Jorge s'emballa directement. « Calmez-vous, Jorge. Ce n'est pas en s'emballant que je vais pouvoir vous aider. » Il avait un caractère qui lui plaisait bien. C'était le genre de gars qui partait au quart de tour, un peu comme Tahlia. Elle était la première à savoir que cela n'était pas toujours une bonne chose. Mais Jorge commença à lui donner quelques détails. « Vous l'avez donc frappé en premier ? » Cela partait mal. On avait toujours appris à Tahlia à ne pas taper en premier. Mais les raisons qu'il lui lâcha ensuite interpellèrent la jeune femme. « Vous avez donc constaté un comportement violent chez lui, envers sa femme ? » Il fallait croire que c'était le truc de Jorge, d'aider les femmes qui subissaient de quelconques violences. « Qu'est-ce que vous avez vu au juste ? Dites-moi le maximum de détails, c'est sûrement la seule piste qui peut plaider en votre faveur ! Ya-t'il eu des témoins ? »

Décidément, ces deux-là avaient tendance à se retrouver quand ils étaient dans de bien belles galères. Même si Jorge avait tendance à dédramatiser la situation, en comparaison avec celle de Tahlia, ce à quoi elle répondit : « Pas si pire ? Ce n'est pas non plus la meilleure des situations, ceci dit. Personne n'aime passer par la case commissariat. » Même au Monopoly ! Enfin, elle se doutait bien qu'il n'était pas aussi serein qu'il le laissait prétendre. Tahlia le voyait bien, alors elle se contenta de hausser un sourcil, peu convaincue, quand il lui affirma qu'il était très calme. Mais elle ne répliqua rien, ne voulant pas mettre l'huile sur le feu. Elle se contenta de l'écouter répondre à sa question, esquissant un léger sourire quand il fit la description de cet homme. « Oui, je vois très bien le genre d'homme qu'il peut être. » Une mauviette. Mais Jorge l'avait frappé en premier et il était bien là le souci. Quand vint le sujet houleux de la femme qui était peut-être victime de violences conjugales, en dépit des apparences, cela eut quand même un effet sur Tahlia qui appuyait bien plus violemment sur les touches de l'ordinateur. « Je verrais s'il n'y a pas d'antécédents à ce sujet. Mais si nous passons par cette éventualité, cela risque d'être plus difficile. » Elle savait ce que c'était que d'interroger une femme qui était peut-être battue. Ce n'était jamais réellement avoué. Elle espérait plutôt qu'il y ait un témoin pour appuyer les paroles de Jorge, mais ce semblait mal parti. Tahlia esquissa une légère moue en répliquant : « On va peut-être éviter d'en demander davantage au serveur, alors. » Son témoignage risquerait d'aggraver la situation de Jorge. Mais le jeune homme avait vu juste, il n'y avait que la femme qui pouvait dénouer la situation. « Une femme qui subit des violences conjugales se mure souvent dans le silence, vous savez. » Elle avait relevé la tête et posé son regard sur lui, en disant ça, avant de reprendre la déposition. Mais elle s'arrêta quand Jorge lui demanda ce qu'il craignait, au pire. « Au pire ? Bah ça dépend de votre casier judiciaire. Vous avez déjà eu des charges contre vous ? » Il lui avait déjà fait part de son amertume envers les flics, peut-être avait-il déjà eu affaire avec la justice ? « Dans le meilleur des cas, l'homme ne posera pas de plainte. Dans le pire des cas, il porte plainte et dans ce cas, l'histoire risque d'aller plus loin. »

Tahlia s'était contentée de hocher la tête, ne remarquant même pas qu'il était passé au tutoiement. A vrai dire, cela ne la choquait pas vraiment, il fallait dire que ce n'était pas la première fois qu'ils se voyaient. Et pour être honnête, il l'avait vue dans un état pitoyable, ça effaçait donc toutes les règles de politesse. Elle écoutait la déposition de Jorge, tentant de mettre de la forme dans ce qu'il disait pour ne pas que cela paraisse trop cash, mais elle savait où il voulait en venir. Elle avait déjà vu des gars comme celui qu'il décrivait. « Oui, j'en ai déjà vu. Et bizarrement, ce sont toujours ceux qui s'en sortent le mieux. » Ce n'était peut-être pas la chose à dire, après tout il fallait qu'elle garde sa neutralité, mais Tahlia avait de plus en plus de mal avec l'autorité policière parfois corrompue. Elle voyait des choses qui ne lui plaisaient pas, mais elle ne pouvait rien faire contre cela, hormis enfreindre les règles de ses supérieurs. Alors qu'il évoqua ses doutes concernant la femme de l'homme, Tahlia approuva d'un signe de la tête. Elle savait mieux que quiconque comment fonctionnait les femmes battues. « Il y a des chances oui. Mais je préfère fouiller dans son dossier à lui, afin de voir s'il n'y a pas une quelconque affaire passée sur laquelle on peut rebondir. » Une bagarre, violences, Tahlia prenait tout. La brune voulait voir s'il y avait d'autres éventualités avant de faire appel à l'épouse. Comme elle l'avait dit, les femmes battues se muraient souvent dans le silence. La réflexion de Jorge déplut à Tahlia, qui tenta de garder un visage neutre. « La peur peut faire faire des choses invraisemblables pour d'autres. Tant qu'on ne le vit pas, on ne peut pas savoir ce qu'il se passe dans la tête d'une personne qui subit des violences conjugales. » Elle incluait les hommes aussi, qui pouvaient aussi être victimes de violences.Elle demanda à Jorge s'il avait déjà été arrêté avant aujourd'hui. Le jeune homme resta très évasif. « Qu'est-ce que tu entends par un truc de merde ? » Elle avait besoin de savoir, d'avoir tous les détails qu'un avocat ou un juge pourraient avoir à leur tour.Et tandis qu'elle énonçait les quelques risques qu'il encourait, la réponse du jeune homme arracha un sourire à Tahlia. Il n'en démordrait pas. « Recogner n'est pas la meilleure solution. C'est bête, injuste même, mais parfois, il faut s'aplatir. Et je sais que ce n'est pas plaisant. » Fuir n'était jamais plaisant de toute façon.

Tahlia finit par hausser les épaules quand Jorge la contredit sur le fait que les plus cons s'en sortaient toujours le mieux. « Oui, pas tout le temps, mais ce n'est pas non plus une majorité. » Alors qu'elle se pencha sur le dossier, Tahlia lui avoua qu'elle irait chercher dans le dossier du gars. Jorge lui répondit que c'était la routine de faire ça, ce qui arracha un sourire à Tahlia. « Oh pas tout le temps. Certains collègues mettraient sûrement ce type dans la catégorie des victimes et ne chercheraient même pas à dissocier le vrai du faux. Je ne vais pas en dire plus sinon tu vas croire qu'on est tous des pourris. » De nouveau, Tahlia critiquait la police, et même si elle le disait en rigolant, ce n'était pas des mensonges. Puis vint le moment où ils parlèrent des violences conjugales, chose pour laquelle Tahlia tiqua, évidemment. Mais Jorge adoucit son point de vue en disant que l'on ne pouvait pas savoir tant qu'on ne le vivait pas. « Pas faux » murmura-t-elle. Peu importe le vice, il y avait toujours des gens pour critiquer et qui ne cherchaient même pas à comprendre. Jorge lui avoua alors qu'il avait frappé un autre gars, auparavant, mais qu'il n'y avait pas eu de plainte enregistrée. « Bon, ça, on peut l'oublier alors. Il vaut mieux... » reprit-elle en souriant. Elle ne cherchait même pas à lui faire la morale sur cela. Enfin presque... Tahlia évoqua brièvement le fait de s'aplatir pour ne pas chercher les ennuis. Mais la réponse de Jorge ne fut pas celle qu'elle attendait.  « Je pense qu'il a compris aussi. Et même s'il ne l'a pas compris, n'essaye pas de lui faire comprendre. Ce serait dommage de finir devant un juge à cause d'un type comme ça. » Bah oui, elle n'avait pas envie de le voir devant un tribunal.Alors qu'il lui demanda si c'était bientôt fini, Tahlia releva le regard de son clavier. « Je termine la déposition, je te laisse la valider et ce sera terminé pour moi. Si l'autre gars porte plainte, en revanche, il y a des risques que tu sois amené à revenir ici. Mais pour l'instant, je te laisse relire la déposition et tu es libre comme l'air.»

Tahlia se mit à rire quand Jorge avoua, de manière cash, que ceux qui avaient des valeurs morales n'étaient pas les mieux placés. « J'ai l'impression que tu décris à merveille ce qu'il se passe dans ce commissariat. » Les plus pourris étaient au plus haut. Quant aux autres, ils devaient faire avec, se mettant parfois des oeillères pour ne pas remarquer les affaires qui disparaissaient de manière louche. Tahlia en avait vu des affaires qui s'oubliaient grâce à l'argent. Et après, on venait embêter les petits agents avec des histoires de pacotille. Comme celle de Jorge. Franchement, l'autre homme n'aurait pas pu assumer ce qu'il a dans le pantalon, en réglant ses problèmes avec Jorge lui-même. Non, il valait mieux se cacher derrière des policiers et montrer une nouvelle fois qu'en étant bien placé, on pouvait faire ce que l'on voulait. Tahlia espérait sincèrement que Jorge ne finisse pas avec une plainte derrière lui, sinon elle se doutait que ses collègues allaient creuser encore un peu pour faire tomber le mécanicien. Valait mieux s'attaquer aux petits poissons plutôt qu'aux gros. Tahlia fit l'impasse sur les affaires du passé, se disant que cela risquait davantage de lui porter préjudice. Mais quand Jorge lui demanda pourquoi ce n'était pas celui qui ouvrait sa bouche qui prenait, la brune haussa les épaules et répondit : « Jorge... je pense que tu as ta réponse à cette question. Je te l'ai dit, il ne faut pas taper en premier. » Alors qu'elle termina sa déposition, elle lui avoua qu'il risquerait de revenir ici, s'il y avait plainte. Il lui demanda alors de ne pas faire d'entrée fracassante chez lui, ou au garage. « On n'est pas dans un film. Dans le pire des cas, tu recevras une simple convocation. » Elle imprima la déposition. Elle soupira face à ses dernières paroles. « Je n'ai pas mis de mots difficiles ou du jargon policier. Je ne suis pas là pour t'enfoncer... » Elle lui tendit la déposition afin qu'il puisse la regarder, guettant sa réaction. "Si ça te convient, tu signes et on sort d'ici. J'en ai marre d'être enfermée entre ces murs." Ces murs froids et déprimants. Et tout aussi direct, elle reprit : "d'ailleurs, ça te dirait de boire un café ? Ou une bière ? Enfin, de quoi oublier l'autre bouffon." Oui, ça aussi, c'était Tahlia. Elle n'avait clairement plus aucun respect pour son travail et ses horaires.

Tahlia avait peut-être un devoir de réserve, mais cela faisait bien longtemps qu'elle avait oublié cette obligation. Dégoûtée par tout ce qu'elle avait pu voir, elle ne mâchait plus ses mots concernant ces pourris bien placés. « Oui, à ce point-là. » ajouta-t-elle, déterminée. « Même dans une petite ville, il y a des histoires louches. On écoute mieux les gens qui ont du fric, par exemple. » Et Jorge était le mieux placé pour s'en rendre compte puisqu'il était là aujourd'hui, en face d'elle. Lui qui avait osé l'ouvrir. Qui avait osé taper en premier, malheureusement. Un fait que Tahlia lui rappela. Seulement ; Jorge lui rétorqua qu'il le savait pertinemment, qu'il n'était pas con. « Je n'ai jamais dit ça. C'était de l'ironie, Jorge. » Autant elle se disait qu'il était difficile de communiquer avec Donovan, autant avec Jorge, c'était pire. Il prenait tout au premier degré. Et Tahlia, elle, était adepte du second degré.Quand il reprit sur les flics qui jouaient aux cow-boys, elle se permit de répliquer : « Justement, nous ne sommes pas en Amérique. » Il fallait dire que les américains étaient réputés pour jouer aux cow-boys. « Après, je vais être honnête. Les arrestations musclées, ça se fait. Mais pas pour un gars qui a osé taper un mec qui le méritait bien. » Elle lui tendit la déclaration pour qu'il la lise, pressée de sortir d'ici. Cette journée avait été épouvantable, à vrai dire et elle avait hâte de sortir prendre l'air frais. D'ailleurs, elle ne sut pourquoi, mais elle proposa à Jorge d'aller boire un café, ou une bière. Une proposition qu'il remballa aussitôt, en la qualifiant de plan foireux. En plus, il ne buvait pas. Elle avait fait une belle gaffe, visiblement.Elle leva les yeux au ciel quand il continua de râler, en disant qu'il y allait avoir des on-dits, comme quoi il l'avait mise dans la poche. « Pourtant, ce n'est pas le cas. » rétorqua-t-elle. « Et quand bien même, s'ils disaient quoique ce soit, je dirais que je te devais une fière chandelle. Si tu n'avais pas été là ce fameux soir, je ne serais peut-être pas là sur mon poste. » Ses collègues étaient au courant de l'agression, ils savaient qu'on l'avait sortie de justesse de ce merdier. Jorge signa, Tahlia récupéra la déposition et enchaîna : « Enfin, fais bien ce que tu veux. C'était juste une proposition comme ça, sans aucun traquenard. C'était juste pour te remercier.... pour ce qu'il s'est passé la dernière fois. » Elle se leva et rassembla ses affaires. Elle retira la veste de l'uniforme, afin de rester en t-shirt, comme à chaque fois qu'elle sortait pour prendre une pause. « Je crois que c'est tout bon. Tu peux y aller, Jorge. »