there's a long, slow fade to a darkened stage (lux)

Tu ne saurais pas trop dire comment t’avais atterri ici, mais t’étais là, dans cette chemise blanche et ces pantalons noirs, les cheveux remontés dans un chignon quasi-impeccable parce que ton patron temporaire trouvait que tes cheveux longs te donnaient un air sale. Tu regardais autour de toi sans trop savoir ce que tu fichais ici. Ça ne durerait que le temps d’une soirée, tu le savais, Mali. Dès demain, tu refuserais de te pointer à une autre soirée du genre, tu refuserais d’être au service des gens riches de la région, cet infime pourcentage qui se retrouvait ce soir entre les mêmes quatre murs d'une ville avoisinante. Ça t’aurait au moins payé quelques heures de plus, quelques heures que t’aurais autrement passé avec tes deux enfants, ce qui te faisait royalement chier parce que t’aurais préféré être avec eux ce soir. C’était plutôt Althea qui avait cette chance, elle les gardait pour ces quelques heures, ta mère étant trop fatiguée pour s’occuper d’eux ces jours-ci. Il fallait lui pardonner, ils étaient téméraires, un peu comme toi à leur âge. Toi-même t’avais du mal à contenir toute cette énergie qui rugissait entre eux. Ils étaient sacrément beaux à voir. Tu soupiras en pensant à eux, alors que toi tu tenais un plateau de petites bouchées au saumon fumé, haut dans les airs, te faufilant entre les invités trop bien vêtus de ce gala de charité qui n’était qu’un autre prétexte pour faire du réseautage et montrer qui était le plus fort. Ce monde-là, c’était un peu comme la jungle. Alors que tu retournais derrière le bar, pour te réapprovisionner dans les cuisines, tu passas à côté d’une jeune blonde que tu ne mis pas de temps à reconnaître, même de dos alors qu’elle attendait pour un verre. Tu fronças les sourcils en posant une main dans le bas de son dos habillé d’une magnifique robe. « Lux ? » Demandas-tu malgré ta certitude. Elle se tourna vers toi et te reconnut à son tour. « Qu’est-ce que tu fais dans une soirée pareille ? » Ajoutas-tu, visiblement surpris, surtout parce que t’ignorais, en fait, que Lux faisait ça de sa vie. Accompagner des hommes plus vieux et plus riches qu’elle dans ce genre d’événements, comme une femme trophée.

Ta main s’était posée contre le dos complètement dénudé de Lux. Mais ta main à toi, elle était protectrice, pas prédatrice. Pas comme les mains d’autres hommes qui pouvaient se trouver dans cette salle, peut-être même d’ailleurs celles de l’homme en question qu’elle accompagnait. Tu ne comprenais pas ce qu’elle venait faire ici, Lux, dans une soirée réservée à l’élite, élite à laquelle elle n’appartenait pas et tu le savais. Tes sourcils froncés, ton regard ferme et inquiet sur le visage, tu la questionnas à propos de sa présence. Elle semblait tout d’un coup coupable, comme si elle venait d’être prise la main dans le sac. Tu laissas retomber ta main le long de ton corps, autrement, si ton employeur te voyait faire un quelconque contact du genre avec une invitée de la soirée, on ne te donnerait même pas l’occasion de terminer ton quart de travail. T’avais besoin de cet argent, sinon tu ne serais certainement pas ici ce soir. « Une longue histoire ? Je veux bien que tu me l’écourtes un peu, juste pour que je puisse comprendre. Parce que tu ne me feras pas avaler que quelqu’un ici ce soir est juste un ami. » Elle avait dix-neuf ans, et la moyenne d’âge actuelle tournait davantage autour du cinquante. Les gens étaient plus vieux que toi encore. « Moi ? Je bosse, comme tu peux le voir, mais n’essaie pas de changer de sujet, Lux. Qu’est-ce que tu bois ? » Mais au moment même où tu essayais de gagner du temps en étant celui à la servir, la coupe de champagne de Lux arriva pour elle. Tu interceptas l’échange et offrit plutôt la coupe de champagne à quelqu’un d’autre, à côté. « Je m’en occupe. » Avais-tu dit à ton collègue de la soirée, avant de passer derrière le bar, face à Lux, ouvrant une nouvelle bouteille de champagne. « Je dois m’inquiéter ? » Demandas-tu, même si tu te doutais bien qu’elle ne te dirait sans doute pas la vérité, si c’était le cas.

T’avais beau comprendre le concept de contrôler son propre corps et d’en faire ce qu’on veut, t’avais aussi cette autre voix dans ta tête qui résonnait jusqu’à ton cœur, te criant que le corps est également un temple qu’il ne fallait pas donner à n’importe qui comme un vulgaire objet. T’avais peur que le corps de Lux, lui, soit lacéré par les viles tentations des hommes. Parce que même si elle ne t’avait toujours pas dit ce qu’elle fabriquait ici, Mali, tu te faisais une assez bonne idée de la situation. Et ça ne te plaisait pas mais alors pas du tout. Tu interceptas ton collègue qui arrivait avec la coupe de champagne de Lux, que tu pris pour offrir à quelqu’un derrière la blonde, en ligne. Ton amie, elle, attendrait encore un peu pour sa boisson. T’étais peut-être injuste, à te montrer autant paternaliste à l’égard de Lux qui était pourtant majeure et vaccinée, mais tu ne pouvais t’en empêcher. T’aurais espéré que quelqu’un soit là pour agir de la sorte auprès de Lowanna, si toi tu n’étais plus là. Et puis, Lux avait beau avoir l’âge de la majorité, elle était encore tellement jeune et innocente – enfin, c’est ce que tu croyais jusqu’à ce soir. « Accompagnement personnalisé ? C’est la façon politiquement correcte d’appeler ton job ? » À tes oreilles, ça sonnait évidemment comme escorte, prostituée, travailleuse du sexe, peu importe. Tu ne faisais peut-être pas la différence, tu ne voyais pas la limite floue entre ces concepts, mais dans tous les cas tu ne te sentais pas à l’aise à l’idée que Lux se retrouve dans ce monde. Tout comme t’étais pas à l’aise de savoir Althea en train de danser pour les yeux carnivores des clients de sa boîte de strip-tease. C’était un pattern, chez toi, visiblement. La blonde te lança alors un sourire charmeur en te posant des questions sur ton boulot à toi, et tu secouas la tête. Elle osait utiliser ses charmes sur toi. « Que depuis ce soir et j’sens que ce sera la dernière fois après ce que je vais faire. » Sur ce, tu attrapas Lux par le poignet et sans pour autant trop forcer, tu l’entraînas avec toi vers la sortie. « J’sais pas ce que ton client t’a promis mais tu mérites mieux que ça, Lux. » Dis-tu en marchant d’un pas décidé.

Tu secouas la tête en l’entendant te répondre. T’avais l’impression que c’était des répliques préfabriquées, prémâchées, qu’elle te jetait au visage en guise de réponse comme elle l’avait fait à tous les autres qui avaient pu questionner son jugement avant toi. Mais t’étais pas comme les autres, toi tu voulais juste protéger Lux, d’elle-même s’il le fallait, parce qu’elle était comme la petite sœur que tu n’avais jamais eue et qu’en même temps, elle te rappelait que ta fille aurait son âge un jour. Tu ne voulais certainement pas que Lowanna se ramasse aux bras d’inconnus pour de l’argent. Alors tu ne souhaitais pas plus que ce soit le cas de Lux. Tu ne pensais pas pouvoir sauver tout le monde, Mali, parce que ce monde en était un sadique et triste par moment, mais si tu pouvais au moins aider la blonde, tu le ferais. « T’as des problèmes d’argent, Lux ? T’aurais pu me demander de l’aide, avant de tomber là-dedans … » Là-dedans, c’était la prostitution, ou peu importe comment elle l’appelait. Ce n’était que des mots, ces appellations, c’était plutôt les actes qui étaient importants dans cette histoire. T’osais même pas imaginer ce que certains de ces hommes pouvaient lui demander, parfois. Et alors que tu disais à Lux que tu perdrais sans doute ton job après ce que t’allais faire, tu ne répondis même pas à son pourquoi, parce que ton geste parlait mieux de lui-même. Tu l’empoignas de ta grosse main de sauvage et tu l’attiras vers l’entrée de cette salle. Une fois près de la porte et surtout loin de tous ces invités, elle t’ordonna de la lâcher. « Si je quitte la soirée tu la quittes aussi, Lux. Il est pas question que je te laisse toute seule ici. » Tu t’en voudrais bien trop s’il lui arrivait quelque chose. « Alors allons discuter dehors, si ça peut te faire plaisir. » De toute façon, si ton employeur avait vu cette scène silencieuse que tu venais de causer, tu pouvais déjà lui remettre ta chemise et ton nœud papillon. Tu sortis donc à l’extérieur, laissant retomber la lourde porte derrière vous. L’air emplit tes poumons, tu respiras un moment pour te calmer, et te tournas vers Lux. « Je t’écoute. » Dis-tu simplement.

Tu haussas les épaules. T’avais aucune idée de comment répondre à sa question correctement. Toi aussi t’étais plein de préjugés, il faut croire, incapable de te défaire de cette image que la société avait des travailleuses du sexe, peu importe où elles se situaient sur le spectre. T’avais aucune idée de jusqu’à quel point Lux allait dans son travail, et bien honnêtement tu n’avais pas forcément envie de savoir. Tu voulais juste la protéger, la sentir en sécurité, l’aider si elle en avait besoin. Elle te laissait pourtant comprendre le contraire, mais c’était sans doute le fait que t’étais père, même si ce n’était pas d’elle, tu t’inquiétais quand même. « Parce que je vois pas pourquoi tu ferais ça, si c’était pas pour l’argent !? » Il y avait un tas d’autres boulots à faire, t’en étais toi-même le parfait témoin puisque tu les enchaînais les uns après les autres. Mais voilà, t’avais ta réponse à ta propre question. Toi, tu les enchaînais, ces boulots-là, parce qu’aucun ne te plaisait assez pour que tu y restes plus longtemps. Lux, elle, ne semblait pas dégoûtée par ce qu’elle faisait. Au contraire, elle en semblait fière. T’aurais dû t’arrêter à ça et respecter son choix, mais ce n’était pas aussi facile que ça d’en arriver à cette conclusion. Une fois à l’extérieur, après l’avoir trimballée de force jusqu’ici, la blonde explosa. « Mais je te respecte, Lux ! Justement, j’te respecte trop pour pouvoir te laisser t’faire ça ! Tu mérites bien mieux que ça, que d’être présentée comme un trophée et de faire je ne sais quoi d’autres avec ces hommes ! » Tu haussas les épaules avant de soupirer, en secouant légèrement la tête de gauche à droite. Tu te sentais impuissant. « J’veux juste te savoir en sécurité, c’est tout. T’es si jeune, Lux. » Mais tout de même capable de prendre ses propres décisions. Tu n’avais effectivement aucun droit de t’immiscer dans sa vie.