something he was not looking for: both a beginning and an end (léo)

Léo était cash, il ne voulait pas raconter de bêtises à Mali pour lui faire plaisir, l’homme face à lui était un grand gaillard qui voulait des réponses, il lui semblait qu’il pouvait encaisser. Alors il ne lui inventait pas une histoire cousue de fil blanche, il lui disait la vérité, sa propre vérité sur ce père totalement imparfait qu’était Peter. Et peut-être que son fils légitime exagérait, mais au pire il ne serait pas déçu, au mieux il serait même soulagé de découvrir qu’Emerson n’était pas si horrible que ce que Léo disait. Dans tous les cas il ne mentait pas, l’histoire de la secrétaire, de l’argent, de Maxine qui sonnait à sa porte, c’était la triste vérité. Maliyan, lui, avait eu la chance d’être conçu avant que Peter ne devienne un parfait salopard et sa mère, il l’aimait alors peut-être qu’il l’accueillerait différemment, qui sait, malheureusement il pour le savoir il faudrait qu’il ait le courage de s’imposer à lui et de se présenter, après il verrait par lui-même. Léo eut un petit rire pincé. Ouais moi aussi je descend de lui. En plus il parait que j’ai la chance d’être son portrait craché… Il aurait tout donné pour ne pas lui ressembler physiquement et pourtant ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’il était bien le fils de Peter et pour couronner le tout, plus le temps passait plus il avait l’impression de suivre le même chemin que lui, surtout avec les femmes alors qu’il s’était juré d’être un homme bien plus droit que son paternel. Non, elle est repartie, pour tout te dire je ne sais pas trop où elle est exactement aujourd’hui mais je sais qu’elle est heureuse, à sa façon. Léo sourit tendrement en pensant à sa cadette et aux bons moments qu’ils avaient passé ensemble, à l'occasion il lui parlerait de Maliyan, ça la fera sûrement rire d'apprendre qu'elle avait un autre frère qui semblait tout aussi protecteur que lui. Les mots de Mali lui firent plaisir et le touchèrent plus que le photographe le montrait. Il aurait largement pu imaginer une enfance avec un grand frère, même à onze ans, il l’avait rêvé tellement de fois. Mais on ne pouvait pas refaire le passé, par contre ils pouvaient écrire leur avenir, peut-être l’un à côté de l’autre maintenant qu’ils étaient réunis. Est-ce que ça pouvait être aussi facile que ça ? Une rencontre presque hasardeuse dans un café, quelques mots échangés, un bon feeling et puis voilà, les éternels solitaires étaient frères, tout simplement… Sûrement que ça ne serait pas si simple, Léo allait reprendre son quotidien avec ses habitudes et ses emmerdes mais à présent il y avait quelque chose, quelqu’un, en plus et ça pouvait faire la différence, il avait envie d’y croire. J’voulais pas d’un frère exemplaire, mais un frère tout court c’est déjà pas mal. Il écouta son aîné lui parler de son ex et cette histoire fit étrangement écho à celle du cadet, lui-même était du genre à fuir lorsqu’il ne trouvait pas d’autres solutions alors il pouvait bien essayer de comprendre Mali même si lui était de l’autre côté. Il savait combien ça faisait de mal, pour en avoir déjà fait lui-même. Il hocha simplement la tête pour lui montrer sa sollicitude. Est-ce que Mali était un homme fiable, Léo en douta une seconde quand il l’entendit espérer qu’on ne l’ait pas viré de son job, il le fixa avec un regard suspicieux une seconde, après tout il ne le connaissait pas, mais il chassa cette idée, de toute façon ça ne le regardait pas. Tu en jetterais sur la photo, ça ne fait pas de doute ! Un gars avec une carrure aussi imposante c’était toujours impressionnant. Il allait répondre sur le fait que ses enfants pourraient entraîner John dans leurs bêtises mais l’autre enchaîna rapidement sur ses crainte de voir leur oncle s’échapper et faire s’envoler avec lui tous les espoirs de la petite famille. Il réalisa alors tout le poids de cette rencontre et de ce qu’elle signifiait pour Mali et ses gamins, ils avaient besoin d’une famille et à eux seuls, Léo et Jonah, ils ajouteraient une grosse pièce à leur puzzle. Il eut soudain peur de ne pas être à la hauteur, après tout il était le roi pour prendre ses jambes à son cou lorsque les choses devenaient trop sérieuses. Pourtant il repensa à Max et leur relation si particulière, il n’avait jamais fuit, même quand il avait appris pour sa maladie, il était toujours un grand frère pour elle et elle comptait énormément pour lui. Alors il sourit simplement. Tu parles comme si j’étais une femme, tu ne vas pas mettre un genou à terre quand même ?! Pardon je blague. Je ne compte aller nulle part Mali. Et sache que c’est pareil pour John, je ne veux pas lui présenter des personnes qui seraient potentiellement importantes dans sa vie si elles ne sont pas fiables. Je crois qu’on est sur la même longueur d’onde à ce sujet là. Sous entendu, il pouvait lui faire confiance.

Tu préférais largement être au courant, au fond, que ton père n’était sans doute pas celui dont tu rêverais. De toute façon, tu n’en rêvais pas vraiment. Certes, tu cherchais à le retrouver pour comprendre d’où tu venais, pour savoir quelle était cette moitié de toi que t’avais eu l’impression qu’on t’avait volée, mais tu n’avais pas vraiment d’attentes. Tu avais trente-sept ans, tu n’étais plus un enfant. La période de ta vie où avoir un père avait eu le plus d’incidence, elle était passée depuis belle lurette déjà et durant cette période, tu en avais eu un, père. Ce n’était pas ton père biologique, tu l’avais appris de la manière la plus cruelle possible, mais il restait ton père à tes yeux. Même s’il t’avait renié. Et de savoir que tu descendais d’un tel homme, ça faisait un coup, mais ça ne changeait rien à qui tu étais. Tu savais que t’étais une bonne personne, que tu ne suivais pas des traces prédestinées pour toi. Tu avais fait ton propre chemin et t’avais tracé des lignes assez droites, somme toute. Léo aussi semblait s’en être bien tiré, même si lui avait reçu toute l’éducation de cet homme dont il dressait un portrait assez mauvais. Tu ne doutais pas que Léo en doutait, lui. « Si c’est que physiquement ça va. T’as hérité d’assez bons gênes de ce côté-là. Mais j’remarque que la forte pilosité doit plutôt provenir de ma branche maternelle. » Tu ris. Oh, bien sûr il avait de la barbe, le Léo, mais rien qui ressemblait à la tienne, à tes cheveux longs, à tes bras et ton torse. Tu appris finalement que tu avais également une demi-sœur, Maxine, mais elle ne vivait plus à Bowen déjà. T’eus une pointe de déception dans le regard mais le sentiment disparut bien vite en apprenant qu’elle était heureuse, ailleurs, à sa façon. « Tu lui parles encore ? » Sans savoir où elle se trouvait, peut-être avait-il des nouvelles de ses aventures. Tu ne la connaissais même pas mais tu sentais ce lien avec elle quand même, comme c’était le cas avec Léo. Pour toi, la famille, ça avait toujours été très significatif. Tu le fis d’ailleurs comprendre à ton petit frère en disant que t’aurais aimé grandir avec lui, même si tu n’aurais pas été le grand frère exemplaire dont on peut rêver. Mais si vous vous en étiez aussi bien tirés même séparés, alors c’aurait été encore mieux à deux. Tu souris à la conclusion de Léo, sans en rajouter. Tu lui parlas finalement de la mère de tes enfants, qui étaient partie il y avait maintenant six ans de cela. C’était de plus en plus facile d’en parler. T’avais réussi à faire la paix avec cette histoire, depuis un moment. Tu lui parlas aussi de ton job, et lui du sien, et même si vous étiez à des extrêmes à ce niveau-là, il y avait quelque chose en commun qui se préparait pour la semaine prochaine. C’était drôle de te dire que sans cette rencontre aujourd’hui, t’aurais peut-être rencontré Léo dans quelques jours, par le plus grand des hasards. « Les éboueurs deviendraient peut-être à la mode. » Tu ris. Tu ne disais pas ça en te vantant, tu ne faisais que rebondir sur la réplique de ton demi-frère. Finalement, après avoir parlé de vos enfants respectifs, tu abordas une question plus délicate, plus personnelle. Parce que si tu laissais Léo rentrer dans ta vie mais surtout dans celle de tes enfants, ça devait être avec cette conviction qu’il était là pour rester. Tes enfants avaient déjà été trop déçus. Tu ris d’abord à la blague de Léo, qui permit au moins de redescendre la pression. « Je crois qu’on l’est, oui. » Dis-tu. « J’te mentirai pas, je suis pas fiable dans tous les aspects de ma vie parce que même après autant de temps en ville j’ai d’la difficulté à m’adapter à certaines manières de faire. Mais pour ce qui est de la famille, et des amis qui font aussi partie de ma famille à quelque part, je suis toujours là. C’est ce qu’il y a de plus important pour moi. » Ajoutas-tu avec une fermeté désarmante, pour lui faire comprendre à quel point tu tenais ta parole là-dessus. « C’est pour ça que je tenais autant à te rencontrer, enfin. Mon yabaju. » Conclus-tu, l’espoir dans le regard, en donnant à ton petit frère sa qualification en langage kuku yalanji.

Si ce n’est que physiquement… si seulement. Plus les années passaient et plus Léo avait l’impression de reconnaître le comportement de Peter dans sa propre façon d’agir. Avec les femmes notamment. Lui qui se pensait romantique, amoureux, il enchaînait les conquêtes et n’était sûrement pas près de se caser. Emerson père avait fait pire, vous me direz, il s’était marié pour la parade et ne se privait pas pour tromper la pauvre Charlotte. Cependant Mali n’avait pas à connaître encore tous les travers de son jeune frère, après tout ils se rencontraient à peine. Il sourit à la réflexion de son aîné dont la pilosité était en effet bien plus abondante que celle de Léo. Lui avait probablement hérité des gênes européens, les colons qui avaient envahi leur chère île, mais c’était une autre histoire. J’te confirme, personne n’a le mérite de pouvoir attacher ses cheveux chez moi. Si le sujet glissa rapidement sur la jeune sœur qu’ils avaient également du côté de Peter, cependant il s’épuiserait aussi très vite puisque Maxine n’avait pas partagé tellement avec son frère. S’ils avaient noué un lien fraternel très fort en peu de temps et avec peu de choses, sûrement plus l’envie d’appartenir à une famille, de se trouver un frère pour elle et une sœur pour lui, eux qui avaient grandis en solitaires, mais elle ne s’était pas tellement confiée à lui, elle était du genre secrète, la blonde et puis à présent qu’elle avait quitté Bowen elle ne lui envoyait que des messages évasifs, des photos de vacances, mais rien de très personnel en somme. Oui, on se parle de temps en temps, tu sais, avec les réseaux sociaux, les messages, c’est facile. Même si ça restait assez superficiel finalement. Après des débuts difficiles quand Léo avait rejoint la table de Maliyan, la conversation était plutôt facile, fluide à présent, ils étaient tous les deux contents d’avoir cette chance de se rencontrer, d’apprendre à se connaître même après des années de séparation. C’était toujours le même sentiment étrange pour Léo, celui d’avoir grandi en fils unique qui rêvait d’une famille et qui en même temps avait toujours su, au fond de lui, qu’il n’était pas seul. Il accueillait alors ces nouveaux membres avec curiosité et enthousiasme, se rendant compte que même s’ils avaient le même sang, ils étaient tous tellement différents. Son aîné était donc éboueur, c’était un métier difficile et visiblement c’était plus alimentaire qu’autre chose. Il ne pouvait pas se targuer d’avoir un job juste pour le fun comme Léo, qui n’avait pas réellement besoin de travailler pour vivre et qui avait donc choisi une carrière comme une passion, un métier dans lequel il s’épanouissait totalement sans aucune réelle pression, c’était une immense chance et il s’en rendait d’autant plus compte en écoutant des gens comme l’homme qu’il avait face à lui. Il hocha alors la tête à réflexion du grand gaillard. Vous faites tourner la ville, on vous doit le respect ! Le peu de fois qu’il avait vu une grève des éboueurs ou lorsqu’il avait voyagé dans des pays ou la propreté urbaine n’est pas la priorité c’était bien moins agréable voir même un brin anarchique. C’était facile de blaguer sur ce sujet pour faire redescendre la pression que Mali venait de mettre sur les épaules de Léo, mais au fond il comprenait bien les angoisses de son frère, entrer dans la vie de quelqu’un ce n’était jamais anodin, surtout lorsqu’il y avait des enfants en jeu. Il le savait bien, lui qui avait tant de mal à présenter ses petites amies à son fils, il n’était jamais certain que ses histoires d’amour, aussi belles puissent-elles être, finiraient gravées dans la pierre, il en avait assez fait les frais avec Grace, que John réclamait encore quelque fois. Mais là c’était différent, si Mali était son frère c’était un lien indéfectible, alors même s’il quittait Bowen comme Max l’avait fait, il resterait toujours son frère et l’oncle de son fils et il ne comptait pas priver cet enfant d’une famille, de cousins même. Il sourit alors doucement à la déclaration solennelle du barbu. Alors on est d’accord. Avant de froncer les sourcils. Yabaju ? Un dialecte qu’il ne connaissait pas, il s’était parfois intéressé au peuple aborigène d’Australie, il rêvait de les approcher, mais comme toute communauté comme celle-ci, qui avait été éloignée par les colons, qui avait été obligé de s’exiler parce qu’on avait volé leurs terres, il était difficile d’entrer en contact avec. Alors il avait abandonné. Mais qui sait, peut-être que le fait de côtoyer Maliyan allait lui en apprendre un peu plus, ce serait déjà bien.

Ton rire se fit plus prononcé encore quand Léo affirma que de son côté de la famille, personne n’avait le mérite de pouvoir attacher ses cheveux. Instinctivement, ta main s’était portée à ton chignon fièrement dressé sur le dessus de ta tête. Tu ne les avais eu courts que deux fois dans ta vie : à ta naissance jusqu’à ce qu’ils poussent, et à ton arrivée à Bowen. Ta mère t’avait forcée à réduire la longueur, pour te fondre dans la masse, toi qui détonais tellement par rapport aux autres élèves de cette école que tu fréquentais pour la toute première fois. Ça t’avait brisé le cœur, à l’époque, t’avais détesté les avoir courts et tu t’étais promis de ne plus reproduire l’erreur. Tu parlas alors avec ton demi-frère de l’existence surprise d’une demi-sœur que vous partagiez aussi. À croire que Peter avait délibérément construit une petite communauté d’enfants abandonnés. Un truc à la Starbuck sauf que Peter n’était pas donneur de sperme, il était juste salaud. Tu hochas la tête quand Léo te dit qu’il parlait de temps en temps à Maxine. T’aurais aimé pouvoir la rencontrer, toi aussi, mais ça n’était pas le genre de nouvelles qu’on larguait via un message sur les réseaux sociaux. Déjà, en face à face avec Léo, ça avait failli partir en vrille. « Tu pourras me tenir au courant, si elle revient à Bowen ? » Tu haussas les épaules, hésitant. « J’aimerais bien la rencontrer, si j’en ai l’occasion. » Tu ne t’accrocherais pas forcément à l’idée. Tu n’avais pas l’impression que la jeune femme avait des attaches à cette ville, en écoutant à travers le discours de Léo. Toi non plus, au départ, t’en avais pas eues. Puis, les années étaient passées, tu avais rencontré des gens qui s’étaient rapidement fait une place dans ta vie, et tu avais apprivoisé le milieu. Ou peut-être était-ce le milieu qui avait réussi à t’apprivoiser, toi le sauvage. Ça n’arrêtait jamais de tourner, d’ailleurs, la preuve tu t’apprêtais à ouvrir la porte à une rencontre entre tes enfants et leur oncle dont ils n’avaient aucune idée de l’existence. « On est d’accord. » Confirmas-tu, avant de sourire lorsque Léo te questionna sur la signification de yabaju. « Frère. » Déclaras-tu tout simplement, comme une promesse solennelle de ne jamais briser ce lien.