[MAXYM & FELIX - UA 2618] human after all

GRAHAM & AY-2817

Le silence. Ceux qui le qualifient d’or n’ont jamais vécu ce genre de situation. Dans cette cabine spatiale, il est de plomb. Je le sens, épais, pressant contre mes vêtements et englobant chacune des particules qui me composent. Face à moi, Chad se tait. Je ne cille pas. Mon regard reste résolument accroché à sa silhouette immobile jusqu’à ce que nous atterrissions. Là, l’android prend  la place de mon ombre tandis qu’ un véhicule privé se charge de nous emmener au siège de l’O.U.S

Confortablement installé à l’arrière de la voiture, j’observe à présent le paysage lunaire de l’autre côté de la vitre. Si la Terre est devenue grise au fil des décennies et des amoncellements de déchets industriels, la lune, elle, n’a jamais perdu sa couleur blanche initiale . Jusque dans l’architecture urbaine, un voile de lumière céleste semble tout recouvrir. Je m’adresse au blond, pupilles toujours tournées vers la route qui défile à vive allure.  « Alors ? Que penses-tu de la Lune ? » Peut-être a-t-il d’autres goûts et préférences qui lui sont propres, comme pour les choix de tenues vestimentaires ? Ma curiosité naturelle me pousse à entrer en interaction avec lui et ce malgré les risques évidents que cela représente. Les événements survenus lors du voyage sur Nazareth Alpha en sont la preuve mais ma présence en tant que maître de conférence sur ce satellite de la Terre en est une autre : je ne suis pas un homme que la prise de risques impressionne.

Dans la voiture, Chad ne dit plus rien, redevient ce pourquoi on l'a finalement mis au monde : un pot de conserve. Ses mains sur ses genoux, le torse bien droit, son regard analyse ce paysage qu'il découvre. Son système s'attarde sur les moindres détails, fouillent des les archives, fait le lien entre les événements du passé et le présent. Il se souvient des explosions, de la violence qu'avait causé la possibilité d'explorer l'espace sans entrave. Aujourd'hui, si tout semble calme, la lune n'en reste gorgée de cicatrices causées par l'homme et sa soif de conquête.

Son visage se tourne doucement à la question d'Isaak. Il est surpris de voir son propriétaire lui poser une question et s'intéresser à lui. Son ton froid et méprisant le hante encore alors que ses caméras se posent sur les immeubles. Tout est de la même couleur ; il a la sensation que ce monde là porte un manteau de neige bien blanche. Recouvert d'un manteau scintillant et calme, Chad est apaisé par la vision de la lune. Je la trouve mélancolique. Je crois que si elle était perchée seule au dessus de notre tête c'est parce qu'elle voulait le rester. Nous ne lui avons pas laissé le choix. Comme lui, il n'a pas eu le choix. Seuls les hommes riches comme Isaak l'ont, ce droit et en font un pouvoir.

En réalisant la froideur de ses traits, le robot se détend un peu et lui adresse un sourire qui se veut reconnaissant. Mais c'est agréable. Ce sentiment de plénitude qui le berce durant le trajet l'aide à rester aux côtés d'Isaak sans se sentir agressé par sa présence. Cohabiter avec un humain est finalement l'idée la plus farfelue qu'on lui demande de faire alors qu'elle est aussi son unique fonction. Le ronronnement subtil du moteur le berce tandis qu'il se concentre sur l'extérieur tout en prononçant ces quelques mots. Vous n'êtes pas nerveux ? Tout le monde le serait à sa place, qu'importe son âge et ses connaissances, l'assurance est une donnée qui va et qui vient comme un coup de vent. Elle balaye tout.

GRAHAM & AY-2817

Chad est une source de mélancolie à lui seul lorsqu'il répond à ma question. Les propos du blond sont d'une profondeur quasi poétique que je choisis de ne pas contredire, respectueux du calme et de l'ambiance moins pesante que nous offre l'habitacle du véhicule. Silencieux, j'observe le profil de Chad tandis qu'il détaille le paysage. La tour de l'O.U.S se rapproche. Chad semble avoir retrouvé un comportement stable. Tout se passera bien.

- Si je suis nerveux ? La question me surprend et m'arrache un sourire. Bien sûr que je le suis. C'est une sensation grisante. Je lisse ma cravate avant de poursuivre, calant mon dos plus confortablement dans la banquette. Et toi, Chad, es-tu nerveux ?

De par sa nature même de pot de yaourt, Chad ne devrait pas l'être mais, depuis le début de notre voyage, tout tend à prouver que cet androïd n'est pas une invention comme les autres. Serais-je en train de m'inquiéter du bien-être de ce jouet ? Je n'en sais rien moi-même ...

Il se souvient à peine de ce moment sur la lune. Son cœur synthétique bat brutalement sous sa carrosserie alors que son regard se redresse vers la ville qu'il n'a plus atteint depuis son retour sur terre. Des semaines qu'il n'a plus vu Isaak et qu'il ne sait plus rien de lui. En posant un pied sur cette planète, Chad se remémore le son des bipeurs tout autour de lui. Tous les regards s'étaient posés sur sa silhouette comme s'il était un terroriste et la peur s'était insinuée en lui comme un venin rigide et colérique. Elle s'était installée dans ses tripes de vis et de ferrailles.
Ses propres frères, les autres androïdes, s'étaient retournés contre lui avec une virulence qu'il avait bousculé avec une telle violence Isaak qu'il se souvient encore de la brutalité du choc. Passer les capteurs sur la lune n'avait été d'aucune difficulté mais ceux de la terre, récemment mis à jour par Stolen lui-même avaient détecté en Chad un virus qui le guiderait directement vers la destruction.

La destruction est probablement la crainte la plus ancrée en chaque Androïde. Ils sont semblables aux oiseaux qui naissent avec la peur des ombres dans le ciel pour que les buses ne les dévorent pas. C'est en eux, dans leur génétique comme la peur de la réinitialisation est ancrée dans le système de Chad.
Il n'avait pas eu le temps de se retourner et d'accorder le moindre regard à Isaak. Il s'était contenté d'agir comme une animal sauvage qui désirait préserver sa vie.

Des semaines d'errance, c'est à ça que son quotidien s'est résumé jusqu'à ce qu'il tombe dans les tréfonds de leur monde. Dans un univers sous terrain où d'autres androides comme lui ne sont plus conforme aux normes, Chad s'y est fait une place. Rien de glorieux, le robot passe ses journées dans le noir à errer sous terre au milieu des égouts et de la crasse humaine. Il lui arrive d'avoir des échanges mais tout lui semble hors de portée.
Si un androide se blesse, il ne ressent aucune pitié à l'idée de détruire un de ses semblables pour lui dérober ses pièces. C'est à cause de cela qu'il lui manque aujourd'hui une main. Chad n'a pas le cran ni la férocité pour s'attaquer aux siens et se réparer.

La nuit est affreusement noire lorsqu'il remonte le long des égouts. Capuche sur la tête, il ressemble plus à une racaille des bas fonds qu'à un androïde mal foutus.Main dans la poche, il dissimule les éléments manquant à sa mécanique et s'avance d'un pas décidé vers la résidence Graham. Il se doute que des gardes du corps doivent probablement surveiller l'entrée mais l'unique nuit passée lui a permis d'analyser et de craquer le système. En faisant l'erreur de connecter Chad à sa centrale, son propriétaire l'a aussi laissé s'attaquer à toute sa sécurité. La porte du garage s'ouvre et se referme. En détectant à travers les murs les sources de chaleurs, c'est dans la cuisine qu'il trouvera Isaak.

Sa large carrure s'avance d'un pas décidé à travers les couloirs. Il n'a pas d'armes, rien pour le mettre à genoux mais une part de lui, beaucoup trop naïve se surprend à vouloir lui faire confiance. Son regard bleuté se pose sur le plan de travail avant de s'échouer sur le dos du blond.
Son corps se fige dans l'encadrement de la porte.
Je suis là.
Sa voix est grave.