Expect problems and eat them for breakfast (Noah)

Le réveil sonna et ce fut un long soupir qui vint rompre le silence après l'arrêt de la sonnerie. Ella n'était décidément pas du matin. Les yeux bouffis, la chevelure sauvage, la brune se leva en soupirant encore et encore. La douche matinale ne suffit pas à la réveiller totalement, mais cela eut au moins le mérite de mettre un peu ses idées au clair. Quel jour était-on ? Que devait-elle faire aujourd'hui ? A quelle heure prenait-elle son service au Hendrix ? Tant de questions qu'elle se posait chaque matin. Après s'être habillée, coiffée et mis un soupçon de maquillage sur son visage – qui agissait davantage comme un cache-misère – la jeune femme se rendit à la cuisine, où elle mit en route la cafetière. Il n'y avait que le café qui parvenait à l'extirper de sa mauvaise humeur matinale. Quand l'odeur vint chatouiller ses narines et qu'elle eut le plaisir de boire une première gorgée, ses yeux se posèrent sur l'horloge, afin de voir si elle était dans les temps. Elle, elle l'était. Noah, en revanche... Elle n'avait pas entendu le moindre bruit venant de la chambre de son fils. Il avait sûrement veillé tard, en traînant encore sur l'ordi, si bien que Monsieur n'assumait pas le réveil. Ella prit une gorgée de son café puis avança en direction de la chambre de son fils, tartine en main. Elle tapa deux coups à la porte avant de l'ouvrir. Pas de lumière. La chambre était encore plongée dans le noir. « Noah ! Tu ne t'es pas réveillé ! Tu vas encore être en retard au lycée... » lança-t-elle en râlant.

Quand Ella ouvrit la porte de la chambre, elle entendit l'ours grogner. Noah ne dormait pas beaucoup quand il était plus jeune, mais maintenant que l'adolescence avait fait son apparition, elle avait l'impression qu'il était en hibernation. Surtout les jours d'école, étrangement. Heureusement, Ella était un réveil-matin à elle seule. Même si elle n'était pas très fraîche le matin, elle aussi. Quand Noah daigna se relever, les yeux ensommeillés et les cheveux en pétard, Ella fronça les sourcils, suspicieuse, quand elle vit ce sourire penaud apparaître sur ses lèvres. Elle le connaissait par cœur, son fils. Quand il affichait ce sourire, c'était qu'il avait fait une connerie. Pas manqué... Avec son naturel déconcertant et son bagout qui finirait par lui causer des ennuis, un jour ou l'autre, Noah lui avoua avoir le droit à un week-end supplémentaire. « Un week-end supplémentaire ? » demanda Ella, avec ironie. « Ne me dis pas que tu t'es fait exclure, Noah... » souffla-t-elle, connaissant déjà la réponse. A vrai dire, elle attendait ce moment. Noah jouait sans cesse avec les limites, ces derniers temps. Cela allait crescendo, à un tel point que la jeune femme se demandait bien quelle bêtise allait lui passer par la tête. Alors qu'il se redressa, l'adolescent apporta quelques informations supplémentaires. Hier, il n'était pas tombé de skate. Ella avait été stupide. Stupide de s'être faite avoir bêtement. Elle y avait cru à cette histoire de skate, son fils étant un vrai casse-cou. Mais non, il s'était battu. Noah s'était battu. « Juste un peu... ». Quand elle reprenait ses paroles, c'était souvent mauvais signe. « Tu te fous de moi, Noah? » Son ton restait neutre, mais son regard était noir. « Tu vas vite m'expliquer ce qu'il s'est passé. Alors, lève-toi de suite, habille-toi et rejoins-moi dans la cuisine. Et ne prends pas deux heures pour ça... » Ce qui voulait dire qu'il avait cinq minutes pour la rejoindre, sous peine d'attiser la colère de sa mère. Elle ferma la porte derrière elle et reprit la direction de la cuisine, excédée. Elle s'installa à la table de la cuisine, reprenant sa tasse de café dans une main, se pinçant l'arête du nez de son autre main. Elle sentait cette migraine qui faisait son apparition. Elle le savait déjà : cette journée allait définitivement être pourrie...

C'était beau d'espérer et de croire que oui, Noah apparaîtrait dans la cuisine, cinq minutes plus tard. Ella dut attendre dix minutes de plus pour voir son fils faire son apparition. Elle avait eu le temps de ruminer et de laisser sa colère grandir avec son impatience. Elle le suivit des yeux quand il se servit des céréales, nonchalamment, et qu'il vint prendre place face à elle. Alors qu'elle gardait son regard posé sur lui, arquant légèrement un sourcil, Noah eut le bon esprit de prendre la parole en premier. Il ne valait mieux pas que ce soit Ella qui daigne lui poser la question, pour la deuxième fois. Même si elle n'était pas le genre de mère à hurler, Ella ne se laissait pas forcément marcher sur les pieds pour autant. L'écoutant attentivement, la jeune femme leva les yeux au ciel quand Noah lui expliqua que c'était un pauvre type, qu'il le méritait. « Et tu crois que le frapper était la meilleure solution ? » Ce que son fils ne comprenait pas encore, c'était qu'il avait une répartie qui valait bien mieux que n'importe quel coup que l'on pouvait asséner. Il avait l'intelligence des mots et ce n'était pas une chose à mettre de côté. Et puis on ne tapait pas en premier, c'était la règle. En cas de légitime défense, cela pouvait se comprendre. Mais là, c'était Noah qui avait sorti les poings en premier. « Tu as tout gagné dans l'histoire. Regarde, c'est toi qui est exclu. » lâcha-t-elle ironiquement. Mais la dernière phrase de son fils la fit soupirer. Un rendez-vous avec le proviseur. Elle s'y attendait, évidemment. « Je suis censée bosser cet après-midi. » Non, elle ne faisait pas passer son travail avant sa famille, loin de là. Mais Noah savait que Ella avait besoin de ce boulot. Il arrivait à un âge où il savait que l'argent ne tombait pas du ciel. Et il la mettait dans une situation délicate. Ce boulot, elle en avait besoin. Elle termina son café, qui allait sûrement alimenter sa nervosité, avant de reprendre : « A force, je ne sais plus quoi dire, ni à ton proviseur, ni à mon employeur. Il faudrait vraiment que tu arrêtes de penser à ta petite personne, Noah... » Cette phrase, elle aurait préféré ne pas le dire. Mais il fallait qu'il se rende compte de l'ampleur de ses actes. Il s'évertuait à dire qu'il était grand maintenant. Il faudrait peut-être qu'il commence à lui prouver.

Ella ne pouvait pas lui en vouloir pleinement. Son fils était impulsif. C'était un trait de caractère sur lequel elle ne pouvait rien faire. D'autant plus qu'elle avait été pareil durant ses jeunes années. C'était la maturité qui l'avait calmée. Et le fait de devenir mère. Mais alors qu'elle lui avait lâché qu'il ne pensait qu'à sa propre petite personne, le regard de Noah vira subitement. La lueur de provocation, de fierté avait disparu, laissant place à un regard plus sombre, plus froid. Ella l'observa en fronçant les sourcils, jusqu'à ce qu'il avoue les raisons pour lesquelles il avait sorti les poings. Les vraies raisons. Et c'était de sa faute à elle, en quelque sorte. Elle était l'intermédiaire pour atteindre Noah. Le fait qu'elle soit une mère compréhensive, une mère plus jeune que les autres faisait parler. Elle se doutait que cela arriverait un jour, qu'elle finirait par mettre des bâtons dans les roues de son fils, contre son gré. La rancune de la jeune mère avait laissé place à un certain malaise. Elle ne savait pas comment réagir face à cela. Elle était mitigée. Mitigée à l'idée que son fils frappe et paradoxalement, touchée qu'il ait cœur à ce qu'on la respecte. Son petit garçon devenait un jeune homme. Un jeune homme prêt à protéger sa mère, malgré tout. « Il y a des gens qui sont forts pour utiliser ce qui fait ton quotidien. Il ne faut pas se laisser atteindre, c'est tout. Je sais que c'est dur, mais il faut passer outre. Laisse parler ce petit con, ça lui passera. » Elle se devait de faire la leçon, mais le regard qu'elle porta sur lui se fit quand même un poil plus doux. Un poil, hein. Parce que malgré tout, elle allait devoir se farcir le discours du proviseur cet après-midi. Même si Noah tenta d'en échapper. « Non, j'irai. » avant de se reprendre. « Enfin, on ira. » Il était évident que Noah allait venir avec elle. Bien sûr, elle aurait pu appeler le proviseur, lui dire qu'elle ne pouvait pas venir ce jour, qu'elle devait travailler, mais elle craignait les on-dits. Elle craignait que l'on dise qu'elle n'était pas une mère présente, qu'elle ne venait pas aux rendez-vous avec le proviseur pour parler des problèmes de Noah. Elle avait peur qu'on dise qu'elle n'était pas une bonne mère, tout simplement. « Même si tu n'es pas doublement exclu, tu te doutes bien que tu as interdiction de sortir avec tes amis pendant une semaine. » Elle se devait de sévir, même si oui, c'était injuste. Ça lui faisait mal au cœur de le punir, mais il fallait qu'il comprenne qu'une exclusion du lycée, ce n'était pas une sanction sans enjeux. « Et comme tu es debout, tu vas m'accompagner faire quelques courses. » Cette exclusion devenait peut-être l'occasion de passer du temps avec lui.

Ella n'avait pas totalement conscience que sa jeunesse provoquait quelques échos peu flatteurs qui parvenaient aux oreilles de son fils. Elle pensait que c'était des taquineries sans retombées, sans méchancetés. Mais Noah avait sorti les poings. Il avait sorti les poings parce qu'on avait été odieux envers elle. Noah avait sûrement fait ce que tout le monde avait voulu faire, étant donné que ce garçon semblait être une personne insupportable pour beaucoup. Mais c'était son fils qui avait tapé. Et Ella ne savait pas comment réagir face à cela. Elle voulait lui faire la leçon, sans être trop sévère pour autant. Après tout, elle avait un fils qui ne fuguait pas, qui ne se droguait pas, qui ne buvait pas jusqu'au coma éthylique. Elle avait de la chance d'avoir un enfant comme Noah. Mais elle sentait un changement dernièrement et elle craignait que la moindre parole l'éloigne encore plus d'elle. Ella et Noah avaient toujours été très proches. Noah savait que sa mère pouvait tout écouter. Mais elle avait l'impression que ce n'était plus le cas, ces derniers temps. Elle voyait les rendez-vous devenir récurrents chez le proviseur, elle voyait les notes baisser. Cela remettait toute son éducation en question. Elle soupira simplement quand Noah affirma qu'il avait rendu service à tout le monde. A l'entendre, on pouvait presque croire qu'il avait fait une bonne action. Et justement, pour lui montrer que ce n'était pas le cas, Ella lui confirma qu'ils iraient voir le proviseur. Elle s'arrangerait pour le boulot. Son fils passait avant tout. Et évidemment, la sanction tomba. Pas de sorties pendant une semaine. Noah négocia néanmoins la venue de Vega. « Ok, pour Vega.  Et seulement, Vega. » Qu'il ne négocie pas la venue d'un autre copain ou d'une copine. « Vous travaillerez dans le salon. » Qu'il n'en profite pas pour que ce soit la cour de récré. Et puisqu'il était là, il allait l'accompagner faire les courses. Pour lui, c'était la journée pourrie jusqu'au bout et son soupir en témoigna pleinement. « Avec le sourire, s'il te plaît... » lâcha-t-elle face à son Génial ! si ironiquement lâché. Elle aimait l'embêter, son fils, surtout quand il faisait sa tête de mule. La fin du déjeuner se déroula dans un grand silence.Noah partit chercher sa veste et revint le pas traînant, les écouteurs dans l'oreille, comme s'il était peu enclin à la conversation. Alors, Ella n'insista pas et sortit la première, jusqu'à rejoindre la voiture. Une fois qu'elle eut démarré, il fallut attendre quelques longs mètres avant que son fils ne brise le silence. Lui en voulait-elle ? « Non, Noah. Je ne t'en veux pas. » Autant être sincère. « Je veux juste comprendre. Je te trouve...à cran, ces derniers temps. Et je ne parle pas que de tes virées chez le proviseur, qui deviennent de plus en plus récurrentes. » Elle tourna quelques secondes la tête vers lui avant de reporter son attention sur la route. « Tu me le dirais si quelque chose n'allait pas ? » C'était peut-être que l'adolescence qui faisait cela, mais c'était la première fois qu'Ella le vivait en tant que mère.

En voyant le sourire victorieux de Noah quand elle accepta la venue de Vega, Ella lui lança un regard suspicieux. Elle allait sûrement devoir traîner dans le salon quand ils travailleront, pour être bien sûre qu'ils travaillent, justement. Elle sentait l'entourloupe de son fils. Et là, elle ne comptait pas céder. Elle était le genre de mère cool, mais s'il fallait qu'elle sorte les crocs pour le recadrer, elle le faisait volontiers. Mais en temps normal, Noah abdiquait en premier. En râlant, certes, mais il ne s'opposait pas trop. Comme à cet instant, où elle lui ordonna de venir avec elle au magasin, alors qu'il s'imaginait sûrement s'octroyer une matinée plutôt cool. Quand ils terminèrent de déjeuner et qu'ils récupérèrent leurs affaires, Ella comprit rapidement que Noah ne comptait faire aucun effort. Son sourire, ce n'était pas aujourd'hui qu'elle le verrait. Qu'il garde ses écouteurs dans les oreilles, s'il le voulait. Au moins, il était avec elle et c'était tout ce qui comptait. Et pourtant, dans la voiture, alors que le silence se faisait pesant, ce fut Noah qui prit la parole le premier, en lui demandant si elle lui en voulait. Contre toute attente, ce n'était pas la rancoeur qui primait chez Ella, mais plutôt l'incompréhension. Elle ne savait pas pourquoi il agissait de cette manière. Enfin si... Noah avait le comportement typique de l'ado. Il la testait. Il testait toutes les formes d'autorité qui se trouvaient autour de lui. Il cherchait ses limites. Seulement, dans la plupart des cas, on subissait ces provocations à deux. Ella, elle, les vivait seule, ce qui rajoutait encore un peu de difficulté à une équation déjà bien complexe. Jusqu'à présent, la présence de sa mère lui suffisait. Noah savait la trouver, lui parler. Mais il commençait à s'éloigner et c'était le point sur lequel elle voulait insister, en lui rappelant qu'elle était là, s'il avait besoin de parler. Noah répondit à sa question, en lui affirmant que tout allait bien. Il savait qu'il dérapait. Il en avait pleinement conscience et s'en excusait d'ailleurs. Mais quand il reprit la parole et qu'il évoqua cet ennui constant, cette impression de n'être vivant qu'en faisant des trucs stupides, Ella fronça les sourcils, posant un bref regard sur lui.  « Qu'est-ce que tu entends exactement par trucs complètement débiles ? » Elle avait déjà eu le droit au rasage de tête. Si cela s'arrêtait à ce stade, qu'il continue à faire des trucs débiles. « Tu ne te mets quand même pas en danger, Noah ? » C'était surtout la véritable question qui l'intéressait. S'il fallait qu'elle revoie les relations de Noah, elle le ferait sans hésiter. Elle n'avait pourtant pas envie de le couver, de le surprotéger. Mais il y avait une différence entre faire des trucs puérils et des trucs dangereux. Mais sa dernière question lui rappela un fait important. Elle aussi avait vécu cela. Les yeux rivés sur la route, elle se gara sur le bas-côté de la route. Elle sentait que son fils lui lançait une perche, c'était à elle de la saisir. Et pour cela, il méritait toute son attention. Elle resta muette quelques instants, avant de reprendre : « Oui... Je me suis déjà sentie comme ça. J'ai été une adolescente, moi aussi, Noah. » Elle tourna la tête vers lui et continua : « Avec ton père, nous n'avons pas été les adolescents les plus tranquilles, pour être honnête. On reniait l'autorité, on bravait les interdits, on se contrefichait des règles qui, à l'origine, étaient là pour nous protéger. Mais nous, on se croyait invincibles. Sauf qu'on ne l'était pas... » Elle se pinça les lèvres, avant de secouer la tête, comme si ses souvenirs lui revenaient en pleine face : « A force, on n'a plus su faire la différence entre les jeux débiles et les jeux dangereux. Ça aurait pu nous coûter cher... très cher même. » Elle avait failli perdre un ami lors d'un de leurs défis stupides. Cela avait commencé à la faire réagir, à lui faire comprendre qu'elle exagérait. Mais ce ne fut pas cela qui la sauva complètement : « Ton père et moi, nous nous sommes calmés dès l'instant où l'on a appris que j'étais enceinte. Ça nous a rappelé où était notre place. » Certes, son ex était parti, la laissant affronter cela seule, mais elle avait su par la suite qu'il était retourné dans un lycée au nord de l'Australie et qu'il avait obtenu la bourse qu'il souhaitait tant avoir. Sans cette grossesse, ils auraient continué leurs conneries, sans aucun doute. « Je ne dis pas que la solution est de faire un bébé, hein. Je suis trop jeune pour être grand-mère. » ajouta-t-elle, en souriant, en tentant de faire un peu d'humour pour dédramatiser le tout. Même si c'était maladroit. « Je dis juste tout ça pour te montrer que je ne suis pas si différente que toi... Que je te comprends. » conclut-elle, avec un sourire, espérant qu'il voit ses confidences comme un moyen de lui dire qu'elle le comprenait. Mais sans savoir, elle avait évoqué un sujet qui était peut-être aussi la base des interrogations de Noah : son père. Ce sujet qu'elle n'arrivait pas à aborder avec lui.

La rapidité de la réponse qui avait suivi sa question laissa Ella perplexe. Et même si Noah lui assura qu'il ne faisait rien de dangereux, son instinct, quant à lui, lui soufflait que ce n'était pas la totale vérité. Rien ne trompait l'instinct maternel. Rien ! « Il y a intérêt. » répondit-elle plus par dépit, que par conviction. La jeune femme laissa un long soupir s'échapper de ses lèvres. Elle prenait sur elle pour ne pas se lancer dans un interrogatoire à visée moralisatrice. Même si elle voulait tout savoir de la vie de Noah, de ce jardin secret qu'il tenait tant à préserver – parce qu'elle savait bien qu'il faisait sûrement beaucoup de choses dans son dos, comme tout ado qui se respecte – elle devait apprendre à lâcher du lest. Elle devait le laisser vivre, tomber, se relever. Et l'accompagner, sans l'étouffer. Il était difficile de trouver une demi-mesure pour cette maman poule. Mais quand elle voyait Mali agir avec Lowanna et Miro, quand elle le voyait allier autorité et liberté avec tant de naturel, elle s'était dit qu'elle était sûrement trop psycho-rigide. Le genre de mère peut-être étouffante. Oui, vous l'avez compris, Ella était en pleine remise en question sur son statut de mère. En revanche, ce qu'elle pouvait faire – et devait faire – c'était lâcher quelques confidences sur sa propre adolescence. Pourquoi pointer du doigt Noah alors que ses parents avaient peut-être fait pire que lui ? Elle n'avait pas été un ange, Ella. Elle avait fait tourner ses parents en bourrique, les avait provoqué... jusqu'à se faire virer de la maison, enceinte et seule comme jamais. Mais elle s'était sentie vivante, dans chacune de ses conneries, même si aujourd'hui, elle trouvait cela complètement puéril, stupide et dangereux. Cela l'avait faite grandir, mûrir, pour devenir cette femme sans problèmes. Et peut-être même ennuyeuse, quand on voyait à quel point sa vie était plate. Cette vie au sein de laquelle elle ne laissait aucune place à de nouvelles histoires. Ni même à l'ancienne. La fameuse ancienne histoire. Ella n'avait même pas fait attention qu'elle avait évoqué son ex, mais ce n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd. A la question de Noah, elle posa brièvement son regard sur lui, laissant un silence s'installer. Mais quand son fils lui glissa qu'elle n'était pas obligée de répondre, elle secoua la tête, en soupirant : « Non... Il faut que j'arrête de faire comme s'il n'avait jamais existé. » Il était là, le problème. Le sujet était devenu tabou. Ni Noah, ni Ella n'en parlaient. Et il n'y avait rien de tel pour attiser ce manque qui existait chez son fils. Ce manque dont elle se doutait. « Qu'est-ce que tu veux savoir, au juste ? » reprit-elle en esquissant un léger sourire, pour lui montrer qu'elle était ouverte à toutes confidences. Il était temps d'être sincère avec Noah.

Depuis le temps que Noah lui lançait des perches pour qu'elle parle de celui qui était le père de son fils, il fallait qu'elle le fasse là, à cet instant, dans cette voiture. A vrai dire, elle se demandait s'il y avait un bon moment pour cela. Sûrement pas. Il fallait donc qu'elle arrête de retarder l'échéance. L'un comme l'autre souffraient de ce manque de communication. Comment vouliez-vous que Noah lui dise tout alors qu'elle gardait tout un secret autour de son ex petit-ami ?! C'était l'hôpital qui se foutait de la charité ! Noah resta muet quelques secondes, sûrement tout aussi surpris par l'attitude de sa mère. Elle l'avait pris de court et c'était peut-être mieux comme cela. Là, il n'aura pas le temps de réfléchir et lui posera les questions dont il voulait vraiment la réponse. Seulement, elle avait parfois tendance à occulter le fait que Noah était sans filtre. Si ses premières questions étaient banales, la dernière montra la rancoeur qu'il avait à l'égard de son père. Et une culpabilité qu'elle ne comprenait pas. « Noah... » soupira Ella. « Ton père n'est pas un connard. C'est un lâche, oui, mais pas un connard. » reprit-elle, en tâtonnant. Elle n'avait pas le droit de dresser un portrait sombre de son ex, sous prétexte qu'elle lui en voulait de sa lâcheté, et en contrepartie, il ne fallait pas non plus qu'elle prenne sa défense. La situation était très délicate pour Ella qui, elle-même, ne savait toujours pas comment réagir dix-huit ans plus tard. Mais ce fut sa dernière question qui acheva la jeune mère. Avortement. Le mot était dit. Entendre cette question de la bouche de son fils était douloureux. Ses yeux se firent humides alors qu'elle regardait droit devant elle. « On me l'a proposé. Ce n'était pas trop tard. » Elle avait promis d'être sincère. Elle l'était. Elle tourna la tête vers lui alors qu'elle reprit : « Je savais que j'allais galérer, que je n'allais pas être la mère parfaite. Mais cette solution, je l'ai vite mise de côté. Je te voulais, Noah. Alors je ne veux plus t'entendre poser cette question. Je ne veux plus t'entendre dire que ton père est parti à cause de toi. Il y a des coupables dans l'histoire, mais ce n'est pas toi. » C'était tout d'abord la faute de ses parents. La faute de ces deux adolescents qui avaient trop joué avec la liberté. C'était plutôt à Ella d'assumer sa culpabilité, ce qu'elle fit dans le murmure qui suivit : « Je suis désolée de ne pas avoir su t'offrir une famille stable. D'avoir cru que les quelques hommes de notre entourage suffiraient à atténuer le manque de ton père. » Elle s'en rendait compte maintenant que Noah grandissait, maintenant qu'il s'émancipait. Maintenant qu'elle ne lui suffisait plus... Maintenant que ses oncles ou même Mali ne suffisaient pas à effacer l'absence du paternel.