[MAXYM & FELIX - UA 2618] human after all

Venir au monde pour un robot, c'est un peu comme sortir d'un long sommeil. Et même une fois éveillé, ce sommeil là continue, lent, palpable.
Il faut apprendre tout, emmagasiner le monde dans lequel on leur ordonne d'évoluer en naissant avec des données de base, des simplicités qui font d'eux des êtres gorgés d'informations mais tellement pâles que rien ne les étonne.
Chad ressent des problèmes autour de lui, comme des étincelles. Il y a en a surtout dans le regard de Monsieur Graham lorsqu'il pose sur sa carcasse la douceur de ses pupilles. L'androïde se retourne et fronce les sourcils. Des réponses, il n'en aura qu'au fil du temps. Une naissance est longue, ce doit être pour ça que le mot connaissance le contient. Il attendra, parce qu'en dépit de son besoin de tout découvrir, Isaak exerce sur lui une pression qui l'empêche de dépasser les limites.

Le robot fait ce qu'on lui demande, docile, se connecte, fouille dans les rayons de vêtements, cela lui prend en réalité tout juste trente seconde. Sa LED clignote pour prévenir l'humain une fois que la commande est passée. Elle ne devrait plus tarder à présent, plus l'homme est riche, plus le monde est à ses pieds. Monsieur Graham a l'univers tout entier au creux de la main. Chad essaie de s'imaginer la sensation que cela puisse faire. Peut-être serait-il pire que lui avec autant de pouvoir. La puissance déforme l'esprit, émousse l'empathie, elle rend cannibale.

Lorsque son propriétaire lui tire la langue, le robot enregistre le mouvement et le ressortira au moment venu. Le style ? C'est une vision trop personnelle à chacun pour qu'il puisse réellement exister vous savez. Chad hausse les épaules, continue de regarder la ville en bas alors que déjà, quelqu'un sonne à la porte. Un androïde tout juste crée pour cela. Il ne porte pas un visage comme lui parce qu'il a été conçu pour être différencié de l'homme, ne servir que de machine. Sa large carrure s'avance vers la porte d'entrée. Elle a déjà pris ses repères et connaît tout des recoins de cet endroit. En revenant sur ses pas avec une boîte en carton entre les mains, l'androïde dépose sur la table du salon sa commande. En sortant l'ensemble de jogging noir basique, un sourire se dessine sur ses lèvres. Chad ne saurait l'expliquer mais apprécie réellement ce qu'il voit. Il ne sait pas si c'est à cause de la couleur, du tissu, de la forme du vêtement mais son regard change. Alors, vous en pensez quoi ? Pas mal non. Il commence déjà par enlever sa veste et y arracher délicatement le scratch avec son numéro de série inscrit. Il y enlève aussi son brassard et pose le tout
à côté du carton.

Vous êtes certain que nous n'aurons pas d'ennuis si je ne mets pas ma signalisation ? Cela ne me dérange pas, vous savez. Ce n'est qu'un brassard, un morceau de tissu de plus dans son dos, son identité à lui.

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Lorsque nous franchissons les portes de la base spatiale, je m'efforce d'être insolent pour deux. Il faut bien ça pour compenser la dégaine de l'androïd immobilisé dans la boîte à rayons X. En sa qualité de prototype aux confections internes seulement connues de Stolen, Chad est un risque potentiel. Nul ne sait si ses bio composants jamais commercialisés et donc non reconnus par la base de données sont aux normes des consignes de sécurité spatiale. Une armée d'alertes rouges clignote sur l'écran de contrôle. Il est question d'un " risque cobra " : Prototype inconnu. Que fait cette machine mal emballée aux côtés d'un passagers VIP ?

Nez relevé en signe d'assurance la plus totale, j'annonce d'un ton impérieux : " Il est sous mon contrôle, je me porte garant des risques encourus." J'enfonce le clou en lissant ma cravate et ajoute à voix basse en adoptant le ton de la confidence. Le but est de forcer le responsable de la sécurité qui nous retient à se pencher jusqu'à mes lèvres. " Savez-vous qui possède l'entreprise qui vous emploie ? " Son regard s'écarquille quelque peu lorsqu'il comprend la menace et se redresse promptement. Dans un marmonnement soumis, l'employé s'excuse et nous autorise à monter à bord mais nous signale également que nous devrons rester en zone de quarantaine durant le voyage. Je soupire mais accepte.

Sur le chemin qui nous mène à la zone de quarantaine, je me perds dans mes pensées ...

Lorsque mes doigts se referment sur sa gorge, je me demande vaguement comment un bout de tissu encore plus horrible que sa tenue d'Androïd peut-il m'attirer à ce point ? Collé à son dos, j'inspire profondément à la recherche d'une odeur corporelle. Il n'y en a aucune, Chad est une machine. Pourtant, un nouveau flash me saisit, comme la foudre tombée de nul part.

Encore cette poussière stagnante et l'odeur si particulière de la sueur qui imprègne le gym entier autant que son t-shirt collant. Le bruit de la porte que son dos immense percute violemment raisonne dans tout l'espace, rebondissant sur l'émaille des urinoirs. S'en suit le claquement osseux que font mes rotules dans leur rencontre avec le carrelage. Je tire sur son pantalon de jogging. Il rugit de plaisir quand je le prends en bouche. Mon pouls s'accélère. Je perds le contrôle ...

... Et me réveil en plein attouchement, la queue dressée entre ses fesses. Chad me tourne toujours le dos, moulé dans son taille basse. Jamais je n'aurais cru dire cela ... Je me recule d'un pas pour le laisser respirer alors que je sais que son système pulmonaire n'est pas fait pour réagir comme le miens aux variations de fréquence cardiaque. La beauté de la vie qui m'anime plus intensément que la sienne n'est cependant pas un atout en ces circonstances. " ... mais j'aime beaucoup. "

Cette pulsion incongrue perturbe ma pensée ; j'en fronce les sourcils avant de reprendre, autoritaire : " Passe en mode veille, je te réveillerai lorsque nous serons dans la navette. " Puis je tourne les talons, ne réalisant qu'une fois arrivé dans ma chambre que mon boxer semble trop petit et que le goût du smoothie à la fraise encore présent dans ma bouche se mélange à celui de la sueur.

* * *

" Chad, réveille-toi. " Refermant la porte de la cabine derrière moi, je demande aux gardes du corps de veiller à ce que nous soyons laissés seuls jusqu'à l'heure du diner de l'équipage. " Bienvenu sur Nazaret-Alpha. " Calme, j'entreprendre de nous servir à boire. L'un des verres est rempli d'eau - seule boisson disponible en quarantaine -, l'autre du contenu d'une poche de thirium sortie de ma valise. Lui tendant son verre, j'affiche un sourire avenant.

Seul dans la cabine, la voix d'Isaak ramène l'androïde à la normale. Dans son système flotte des souvenirs flous et des questionnements qu'il décide finalement de garder pour lui. C'est étrange, mais il ressent au fond de lui une sorte d'instinct qui l'aide à trier les informations et ne pas poser des questions qui pourraient mettre l'autre mal à l'aise. Dans son jogging, le robot se sent plus sensible qu'il ne le voudrait ; probablement la faute à cette tenue qui le rapproche plus de l'humain que des siens.

Le regard de son propriétaire ne semble plus le même lorsqu'il se saisit du verre en silence. Sa peau effleure ses doigts et envoie à ses biocomposants une vague de chaleur qui le percute de plein fouet. Nazaret Alpha lui semble soudainement une information futile alors qu'il boit quelques gorgées en fixant Graham avec intensité. Vous allez bien ? Il le sent fatigué ou alors contrarié. Il n'a pas à poser ce genre de questions. Chad n'est ici que pour le travail et ses fonctions de robot mais son faux coeur bat plus intensément dans sa poitrine. Toute cette boîte dans lequel il est enfermé lui donne la sensation de reprendre un peu plus de vie depuis que cet homme est entré dans sa vie. Il lui en veut, quelque part, de faire clignoter sa LED de rouge et d'envoyer à son système des images qu'il comprend mal. Deux corps nus le traversent brusquement, comme des souvenirs qu'il n'a jamais vécu. Il reconnaît sans mal la mâchoire d'Isaak, son corps grâcieux et ses pupilles dilatées. L'autre est une masse informe qui semble pourtant déstabiliser l'humain qu'il a sous les yeux.

Vous semblez fatigué. Le voyage est long, c'est vrai. Il sait que la fatigue pour un être comme Isaak est impossible mais il parle d'une autre fatigue, plus profonde, émotionnelle. Ça, l'immortalité, n'y pourra rien. Elle ne le sauvera pas de ce coeur qui bat sous ses côtes, de ses sentiments qui doivent parfois le mener en bateau.

Sa large silhouette se redresse de sa place pour s'approcher de lui. La cabine lui semble minuscule mais cette proximité le rassure. Il n'a pas d'alliés ici si ce n'est cet homme qui pourrait pourtant le désactiver à tout moment. Chad n'est qu'un objet dont on pourrait s'amuser sans qu'il n'ait le droit de se rebeller. Son verre posé sur la table, ses larges mains se posent sur les épaules de son propriétaire pour y exercer une légère pression. Après toutes ces années, le stress est-il aussi intense qu'avant ? La pression, la peur, tous ses sentiments, est-ce que l'on s'y habitue ? On leur a toujours dit que les humains étaient des êtres extrêmement sensibles et facile à contrarier parce qu'ils sont à la merci de ces émotions dont on les préservé par peur de voir leur puissance devenir ingérable. Dans tout son calme déstabilisant, Chad se doute qu'il dépasse certaines limites du contact physique et psychologique mais les limites lui semblent de plus en plus floues.

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Lorsque je m’aperçois de mon erreur, il est déjà trop tard. Le contact avec l'épiderme artificiel de Chad fait naître des frissons le long de mon échine. Instantanément, mon sourire se crispe, attirant l'attention du robot. Oui, tout va bien. Dis-je en soupirant, aux prises avec le souvenir de la séance d'essayages. C'est alors qu'il me surprend en s'approchant à nouveau. Le désir m'empêche de repousser ses prises d'initiatives tactiles. Le voilà qui s'empare de mes épaules. Il est compliqué de décrire ce qu'est la récurence des émotions humaines à une intelligence artificielle qui en est dépourv ... Ma phrase se coupe lorsque je prends conscience du clignotement de sa LED. Rapport système. Pourquoi clignotes-tu ? Intrigué, je le darde d'un regard autoritaire avant d'observer le verre laissé sur la table. Le lithium serait-il périmé ? Nous n'avons pas besoin d'un bug à quelques minutes du décollage.

Soudain, une voix électronique savemment humanisée nous informe, depuis les hauts parleurs de la cabine, qu'il nous faut nous attacher.  Je me dégage et m'avance jusqu'à l'assise sur laquelle je me pose après avoir lissé mon costume. Tout en bouclant ma ceinture, j'observe Chad, curieux de tester son libre arbitre.Emets-tu l'hypothèse de ne pas obéïr ? Un compte à rebours adressé à tout l'équipage s'affiche sur l'écran de sécurité intégré au mur de la cabine. Je t'autorise à copier mes traits de caractère, mais pas celui-là. Dis-moi pourquoi ton systeme s'affole. Jambes croisées, je bandine et marmonne dans ma barbe à propos de ces harnais rudimentaires bien loin de ceux proposés en classe VIP. Avoir choisi d'intégrer des notions de confort à mon organisme implique malheureusement de composer aussi avec celles d'inconfort.  

L'atmosphère se fait plus lourde et collante, même Chad le ressent. C'est étrange, il a la sensation que sa peau est plus fine, que tout son système la lui fait à l'envers pour le rendre vulnérable. Il ne sent plus cette force initiale et cette froideur cadavérique qui le hantait en sortant de l'usine. Aux côtés d'Isaak, il a simplement envie d'être comme lui, non pas dans sa façon d'exister mais de pouvoir réagir, comprendre le monde à sa façon et non pas seulement ce pour quoi on l'a programmé. Lorsque l'humain lui fait remarquer que sa LED s'affole, Chad lâche brusquement sa prise pour poser ses doigts contre celle-ci jusqu'à ce qu'elle se calme. Je pense qu'elle n'a pas aimé quand tu as fouillé dans mon système. Le vouvoiement saute brutalement pour faire tomber cette barrière qui les séparait  jusqu'ici. Maintenant que la chaleur de sa peau est présente contre la sienne, l'androïde peine à se reprendre. Seule la voix robotique le force à reprendre place alors que ses yeux se tournent vers Graham.

Pourquoi cela te tient autant à coeur que je ne t'obéisse pas ? Ce n'est pas le rêve de tout homme ? Et surtout de toi. Il connaît ses traits de caractère, cette propension à vouloir le contrôle et se foutre du monde tout en le faisant intelligemment. Je sais que tu plais beaucoup et que tu en joues beaucoup. La connexion qu'ils ont eu tout à l'heure, aussi éphémère soit-elle, a posé entre eux un lien qu'il ne peut plus nier. Alors qu'il s'attache à son tour alors qu'il survivrait à n'importe quel crash ou catastrophe nucléaire, Chad mime les mouvements de l'humain. Je ne peux rien te dire pour le moment. Qu'il termine par avouer alors que sa LED est éteinte, enfin calme. Il faudra que tu me trouves une casquette tant que nous ne sommes pas chez toi. Si trop de monde voit qu'elle tourne au rouge, on pourrait chercher à vouloir le renvoyer en usine et ça, Chad ne le laisserait faire pour rien au monde.

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Chad se met soudainement à me tutoyer. J’en déduis que le clignotement de sa LED est plus inquiétant qu’il n’y paraît mais ne le reprends pas sur sa familiarité. Le souvenir encore brûlant de mon corps collé au sien dans le salon y est probablement pour quelque chose ; sans compter le fait que ses propos m’interpellent : « Falloir ? » J’arque un sourcil septique tandis que le compte à rebours s’égraine sur le panneau d’affichage. Décollage dans une minute. « Faire passer un ordre pour une nécessité ... » Sourire de biais. « Tu m’impressionnes ». Taquin, il m’est impossible de laisser la nature inquiétante des tournures de phrase de l’androïde prendre le dessus sur ma curiosité. « Le moment est peut-être venu de te parler du fond du problème. » J’adopte un ton léger tout en le détaillant de haut en bas. Être attaché de la sorte confère à Chad un je-ne-sais-quoi d’incroyablement attirant. Moi qui pensait me connaître, je me découvre, à son contact, des goûts douteux en matière vestimentaire. «  Quelque chose de dangereux est en train de se produire dans ton système et j’ai envie d’en savoir davantage. C’est pourquoi je t’autorise à porter une affreuse casquette, si tu y tiens ... » 10 ... 9 ... 8 ... La voix électronique du vaisseau nous interrompt. Habitué à ce genre de voyage, je resserre m’a prise sur le harnais. « ... mais tu iras l’acheter toi-même. » Soupire tout en costard et en noeud de cravate que j’ajuste par habitude avant de reprendre : « C’est au dessus de mes forces. » Mon dos se plaque au siège tandis que je cale l’arrière de ma tête entre les coussins prévus à cet effet. 4 ... 3 ... 2 ... « Prêt à t’envoyer en l’air ? » Teinté d’un humour raffiné, la franchise de mon discours s’accompagne d’un nouveau flash cérébral aussi fugace qu’inopiné.

Ses incisives s’enfoncent dans mon lobe d’oreille tandis qu’il se vide en grognant sauvagement. Mon corps se raidit, alerté par celui du blond qui m’écrase de tout son poids. L’orgasme me submerge, je perds connaissance, étranglé par le cuir de la ceinture cisaillant mon cou.

La force de poussée du décollage rend toute conversation impossible. Seule mon érection persistante témoigne de l’état d’excitation dans lequel je me trouve au moment où nous quittons l’atmosphère.

L'humain découvre que le système de Chad est défectueux et l'androïde ne peut s'empêcher d'être pudique face à sa curiosité. Au délà que tout cela puisse lui coûter de retourner en usine, il a cette sensation désagréable d'être approché d'un point sensible qui le terrifie. Et si lui aussi était finalement capable de ressentir la peur ? Si tout ce que Isaak contient dans son corps erre aussi dans les branchements de la boîte de conserve ? Son corps est presque mou lorsque l'engin démarre et que son dos se plaque contre le siège. Il n'a pas besoin d'être attaché, pourrait survivre à n'importe quel crash mais se contente d'être docile. Si son propriétaire lui accorde de porter une casquette, c'est qu'une part de lui peut alors accepter un semblant de complicité. Si Chad a conscience des enjeux, il a aussi l'impression désagréable d'être seul. S'il refuse cette alliance avec Graham, est-ce qu'une telle proposition lui sera à nouveau présentée ? Merci. Le mot quitte ses lèvres brièvement alors que les secousses se font plus violentes.

Son regard dévie sur le corps d'Isaak. D'ici, il peut l'observer partiellement mais plus en détails. Il remarque que le corps de son propriétaire est plus chaud. Sa température grimpe et ses joues sont légèrement rosées. Sans compter cette langue qu'il passe sur ses lèvres entre chaque phrase. Chad, inconscient malgré ses connaissances nombreuses au sujet de la copulation approche sa main et la pose sur la cuisse de l'homme. C'est quoi ça. Un peu négligent dans sa façon de parler, jamais Stolen n'apprécierait de voir l'une de ses machines parler sur ce ton, sans prendre attention à la tournure de ses phrases. Ses doigts se posent sur la bosse d'Isaak. Il ne pensait pas cela possible mais une sensation de picotement traverse ses doigts et le pousse à cesser prématurément le contact.

Tu te ne te sens pas bien ? Il trouve étrange qu'un homme puisse avoir une érection dans ce genre de moment et soutient son regard sans une once de gêne. Chad est une machine et les machines ne peuvent pas se sentir mal à l'aise lorsqu'elles parlent de sexe et des besoins de leurs créateurs. Son créateur a tout prévu, jusque dans leur libido et leur en a offert à chacun tout en rendant possible de la manier, de la travailler, de la rendre plus intense ou la détruire totalement. Cela fait combien de temps que tu n'as plus été avec quelqu'un ? L'éternité doit forcément lasser l'homme du contact des autres. Isaak est-il de ces êtres dont la vie et ses nuances n'ont plus rien d'excitant ?

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L’accentuation de ma propre masse m’indispose. Je ressens jusque dans mes organes le poids de la poussée qui me colle au siège, écrase mes poumons et intensifie cette sensation d’étouffement amenée par le flash. Impossible de raccrocher à la réalité immédiate dans de telles conditions ; mon esprit reste coincé dans un monde de fantasmes duquel la main que Chad pose sur ma cuisse vient soudainement m’arracher. Je sursaute, désorienté, et me retrouve confronté au regard interrogatif de l’Android. La gêne qui me pique alors relève plus de la vulnérabilité que du caractère sexuel de ce contact éphémère. Je regrette ces quelques secondes d’absence et le manque de maîtrise que j’ai sur mon nouveau corps. « Comme tu vois : je bande. » Le problème n’est tant pas l’action physiologique en elle-même mais bel et bien la raison pour laquelle mon organisme s’emballe à ce point.  Digne, je lisse à nouveau les plis de mon pantalon avant de répondre à la question encore une fois trop personnelle de mon acolyte.

Voilà des décennies que la procréation humaine scientifiquement contrôlée est entrée en vigueur dans le but de réguler la prolifération de l’espèce. Le plaisir est un luxe qui s’orchestre désormais autour de moyens de substitution virtuels et numériques sur le marché desquelles mon entreprise s’est faite connaître, à ses débuts, par la force de ses innovations. Tout ce dont l’Homme à besoin pour assouvir ses besoins primaires se trouve aujourd’hui accessible via connexion Internet ou satellitaire. Connexion dont nous prive par définition la zone de quarantaine dans laquelle nous nous trouvons. Je soupire, frustré. « Avec quelqu’un ? » Constatant que le vaisseau s’est stabilisé, je défais ma ceinture et marche jusqu’au hublot minuscule depuis lequel je vois la Terre s’éloigner. Cette cabine manque de baies vitrée et d’hospitalité.

Le regard tourné vers le berceau de l’humanité, j’entreprends d’expliquer à l’Android ce que mon concurrent n’a jamais trouvé bon d’intégrer à ses machines :   « L’Humain n’a plus besoin des autres pour « être ». Nous créons nos propres désirs et évoluons par la seule force de ce que nous sommes : des conquérants. » Mon regard se tourne vers le blond, je le détaille à nouveau des pieds à la tête avant d’observer la bosse qui déforme toujours mon vêtement.   «  Je n’exclue pas l’idée que tu sois une arme destinée à tester les limites de ma théorie, Chad. » La théorie Graham : celle que je m’apprête à défendre au congrès de l’O.U.S.

Si l'intelligence de l'Androïde est au dessus de celle de l'humain, il n'en reste pas moins plein de trous noirs et de manque d'associations. Parler du désir humain déstabilise Chad qui fronce les sourcils. Sa mémoire lui a intégré des décennies d'existence et une part de son ordinateur se souvient des années plus simples où le corps humain était un mélange complexe de sentiments et de désirs. Tout ce que Isaak lui démonte en quelques secondes seulement comme si cela n'avait plus d'importance et que leurs racines étaient méprisables. Le robot termine par se lever à son tour et s'approcher de l'humain pour fixer la terre. La façon dont elle se retrouve suspendue au loin au milieu de nulle part la rend soudainement si vulnérable. Cette vision du monde le touche. C'est là qu'il réalise comme tout ne tient à rien. Il n'y aurait qu'à la décrocher de là, jouer un peu de la gravité pour la voir s'effondrer dans le vide qu'est l'univers. Pourtant, c'est de là que tout part, de ces paysages aujourd'hui monstrueusement pollués et dissimulés derrière les constructions de l'homme.

Je pense que l'Homme est en train de courir à sa perte. Ce n'est pas individuellement que l'on va loin. L'unité, c'est ce qui vous a permis, à tous, d'en arriver là aujourd'hui mais votre besoin de puissance vous a perdu au point de construire des robots qui atteignent une perfection et une force que vous n'aurez finalement jamais. Chad se tourne mollement vers son propriétaire. Le silence est profond mais sans malaise. Ses nano caméras plongent dans son regard si intense, si humain, dans toute sa vulnérabilité et toute son envie de réussite. Je doute que l'homme qui parvient à conquérir de nouvelles planètes, à créer de nouvelles enveloppes pour devenir indestructible puisse combler ses besoins les plus primaires. Viendra un jour Isaak où tu demanderas toi-même à mourir lorsque tu comprendras que tu es finalement seul. Cet empire, c'est un bouclier. Et tu sais ce qu'on dit ? Dans l'histoire de l'humanité, tous les boucliers avant le tien sont tombés. Le partage, le besoin de ne pas être seul, la beauté d'exister dans le regard de l'autre. Même Chad, de son rang le plus robotique qui puisse exister se sent curieux de ressentir ce que peut-être la fusion avec un autre. Et c'est finalement sa punition la plus cruelle : celle d'être un androïde et par prolongation se retrouver privé de toutes ces sensations là.

Tu bandes donc. Qu'il termine par ajouter d'un ton plus léger. Il n'a pas à forcer pour plaquer légèrement Isaak contre la paroi de cette minuscule cabine et poser sa main sur cette bosse et la découvrir. L'Androïde dépasse clairement les limites sous sa LED qui s'affole d'une couleur rouge.

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Si le regard qu’il m’adressait jusque alors suffisait à attirer toute mon attention, sa main glissée sous mon pantalon finit de me pousser au-delà de ma zone de confort. Acculé, je l’observe prendre des initiatives que son système désapprouve d’une vive couleur rouge autour de sa LED. Un rouge aussi ardent que le feu du désir me submergeant soudainement et me poussant à lui répondre par un baiser sauvage, sans aucune retenue. J’y mets toute la frustration emmagasinée depuis l’apparition des premiers flashs mémoriels et ne m’arrête que lorsque mon souffle me rappelle que mes poumons ne sont pas mécaniques comme les siens. Nos regards se croisent à nouveau. Mes doigts fermement agrippés au col de sa veste restent solides.

« Et maintenant ? Provocation contre ses lèvres encore humides de ma salive. Je soupire, comme à chaque fois que la situation m’exaspère.  « A quoi bon toute cette intelligence artificielle si c’est la force que tu choisis d’utiliser en premier ? Dis-je en empoignant sa fesse gauche. Tu ne sais même pas ce que tu fais, robot. » Incisif, je ne lui laisse aucun temps de réponse et le repousse de son côté de la paroi, provoquant involontairement l’allumage des capteurs de sécurités.  « Ne t’avises plus de me toucher ... Je range ma queue d’une main et passe l’autre dans ses cheveux ; douce et menaçante, comme ma voix. ... sauf si je te l’ordonne. Je lui accorde un haussement de sourcils mystérieux avant d’incliner la tête en direction de l’interphone automatique. R.A.S. régie, je me suis trompé de bouton. Profitez-en pour accélérer le mouvement, voulez-vous ? Mon regard se pose sur le blond.  « Et trouvez-moi une casquette. Fin de la transmission.

Il sent venir le moment où le jeu devient de l'agacement. Chad ne pourrait pas l'expliquer pleinement mais c'est comparable à un déclic. Le regard d'Isaak évolue et son coeur s'emballe sous sa cage de métal. Qu'est-il en train de faire ? Même lui peine à se reconnaître. Il a la sensation que l'expédition de son humain aux tréfonds de son système a enlevé des filtres pour lui laisser son libre arbitre. C'est un peu comme s'il avait une conscience bien à lui et qu'elle se développait au fil des heures. Tout ce qu'il fait n'est plus calculé mais instinctif et la façon dont il regarde Isaak lorsque celui-ci le rejette est incisif, marqué d'une déception qui le fait se reculer de quelques pas. Je ne voulais pas te froisser. Je- Mais il préfère finalement se taire. Son système revient au calme et l'empêche de prononcer des mots qui pourraient dépasser ce qui s'apparente à une pensée. L'impression d'avoir soudainement mal à la tête le déstabilise tandis qu'il colle son dos contre le mur en face de celui où se trouve son humain. Il laisse entre eux une distance comme s'il était terrorisé par ce qui se joue dans cette cabine.

Merci. Il marque une pause, soudainement moins sûr de lui malgré toute cette assurance robotique dont il est doté. Pour la casquette, tu n'étais pas obligé. Et pourtant il l'a fait, il l'a demandé, ce n'est peut-être rien mais cela signifie tout pour lui ; un acte de confiance qu'ils se passent et que Chad accepte malgré la situation. C'est pas la force que j'ai utilisé. Il revient là-dessus car il en ressent le besoin. Seulement, il y a des choses que je sais de toi et que je ne peux pas expliquer. Des flash, il ne cesse d'en recevoir depuis que sa LED le fait tourner en bourrique. Je sais par exemple des détails futiles comme le fait que tu ne mangeais déjà plus viande bien avant que l'élevage ne devienne une catastrophe écologique. Je sais aussi que lorsque les animaux n'étaient pas robotisés et que même les chats n'étaient pas maintenus en vie dans des zoos tu aimais. Je sais toutes ces choses et je ne sais pas quoi en faire. C'était volontaire ? Il se revoit encore sur cette table froide où Isaak l'a allongé, il a la sensation de le sentir dans son système, naviguer. Est-ce que c'est toi qui m'a transmis ses informations ? J'ai l'impression que ma tête va exploser. Il a besoin de sa voir d'où cela provient, il veut des réponses.

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Chad reprend ses esprits ; sa LED redevient bleue. D’un signe de tête, j’accepte son remerciement pour ce qu’il est : un drapeau blanc. Je m’apprête à retourner m’asseoir lorsqu’il prononce des mots si mystérieux qu’ils me figent. Des choses qu’il sait de moi ? Instinctivement, mes yeux se plissent, signe de méfiance . « Les chats ? » Je perçois le ton rêveur de ma voix tandis qu’un nouveau flash me saisit. Court, saisissant, magnifique.

Nous sommes sur la terrasse d’une villa en bord de mer. Un soleil bien moins agressif que celui desséchant désormais la Terre caresse ma peau nue. Allongés l’un sur l’autre, nous enlaçons un chat roux venu nous rejoindre depuis le salon baigné de teintes orangées. Il fait chaud. Chad porte une casquette sur laquelle sont gravés les initiales d’un club de gym. Rien d’autre.

Le retour à l’environnement de la cabine me donne un vertige. Je chancelle et me porte une main au front, muet, réfléchissant à ce que vient de m’avouer l’Android tout en tachant d’ignorer cette érection qui n’en finit pas. « C’est impossible... » Dis-je,  sourcils froncés. « À moins que... » Je le darde d’un regard accusateur tout en me léchant les lèvres. Peut-être le baiser ? Le clignotement de sa LED signifiait-il que les données stockées dans son disque dur lors de la séance d’essayage ont été violées ? Par automatisme, je tente de me connecter à Cassandre … Avant de me souvenir qu’il n’y a pas de connexion en zone de quarantaine. Et merde.

« Je n’ai pas de réponse à te fournir pour le moment. » Et cela fait bien longtemps que ça ne m’était plus arrivé. «  Il faudra attendre d’être sur la lune pour en savoir d’avantage sur ce phénomène. »J’ai conscience de me parler à moi-même à travers cette affirmation et décide de dévier ma course afin de me resservir un verre. Debout, à côté de la table, moi aussi j’ai mal au crâne.

Isaak se fige et Chad plante ses nanos caméras contre sa nuque jusqu'à ce qu'il se retourne à nouveau et que leurs regards se confondent. Une part de colère grandissant dans son corps robotique se calme un peu en apercevant que l'humain ne lui ment pas et est aussi surpris que lui par cette découverte. Il y a un moment de flottement où l'Android ne dit plus rien. Perdus dans l'espace, aucun des deux ne peut faire quoi que ce soit pour essayer de résoudre ce mystère qui le hante et qui l'empêche de réagir correctement à l'extérieur.
Et si Stolen avait prévu son coup ?
S'il l'avait fait exprès ?
Et si cette copie frauduleuse dont tout le monde parlait était finalement réelle ? Quelques années plus tôt, bon nombre de personnes l'avaient accusés de voler une part de la conscience d'êtres humains pour les infiltrer dans ses robots et leur donner une intelligence bien à eux mais aussi identique à celle qu'ils avaient volé.
Qui était ce vrai Chad ? Est-il seulement toujours en vie ? Et si Isaak avait désactivé les inhibiteurs de l'androïde et qu'à présent, se développait en lui cette conscience arrachée à un inconnu ? La LED du robot tourne au bleu mais ce n'est qu'un leurre, son système ne réagit plus à rien, part dans les archives d'informations, baigne au milieu des scandales Stolen jusqu'à ce que les journaux n'en viennent à la conclusion d'une simple rumeur. Des pièces du puzzle manquent, l'Androïde soupçonne complot et mensonge et les paroles d'Isaak atteignent à peine le coeur de son ordinateur.

Ce n'est que lorsqu'il parle de la lune que Chad revient à la réalité et lui répond d'un signe de tête. D'accord. Comprenant qu'il est allé probablement beaucoup trop loin dans ses questionnements et son approche avec Isaak, il ne dit plus rien, se contente de rester droit et de se mettre en veille. Ses yeux ne clignent plus et c'est à peine s'il donne l'illusion de respirer. L'Androïde se transforme alors en un mannequin qui ne bouge pas d'un cil pour le reste du voyage par crainte de mettre une nouvelle fois mal à l'aise son humain. Graham a tous les droits sur lui et pourrait le détruire rien qu'en claquant des doigts. Ce pouvoir qu'il exerce sur lui le pousse à garder sa place, maintenir la distance. Malgré le lien qui les unie à présent par la force des souvenirs, Chad n'en reste pas moins un rien que rien à ses yeux.

GRAHAM & AY-2817

JOUR 1 - Chad ne bouge plus.
Je pars assister au dîner de l’équipage sans lui et garde le silence durant tout le repas. A mon retour dans la cabine, le blond n’a toujours pas bougé. Je m’allonge, pensif, concentré sur l’analyse profonde du problème qu’il représente désormais. Avec ses comportements douteux et les connaissances qu’il semble avoir à mon sujet, impossible de renvoyer l’androïd comme produit défectueux. J’ai trop de méfiance vis à vis de Stolen pour prendre ce risque et m’endors en tâchant de ne pas trop prêter l’oreille à cette partie de moi qui ne souhaite pas voir Chad se faire désassembler.

JOUR 2 - Réveil sur la béquille.
Regard perdu au fond de mon bol durant le petit déjeuner. Quelqu’un me parle ; je snobe d’un signe de tête désapprobateur. Aucune envie de communiquer, mes pensées sont accaparées par le rêve de cette nuit.

La lumière tamisée découpe sa carrure imposante dans l’obscurité qui l’entoure. Je suis seul sur scène et le bar ne sert plus. Mes doigts virevoltent de gauche à droite, inspirés par une infinie tristesse. Enfin, je quitte le piano pour rejoindre Chad à sa table. Il me regarde par dessus son verre de vin, ange voilé d’ivresse dissipant à lui seul les ténèbres de ma solitude.

JOUR 3 - Nous atterrissons dans moins d’une heure. Les sauvegardes sont en sécurité, le satellite Graham s’éloigne derrière la vitre du hublot. Il est temps de réveiller Chad. Assis en face, jambes croisées, je l’observe, aussi silencieux et immobile que lui. Voilà plus de trente minutes que j’hésite. Mes pensées vagabondent, indomptables, insolentes. Sous la visière de sa casquette, je détaille son visage. L’inexpression de ses traits m’invite à superposer les souvenirs de ceux implantés dans mon esprit par les flashs et les rêves. Je peux l’imaginer sourire, grimacer ou jouir sous le logo Graham couronnant sa tête. Et cette envie incurable de le toucher qui me hante encore et toujours ... Claquement de langue agacé ; je me redresse, m’approche et m’éclaircis la gorge. « Reveille-toi, Chad. nous atterrissons dans un quart d’heure.

Comme pour le décollage, je m’assieds et m’attache. Bientôt, nous assisterons au congrès au milieu de centaines de convives venus des quarte coins de la galaxie.

Mis en veille, Chad a la sensation de sombrer dans un énorme trou noir où rien ne se passe. Si son système continue de sauvegarder en permanence ce qu'il a déjà emmagasiné, qu'il se promène au coeur des salons androïdes, son corps quant à lui ne réagit plus à rien. Enfermé dans cette cabine tout juste assez grande pour deux personnes, la voix d'Isaak termine finalement par le réveiller. Casquette sur la tête, sa peur s'apaise instinctivement alors que ses caméras se plantent sur l'humain toujours si sérieux et dénué d'empathie à son égard.

Isaak n'a de l'humain que la chair. C'est cette pensée là qui lui saute au visage lorsque Chad l'observe encore un peu sans un mot.

Il garde en mémoire leur moment échangé quelques heures plus tôt, la violence de leurs mots, la colère qui s'échappait de ses lèvres qu'il fixe. Chad prend place pour l'atterrissage.
Un quart d'heure.
Le temps lui donne à présent la sensation de s'éterniser lorsqu'il le passe en présence de son humain. Le robot ressent un mélange étrange d'insoumission et de malaise ; comme s'il pouvait réagir de son propre chef à tout moment mais ne jamais le regarder réellement dans les yeux. Ses mains se posent sur ses genoux, le torse bien droit, ceinture attachée.
Quinze minutes.
A se taire, respirer un air dont il n'a pas besoin mais qu'il partage tout de même avec cet être complexe. La température de sa peau commence doucement à augmenter alors que son système remet en état de marche toute cette mécanique surdéveloppée. Il a la sensation de renaître à chaque fois qu'il quitte cette transe où rien de réel ne se passe en dehors de l'univers androide où il peut errer.

A l'atterrissage, tandis que les ceintures se débouclent, le robot part automatique s'installer derrière Isaak. La règle veut qu'aucun Androïde non destiné à la protection se permette d'être devant l'humain.