concho ∇ i'm sorry, believe me, i love you... but not in that way

Hey Eirik, y’a aucun problème ! J’arrive le plus vite possible pour régler ça. À bientôt ! Avais-je envoyé quelques secondes à peine après que mon téléphone ait vibré contre le comptoir de la cuisine. J’étais en train de préparer mes repas pour la semaine, rituel de meal prep du dimanche, mais si je rangeais le tout dans des contenants hermétiques, je pourrais reprendre la préparation plus tard. Il n’y avait rien sur le feu ou rien en train de cuire, alors je pouvais partir en paix à ce niveau-là et, surtout, sans faire trop attendre Eirik. Les fuites d’eau, ça pouvait rapidement faire des dégâts, alors je ne risquerais pas qu’il ait trop de réparations à faire par après. Je ne savais pas si je pourrais être l’homme de la situation qu’il semblait espérer, mais avec mes années de travail dan la construction à Melbourne, on pouvait espérer que je saurais m’en tirer. Après avoir rangé tout ce qui devait être mis au frais, je pris les clés de ma voiture sur le meuble dans l’entrée et je sortis de l’appartement sans tarder. En arrivant dans ma voiture, je réalisai que je n’avais absolument aucune idée où je m’en allais. Yo c’est quoi ton adresse en fait ? Envoyais-je par sms, avant de démarrer même sans avoir eu sa réponse. Je m’engageai sur la rue en direction d’une des artères principales de la ville, comme ça, je pourrais me rendre à peu près n’importe où. Je jetai un coup d’œil rapide à mes messages quand mon téléphone vibra, et pris la direction de la rue indiquée, dont je connaissais l’emplacement. Une fois arrivé à destination, je cognai chez Eirik après m’être assuré à deux ou trois reprises que je me trouvais bien devant la bonne adresse. J’avais mon coffre à outils – qui traînait toujours dans le coffre de la voiture – dans une main. Lorsque le norvégien m’ouvrit la porte, je lui souris. « M’sieur le plombier est là ! » Lançais-je en imitant une voix un peu beauf. Eirik m’indiqua la direction de la cuisine. Je remarquai, en passant par la salle à manger, que le jeune homme semblait attendre quelqu’un à qui il avait préparé une sacrée soirée. « Une fuite d’eau qui te gâche les plans d’une soirée, en plus ? J’vais essayer de te réparer ça rapidement pour que … » Mais je ne terminai pas ma phrase parce que, une fois arrivé devant l’évier, la porte en-dessous ouverte, je vis bien vite qu’il n’y avait aucune fuite. Je jetai un regard interrogateur au blond, qui se justifia rapidement. « Ça devait pas couler beaucoup, c’est même pas du tout humide … » Dis-je en passant mes doigts sur le sol en-dessous des tuyaux, un peu confus. Eirik me proposa de rester à manger question de compenser pour le déplacement inutile. Je me relevai, laissant mon coffre à outils au sol. « Euh … » Je jetai un coup d’œil à la table dressée. « Vous vous faites souvent de belles tables romantiques comme ça entre colocs’ ? J’avoue qu’on fait jamais ça au 17. » On était plutôt du style pizzas et bières assis sur le plancher, quand on mangeait tous ensemble. À chacun son truc.

Un faux prétexte, qu’Eirik avait trouvé pour me parler. Ça, ça ne me plaisait pas trop comme situation, dans le sens où je m’imaginais un tas de scénarios, genre il allait m’annoncer quelque chose par rapport à Freja, ou je sais pas. Non, en fait, c’était pas mal la seule personne à laquelle je pouvais penser actuellement. Il fallait que ce soit un minimum sérieux pour m’attirer ici aussi stratégiquement. « Tu m’fais un peu peur, là. Tourne pas autour du pot, ok ? Je suis du genre à angoisser quand j’sais pas ce qui se passe. » Je le suivis jusqu’au salon, passant devant la table sans faire le lien entre cet arrangement romantique et le faux prétexte. J’étais tellement déconnecté des signaux inconscients qu’il y avait pu y avoir de moi vers lui, et de lui vers moi, que je n’imaginais pas du tout ce qui m’attendait réellement. Je m’assis à côté d’Eirik sur le canapé, sans faire attention à la distance raisonnable à conserver. Puis là, le norvégien lâcha la bombe. J’haussai les sourcils, complètement pris par surprise. Par chance il m’avait proposé de m’asseoir, autrement je serai certainement tombé sur le cul. Quand il eut terminé de parler, j’eus besoin d’un bon long et cruel dix secondes avant de reprendre mes esprits et de formuler une quelconque réponse. « Eirik … » Je pouvais faire mieux que ça, quand même. « Je suis vraiment flatté, que … que tu penses tout ça de moi et que tu puisses m’apprécier autant. Et j’t’apprécie aussi, beaucoup, mais … » Le fameux mais qui allait sans doute lui scinder le cœur – et la fierté – en deux. « Ça pourrait pas être réciproque parce que je suis pas aux hommes, genre, pas du tout, alors c’est pas que c’est toi, c’est que t’es, enfin, tu vois ? » Tant qu’à lui répondre un truc du genre, j’aurais pu prendre plus que dix secondes pour lui dire quelque chose de mieux. J’étais juste un peu, beaucoup, surpris. Freja ne lui avait-elle pas dit que j’étais en couple jusqu’à tout récemment ? Ou tout autre indice laissant connaître mon hétérosexualité ? Arg. Je me sentais tellement nul.

Ça faisait trop de situations où je rejetais des gens en trop peu de temps, là. Ça ne me faisait pas plus plaisir à moi. D’abord Zelda, que j’avais en quelque sorte laissée, et même si finalement ça avait un peu été d’un commun accord, c’est moi qui avais initié ce mouvement vers notre perte. Et puis maintenant Eirik qui s’ouvrait le cœur face à moi, et moi qui tentais de le refermer aussi vite que possible. Apparemment, j’avais ouvert des portes sans même m’en rendre compte. Le blond semblait complètement perdu, devant moi, incapable de trouver quoi dire. Et moi non plus, d’ailleurs, je ne savais plus quoi dire de plus. M’excuser une fois de plus de ne pas craquer pour lui ? Ce serait bête. Heureusement, Eirik arriva à trouver quelque chose à dire pour briser ce lourd silence entre nous deux, et je tournai le regard vers la table dressée derrière nous. « T’avais … t’avais fait ça pour nous deux ? » Je ne pus même pas m’empêcher d’avoir un léger sourire sur les lèvres, et mêmes les joues qui devinrent un peu plus rouge. Je me faisais courtiser et je ne pouvais pas dire que c’était totalement désagréable, même si ça venait d’un mec. « J’dois avouer que c’est le truc le plus romantique qu’on a fait pour moi. » Je ris un peu, tentant de détendre l’atmosphère. « Ce serait bête de gâcher, oui. » Alors j’acceptais de rester, en quelque sorte. Je ne savais pas trop dans quoi je m’embarquais, avec ce souper en tête à tête avec le frère de ma colocataire, qui avait un crush sur moi, contre toute attente. Eirik me mentionna d’ailleurs que Freja l’avait bien averti de mon orientation sexuelle, et quand il me dit que je ne faisais pas gay, je ris. « Oh, tu sais … Je danse, je fais des soirées de filles avec mes colocs durant lesquelles on se fait des masques d'argile, mon film préféré est Mean Girls … Ne nous mentons pas. J’ai totalement l’air gay. » Affirmais-je sans honte, en riant du fait que je rentrais dans la plupart des cases du stéréotype sans pour autant l’être. « T’es pas débile et t’as pas à t’excuser, Eirik. »

Je ne disais pas ça pour m’apitoyer sur mon sort mais pour le coup, avec la réponse d’Eirik, je me demandais si j’aurais dû espérer un tel traitement de roi de la part de certains. À mes yeux ça n’avait jamais été un besoin, ma mère elle-même n’avait jamais été en mesure de m’attendre le soir après l’école avec un repas cuisiné maison et une belle table montée. C’était habituellement moi qui préparais le repas et on le mangeait devant la télévision. Je n’avais connu que ça, alors je n’attendais pas particulièrement à recevoir cette attention de qui que ce soit d’autre. Alors forcément, qu’Eirik ait mis autant de temps sur ce dîner pour moi, ça me touchait énormément. « J’imagine qu’on m’a fait plaisir autrement. » Déclarais-je avec douceur, pour me réconforter moi-même. Mais je réalisai d’un coup qu’on aurait pu croire que je faisais allusions à des plaisirs sexuels ou d’quoi, alors je devins rouge pivoine et je bégayai, dans ma maladresse habituelle : « En-enfin, j’veux dire … Pas … D’autres façons genre, euh, m’amener au cinéma, ou j’sais pas. » Un sourire gêné sur le coin de mes lèvres, je secouai doucement la tête. Je n’en avais pas fini de me mettre les pieds dans les plats. Au moins, ma réponse quant au fait que j’avais totalement l’air gay et que la confusion était très légitime sembla détendre Eirik. « Tant mieux, apparemment, ça voudrait dire que j’ai un beau style, de bons goûts vestimentaires, tout ça … » En plus, ce n’était pas faux. Autre raison de croire que je pouvais être homosexuel. Je cochais vraiment toutes les cases, à se demander si je ne devrais pas me remettre en question, ha ! Eirik se leva le temps d’aller chercher les assiettes qu’il déposa sur la table basse. Lorsqu’il m’avoua avoir rêvé à moi une ou deux fois, je relevai un regard surpris vers lui. Aucun rire ne suivit les paroles du blond, signe que ce n’était pas une blague. « Juste une ou deux fois ? Oh, ça va, alors, je suis visiblement pas ton plus grand fantasme. » Je rigolai, mais ce rire s’évanouit bien vite vers le silence lorsque l’homme me demanda si j’avais quelqu’un dans ma vie. « J’ai quelqu’un, ou plutôt, je devrais peut-être dire j’avais quelqu’un, j’sais plus trop comment répondre à cette question … Ma copine et moi on est un peu en pause … Pause qui ressemble vraiment à une rupture, pour le coup. Alors … » J’haussai les épaules, avant de tendre le bras vers mon assiette.

Je souris aux paroles d’Eirik qui tentait de me rassurer quant au fait que je n’avais pas à peser chacun de mes mots. « Non mais c’était pas tant pour ça que pour éviter que tu sois en train de m’imaginer en train de me faire gâter quoi ! » Dis-je en pointant monentre-jambes, avant de secouer la tête en riant, les yeux fermés, plissés, un peu par la honte de tout ce qui sortait d’entre mes lèvres. Sans filtre. « Ok, please, faut que tu me mettes du duct tape sur les lèvres, fais quelque chose, j’me fermerai pas la gueule par moi-même ! » Parce que j’étais incontrôlable, surtout quand j’étais un peu gêné. L’humour, c’était un mécanisme de défense chez moi, et je devenais un vrai moulin à paroles idiotes lorsque j’étais nerveux. Enfin, pour le moment, ce n’était pas l’angoisse totale, j’imaginais fort bien qu’Eirik était dans un bien pire état que moi puisque je venais carrément de le jeter, mais quand même. Ma situation n’était pas tout à fait cool non plus, alors je compensais avec ma stupidité triomphante. Je continuais, d’ailleurs, en affirmant de moi-même que j’avais totalement l’air gay en raison de toutes les cases de stéréotypes que je pouvais cocher sans même porter le chapeau. Ça sembla faire rire Eirik, qui prit un malin plaisir à continuer à se moquer de moi. Tant mieux, je préférais ça à toute autre réaction. Et puis, me faire moquer de moi, y’avait rien de très nouveau là-dedans. « C’est gentil, merci. » Dis-je en tirant sur mon chandail, l’air faussement snob. Puis, vint le temps des images mentales quand le norvégien m’avoua avoir fantasmé sur moi plus d’une fois dans ses rêves … et pas deux mais bien dix ! Et encore … « En vrai, je serais juste vraiment curieux de voir de quoi j’ai l’air dans un rêve érotique. Ça doit franchement pas être très glorieux. » J’étais incapable de me prendre au sérieux alors de m’imaginer dans un genre de scénario sensuel, c’était plutôt étrange. Je n’avais pas l’impression de dégager un quelconque sex-appeal, surtout pas à force de jouer le clown comme je le faisais. Mais on tira un trait sur le temps des rigolades quand Eirik me parla de ma situation amoureuse qui n’avait franchement rien de joviale. « C’est vrai ? Bordel, Eirik, j’te fous un râteau et tu me proposes de m’écouter et de me conseiller concernant ma rupture d’avec une fille … T’es vraiment pas obligé de t’infliger ça, tu sais. » Je souris faiblement. En réalité, des conseils auraient été les bienvenus, mais je ne voulais quand même pas le briser encore plus.

J’en demandais pas tant moi non plus, de mes propres explications, et pourtant elles sortaient d’entre mes lèvres sans que je puisse en contrôler le flot. Je me contentai de rire, de toute façon ça faisait rire Eirik aussi malgré la gêne, alors aussi bien laisser celle-ci se confondre avec l’hilarité. « Ouais, pardon, c’était un peu too much. » Admis-je dans un rire, avant d’éclater encore plus à la question du blond. « Écoute, j’vais me le demander à tous les jours jusqu’à la fin de mes jours, ça ! » J’avais beau avoir l’air d’avoir confiance en moi, à force de me couvrir de ridicule de la sorte, ce n’était qu’une façade. Je n’avais franchement aucune idée de ce qu’on pouvait parfois me trouver. J’avais tellement eu l’habitude d’être friendzoné dans mon adolescence, que maintenant adulte, je prenais toujours pour acquis qu’on m’appréciait en tant qu’ami mais jamais avec cette petite étincelle de plus. Alors la révélation d’Eirik, je ne l’avais vraiment pas vue venir, et je pense que je n’avais pas encore pleinement réalisé ce qui se passait. C’est peut-être pour ça que je posais autant de questions comme s’il s’agissait d’une belle grosse blague, en fait, demandant même des détails sur les rêves érotiques d’Eirik à mon égard. Pourtant, au fond, ils avaient vraiment eu lieu. J’eus un léger sourire, presque touché même, quand le jeune homme me raconta la sensualité de la chose, la douceur même. C’était mignon, je ne pouvais pas penser autrement, même si c’était un peu bizarre aussi, ces images qui me venaient en tête. « Ouais, je vois ce que tu veux dire. Je pense que je préfère que tu me racontes ceux-là, en fait, c’est beaucoup plus soft et ça risque moins de me mettre des images qui marqueront à jamais mon esprit. » Je ris doucement. Puis, le sujet dévia vers mes propres relations, en particulier celle qui s’était terminée en decrescendo dans la dernière année. « Alors dans ce cas … peut-être qu’un point de vue extérieur, ouais … pourquoi pas. » Je déposai mon assiette de laquelle j’avais déjà pris au moins le tiers. C’était délicieux, et je le lui redirais plus tard. « Dans les derniers mois on s’était éloignés, elle et moi … Elle a été blessée durant, tu sais … la fusillade qu’y’a eu l’année dernière … » En parler, c’était toujours difficile, même si je n’en avais pas été témoin. Ça avait brassé la communauté toute entière. « Et disons qu’elle a eu pas mal de difficulté à s’en remettre, et même si j’ai voulu l’épauler tout le long, je pense qu’à travers cette épreuve on s’est un peu perdus … Et je me sens mal de ça parce que sa réaction était normale, elle a été traumatisée, mais ça a été dur pour moi d’être toujours là pour elle, dans ces moments … » De le dire à voix haute, je me sentais encore plus comme une merde, en fait. « Et pis j’avais à la base déjà quelques histoires pas complètement réglées, alors ça m’a juste complètement remis en question. J’ai préféré qu’on se laisse du temps, elle et moi, chacun de notre côté, pour faire le point. Mais voilà, je sais pas ce que ça veut dire une « pause » en fait. Est-ce qu’on se remettra ensemble ? Est-ce qu’on l’est toujours, même, malgré qu’on se voit pas ? Est-ce que c’est de la tromper si j’vois une autre fille ? Aaaargh. J’déteste ça. » Je secouai la tête en soupirant.

C’était la même chose de mon côté, concernant cette foutue fusillade. Je m’étais senti complètement impuissant, c’était le bon terme. J’avais entendu aux nouvelles ce qui se passait, j’avais entendu au loin toutes les sirènes des ambulances et des policiers, mais je n’avais rien vu aux atrocités, je n’avais aucune idée du traumatisme que tous ces gens avaient dû vivre. Et de voir Zelda plongée dans le noir alors qu’elle était tellement lumineuse, avant ça, ça m’avait brisé le cœur. Et peut-être, justement, que ce cœur-là avait eu du mal à reprendre le dessus, par la suite. Elle avait eu du mal à aller mieux, et j’avais eu du mal à la soutenir. « Ouais, t’as même pas idée à quel point … » Je culpabilisais, nuit et jour, et encore, je n’avais pas tout dit à Eirik. Je n’avais pas dit à Eirik que j’avais, pendant ce temps-là, embrassé Scarlett, ce fantôme du passé qui était revenue à Bowen seulement pour mieux en repartir, en me laissant le cœur en morceaux et la tête aux mains du chaos. J’avais encore plus culpabilisé parce qu’en plus du mal-être de Zelda face à ce tragique événement à la plage, je l’avais enfoncée encore plus avec mes comportements immatures et égoïstes. Ça m’avait dégoûté de moi-même. Je me sentis encore plus abruti quand j’écoutai Eirik me conseiller de ne pas aller voir ailleurs, parce que cela voudrait dire que je ne tenais pas à elle, que je ne voulais pas reprendre. J’inclinai légèrement la tête, me grattant la nuque avec une grimace au visage. « Et … et si j’te disais que c’était déjà trop tard pour ça ? » Je balançai ma tête vers l’arrière en soupirant – soupir qui ressemblait davantage à un grognement de honte et d’exaspération. « Putain qu’j’suis con. Ça a même pas pris une semaine que j’en embrassais une autre. » J’allais tellement baisser dans l’estime d’Eirik, maintenant. Au moins, il se rendrait compte qu’il valait mieux ne pas être en couple avec moi. Le râteau serait probablement plus facile à digérer maintenant qu’il voyait à quel point j’étais con.