blowing off some steam ▽ (cleo)

blowing off some steam

Charlie parcourait les couloirs de l'hôpital, sa blouse blanche voletant au rythme de ses pas. Elle cherchait son supérieur pour lui parler au sujet d'un patient et lui demander quelle était la démarche à faire pour la suite, car elle hésitait un peu. Mieux valait ne pas prendre de décisions hâtives, surtout quand on avait le luxe d'avoir un peu de temps devant soi. Ce n'était pas aux urgences qu'on pouvait se permettre de demander confirmation à tout bout de champ pour chaque action que l'on allait faire. Ses cheveux attachés en une queue de cheval haute, l'étudiante en chirurgie tournait dans l'hôpital, avant d'enfin trouver un collègue qui lui indiqua que le chef de service était actuellement au bloc, en plein milieu d'une césarienne prématurée. Bon, ça pouvait attendre. La jeune femme jeta un coup d’œil à sa montre, confirmant ce que son estomac lui soufflait depuis un petit temps : il était temps de le nourrir. Et Charlie adorait manger. Mais alors là, vraiment.

En se dirigeant vers la cafétéria à grands pas, Charlie se retrouva soudainement aux côtés de Cleo, qui sortait de la chambre d'un patient. « Hey, salut ! » lança-t-elle d'une voix enjouée à l'interne, qu'elle n'avait pas encore vu de la matinée. Les deux jeunes femmes avaient sympathisé au début de l'année, quand Charlie avait commencé son internat. Elles bossaient dans le même service, même si elles ne faisaient pas la même chose. Une complicité s'était rapidement installée entre elles, au fil des longues et dures journées à l'hôpital. Entre internes, on était souvent proches. Il y avait de la compétition mais aussi beaucoup d'entraide, assez paradoxalement d'ailleurs. Cleo était quelqu'un de cher aux yeux de Charlie, son repère dans l'hôpital. Elle avait Niels aussi, bien sûr, mais ce n'était pas pareil. Le lien spécial qui unissait des étudiants en stage était différent et les coups durs comme les joies étaient célébrés différemment qu'avec un ami "extérieur", hors de ce monde impitoyable qu'était l'internat. « J'allais à la cafet', tu manges avec moi ? » proposa la jeune femme aux boucles brunes tout en marchant aux côtés de son amie et collègue.

Journée de merde! La blonde avait lancé ces mots crus et durs avec un dégoût remarquable, s'adossant contre le dos de la porte de son bureau, les yeux brillants d'émotions. On avait dû procéder à une intervention impliquant plusieurs spécialistes pour annoncer une mauvaise nouvelle à une famille. Cleo était la pédiatre au dossier du petit Jaysen, un petit bout d'humain d'environ six mois qui avait des parents aimants réalisant que leur petit ne se développait pas aussi rapidement que la normale. Mais, la normale, chez les humains, est-ce que c'était réellement quantifiable? Dans le cas de Jaysen, ses parents avaient eu raison de l'amener à l'urgence. Cleo et un oncologue spécialiste dans les cancers infantiles étaient venus à la rencontre de cette famille déjà tristement ébranlée pour leur annoncer le diagnostic, un cancer, une leucémie qui frappait si tôt, mais qui pourrait être contrôlée. Les parents avaient pleuré, beaucoup, et Cleo s'était sentie coupable. Le cancer chez les enfants est différent de celui chez les adultes. Les tumeurs cancéreuses ont tendance à se développer beaucoup plus rapidement. Elles se propagent également plus vivement sur les autres parties du corps, menant à des risques de cancer généralisé. Pour Jaysen, tout son avenir était encore incertain. La vie était fragile, Cleo s'en rendait compte encore mieux aujourd'hui, alors qu'elle venait d'annoncer, par le biais de ses parents, à un enfant de six mois que sa vie allait peut-être s'éteindre plus rapidement que prévu.
Cleo sortit de son bureau en se raclant la gorge, sa veste blanche lui servant de mouchoir pour essuyer les retailles de pâtes à modeler qu'elle avait sur ses mains. Joey, un de ses patients, adorait la pâte à modeler, il venait d'en recevoir toute une tonne en guise de cadeau de rétablissement. Sa bonne humeur faisait du bien au coeur fragilisé de la blonde. En sortant de la chambre, elle croisa Charlie en prenant le couloir vers la gauche. La blonde sourit à son amie, qui l'avait interpelé. Hey, Chat! C'était son surnom, un diminutif amical que Cleo avait trouvé pour raccourcir un peu plus le prénom de la brune déjà bien court. Bien sûre, qu'est-ce que tu crois! J'ai faim, allez, bouge tes fesses Meers! Ajouta-t-elle en la défiant du regard. Charlie était un réconfort dans un endroit qui habitait, la plupart du temps, la tristesse. Elles s'étaient rencontrées au début de janvier et rapidement elles s'étaient liées d'amitié, décidant que la guerre entre les internes n'était pas assez forte pour tout mener dans les couloirs médicaux. De la confrontation, de la concurrence, il y en avait, mais les deux filles étaient bien au-delà de tout cela. Tu passes une bonne journée ? Demanda-t-elle à son amie, alors que les deux étudiantes venaient d'entrer dans la cafétéria.

Croiser Cleo dans les couloirs avait le don d'afficher un immense sourire sur le visage de Charlie, c'était sa pilule de bonne humeur quand une journée à l'hôpital prenait des couleurs plus sombres. Une épaule pour pleurer mais aussi une partenaire de vannes pourries. Tout de suite, les traits de la brunette s'illuminèrent quand sa collègue accepta l'invitation pour aller remplir leurs estomacs. Pour donner un peu de visuel aux paroles de son amie à la chevelure dorée, Charlie ne put s'empêcher de remuer ses fesses comme dans un cours de twerk, sans se soucier des regards interloqués du personnel médical qui passait dans le couloir, avant de reprendre sa marche joyeuse aux côtés de Cleo, tout sourire. « Owww yeah baby ! Je crève la dalle, sa mère ! » s'exclama la jeune fille tandis qu'elles rejoignaient la grande pièce que constituait la cafèt'. Elles s'insérèrent dans la file, se munissant chacune d'un plateau, pour le faire glisser le long du présentoir. « Ouais, plutôt calme, tout roule. Je recharge mes batteries, j'ai la garde de nuit demain. Et toi, ça s'passe ? » répondit Charlie en sifflotant joyeusement, son regard traînant sur les différents plats proposés. Elle finit par opter pour une ratatouille de légumes, qui ne semblait certes pas sortie d'un restaurant étoilé, mais appétissante tout de même. Elle se saisit d'une banane et d'un verre de soda, avant d'aller s'installer à une table avec son amie.

Par chance, vous vous aviez mutuellement pour passer non seulement au travers des journées plus difficiles, mais aussi de toute la pression qui se mettaient sur vos épaules. Le poste d'interne n'avait rien de facile, payé trois fois moins qu'un véritable médecin, mais exploité au maximum de leur énergie, les filles avaient des journées de fous parsemées d'embuches auxquelles elles devaient répondre avec créativité, mais aussi justesse. C'était un peu ça, les risques de leur métier. Charlie était son rayon de soleil, celle qui la faisait rire. Elle ne dérogeait pas à la règle, remuant ses fesses sous les paroles de son amie ce qui extorqua un rire franc de la part de la blonde. Arrêtes, tu vas être accusée d'indécence dans les couloirs de l'hôpital! Plaisanta-t-elle en arquant un sourcil. Si j'étais pas ta copine, j'irais te dénoncer, même! Renchérit-elle. Cleo ne serait d'ailleurs pas surprise que ce genre de coup bas entre internes se soit déjà produit, mais entre elle et la brune, rien de tout cela ne pourrait arriver. Elles se protégeaient les arrières, alliées dans ce dur métier. Elle s'exclama une nouvelle fois sur sa faim, la blonde hocha la tête. On y va! Puis elles se dirigèrent vers la cafétéria. Dans la ligne, cabaret en main, soupe déjà placée sur le plateau, elle demanda à son amie comment sa journée se déroulait. Ça va, l'habituel. Affirma-t-elle en haussant les épaules. J'ai annoncé à une famille ce matin que leur petit avait la leucémie.. Cleo souffla. C'état assez troublant. Rarement elle était porteuse de bonnes nouvelles, mais celle-ci, elle avait particulièrement troublé la blonde.

Charlie gloussa avec amusement quand son amie la qualifia d'indécente, après sa petite danse improvisée impliquant surtout un déhanché tout sauf sexy. « MOI, indécente ? » répéta-t-elle, feignant d'être offusquée en portant une main à sa poitrine façon princesse. Elle émit un petit rire enfantin et un peu bête avant de reprendre une allure profesionnelle normale. « Non mais à l'aise, j'avais mis twerkeuse professionnelle dans mon CV, ils sont au courant. » plaisanta encore la jeune femme avec un haussement d'épaules. Heureusement que son côté professionnel et discipliné venait contrebalancer ses petits sauts de folie et son humour douteux. Elle suivit gaiement son amie jusqu'à la cafétéria, d'un pas léger. Elle aimait bien Cléo, plus que ça même, celle-ci était son roc dans l'hôpital. Elles se protégeaient mutuellement, se soutenaient dans tous les moments. C'était sa personne. Celle à qui elle pouvait tout raconter, sans aucune honte, sans peur de jugement que d'autres internes auraient pu porter. L'ambiance générale entre les étudiants était bonne, mais aussi extrêmement compétitive et les coups en douce n'étaient pas rares. Les deux jeunes femmes s'installèrent à une table et Charlie entama son repas tandis que Cléo expliquait sa matinée. La brunette afficha une moue désolée, relevant son regard vers sa collègue. « Oh... Je comprends, y a mieux pour débuter la journée... » compatit la jeune fille avec un sourire sans joie au coin des lèvres. Ce n'était jamais facile d'annoncer ce genre de nouvelles à des parents. C'était déjà pas facile d'encaisser tous ces diagnostics déprimants chaque jour, mais c'était le job d'un docteur. L'annoncer était pire encore, mais il fallait garder la face et continuer sa mission du mieux possible. « Il a quel âge ? » s'enquit-elle. Elle savait qu'elle ne pouvait pas faire grand chose et le sentiment d'impuissance l'agaçait. C'était pour ça qu'elle avait voulu devenir chirurgienne : être utile. Avoir quelque chose en son pouvoir pour réparer une situation injuste. Rendre les gens plus heureux. Elle aimait travailler sur des cas avec Cléo, il leur arrivait d'avoir le même patient, quand ce dernier nécessitait une intervention chirurgicale. Mais dans certains cas, elle ne pouvait rien faire. Aussi dur que cela soit, elle s'efforçait de l'accepter, comme chaque praticien de la médecine. Sinon on ne tenait pas le coup.

Et ils t'on engagé quand même ?, rétorqua la blonde en feignant la surprise. Ils engagent vraiment n'importe qui ici, c'est d'un ridicule, gloussa-t-elle en secouant la tête, faussement choquée. Charlie, elle n'avait rien d'indécent. Au travail, elle était professionnelle. Il n'avait rien à redire. En même temps, les internes devaient faire attention à leurs moindres gestes, sans quoi, la porte leur serait montrée sans attendre. Cleo avait l'impression d'être toujours en observation, qu'on jugeait ses décisions et qu'on ne lui faisait pas toujours confiance. Et ça avait, parfois, des répercussions sur sa pratique. Elle hésitait, elle prenait son temps. D'un oeil extérieur, on la trouvait folle. Parce que Cleo, elle était perfectionniste, beaucoup trop. Mais Charlie, elle était bien la seule personne à ne pas la juger. Elles se comprenaient, elles se confiaient l'une à l'autre. C'était sa meilleure rencontre de l'hôpital. Finalement assises à la cafétéria, plateau-repas posé juste devant elles, Charlie demanda à son amie comment s'était déroulée sa journée jusqu'à l'heure du lunch. Mal. Mais il fallait élaborer. Alors, elle lui confia sa matinée, le petit patient dont elle avait eu à diagnostiquer, après plusieurs jours d'analyse, de testes et de scanners. Leucémie, ça ne mentait pas. Six mois, lâcha-t-elle avant de prendre une bouchée de son lunch, alors que son amie lui demandait quel âge il avait, le petit. Et c'était le plus jeune cas qu'elle avait vu, Cleo. C'était bien ça qui la troublait. Elle espérait qu'ils puissent le sauver, mais les chances étaient minces. Parce qu'à six mois, le système n'était pas encore assez fort pour supporter les chimiothérapies et les traitements contre le cancer. Souvent, la fatigue les emportait, ces petites victimes. Cleo soupira avant de reporter son attention sur sa collègue qui lui rendait toujours le sourire lorsque les choses n'allaient pas comme elle l'aurait imaginé. Et toi alors, sur quoi tu travailles en ce moment ? Demanda-t-elle pour se changer les idées.

Charlie éclata de rire. « Bah ouais, c'est carrément ma plus-value. » continua-t-elle avec un naturel presque déconcertant, derrière lequel on entendait percer l'humour. Elle afficha une mine exagérément offusquée devant la remarque de son amie, avant de joindre ses rires aux siens. C'était le genre de vannes qui fusait naturellement entre les deux internes, faire du second degré était leur quotidien, histoire de se détendre et de se défouler un peu. Une fois installée à la cafétéria, entamant leur dîner, Cléo lui raconta comment se passait sa journée jusqu'ici. Et, comme bien souvent dans un hôpital, la joie n'était pas au rendez-vous. Charlie esquissa une moue désolée, qui s'accentua quand la blonde donna l'âge de son patient. « Tu me tiendras au courant ? On peut toujours aller boire un café après le service si ça va pas. » souffla doucement Charlie, compatissante, tentant un faible sourire réconfortant. Ce n'était jamais facile de perdre un patient. Encore moins dans le service pédiatrie, elle avait l'impression. La brunette aurait aimé aider Cléo, mais comme elle le pensait, elle ne pouvait rien faire. Son amie lui demanda ensuite ce qu'il en était de sa journée. « Rien de spécial, je fais ma tournée des patients en post-op et pré-op. J'assiste sur une greffe de rein tout à l'heure, j'suis assez contente ! » lança-t-elle avant de prendre une bouchée de son repas avec entrain.

L'hôpital pouvait être un lieu assez déprimant en lui seul, il ne servait à rien de rajouter à cette déprime ambiante des conversations lourdes et dramatiques. Cleo et Charlie en avaient déjà bien trop, d'ailleurs, de ce genre de conversations, dans le cadre de leur métier. Elles avaient souvent les mauvais rôles, les porteurs de mauvaises nouvelles. Parfois, elles changeaient des vies. Parfois, elles amenaient l'espoir. Mais, souvent, avant que l'optimiste puisse naître de leurs efforts, elles devaient passer par toutes les émotions négatives. Et comme elles le vivaient souvent dans leur quotidien, lorsqu'elles se retrouvaient enfin toutes les deux, les deux internes avaient l'habitude de laisser tomber la pression. Blagues, doubles-sens, ironies, sarcasmes, ils y passaient tous. Tous pour qu'elles retrouvent le sourire. Surtout dans des moments comme celui que vivait Cleo : l'annonce d'une mauvaise nouvelle à une famille qui se brisait à chaque mot qu'elle osait leur dire. Elle n'était pas mauvaise Cleo, son empathie faisait tout son charme, mais, elle devrait apprendre à s'endurcir. Il lui arrivait souvent de se laisser atteindre par les tristesses des autres. Elle avait besoin d'être un peu plus comme sa copine, comme Charlie. Forte, indépendante, inébranlable. Quand la brune lui propose un café, Cleo hoche la tête en guise de remerciement. Ça va aller. Et sinon, faut que j'apprenne à gérer mes émotions. C'est pas ma vie, c'est la leur, affirma-t-elle comme un conviction. Puis, règles générales, ses soirées se constituaient de sorties mondaines, d'accompagnement d'hommes dans des évènements ou des rencontres intimes. Non pas par choix, mais par obligation. Parce qu'à présent qu'elle était prise dans l'engrenage, impossible de s'en sortir. Ennuyée que la conversation ne tourne que sur sa personne, Cleo s'intéressa aux projets médicaux de son amie. Et c'est avec fierté qu'elle lui annonça la grande opération sur laquelle elle travaillerait prochainement. Il y a vraiment que des médecins pour prendre une bouchée avec appétit après avoir mentionné greffe et rein dans la même phrase, gloussa la blonde en prenant une bouchée à son tour. C'est chouette ! On te laisse pratiquer cette fois ?

Charlie sourit devant la force que son amie avait mis dans sa voix, comme pour forcer son cerveau à accepter le fait que travailler dans un hôpital, c'était pas facile, mais c'était comme ça. L'acceptation faisait partie d'une étape à franchir pour tout bon interne. Et ils le faisaient tous, chaque fois que les choses tournaient mal, mais c'était plus facile pour certains que pour d'autres. Un peu égoïstement, la jolie brune était contente d'avoir trouvé une interne avec la même capacité émotionnelle qu'elle, voire même plus. Car si Charlie affichait toujours cette expression sérieuse en situation professionnelle, capable de maîtriser ses émotions et garder toute sa personne sous contrôle, disciplinée et résistante, ce n'était pas le cas au quotidien. Et même à l'hôpital, elle avait besoin de craquer, parfois. Jamais devant les patients, jamais durant une opération qui se terminait horriblement mal, mais ça lui arrivait d'aller fumer une clope dehors, de chialer dans un ascenseur ou aux toilettes, quand ses nerfs lâchaient. Alors avoir Cleo à ses côtés était un moyen de la rassurer, elle se sentait elle-même, avec le droit de se confier quand ça n'allait pas, de s'ouvrir comme elle ne l'aurait pas fait avec d'autres collègues. Son amie représentait une épaule sur laquelle elle n'avait pas peur de pleurer, sans honte, quand ça n'allait pas. Et avec qui elle n'avait pas non plus peur de montrer les côtés plus excentriques de sa personnalité. En présence de ses supérieurs ou même de certains internes avec plus d'expérience ou tout simplement plus de retenue, elle bridait souvent ses pulsions d'énergie, ses blagues nulles et ses commentaires déplacés, tout comme ses larmes. Avec Cleo, elle n'avait pas besoin de le faire, tout simplement parce qu'elles se comprenaient et s'épaulaient sans jugement, sans compétition entre elles à qui sera la meilleure interne, la plus professionnelle, la plus assidue ou la plus douée. « On a tous nos coups de blues, hein. Et c'est amplement justifié. Mais on se moquera plus souvent des patients, si ça peut t'endurcir ! Tiens, l'autre jour, y avait une petite fille qui s'était coincé une cacahuète dans le nez. Mais genre, bien loin, hein ! Quelle idée de la mettre là et pas dans sa bouche, c'est une insulte à la nourriture. » répondit Charlie avant de retrouver un grand sourire, prenant une nouvelle bouchée de son repas avec enthousiasme. Non mais franchement, si on lui avait mis des cacahuètes devant elle, elle aurait pas pu en gâcher une seule, même pour une expérience nasale hors du commun. Cleo lui demanda ensuite ce qu'il en était de sa journée et l'étudiante aux boucles brunes lui expliqua son programme, s'extasiant presque en pensant à la greffe de rein qui approchait. « C'est sûr qu'il faut avoir l'estomac accroché pour faire médecine. Tu crois qu'un jour on se trouvera un mec à qui on pourra expliquer une transplantation en détails pendant le repas sans lui filer la nausée ? Le rêve, quoi. » C'était certain, il ne fallait pas être rapidement dégoûté de ces choses-là quand on sortait avec un chirurgien. Surtout avec Charlie, qui n'avait absolument aucun mal à visualiser une vidéo démontrant une opération tout en prenant son bol de céréales au matin. Avant d'être interne, quand ils commençaient à s'entraîner en cours pratiques sur des organes, elle avait toujours été partante pour jouer avec et commencer des batailles d'organes comme on ferait une bataille de bouffe. « Oui, enfin j'assiste seulement, mais c'est déjà bien. J'aurai bientôt ma première opération solo, j'ai troooop hâte ! J'espère que ce sera un truc stylé, pas une vieille appendicectomie ou quoi. » S'enthousiasma la jeune femme tout en mangeant joyeusement. Si certains tremblaient déjà sous la pression que représentait la première opération où ils pratiqueraient seuls, avec leurs supérieurs présents juste en cas de besoin, pour Charlie, c'était un événement qu'elle attendait depuis longtemps et qui ne l'inquiétait pas le moins du monde.

C'était une chose de mettre un faux sourire sur son visage ou un masque emprunter de force avant d'annoncer à des patients d'affreuses nouvelles. Ça en était une autre de refermer la porte de son bureau, alors qu'on s'y retrouvait seul, et de le garder, ce masque de force, ce courage qu'on avait été puisé au fond de son coeur. Cleo le découvrait bien avec dépit. Que toutes ces choses, au fond, ce ne sont pas ce que l'on voit dans les films et les séries médicales, rien à voir avec Greys Anatomy. Dans ce monde où les choses sont bien réelles, les médecins, les internes et les infirmiers ont des sentiments. Sentiments parfois difficiles à contrôler. Peut-être que la fatigue rendait Cleo plus à fleur de peau qu'à son habitude, peut-être la rendait-elle plus faible, moins résiliente. Elle regardait Charlie avec cette admiration au travers de ses prunelles, le sentiment qu'elle avait tellement tout en contrôle. Elle l'admirait, son alliée. Et, un jour, elle aspirait à avoir le même contrôle qu'elle. Pour lui changer les idées, la brune lui raconta l'histoire d'une patiente aux crottes de nez cacahuètées. La blonde ne put s'empêcher de rire aux éclats, en manquant presque de s'étouffer avec sa propre nourriture. Tu ne peux pas me raconter ça sur l'heure du repas !, avisa-t-elle à sa collègue en riant de plus belle. Tu vas me faire mourir Charlie ! Et elle secoua la tête. Maintenant, chaque fois que je vais voir des cacahuètes, je vais penser à cette histoire.. Et aux crottes de nez qui avaient pu sortir lorsque la belle Charlie avait extrait la noix des voies nasales de cet enfant. Délicieux, surtout en plein repas. Évidemment, la blonde plaisantait. Pour faire cet emploi, il fallait avoir le coeur solide. Chose qu'elle lui rappela en parlant à son amie des risques de fréquenter des gens au coeur sensible. Le mieux, c'est de pas rencontrer de mecs !, décréta la blonde, à demi sérieuse. Dans le cas de Cleo, c'était histoire du passé. Elle avait déjà bien assez donné avec les mecs, un en particulier. Mais elle serait ravie, tout de même, d'apprendre que sa grande amie, elle, ait trouvé le bonheur. D'ailleurs, parlant mecs, ça va toi, les rencontres ? Mais leur conversation dévia vers le travail, encore et toujours prises dans cet engrenage, parce qu'elles y passaient leur vie. Je l'espère pour toi. Tu bosses tellement dur, j'suis certaine que ce sera un truc trop cool ! Cool pour elle, pas pour le patient, certes. Drôle, quand même, de se réjouir d'une opération.