les apparences sont parfois trompeuses ✜ feat. Tahlia

Quand Tahlia était sortie de cet appartement où ce jeune couple s'était disputé, elle avait gardé en tête l'idée qu'elle n'avait pas eu la vérité dans toute cette histoire. Il y avait quelque chose qui clochait. Elle ne croyait absolument pas à cette banale dispute de couple, à cette image de petit couple parfait qu'ils avaient essayé de montrer devant elle. Et cela tournait dans son esprit. Encore et encore. Son collègue, quant à lui, avait simplement haussé les épaules face au doute de sa collègue, probablement plus intéressé par sa pause à venir que ce couple qui n'était pas sur la même longueur d'ondes. Au fond, cela ne dérangeait pas Tahlia. Si elle devait agir seule, tant mieux. Elle parviendrait peut-être davantage à tirer les vers du nez de celui qu'elle comptait bien avoir en face-à-face. Scott Fielding. Quand elle l'avait convoqué, elle avait sorti comme prétexte qu'un simple rendez-vous de convenance pour mettre fin à la procédure lancée par l'appel de la voisine du couple. Cétait totalement faux, mais elle n'avait rien trouvé de mieux pour l'avoir en face d'elle. C'était de la pure improvisation. Il n'y avait pas de dossiers en cours, pas de procédure lancée, juste quelques doutes d'une flic qui prenait peut-être trop à cœur les disputes de couple. On lui avait toujours dit qu'il fallait laisser ses histoires personnelles à la porte du commissariat, mais parfois, cela était bien trop difficile par Tahlia. Elle-même avait connu des disputes de couple qui n'étaient plus de vagues disputes. C'était devenu des conflits où le but était d'anéantir l'autre, le mettre plus bas que terre, passer ses nerfs sur lui. Et elle craignait de voir cela chez Scott et Kida. Paranoïa ou instinct peu trompeur ? Cette entrevue aura le mérite de la mettre sur la bonne voie.

Installée à son bureau, un collègue vint taper à sa porte pour lui annoncer qu'on la demandait à l'accueil. La jeune femme le remercia avec un sourire et partit accueillir celui à qui elle avait demandé de venir. Il s'était déplacé et c'était déjà une bonne chose. « Bonjour M. Fielding. Suivez-moi, s'il vous plaît, nous allons nous installer dans mon bureau. » Elle le mena jusqu'à la pièce et lui présenta le siège sur lequel il pouvait s'installer. Alors qu'il prit place et qu'elle s'installa face à lui, il lui assura très vite qu'il n'y avait pas de quoi s'en faire, qu'ils s'étaient sûrement déplacés pour rien la dernière fois. « Pourtant ce n'est pas ce que m'a dit votre voisine. J'ai eu également d'autres témoignages au sein de l'immeuble et tous m'assurent que ce n'est pas la première fois qu'ils entendent des cris venant de votre appartement. Et que ce n'était pas de simples disputes de couple... » Elle posa son regard sur lui et reprit, doucement : « Êtes-vous sûr que tout va bien ? » C'était bête, mais Tahlia tentait de trouver une faille, une faille au sein de laquelle elle pourrait s'engager afin d'obtenir des réponses à ses questions.

D'ordinaire, Tahlia était une policière qui faisait preuve d'énormément d'empathie. Quand elle était face aux gens, elle instaurait un dialogue pour rendre le moment moins désagréable. Elle contrastait pleinement avec la tornade qu'elle était dans sa vie quotidienne. Mais s'il y avait bien une chose pour laquelle elle avait du mal à rester professionnelle, c'était les violences conjugales. Elle sortait souvent de ses gonds dans ces moments-là, sous l'oeil circonspect de ses collègues qui ne comprenaient pas pourquoi elle prenait tant les choses à cœur. Aucun ne s'était posé des questions sur le passé de la brune, se disant que peut-être elle avait vécu la même chose. Mais quand on était flic, on laissait ses histoires personnelles de côté afin d'être le plus neutre possible. Ce qu'elle n'était pas aujourd'hui. Scott était arrivé, plein de bonnes volontés, mais Tahlia le voyait déjà comme le bourreau de l'histoire. Très vite, il répéta ce qu'il lui avait déjà dit ce soir-là dans l'appartement. Cela aurait dû suffire à la brune, lui montrer qu'elle se faisait des idées et qu'elle ferait mieux de tout laisser tomber, mais elle n'y parvenait pas. Ce n'était pas aussi dramatique qu'elle le pensait, disait-il. Il y avait quelque chose qui clochait dans toute cette histoire, trop de témoignages des voisins qui appuyaient sur la violence des disputes. Et quand elle s'était rendue à l'appartement, elle avait affronté les sourires hypocrites et la volonté de faire croire que tout allait bien. Ce genre d'attitude qu'elle avait eu aussi, autrefois. Scott attisa ses doutes en esquivant sa prochaine question, celle où elle demandait si tout allait bien. Puis enfin, il abdiqua. Il avoua qu'ils se disputaient quelque fois, que la fatigue y était pour beaucoup, qu'ils n'avaient pas encore trouvé le rythme parfait pour cette nouvelle vie à trois. Beaucoup de jeunes parents se déchiraient quand un bébé venait agrandir le foyer familial. Tahlia aurait pu croire à cet argumentaire plausible, mais Scott n'en semblait pas convaincu. Et quand la jeune policière observa ses faits et gestes, son regard s'arrêta sur ses avants-bras. La brune fronça les sourcils et reprit, moins docile : « Et les bleus que vous avez sur l'avant-bras, vous allez me dire que c'est parce que vous n'avez pas encore trouvé votre rythme ? » Là, elle pensait avoir mis le doigt sur quelque chose. Mais ce qu'elle ne savait pas encore, c'était qu'elle accablait la mauvaise personne...

Elle avait l'oeil, Tahlia. Et elle avait bien vu les bleus qui marquaient les bras du jeune homme. Pris sur le fait, elle vit les joues de Scott se teinter de rouge, comme si cela était le signe qu'elle avait vu juste, qu'elle avait mis le doigt sur un détail qu'il avait oublié. N'importe qui croirait les discours de Scott, se dirait que ce n'était qu'une dispute de couple et abandonnerait aussitôt la procédure à l'encontre des tourtereaux. Malheureusement pour lui – ou heureusement, se dirait-il plus tard – il était tombé sur Tahlia. Tahlia qui n'arrivait pas à faire l'impasse sur cette histoire. Elle était déjà butée dans sa vie quotidienne, la brunette, mais quand elle sentait qu'elle avait raison, quand son instinct l'intimait à ne pas lâcher, elle en devenait encore plus redoutable. Mais pour le coup, sa patience s'était quelque peu dissipée. Quand elle avait évoqué les bleus, son ton s'était fait plus froid, moins compréhensif. C'était presque comme si elle le coinçait, l'affublait d'une casquette sur laquelle il était écrit 'coupable'. Elle ne se fiait pas au visage d'ange de Scott, à son sourire, à sa gentillesse apparente. Elias avait le même visage, le même sourire, le même discours et pourtant, il avait fait vivre l'enfer à la policière. Elle était tellement aveuglée par sa propre douleur, sa propre histoire qu'elle n'envisageait pas le fait que c'était simplement un couple qui se disputait souvent. Et elle n'envisageait pas encore le fait que c'était en réalité Kida qui était le bourreau de Scott. Alors, quand il tenta de se justifier, quand il évoqua une certaine maladresse qui pourrait expliquer ses bleus, la jeune femme répondit, sur le même ton tranchant : « Eh bien, vous êtes sacrément maladroit pour avoir des bleus de cette taille-là ! » Son regard était direct. Elle le dévisageait sans ciller. Mais contre toute attente, alors qu'elle était celle qui tournait autour du pot sans évoquer directement de quelconques violences conjugales, ce fut Scott qui prit les devants. Son ton, son visage avait changé. Toutefois, contrairement à Tahlia, il n'était pas froid. Il était clairement sur la défensive, comme s'il tenait à rétablir la vérité, à montrer qu'il n'était pas le méchant de l'histoire. Tahlia avait envie de le croire, elle avait envie de croire en ses paroles, mais elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui n'allait pas.Elle hocha la tête, laissant un léger soupir s'échapper de ses lèvres rosées alors qu'elle reprit la parole, plus doucement, moins froidement : « J'aimerais vous croire, Scott. J'ai envie de vous croire, sincèrement, même. Mais... je ne peux pas l'expliquer. Quelque chose me dit qu'il y a quelque chose d'étrange dans votre histoire. Des disputes de couple, j'en ai croisé durant ma carrière, ou dans ma vie quotidienne. Et cela ne ressemble pas à ce que vous vivez. Et je sais à quel point la frontière est mince avant de tomber dans les extrêmes. On peut vite passer des reproches aux insultes. On peut vite passer des cris aux gestes plus violents.  » Se limiter aux cris, aux reproches, cela passait, mais quand on passait à l'étape supérieur, on tombait dans un gouffre sans fin. Rares étaient ceux qui sauvaient leur couple après être passé à cette étape. Tahlia reposa son regard sur Scott et reprit : « Contrairement à ce que vous pensez, je ne suis pas votre ennemi, Scott. Je suis là pour aider avant tout. Alors, je vais reposer ma question une dernière fois et je vous laisserai partir : ces bleus, ce sont vraiment les conséquences d'une grosse maladresse ou... ou il y a autre chose ? » Cette question, c'était peut-être un moyen de mettre de côté une autre éventualité qui prenait peu à peu place dans l'esprit de Tahlia. Et si elle s'était trompée depuis le début ? Et si elle s'attaquait à la mauvaise personne ?

Spoiler:

Tahlia s'était trompée. Elle avait accusé la mauvaise personne. Elle s'en rendait compte à présent, face aux sous-entendus de Scott, à cette façon de détourner ses mots pour ne pas avoir à répondre pleinement à ses questions. Mais elle connaissait cette façon de faire, cette façon de crier haut et fort que tout allait bien, qu'il ne fallait pas s'inquiéter. Et à côté, elle connaissait ce regard fuyant, ce malaise qui se ressentait dans toute la pièce. Une tierce personne aurait cru aux paroles de Scott. Mais Tahlia, elle, savait ce que c'était que d'être battu. Elle connaissait le secret que cela intimait pour protéger l'autre, pour protéger son couple. Elle savait ce qu'était cet espoir, cette envie de se dire que ce n'était qu'une erreur. Que cela ne se reproduirait pas. Jusqu'à la prochaine fois. Jusqu'au coup fatal qui menait sur une rupture, dans le meilleur des cas, dans un cercueil dans le pire des cas. Trop de personnes finissaient à l'hôpital – et pire encore – parce qu'elles n'avaient pas eu le courage d'avouer les violences subies. Il y avait une part de honte dans cet acte. Il y avait la sensation de ne pas être à la hauteur, d'avoir fauté quelque part.  Et c'était ce qui était le plus terrible dans ces histoires. La victime pensait avoir une part de culpabilité dans les gestes violents de sa compagne ou de son compagnon. Pendant plusieurs années – et aujourd'hui encore – Tahlia se demandait ce qu'elle avait fait pour qu'Elias ait envie de la frapper, quel avait été le point de non-retour pour que son amour soit pleinement annihilé par la colère et la violence.Aujourd'hui encore, elle n'avait pas la réponse à cette question. Elle regrettait simplement de ne pas avoir parlé, d'avoir attendu que leur relation se dégrade pleinement. Tahlia, elle, avait manqué d'une personne qui avait essayé d'en savoir plus. Ce qu'elle essayait d'être aujourd'hui face à Scott. « Ce n'est pas pour accabler qui que ce soit, Scott. C'est juste pour apporter les pistes pour vous aider. » S'ils pouvaient être aidés, évidemment. Il y avait parfois des relations qui étaient allées trop loin pour être rattrapées. Scott et Kida n'en étaient peut-être pas là. Même si Tahlia en doutait. Lever la main une fois était déjà un signe de non-retour. A son tour, ce fut Scott qui vit plus clair dans le jeu de Tahlia. Il comprit que ce n'était pas son métier de policière qui la poussait à insister autant. La brune baissa le regard un instant, avant de reprendre :  « Peut-être que ce n'est pas la simple policière qui vous parle, mais une femme qui sait ce que c'est d'avoir des bleus sur tout le corps et qui cherche sans cesse à trouver des excuses. » C'était quitte ou double. Soit elle se plantait sur toute la ligne et elle se ridiculisait en évoquant son passé personnel. Soit Scott voyait enfin une alliée en elle. « Maintenant si vous me dites que ça va aller, je n'insisterai pas plus. Mais c'est rare que tout aille bien, Scott... »

HJ:

Maintenant que la vérité semblait avoir été rétablie, ou du moins sous-entendue, l'atmosphère était un peu moins pesante. Tahlia n'avait pas envie que Scott la voit comme une ennemie, mais plutôt comme une aide, un soutien présent quand il en aurait besoin.Il avait compris que les violences conjugales n'étaient pas étrangères à la jeune femme. Un fait qu'elle confirma à demi-mot. Tahlia évoquait rarement son passé et la violence qu'elle avait connue dans les bras de son ex, mais s'il fallait donner de sa personne pour en aider une autre, la brune le faisait sans aucune hésitation. C'était d'ailleurs souvent cela qui lui causait du tord. Elle s'intéressait trop aux autres et s'oubliait pleinement dans ces histoires. Mais malgré tout cela, Scott semblait encore réticent. Sûrement par protection. Ou bien parce qu'il était difficile d'avouer à haute voix que sa femme le battait. Il y avait toujours une espèce de honte dans les violences conjugales, comme si la victime se sentait coupable de l'agissement de son bourreau. Il y avait ce sentiment de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir apaiser la colère de l'autre. Elle l'écouta sans répliquer quand il lui avoua que ça devrait aller à présent. Même lui n'en semblait pas convaincu. Mais il y avait cette lueur d'espoir qui brillait dans son regard, qui lui laissait croire que tout pouvait redevenir comme avant. « Il y a eu un événement qui a tout déclenché ? » Ce n'était pas de la curiosité malvenue, mais un besoin d'avoir toutes les informations qui pourraient l'aider à l'aiguiller du mieux qu'elle le pouvait. Même si honnêtement, tout ce qu'elle pouvait faire, c'était l'écouter, le soutenir. Lui montrer qu'on pouvait le comprendre. Scott semblait avoir compris cela puisqu'il lui avoua qu'il était prêt à en parler. Un sourire se dessina sur les lèvres de la brune quand elle comprit le principal obstacle à d'éventuelles confidences. « Je peux comprendre. Mon uniforme fait souvent défaut. » répondit-elle avec douceur. Il fallait dire que l'endroit n'était pas le plus accueillant pour cela. Scott verrait cela comme un véritable interrogatoire, alors que c'était loin d'être le cas. A vrai dire, la brune avait enlevé sa casquette de policière depuis qu'il était entré dans cette pièce. Mais l'environnement dans lequel ils étaient leur rappelait qu'ils étaient tout de même dans un commissariat, dans un endroit où le moindre mot pouvait devenir une preuve, un aveu. Elle comprenait donc les réticences du jeune homme.Tahlia redressa la tête et regarda l'horloge qui se trouvait sur le mur. « Je finis mon service dans une trentaine de minutes. On peut se retrouver au café au bout de la rue. Ça vous convient ? »

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