concho ∇ i'm sorry, believe me, i love you... but not in that way

Ce silence, il me faisait bien comprendre à quel point j’avais merdé. Et non seulement j’avais l’impression d’avoir trahi Zelda, mais maintenant j’avais aussi ce sentiment de décevoir Eirik. Je ne lui devais rien, il ne me devait rien non plus, et pourtant sans que je puisse trop expliquer pourquoi, l’opinion qu’il pouvait avoir de moi m’importait réellement. Si deux minutes plus tôt il m’avouait avoir le béguin pour moi, il semblait maintenant avoir pris une assez grosse débarque. Plus grosse encore que lorsqu’il était tombé de son vélo. Le norvégien brisa enfin le silence. « Enfin, plutôt trois. Trois baisers … » Avouais-je à contre-cœur. Et puis nous nous étions blottis l’un contre l’autre dans un hamac, aussi. Et nous avions poursuivi la soirée à l’extérieur du Yoga Space en allant pique-niquer pas loin de chez elle, avec son chien. On avait presque eu l’air d’un couple, Athéna et moi, mais depuis, c’était bel et bien le silence radio. Des deux côtés. Tout comme c’était le calme plat entre Zelda et moi, d’ailleurs. Si je pensais qu’être seul pendant un bout de temps allait m’aider à me recentrer, j’avais davantage l’impression de dérégler ma boussole encore plus. J’hochai la tête aux sages paroles d’Eirik. Il était plus jeune que moi et pourtant j’avais l’impression que c’était tout le contraire, là. Comme quoi, avec l’âge ne venait pas forcément la raison. « On dirait que c’était ça, mon problème … J’savais pas trop ce que ce break signifiait. J’me suis perdu et j’ai eu l’impression d’être célibataire, tu vois ? J’avais pas l’impression de la tromper. J’aurais jamais fait ça, sinon. » Ah, vraiment ? Je l’avais déjà fait, pourtant. Je l’avais déjà fait en embrassant Scarlett alors que Zelda m’attendait chez elle. Je me dégoûtais. Heureusement qu’Eirik me sortit de mon autodestruction en me tirant par les bras pour me lever. Je ris alors qu’il me proposait de lui apprendre quelques pas de danse. « Ouais, allez, t’as de la bonne musique ? J’vais t’apprendre mes meilleurs tricks pour épater. » Dis-je en tapant dans mes mains, déjà un peu plus léger dans mes souliers.

Eirik me montrait à quel point j’avais merdé, et s’il ne le faisait pas intentionnellement, ça n’en faisait pas moins mal. J’avais l’impression d’être le gamin qui se fait gronder par la grande personne. J’ignorais l’expérience amoureuse que pouvait avoir le norvégien, mais visiblement, il en avait davantage que moi. Ou alors il était bien plus mature que moi malgré la différence d’âge. Bien sûr, tout ce qu’il me disait semblait aller de soi, maintenant que je prenais du recul. Mais sur le coup, face à Zelda, non, je n’avais pas songé à poser les bases d’une relation que je ne comprenais plus moi-même. Je n’avais jamais fait de pause auparavant, je n’avais aucune idée de comment ça pouvait fonctionner, et de l’avoir en train de pleurer devant moi ne m’avait pas poussé à établir les règles. J’aurais eu l’impression de la briser encore plus. « Non, on l’a pas fait … Du coup, j’pouvais être bien des choses. J’peux autant avoir totalement merdé, ou alors si ça se trouve, elle a fait pareil de son côté … » J’haussai les épaules. De l’imaginer dans les bras d’un autre homme, ça me fit certainement souffrir, alors comment pouvais-je m’imaginer que ça ne lui ferait rien ? En même temps, ça m’aurait blessé même si nous nous étions autorisés à le faire. Sans doute n’y avait-il pas de solution miracle à une situation pareille. Lorsqu’Eirik me posa des questions de plus sur ce que je ressentais pour Athéna, je soupirai. « L’attirance physique y est, ça … j’peux vraiment pas le nier. Mais pour le reste, on s’entend bien, je l’aime beaucoup, je me verrais passer des journées entières avec elle … » Je secouai doucement la tête de gauche à droite avant d’émettre un léger rire. « J’me sens juste comme un adolescent qui découvre la vie, avec elle, tu vois ? » Avec Zelda, nous avions eu notre routine d’adultes, même si nous étions deux enfants dans nos cœurs, le quotidien nous avait quand même rattrapés. Et peut-être éloignés. « Je pense que je n’ai jamais vraiment su comprendre ce que je ressentais, en fait. C’est toujours confus, pour moi, ce que c’est que l’amour. » Je levai les yeux au ciel en balançant à nouveau ma tête vers l’arrière. « Les grandes questions philosophiques, pas vrai ? » Je ris, puis, face à cette conversation qui s’était révélée bien trop sérieuse, Eirik me proposa ensuite de lui apprendre à danser. « Dix heures ? Si t’arrives encore à danser après dix heures, j’te proclame directement pro ! » Dis-je en riant, avant de commencer à danser sur la musique, lui montrant quelques mouvements découpés en segments. Alors qu’Eirik s’autorisait à devenir un peu plus fluide, il se cogna contre la table du salon et envoya un verre par terre, qui se cassa en une multitude de morceaux. « Oh, shit ! Attention de pas te couper, tiens marche pas par là j’en vois plein ! » Je marchai jusqu’au stéréo pour arrêter la musique, puis me frayai un chemin jusqu’à la cuisine. « Ton balai il est où ? » Je le sortis de l’endroit désigné et revins vers Eirik, l’aidant à ramasser. « Ouais … bon. T’avais pas d’évier qui coule mais le karma te rattrape quand même. » Dis-je en esquissant un sourire.

J’ignorais si Zelda était capable de faire ce que j’avais fait, en fait. J’en doutais, même si ça me faisait mal de me dire ça, puisque d’un côté ça signifiait qu’elle était meilleure que moi. Sur tous les points, Zelda était meilleure que moi. Sans doute était-ce pour cela que je croyais aussi fortement qu’elle méritait quelqu’un d’autre que moi, quelqu’un de mieux, et qui serait à la hauteur de la femme qu’elle était. J’hochai doucement la tête quand Eirik me dit que du peu qu’il connaissait de moi, il sentait que je n’avais pas la conscience tranquille, et que je lui dirais tout, un jour ou l’autre. Je soupirai. « Je sais, j’pourrais pas garder ce secret-là bien longtemps, de toute façon elle va le remarquer d’elle-même, qu’y’a un truc qui cloche. Elle me connaît trop bien. » Elle le verrait dans mon regard, dans mes gestes, dans mes paroles. J’étais le pire menteur de l’univers, encore plus aux yeux de ceux qui m’étaient proches. « Je sais juste pas du tout comment amener la chose. J’imagine que ça me viendra sur le moment. » Ou pas, et alors je m’enfargerais dans chacun de mes mots et tout sortirait tout croche, comme d’habitude. Ma maladresse était flagrante, en situation de stress. Eirik ayant rapidement créé cette zone de confidences, je m’ouvrai encore un peu plus en parlant de comment je me sentais avec Athéna. Je fus surpris d’apprendre que c’était comme ça que lui se sentait, avec moi. Pas amoureux, mais pas loin. « En tout cas à toi j’peux te dire que tu manques pas grand-chose, en n’étant pas avec moi … » J’esquissai un faible sourire. Mais allais-je manquer quelque chose en n’étant pas avec Zelda ? Ou en n’étant pas avec Athéna ? Bref, question de changer un peu l’atmosphère bien trop lourde, Eirik proposa un cours de danse, activité à laquelle je m’adonnai avec plaisir, jusqu’à ce qu’un verre s’écrase au sol en un tas de morceaux. Je m’occupai de tout ramasser, mettant ça sur le dos du karma d’Eirik pour m’avoir menti. J’esquissai un sourire. « Non, j’t’en veux pas. Mais tu sais, t’as pas besoin d’inventer d’excuses pour m’inviter. Fais juste m’inviter, la prochaine fois. » Dis-je en levant un regard amusé vers lui, même si j’étais quand même flatté qu’il se soit donné tout ce mal d’inventer un mensonge. Eirik se laissa retomber sur le canapé, et maintenant c’était à son tour d’avoir un coup de blues. Je le rejoignis après avoir jeté les morceaux de verre à la poubelle, et rangé le balai. « Hey, sois pas si dur avec toi. C’est qu’un faux pas de danse. Ça arrive à tout le monde. » J’haussai les épaules. « Et puis, au pire, la danse c’est pas ton truc, et p’t’être que le vélo non plus. » Relevais-je avec un rire. « Y’a un tas d’autres choses dans lesquelles t’es doué, j’suis persuadé. » Et si lui le niait, je demanderais à Freja de me le prouver, et après, je le prouverais à Eirik lui-même. Ce serait mon grand gesture à moi, après que lui m’ait reçu pour ce dîner romantique.