Tahlia + Should I kill you ?

Shelby était libre. Le dossier papier était dans les mains de ses anciens patrons. Mais il restait encore un souci que Tahlia n'arrivait pas à régler : la version numérique du dossier sur ce réseau de prostitution qu'elle n'arrivait pas à faire disparaître. Et ce, sans se faire choper, sinon elle savait qu'elle irait droit vers la case chômage. Mais Tahlia avait encore quelques cartes en mains. Ou plutôt des alliés de dernière minute. Sortant son portable, la jeune femme envoya un message à John, le hacker qu'elle avait attrapé alors qu'il essayait de pirater le système informatique de la police. Pour cela, il aurait pu être en prison, mais il était tombé sur Tahlia qui l'avait plutôt vu comme une aide éventuelle pour le futur. Pas manqué. Elle lui donna alors rendez-vous au Starbucks, sans en dire davantage.

Ponctuelle, Tahlia se trouvait déjà dans le café avant l'heure du rendez-vous. John n'était pas là, mais cela n'étonnait pas la jeune femme. Il daigna pointer son nez, dix minutes plus tard, s'approchant d'elle sans lui dire bonjour, en bougonnant afin de lui montrer clairement qu'il en avait marre qu'elle l'appelle. Il était vrai qu'elle l'utilisait quelque peu, mais il valait mieux cela plutôt que de croupir dans une cellule, dans une prison miteuse d'Australie. D'un ton claironnant et faussement enjoué, elle répondit : « Oh bonjour John, je vais très bien, merci de t'en enquérir ! J'espère que toi aussi, d'ailleurs. Tu as très bonne mine. » Oui, elle se foutait clairement de lui et de son arrivée fracassante. Elle montra la place en face d'elle et reprit, plus ferme : « Allez, arrête de râler et assieds-toi. Il faut que je t'explique la situation. » Elle soupira un bon coup avant de reprendre, dépitée à l'idée d'avoir besoin de lui : « En gros, j'ai besoin de tes talents de hacker... »

Le voir râler était d'autant plus jouissif pour Tahlia, qui adorait embêter ce cher John. Elle n'était pourtant pas comme ça, Tahlia. Elle n'aimait pas utiliser les gens et encore moins faire du chantage. Mais là, elle était dans une telle galère qu'elle n'avait plus vraiment le choix. Elle comptait utiliser tous les as qu'elle avait à sa disposition. Et John en faisait partie. Contre son gré. Alors qu'il se laissa tomber sur une chaise, en soupirant et en laissant son skate à côté, elle eut l'impression de faire face à un adolescent en pleine crise. L'ironie dont il fit part dans ses paroles fit sourire Tahlia, qui ne répondit rien. Son sourire presque mesquin parlait pour elle. En même temps, voulait-elle le voir pour autre chose que cela ? Non, et c'était bien mieux comme cela.

Mais sans un mot, John se leva et partit prendre sa commande. Ce ne fut qu'en revenant et en déposant le porte-feuille de Tahlia qu'elle remarqua qu'il le lui avait subtilisé. « Et du vol, en surcroît. Ça ne te suffit pas de t'être fait choper pour du piratage ? » lança-t-elle en bougonnant, abasourdie à l'idée de s'être faite avoir comme une pauvre débutante. Elle récupéra son porte-feuille en ajoutant : « Tu sais, ce n'était pas la peine de le prendre. Je t'aurais proposé une boisson. En bonnes et dues formes, comme des gens civilisés. » Elle leva les yeux au ciel et le rangea dans son sac, qu'elle garda bien à côté d'elle. Elle reporta son regard sur lui, soupira un coup et reprit : « J'aurai besoin de toi pour infiltrer la base de données du commissariat. » Mais avant qu'il ne rétorque quoique ce soit, elle ajouta : « Oui, je sais que tu t'es fait attraper pour ça, mais là, c'est une mission de haute importance. » Elle ne pouvait pas lui dire que c'était pour sa petite personne, alors elle préférait enrober le tout. « J'ai pensé à toi, parce que je me disais que ce serait dommage de rester sur un échec. Tu es quand même une pointure en piratage, c'est donc l'occasion de te rattraper... » Et en plus de cela, elle vantait ses talents, le mettait au défi. N'était-ce pas malin de sa part ?!

Exaspérée, Tahlia ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel en constatant qu'il lui avait pris son porte-feuille. Au fond, ce n'était pas le fait qu'il se prenne un frappuccino avec qui la gênait, mais plutôt le fait de s'être faite avoir aussi facilement. Il en avait sous le pied, le sale gosse ! Même si au fond, ils n'avaient pas tellement de différence d'âge, John et Tahlia étaient à mille lieues l'un de l'autre. Et c'était pour cela qu'ils ne communiquaient qu'en se provoquant, se faisant des sales coups ou du chantage. Le rire du jeune homme la fit sortir de ses pensées, alors qu'il sauta sur l'occasion d'avoir un autre frappuccino payé par la jeune policière. « Finis d'abord celui-là et on verra ! » On verra s'il était apte à l'écouter, d'ailleurs.

Alors qu'elle lui expliqua ce qu'elle attendait de lui, Tahlia n'était pas dupe. Cela se voyait qu'il n'avait pas envie d'être là. Cela se voyait comme le nez au milieu de la figure, même. Tahlia faisait des efforts, elle aussi avait mieux à faire, mais John, lui, n'en faisait absolument pas et cela irritait la brune. Elle compta alors lui rappeler ce pour quoi elle avait failli le coffrer, mais sans succès. Moqueuse, elle rétorqua : « La Nasa, rien que ça ! » Elle comprit alors qu'elle devait changer son plan, si elle ne voulait pas perdre son seul atout. Elle usa des mots, des bons mots pour éveiller l'attention du jeune pirate. Elle le flatta, le complimenta, à l'image du renard dans la célèbre fable de La Fontaine 'Le Corbeau et le Renard'.  Mais le Corbeau, cette fois-ci, ne tomba pas dans le piège. Malgré le regard flatté, John refusa sa proposition après avoir fait mine d'y avoir réfléchi. Le bougre ! Tahlia soupira. « Ok. » se contenta-t-elle de répliquer. Abandonnait-elle ? Non. Bien sûr que non. Elle chercha dans son sac et sortit un papier plié en quatre, qu'elle avait imprimé au commissariat. « C'est dommage que tu refuses, parce que je n'aurai pas été la seule à y trouver un intérêt. » Elle lui tendit la feuille, qui n'était autre qu'un mandat de recherche international sur John. « J'ai trouvé ça, par hasard... » Oui bien sûr, par hasard. « Je ne savais pas que tu traînais autant de casseroles. » ajouta-t-elle avec un sourire presque amusé. C'était petit, mais au fond que pouvait-elle faire d'autre?

Ah les hommes et leur égo ! Tahlia avait côtoyé beaucoup d'hommes qui aimaient qu'on les flatte, qu'on leur rappelle à quel point ils étaient parfaits, qu'ils laissaient des souvenirs impérissables chez ces femmes qui les complimentaient. Alors, la réaction de John, quand Tahlia sous-entendit clairement que la Nasa était impénétrable pour ce petit hacker, la fit largement sourire. Elle fit mine de réfléchir avant de répondre, sur un ton qui appelait au défi : « Ramène-moi les constantes vitales de Thomas Pesquet à l'époque où il était dans l'ISS et plus jamais, je ne remettrai en doute tes talents. » Oui clairement, elle le provoquait. Mais c'était tellement bon de le voir s'énerver pour si peu. Il était sanguin, le sale gosse. Petit à petit, elle visualisait le personnage et mettait le doigt sur des traits de caractère qui pourraient grandement lui servir à l'avenir. Faites lui croire qu'il était incapable de mener à bien une telle mission et il vous prouvera le contraire. Voilà qui était bon à savoir. Mais pour l'instant, Tahlia ne pouvait pas user de ce stratagème. Mais Wates avait d'autres cartes en main et John n'allait pas tarder à s'en rendre compte. Alors qu'il écoutait ses explications d'une oreille distraite et qu'il lui fit comprendre qu'il s'en contrefichait, la jeune policière sembla l'accepter... jusqu'au moment où elle sortit cette feuille qu'elle avait dans le sac. Son Graal, pour aujourd'hui. Elle avait réussi son coup, elle avait réussi à éveiller la curiosité du jeune homme puisqu'il revint vers elle. Quand il prit la feuille, Tahlia comprit qu'elle avait touché dans le mille. Son visage se décomposa alors qu'il visualisa cette vieille photo de lui, placardée sur un mandat de recherche. Avant de répondre à sa question, la jeune policière prit le soin de siroter sa boisson, se permettant de répondre avant tout : « Tu n'as pas trop changé, je trouve. » Elle se moquait encore. Il avait voulu jouer au petit con avec elle, sauf que Tahlia retournait le jeu en sa faveur. C'était comme le poker, jusqu'au dernier moment, on pouvait faire tapis et remporter la mise en bluffant. « Toi, tu sais pirater. Moi, je sais chercher les informations dont j'ai besoin. Et honnêtement, c'est très facile de trouver ça. » répondit-elle en montrant cette feuille d'un signe de la tête. « Ce serait dommage qu'elle tombe entre de mauvaises mains, tu ne crois pas ? »