we could sink or swim, we could make or miss (belmo)

Depuis qu’Elmo avait abandonné Bella sur son banc d’autobus, depuis qu’il avait pris la fuite et croisé son regard déçu de lui alors qu’il s’inventait encore et encore des excuses pour l’éviter, depuis que c’était silence radio des deux côtés, le jeune homme n’arrivait à rien. Il n’avait plus aucune concentration lors des répétitions du groupe, il avait la tête dans les nuages au travail, il était incapable de se concentrer en rentrant le soir pour étudier. Il devait voir la vérité en face, Elmo : s’il ne réglait pas la situation avec Bella, s’il ne la confrontait pas avec la vérité, la sienne, celle qu’il avait tenté d’étouffer, alors il ne serait pas en paix avec lui-même. Il se défilait souvent, Elmo. Il était passé maître dans l’art de ghoster les gens. Disparaître, c’était un peu ce qu’il faisait de mieux. Mais il était plutôt difficile de disparaître de la vie d’une femme avec qui on collabore aussi souvent, et qu’on croise à tous les jours dans les couloirs de l’université. Et, surtout, il était plutôt difficile de vouloir disparaître de la vie d’une telle femme. Bella, elle le hantait, et s’il savait qu’une relation entre eux n’était pas possible, s’il savait que ce qui s’était passé cette nuit-là ne pouvait plus se reproduire, il ne supportait tout de même pas d’avoir laissé les choses telles quelles entre eux. Il se maudissait d’être aussi immature et con. Alors, après avoir pris son courage à deux mains, il avait envoyé un texto à Bella pour la relancer sur sa proposition d’aller étudier dans un café. De un, il pourrait véritablement se mettre la tête dans ses livres et de deux, ça lui donnerait la chance de mettre les choses au clair avec la costaricaine et de justifier son comportement d’imbécile. En attente de sa réponse, il avait préparé son sac, pris sa douche et enfilé ses vêtements, prêts à partir. Quand il eut le feu vert de la jeune femme, il se rendit au Imogen, leur point de rencontre, parce que lorsqu’il étudiait, Elmo devenait une vraie machine de stress qui bouffait tout sur son passage, alors les meilleures pâtisseries en ville seraient certainement les bienvenues. D’autant plus que ses études n’étaient pas la seule chose qui le rendait nerveux à propos de cette rencontre. Le jeune homme cibla rapidement une table près des fenêtres, avec des chaises confortables et un espace un peu en retrait. Il alla s’y installer, sortant ses livres de microbiologie et d’anatomie, les deux cours qu’il menaçait de terminer en échec. Il se commanda un café et commença à réviser, de toute façon, Bella n'arriverait pas maintenant.

Une heure, c'était le délai qu'elle lui avait donné après la réception de son texto qui avait mis fin à leur trêve. Ça lui laissait le temps de se calmer, de se remettre les idées en place avant de revoir Elmo et de devoir étouffer ses mots. Parce qu'elle avait compris, Bella, que parler de ce sujet là, c'était impossible. Alors, si l'Italien s'était donné pour mot d'ordre de faire comme si rien ne s'était passé entre eux, la brune ferait de même à son tour. Elle s'était présentée à un mur de brique, dans l'autobus, devant un homme qui n'avait aucune envie d'ouvrir la boite de pandore qui renfermait leur secret, parce qu'il était destructeur et pas seulement pour eux deux. Il impliquait un troisième acteur, une source de tension et de peur. Ça ne servait à rien de pousser Elmo à discuter alors qu'il en avait envie le moins du monde, tout ce que ça leur apporterait serait des irritations qui ne leur étaient pas nécessaires, surtout en cette fin de trimestre universitaire. Elmo avait sauté sur la proposition de Bella, la relançant pour une study date. Ses révisions, Bella les avait littéralement toutes faites. Elle connaissait la matière sur le bout de ses doigts. Les jours à venir étaient du surplus pour apaiser son anxiété de performance, gracieuseté de sa famille un peu trop exigeante. Ils étaient fiers d'elle, ses parents, et elle ne devait pas les décevoir sans quoi la belle hispanophone en entendrait parler des années durant.
Avant de partir, Bella avait enfilé son cardigan de laine favori et des leggings qu'elle avait agencés de sa paire d'espadrilles blanches, vans, ensemble décontracté pour l'après-midi de révision qu'ils s'étaient lancé. Puis, elle s'était mise en route vers le café Imogen. Quand elle y arriva, il ne lui fallut pas de temps pour trouver Elmo, déjà installé à une table, livres et notes éparpillés sur la surface de travail, téléphone portable dans les mains probablement en train de partager sa position avec ses abonnés instagram. J'avais dis pas de portable, j'dois te le confisqué, lui adressa la brune lorsqu'elle arriva à sa hauteur, sourire moqueur sur ses lèvres nappées d'un gloss rosé. Il la regardait, il planta ses yeux sur elle, et son coeur fit trois tours avant de s'arrêter complètement de battre. Qu'est-ce qu'il est beau, pensa-t-elle alors que sa tête lui criait de retourner au plan initial : se la jouer cool. Elle s'installa près de lui, déposant son sac sur le sol et y sortant son artillerie lourde : cahiers, aide-mémoires, crayons, ordinateurs, bouquins. T'as commencé, à ce que je vois. T'avais pas réellement besoin de moi pour te motiver, t'es capable de le faire tout seul, tu vois.

Il avait tenu deux minutes, Elmo, avant que son esprit ne vagabonde à nouveau. L’arrivée de la serveuse, cette jolie brune aux yeux verts qui lui avaient servi son café, n’avait pas vraiment aidé à sa concentration. Non seulement il en avait profité pour charmer la timide jeune femme, mais en plus, lorsqu’elle était partie, il s’était attelé à une tâche bien plus importante : placer son ordinateur, ses notes, son café et sa pâtisserie de sorte à former le plus beau portrait possible. Montrer à tout le monde qu’Elmo se redressait les manches et bossait dur alors qu’au fond, il avait lu deux lignes de ses notes avant de se lasser, avant d’abandonner. Il avait la capacité d’attention d’un enfant de trois ans. Il prit donc un cliché de son plan de travail, s’assurant du meilleur cadrage et du plus bel éclairage puis, il se recala sur sa chaise en se connectant à Instagram pour poster ladite photographie. Il était en train de terminer d’écrire sa caption et ses hashtags quand Bella arriva, le prenant en flagrant délit de procrastination. Il releva ses yeux bruns vers elle, et esquissa un sourire presque gêné. « Il fallait bien que je le garde ouvert, au cas où tu aurais un contre-temps, tu vois. » Bien sûr, Elmo. Évidemment, le jeune homme ne fermait tout simplement jamais son téléphone portable, bien trop effrayé à l’idée de passer à côté de quelque chose, ou bien de ne pas voir apparaître les messages reçus instantanément. Il posa tout de même son portable face cachée sur la table. Il le revirerait bien assez souvent pour ne rien manquer, de toute façon. C’était comme devenu un tic nerveux chez lui, une dépendance qu’il ne voulait pas admettre. Ce n’était pas la seule. Elmo regarda la costaricaine sortir son stock infaillible de réussite. Il haussa les sourcils en voyant la quantité de post-it qu’elle possédait. Lui réutilisait toujours les mêmes. Ça coûte cher, ces trucs. « Commencé, c’est un grand mot. Je sais qu’on a eu un cours 1, le huit janvier. » Autrement dit, Elmo avait lu l’intitulé de la première page, et pas grand-chose de plus. Il esquissa un mince sourire. « Merci d’avoir accepté de venir. Je me doute bien que pour toi, c’était surtout un déplacement inutile. » Puisqu’on était dimanche et que les finaux débutaient le lendemain, l’italien se doutait bien que Bella était plus que prête pour la semaine à venir. « Je te paie un café et une viennoiserie, pour te remercier. Enfin, la quantité que tu voudras. Moi, j'sais que je me limiterai pas à ça. » Dit-il en montrant ses propres sources d'énergie. Et justement, la jeune serveuse de tout à l’heure revenait vers Bella pour sa commande.

Sur ce point, ils se ressemblaient bien, Elmo et Bella, toujours fourrés avec leur téléphone sous les yeux, la batterie de cet engin qui se vidait à une vitesse folle alors qu'ils enchainaient les cliques sur les différentes applications. Pour se déculpabiliser, Bella avait même désactivé les notifications du temps d'écran. C'était ahurissant de constater le nombre d'heures et de minutes qu'elle passait sur chaque application et lesquelles lui faisaient brûler le plus sa batterie. Mais une chose les caractérisait, une chose les différenciait, lorsqu'il était question de leur drogue technologique. Bella, elle, avait dû apprendre à s'en passer durant les périodes de révision. Plus jeune, sa mère le lui confisquait, réellement, des heures durant afin de s'assurer de la productivité de sa fille. Lorsque la Costaricaine plaisantait sur le sujet, c'était en connaissance de cause. Cette dure réalité, elle l'avait vécu. Aujourd'hui, elle gardait son portable près d'elle quand elle révisait, laissant jouer une musique de fond sur spotify, sans être trop déconcentré. Merci maman pour la discipline. Bella esquissa un sourire quand elle aperçut les articles d'Elmo tout bien disposé sur la table en bois, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone pour y ajouter les meilleurs mots-clics possible. Rapidement, il s'enquit d'une excuse, fidèle à ses habitudes. C'est ça, souffla-t-elle en haussant un sourcil avant de rire avec lui face au tyran qu'elle essayait de jouer. Puis, elle s'installa, à son tour. À nouveau, Elmo s'enquit de l'humour pour faire mieux passer ses aveux. Bella plongea son regard noisette dans celui de l'étudiant, un sérieux pouvait s'y lire. Faudra t'y mettre sérieusement, 'Mo... Les finaux, ça commence demain. Et il esquissa un sourire. Non, c'est pas un déplacement inutile. J'dois avouer que les finaux, ça me stress. Tout le monde la voyait comme une surdouée, bien trop préparer pour affronter les derniers examens, impossible qu'elle se plante. Et pourtant, Bella, elle ne voyait pas l'exercice de la même façon. Elle ne se sentait pas prête, même si elle avait appris le code pénal en son intégralité, même si elle avait révisé des heures d'affilée, même si elle avait assisté à tous ses cours. Personne ne pouvait réellement comprendre la situation dans laquelle elle était, parce qu'aux yeux de tous, elle était parfaitement en contrôle de la situation. Alors qu'en réalité, c'était faux. Complètement faux. Foutue anxiété qui lui grugeait de l'énergie. C'est pas la peine, Elmo, pour vrai. Je le fais pour te rendre service, pas pour avoir quelque chose en retour, refusa-t-elle poliment. Imgoen, c'était sa destruction. Le paradis pour les dents sucrées alors que Bella, elle, elle entretenait une drôle de relation avec la nourriture. Personne n'était au courant, dans son entourage, pas même Lena, sa meilleure amie, mais la belle brune contrôlait toutes les calories qu'elle ingérait. La serveuse s'approcha tout de même d'eux et prise au piège elle s'efforça de commander. Je prendrais un thé à la menthe. Simplement, sans flaflas, alors qu'Elmo s'empiffrait déjà sa pâtisserie. T'es pas possible ! Lâcha-t-elle en riant le regard dirigé vers le sucre qu'il s'était mis autour de la bouche.

À la base, déjà, Elmo n’avait jamais été très discipliné, et pas à défaut pour ses parents d’avoir essayé. Il était juste ingérable, et si ça se justifiait d’un côté par son trouble déficitaire de l’attention, c’était aussi d’un autre côté un trait bien ancré de sa personnalité. Il ne restait jamais immobile, que ce soit littéralement parlant, que dans ses plans de vie. Il avançait ou il reculait, peu importe, mais il ne restait jamais bien longtemps sur une impasse. Peut-être était-ce pour cette raison qu’il se laissait presque volontairement attirer vers le bas de la courbe, dans ses résultats scolaires. Comme si le domaine ne lui convenait pas, comme s’il avait besoin de cette défaite pour se délivrer d’un avenir flou. Malgré tout, il se devait, à lui-même mais aussi à ses parents, de se forcer un peu et d’obtenir ce diplôme, au moins pour se garder la porte ouverte. Il verrait ensuite. Alors, lorsque Bella le gronda avec sérieux, lui affirmant qu’il n’avait plus de temps en banque d’ici à demain, le visage d’Elmo se crispa légèrement, reprenant à son tour un sérieux qu’on lui connaissait moins. Il se redressa légèrement sur sa chaise. « Je sais. C’est pour ça que je suis ici, pas vrai ? J’attendais juste que t’arrives pour m’y mettre. Vraiment. » Mais il savait, au fond de lui, que ce besoin pressant de mettre derrière lui ses pensées contradictoires sur ce qu’il s’était passé entre eux allait refaire surface bien trop vite et que ça lui boufferait toute sa concentration. Il se laissait facilement emporter par ses émotions, Elmo, et si ça ne paraissait pas forcément à travers ses regards et ses gestes, sa tête était un véritable champ de bataille qui ne laissait que peu de place au reste. « Si y’en a une qui va en ressortir victorieuse, de c’te semaine horrible, ce sera toi. » Lui assura Elmo alors qu’elle lui avouait être nerveuse, elle aussi. Pour la remercier de s’être déplacée pour étudier avec lui, l’italien proposa à Bella de lui payer cafés et viennoiseries jusqu’à ce que mort s’en suive, ce que la brunette refusa. D’ailleurs, elle ne commanda qu’un thé à la menthe. Elmo la dévisagea un moment, sans rien dire, avant de reporter son attention sur sa propre pâtisserie, ne voulant pas la mettre mal à l’aise. Le voyant s’empiffrer, Bella éclata de rire. « T’as déjà goûté les croissants aux amandes d’ici ? J’tuerais pour en avoir à tous les jours. » Il rit, avant de redéposer le croissant au centre de la petite assiette blanche. Maintenant que sa photographie était postée et que les likes s’accumulaient déjà, il pouvait bien commencer à #eattheset. « Bon, un peu de sérieux, mademoiselle. » À son tour de reprendre Bella, un sourire aux lèvres face à sa fausse autorité. Il rouvrit son ordinateur qui s’était mis en veille entre-temps, et replongea son esprit dans son livre, ses notes à l’écran, son cahier de notes. Mais ses jambes trop longues qui frôlaient constamment celles de Bella le déconcentraient. Ce contact avait tout de mieux que l’anatomie décrite en lettres. Il voulait l’étudier à travers le corps-même de Bella.

Elle le gronda gentiment. Pas pour mal faire, mais parce qu'il avait réclamé son aide pour réviser sous prétexte qu'elle pourrait s'assurer qu'il ne procrastine pas trop. Et pourtant, les finaux commençaient dans moins de 24 heures, l'urgence se faisait sentir, mais Elmo, lui, pianotait toujours sur son téléphone. Mais il était comme ça, l'Italien, un peu tête en l'air, facilement déconcentrée. C'était plus fort que lui. Et c'est bien pour ça qu'il avait besoin de Bella pour lui montrer le chemin quand il s'arrêtait pour cueillir des fleurs. J'suis là maintenant, conclut-elle avec un sourire moqueur, une main ferme dans un gant de velours pour lui faire comprendre qu'à présent, il fallait réellement s'y mettre. Bella s'imaginait mal se retrouver dans la même situation que lui. La simple idée de n'avoir ouvert ses lèvres que la vieille d'un examen l'angoissait. Et la brune focalisait toute son attention sur ce contrat, la raison de leur visite, sans quoi elle divaguerait sur les sujets qu'elle s'était interdit d'aborder à nouveau. Faire comme si de rien n'était, c'était son mantra pour la journée. Alors qu'Elmo semblait calme, en contrôle de la situation, Bella, elle, était une boule de nerfs quand il s'agissait des périodes d'évaluations. Peut-être que l'étudiant se cachait derrière une poker face, un masque pour dissimuler sa terreur, et si c'était le cas, Elmo le faisait bien. Il ne pouvait lire la panique dans ses yeux. Alors que Bella, elle, bien qu'elle ait révisé des semaines à l'avance, elle était loin d'être aussi sereine. Et elle le lui confia, confiant son stress associé aux évaluations. L'Italien tenta de la rassurer d'un compliment voilé, Bella afficha simplement un mince sourire sur ses lèvres alors qu'elle ouvrait ses notes de cours et qu'elle positionnait ses écouteurs dans ses oreilles, préparant par le biais sa playlist pour les études qu'elle s'était construites au courant de l'année, toutes des chansons qui lui faisaient du bien et qui la mettaient quelque peu en confiance. Juste avant qu'ils puissent enfin se mettre sérieusement au travail, la serveuse arrivait pour prendre la commande de la nouvelle détentrice de la table. Sous les yeux curieux de l'employé, mais aussi d'Elmo, qui lui, avait déjà un café et une pâtisserie en banque, Bella se vit obliger de commander. Mais le sucre, elle se l'interdisait. Surtout en période de stress. Parce que ses calories, elles étaient toutes comptées, écrites dans un carnet. Et elle se voyait mal le sortir devant Elmo pour y ajouter celles d'une collation copieuse. La nourriture, c'était son seul contrôle, son seul moyen de sentir qu'elle avait un mot à dire sur sa vie entre sa famille trop directive et les obligations de la vie. Elmo, regard curieux, arquait les sourcils alors que la brune commanda simplement un thé, malgré les paroles de l'étudiant. Il lui payait tout ce qu'elle voulait, à volonté, et elle ne choisissait qu'un thé. Le sucre, ça me fait pas quand je suis stressée, expliqua-t-elle pour justifier son choix, excepté qu'en réalité, le sucre, ça lui faisait en période de stress. Oui, ça calmait ses émotions, mais elle ne pouvait s'arrêter d'en manger. Et c'était ça, qu'elle tentait d'éviter. Je vais devoir y goûter un de ces jours, alors. Mais elle savait qu'elle lui mentait. Ça lui crevait le coeur de le faire, sans compter qu'ils avaient l'air délicieux ces croissants aux amandes. Elle les imaginait, le beurre d'amande chaud alors que la fournée venait à peine de sortir du four, les amandes garnies sur le dessus semblaient croustillantes. Elmo la ramena rapidement sur la terre ferme, puis ils se mirent au travail. T'as raison ! Puis elle enfonça ses écouteurs dans ses oreilles, mit play à sa liste d'écoute, remonta ses longs cheveux bruns dans un chignon décoiffé, des mèches retombant sur sa nuque, et s'empara de ses notes qu'elle utilisa comme une barrière entre elle et lui, les plantant devant son visage pour mieux les voir. Après quelques minutes seulement, elle le sentait s'agiter, ses grandes jambes, beaucoup trop longues pour l'espace que leur réservait cette table, se heurtaient sans cesse contre celles de taille normale de Bella. Chaque touché était électrisant. Cachée derrière ses notes, Bella esquissait des sourires lorsqu'ils se frôlaient, incapable de rester de marbre à cette proximité.

Il leva les yeux au ciel en riant alors qu’elle lui disait qu’elle était là, maintenant. Oui, elle était là, et sa seule présence suffisait à réveiller le corps tout entier d’Elmo. Si ça avait pu réveiller son esprit, aussi, le sortir de son engourdissement intellectuel, c’aurait été pas mal. Mais au contraire, il aurait pu se perdre dans son regard et demeurer là, passif, pendant des heures. Les images du récent passé se seraient mêlées à celles du présent et alors il se serait abandonné à la douceur du moment. « Ouais, ouais, j’ai compris, je n’ai plus d’excuses maintenant. » Il esquissa un faible sourire tout en s’organisant un peu mieux, et surtout en faisant un peu de place à Bella sur la table du café. Elle avait raison, la costaricaine, il ne restait plus beaucoup de sable dans le haut du sablier et plus le temps avançait, plus la future carrière d’Elmo s’effritait. Bella n’avait peut-être pas idée de tout ce qu’il risquait cette semaine, mais lui savait fort bien que ça passait ou que ça cassait. Lui-même ne savait même plus vraiment s’il voulait s’accrocher. Lorsque la jeune femme commanda un thé à la menthe, il la dévisagea un moment, assez longtemps pour que la demoiselle s’en sente interpellée et obligée de se justifier. Il hocha doucement la tête. « Alors t’es de ces personnes qui ne mangent rien pendant les finaux. Duly noted. Moi c’est tout le contraire alors on va déjà établir qu’ici, c’est une zone libre de tout jugement. » Dit-il en faisant des ronds de ses mains au-dessus de la table, pour désigner cet espace qui verrait sans doute des dizaines de commandes se succéder de son côté. Des cafés, des viennoiseries, des sandwichs, bref n’importe quoi pour le distraire pendant qu’il étudiait. Mais avant ça, il fallait au moins s’y mettre, au travail ! Après avoir trempé ses lèvres dans son café, donc, Elmo les ramena à l’ordre. Bella enfonça ses écouteurs dans ses oreilles, rompant officiellement le contact entre eux, et l’italien fit de même tout en se plongeant dans ses lectures. Les pages se tournaient lentement, paresseusement, mais il avançait. Il avait scroll down une bonne partie de ses notes de cours prises sur son ordinateur, et une heure passa, un deuxième café aussi. Leurs jambes n’avaient cessé de s’effleurer, par moments même Elmo s’autorisa à intentionnellement caresser celles de Bella, sans toutefois laisser paraître quoi que ce soit sur son visage. Un heureux incident créé de toutes pièces par ses envies réprimées. Tout d’un coup, sans prévenir, Elmo posa son crayon de plomb sur ses notes, releva la tête vers Bella. Il la regarda, attendant qu’elle retire ses écouteurs, avant de lui dire : « J’peux plus continuer, j’arrive plus à me concentrer, là. » Lâcha-t-il. C’était chose normale après une heure sans parler, c’était sans doute un record pour l’italien qui avait réellement mis des efforts. Pour lui montrer qu’il n’était pas une cause perdue. « Mais c’est pas parce que j’ai besoin d’une pause ou d’quoi. C’est parce que … » Il marqua une pause, hésitant, sa jambe toujours collée contre celle de la jeune femme. Et si le manque d’espace expliquait en grande partie cette proximité, Elmo ne faisait rien pour rompre ce contact. Il secoua doucement la tête. « C’est parce que j’arrête pas de repenser à comment j’me suis comporté la semaine dernière, et j’m’en veux. Je m’en veux d’avoir été lâche et con, tu méritais pas que je te traite comme ça, Bella. Je savais juste pas comment réagir … » Cette fois, son regard ne fuyait pas. Il guettait toutes les réactions de la costaricaine, sans se défiler.

Peut-être qu'au fond, ils savaient tous les deux que les révision n'étaient nulle autre qu'une excuse pour se revoir. Parce qu'il y avait un ton différent à leur relation, depuis cette soirée-là. Elmo et Bella, ils se connaissaient depuis longtemps. Ils se voyaient à l'université, rigolaient bien, ils fêtaient ensemble et parfois ils se voyaient quand Bella accompagnait Milo dans des soirées, mais seuls, à l'extérieur du campus universitaire, ils ne s'étaient jamais vraiment donné rendez-vous. Or, depuis la nuit où tout avait changé, il y avait besoin de se revoir, besoin d'être près l'un de l'autre tout en étant loin pour éviter de sauter la barrière de l'interdit. Parce que tout ça, c'était contre le code des potes. C'était impensable, inconcevable, de nouer des liens. Alors, au contraire, ils survolaient les limites, sans s'aventurer trop loin, de ce faux rendez-vous pour réviser. Après qu'il l'ait abandonné dans l'autobus, qu'il l'ait planté là, alors qu'elle tentait d'ouvrir le dialogue, Bella s'était sentie rejeté. Vulgaire fille, pas différente des autres, elle ne valait pas plus d'explications qu'une raison échappatoire pour la fuir. C'était Elmo, elle le savait maître dans le jeu de l'autruche, mais jamais elle aurait pensé qu'il lui aurait fait le coup, à elle. Elle qu'il revoyait, sans cesse, à l'université ou dans des soirées. Il ne pouvait pas la zapper complètement de sa vie sans au moins lui valoir des explications, parce que Bella, elle serait toujours tout près. Il n'était pas obligé de la voir dans sa soupe, d'avoir envie de recommencer leurs étreintes, ça, elle pouvait l'encaisser, tout ce que la brune avait demandé, c'était des explications. Et il ne lui en avait pas fournit. Pas dans le bus, pas après. Il aurait pu l'appeler, lui demander pardon, passer à autre chose, mais il ne l'avait pas fait. Alors quand elle reçu ce texto, lui demandant si elle était partante pour une séance intensive de révision en sa compagnie, ambivalente, Bella s'était donné comme mot d'ordre de résister à son charme, d'entrer dans son jeu d'amnésie et de faire comme si rien ne s'était passé entre eux plutôt que de continuer à espérer des réponses qu'il ne lui donneraient certainement pas et qui finiraient pas lui faire du mal. Elle s'était donc comporté comme habituellement avec l'Italien, plaisantant ici et là, sans séduction cacher dans ses paroles et même si il avait du sucre à glacé partout autour de la bouche, la belle ne s'aventura pas à le lui retirer. Sage, elle ne fit que rire franchement au ridicule dans lequel il se mettait délibérément, sans gêne. Et il enchaîna, désignant la table comme zone hors de préjugés, ce qui lui convenait bien, à Bella, parce que ans son cas, les préjugés fusaient et elle tentait aussi bien que mal de cacher son secret. Ça marche pour moi ! Affirma-t-elle en présentant son petit doigt à Elmo afin de sceller leur pacte. Puis, ils finirent par se mettre au travail. Ils étaient là pour travailler, non pas pour parler sucreries et anxiété. Bien que la Costaricaine s'était créer une forteresse autour d'elle, évitant de se laisser déconcentrer par les tentations extérieurs, tentations étant Elmo lui-même, écouteurs sur les oreilles, livres de note en main, elle échouait lamentablement. Chaque caresse accidentelle de la part de l'étudiant la faisait frémir, rougir, son coeur s'accélérait, son ventre la chatouillait. Il la déconcertait, il la détesbilisait. Et quand il posa son crayon pour l'observer, après une heure de travail, Elmo tira le coup de grâce, anéantissant toute la concentration qui restait à l'étudiante. Bella lui sourit, mettant sur pause you say dont elle connaissait les paroles par coeur avant de retirer ses écouteurs pour lui donner toute l'attention qui lui revenait. Ça va ? S'enquit-elle alors qu'Elmo semblait dérangé par quelque chose. En même temps, t'as bu deux cafés, son rire angélique accompagna la première partie de son énoncé, normal que tu ne tiennes plus en place, plaisanta-t-elle, ne sachant pas que son intervention était bien plus importante que ça. Lorsqu'il lui assura qu'il n'avait pas besoin d'une pause, les jambes toujours accrochées à celles de Bella, elle fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il y a ? Il l'intriguait. Elmo aborda leur denier échange, celui qui s'était terminé sur des notes sèches et Bella chercha à fuir son regard, en vain. Elle ne savait dire si ses yeux l'avait ensorcelés ou si c'était l'emprise de ses jambes qui la retenait, mais elle le fixait, droit dans les yeux. C'est rien Elmo, c'est oublié, mentit-elle. A présent, c'était Bella qui fuyait. Parce qu'on ne lui faisait pas mal deux fois, à la costaricaine, elle protégeait son coeur et sa tête.

Si Bella ne mangeait pas de sucré en situation de stress, c’était tout le contraire d’Elmo, ce qui pouvait tout autant lui attirer des jugements même si c’était toujours un peu moins fort envers les garçons. Il désigna donc cette table comme un zone judgment-free, ce à quoi Bella acquiesça en lui présentant même son petit doigt. Un pinky-swear, ça fit sourire Elmo qui leva son petit doigt à la même hauteur que celui de la costaricaine, pour les nouer ensemble. À ce moment précis, alors que leurs mains chaudes étaient soudées l’une à l’autre, que leurs regards étaient bien ancrés pour signer ce contrat verbal, il aurait eu envie de resserrer toute sa main dans la sienne, de l’attirer contre lui, de se retrouver à nouveau dans son logement comme une semaine auparavant. Cette fois toutefois, Elmo ferait bien les choses. Ils ne seraient pas entourés d’autant d’âmes errantes et ivres, ils ne seraient pas eux-mêmes bercés par les effluves alcoolisés de leurs verres, ils auraient pleinement conscience de ce pas qu’ils franchissaient. C’était utopique de croire que cela aurait été possible. En possession de tous ses moyens, sans doute que jamais l’italien n’aurait osé s’approcher aussi dangereusement de Bella. De ne faire qu’un avec elle. De laisser son cœur se mêler d’histoires qui ne le regardaient pas. Il aurait pris la fuite avant qu’il ne soit trop tard. Il était désormais trop tard. C’est pourquoi, après une heure de plus ou moins réelle concentration, Elmo avait retiré ses propres écouteurs, attendu que Bella fasse de même, et avait replongé de son propre gré dans ces eaux trop chaudes pour leurs corps tremblants de gêne, de remords, d’envie. Il ignora les blagues de la belle, pour une fois, et alla droit au but. S’il attendait, s’il feignant l’indifférence plus longtemps, il ne reviendrait pas en arrière. Pourtant, il était primordial qu’il le fasse. « Non. Ce n’est pas oublié. Malgré ce que j’ai pu essayer de te faire croire, et de me faire croire à moi aussi sûrement … C’est pas oublié. » Il lui avouait enfin que cette nuit-là, elle restait à jamais gravée dans sa mémoire. Pour le meilleur comme pour le pire. Il sonda le regard de Bella un moment, sa jambe commençant à se faire aller frénétiquement de bas en haut. Il tapait nerveusement du pied, un mauvais mélange d’appréhension et de caféine. « J’ai beau me dire que ce qui s’est passé n’aurait jamais dû arriver, pour des raisons qu’on connaît tous les deux … J’arrive pas à passer à autre chose. À penser à autre chose. » Il baissa les yeux vers la table du café. Sa tasse était vide, on ne voyait plus que les traces du mélange noir au fond de celle-ci. « Je sais que t’as essayé qu’on en parle la dernière fois. J’étais juste pas prêt, j’avais pas eu le temps de faire le ménage dans ma tête … » Il soupira, relevant les yeux vers elle. « Et j’peux pas dire que ce soit totalement le cas aujourd’hui non plus … » Mais il avait fait son bout de chemin, Elmo, et il était au moins prêt à admettre qu’effacer cette nuit-là ne leur apporterait rien de bon entre eux.

Lorsque leurs doigts s'entrelacèrent dans un gage de promesse un peu ridicule, lorsque leur peur se toucha finalement, ce fut le début d'un raz de marré dans tout le corps de l'étudiante. De la cime de sa tête jusqu'à la pointe de ses orteils, elle était en éveil. Elle avait beau se répéter dans sa tête qu'il fallait oublier, faire comme lui faisait, suivre son plan parce qu'il était sans doute le meilleur, parce que sa solution était sans doute la plus sage, Bella n'y arrivait pas. Elle brisa leur contact physique rapidement, récupérant sa main avant que tout son corps ne soit attiré vers lui et qu'ils se trouvent, à nouveau, dans cette situation où le malaise planait depuis trop longtemps maintenant. Mais elle en avait envie. Le danger, elle voulait le frôler pour avoir le plaisir de sentir une seconde fois sa peau contre celle de l'Italien, son souffle s'unir au sien. Même si elle devait essuyer les fracas par la suite. Tant pis, le mal était déjà fait, il s'était déjà emparé de ses veines, il les avait déjà contaminés de son venin qui donnait à la brune l'envie de plus, de toujours plus. L'alcool avait permis leur premier rapprochement, c'était vrai, parce qu'à jeun, elle n'aurait jamais osé faire le pas. Et pourtant, elle recommencerait. Là, maintenant, tout de suite, si ça lui était proposé. Mais il fallait résister, canaliser ses sentiments, ses envies, comme l'adulte responsable qu'elle devenait et non pas laisser l'adolescente passagère s'emparer de sa raison.
Il était trop sérieux. Elmo ne répondait pas à ses blagues, il commençait sérieusement à inquiéter l'étudiante qui l'écoutait, à présent, sans oser ajouter une seule syllabe. Ses grands yeux bruns étaient fixés sur l'homme qui ne souriait plus. Elle fronça les sourcils alors qu'il se confia, ce n'était pas oublié. Bella le sentait s'agiter. Son visage était calme, posé, mais son corps, lui, était en action, doux mélange de caféine et nervosité. Ce stress, la belle pouvait le sentir et elle l'absorbait. Ses mains étaient moites, elle avait chaud. Contre ses jambes, elle sentait celles d'Elmo tapoter avec vigueur. Elle posa une main hésitante sur la cuisse de l'étudiant, comme si sa présence pouvait l'apaiser un peu, ne le lâchant pas des yeux afin qu'il poursuive son monologue. Il n'arrivait ni à passer ni à penser à autre chose. Elle le laissa terminer de vider le fond de sa pensée, l'écoutant attentivement. Puis, quand il trouva finalement le silence, les yeux baissés vers sa tasse vide, Bella retira sa main de la position qu'elle avait adoptée dans le but de l'apaiser pour les appuyer contre la table de bois. Ses doits pianotaient nerveusement, à son tour, sur le meuble. Sa tête et son coeur étaient en conflit, elle ne savait pas lequel de ses deux organes il valait mieux d'écouter. Et pour s'encourager à prendre une décision, elle ferma les yeux, laissa une grande inspiration rencontrer ses poumons. Moi non plus, j'arrive pas à penser à autre chose, confessa-t-elle d'abord en ouvrant les yeux et en posant le regard vers Elmo, espérant qu'il lève enfin les siens. Ce qu'on a fait, ce soir là, je ne sais pas si c'était bien ou mal. Ça dépend du point de vu qu'on l'apporte... mais... mais je sais que moralement, ça n'aurait pas dû arriver. Elle soupira un instant, tentant de se remettre les idées en place. Mais je ne regrette rien, Elmo. Et si c'était à refaire, je laisserais les choses se produire d'exactement la même façon. Elle haussa les épaules, prenant un crayon entre ses doigts pour combler sa nervosité. Elle le faisait tournoyer, sans quitter Elmo du regard. Qu'est-ce qu'on fait ? On tente d'oublier, pour préserver tout le monde ? Elle en avait envie le moins du monde, Bella. Mais si telle était sa décision, elle le ferait.

Ce mensonge qu’Elmo s’était efforcé d’entretenir dans les derniers jours, fuyant dès que la complexité de la chose s’était révélée trop grande, il était en train de le déconstruire morceau par morceau. Il n’était pas méchant, Elmo, il faisait du mal autour de lui peut-être, mais c’était en raison de cette réelle naïveté et de son immaturité qui caractérisaient la personne qu’il était. Qu’il avait toujours été. S’il avait décidé de prendre la fuite ce jour-là, dans l’autobus, c’était parce que ses idées n’étaient pas encore assez claires et qu’il n’avait pas su quoi répondre à Bella. Il avait préféré la blesser par son silence que de la blesser par des mots qu’il n’aurait pas choisi à tête reposée. Il y avait longuement songé, ces derniers jours, à Bella. Et si l’ordre n’était pas encore rétabli dans ses pensées, il savait au moins où il se situait, et où il devait se situer. Deux choses complètement différentes. C’est pourquoi, face à ce choix déchirant qu’il s’apprêtait à faire, son corps était en alerte, traduisant cet état d’urgence par des impulsions comme sa jambe qui s’agitait en-dessous de la table. D’ailleurs, celle-ci s’arrêta directement dans ses tremblements lorsque l’italien sentit la main de Bella se poser sur sa cuisse. Son regard se plongea encore plus dans le sien, si cela était même possible. Il continua jusqu’à ce que les mots lui manquent, et la volonté aussi. Il garda son regard rivé sur sa tasse vide, comme effrayé à l’idée de recevoir la réaction de la costaricaine. Il releva à moitié les yeux vers elle pour la trouver immobile, les yeux fermés, relâchant un souffle de courage. Elle reprit le flambeau à sa place, continuant sa pensée, et la complétant aussi. Elmo l’écouta à son tour, attentivement. Au final, cette réflexion à deux était sans doute ce qui était nécessaire pour y voir plus clair. « Je ne regrette pas non plus ce qui s’est passé. Ça n’empêche pas que je m’en veux, par contre … » Il soupira. Sa jambe recommença à s’agiter avec nervosité alors que Bella faisait aller son crayon entre ses doigts. Elle alimentait son angoisse. Lorsqu’elle lui demanda ce qu’ils allaient faire, maintenant, Elmo haussa d’abord les épaules. Il laissa son dos se reposer sur le dossier de son banc. « Je vous vois aller, Milo et toi. Je le vois bien que ce n’est pas totalement terminé entre vous deux … J’suis pas au courant de tout ce qui s’est passé, mais j’suis pas aveugle, j’sais qu’il tient encore énormément à toi … » À contre-cœur, il ajouta : « Et toi à lui … » Il secoua donc doucement la tête, comme s’il voulait lui-même se convaincre de ne pas aller plus loin, de ne pas s’embarquer dans cette histoire qui le conduirait dans un mur. « Milo, il est comme un frère, pour moi. S’il en venait à apprendre ce qu’il s’est passé entre nous, j’aurais bien trop peur qu’il m’en veuille, qu’il ne me pardonne pas … J’veux pas le perdre, tu comprends ? » Mais il ne voulait pas non plus perdre Bella. C’était bien là la fatalité de cette impasse. Dans toutes les alternatives, Elmo perdait.

L'abcès était crevé. Elmo avait osé prononcer les premiers mots qui menaient vers la discussion que la brune avait espéré, quelques jours plus tôt. Et ça ne semblait pas se résorber sur une solution facile. D'un côté, il y a la raison. De l'autre, les sentiments. Et même si on citait sans cesse le coeur a ses raisons que la raison ignore, pour expliquer ce genre de situation, Bella doutait que cette expression soit suffisante pour justifier leur comportement au centre de leur déchirement : Milo. Il fallait se l'avouer, tous les deux, ils se retenaient pour éviter de le blesser, lui, de le perdre, chacun de leur côté. Ni l'un ni l'autre n'y était prêt. Alors ils refoulaient, malgré le feu mutuel qui brûlait dans leurs yeux quand ils daignaient se regarder, malgré l'envie de retrouver la chaleur de ses bras dans un doux apaisement de tous leurs mots. Ils étaient foutus, complètement foutus, sans aucune porte de sortie, sans aucun plan b. Ils n'avaient aucune réponse à leur questionnement, aucune solution miracle pour effacer le mal qu'ils avaient déjà causé et qu'ils continueraient de faire autour d'eux. Elmo s'en voulait, Bella aussi, et comme il était impossible de retourner en arrière, il fallait maintenant aviser de la suite. Elle le regarda s'éloigner, appuyer son dos contre le dossier de son assise, et elle sentit son coeur se rompre. La décision, elle était simple. Il fallait arrêter. Arrêter de se voir, arrêter de se parler, arrêter de se replonger dans cette soirée qui les avait fait vibrer, mais qu'ils devaient garder comme un lointain souvenir. J'te laisserai pas t'éloigner de lui, le rassura-t-elle, même si ça implique que l'on doive faire comme si rien ne s'était produit entre nous. La nervosité ne l'avait pas quitté, son coeur s'était emballé, Bella n'avait pas terminé, elle n'avait pas tout dit. Sauf qu'il faut que tu saches que Milo, bien qu'il compte beaucoup pour moi, il ne cesse de me faire comprendre que nous deux, c'est pas possible. Elle ne savait pas comment expliquer le fond de sa pensée, sans que ce soit mal interprété, sans qu'Elmo se perçoive comme le second choix. Et il a fallu que tu arrives dans ma vie, un peu à l'improviste, pour brouiller les cartes... Bella baissa le regard, incapable de le regarder à présent qu'elle laissait son coeur parler. Elle avait peur des mots qu'il allait emprunter, son coeur, qui avait maintenant perdu la raison. Mais je comprends ton dilemme. Parce que je suis dans le même bateau... j'ai pas envie de le perdre, Milo, il a été important pour moi, mais entre lui et moi, c'est terminé. Faut.... Faut l'avouer. C'est terminé. La brune tourna la tête vers la grande fenêtre qui menait sur la rue principale de la ville. Et y'a toi. J'sais pas comment le décrire, mais tu me laisses pas... indifférente. C'est pas comme avec les autres... Elle haussa les épaules avant de reporter son attention vers lui, agrippant ses mains ayant le besoin de trouver du courage. Alors je sais pas quoi faire... Elle l'implorait de ses yeux à présent vitreux de l'aider à prendre une décision. Toute seule, elle n'y arriverait pas.

C’aurait peut-être été plus facile, au final, qu’Elmo se taise à jamais comme il l’avait initialement fait. Mais ce mensonge, il n’avait pas été planifié, contrairement à ce que ça avait pu laisser croire à Bella. Il avait inventé ces excuses-là dans l’urgence, lorsqu’elle l’avait abordé dans le couloir de la faculté et qu’il avait réalisé qu’il n’y aurait aucune issue facile. S’ils ne pouvaient faire marche-arrière, ils ne pouvaient non plus avancer. Alors que leur restait-il ? Prendre des chemins différents. Partir chacun de leur côté. Ne pas se retourner, ne plus penser à ce qu’ils laissaient derrière. Alors oui, c’aurait été plus facile qu’il continue à agir comme le con qu’il était de toute façon. Il aurait fait de la peine à Bella mais ultimement, il les aurait délivrés de ce fardeau qu’ils porteraient maintenant lourdement. Ce fardeau de vouloir plus, toujours plus, et de savoir que c’était réciproque sans pour autant se l’autoriser. « J’sais pas si j’y arriverai, encore moins s’il y a toujours tout le monde pour nous le rappeler. Peut-être qu’avec un peu de chance, après les finaux, ils auront passé à autre chose … » Les rumeurs, ça s’essoufflait rapidement, surtout lorsqu’elles n’étaient pas alimentées. Si Elmo et Bella arrivaient à garder leurs distances, cette illusion qu’on se faisait d’eux finirait par s’évanouir aussi. Alors qu’ils étaient tout sauf un mirage. La costaricaine reprit la parole pour répliquer à ses propos quant à Milo. Pourtant, Elmo, il n’avait pas l’impression de se tromper là-dessus. Il connaissait son ami, il avait l’impression que bien des non-dits planaient encore. Mais il n’en savait rien. Et ce n’était pas sa place de spéculer à ce propos. Lorsque Bella replongea son regard dans le sien, agrippant ses mains comme à la recherche d’une bouée de sauvetage alors qu’il se sentait lui-même couler, submergé, il soupira. Il ne détenait pas la vérité absolue, Elmo, au contraire. Il avait le sentiment que peu importe la décision qu’il prendrait, ce ne serait pas la bonne. « J’ai l’impression que t’essaies de te convaincre toi, que c’est terminé, et pas moi. » Il ne le disait pas méchamment. Il énonçait les faits, ou plutôt, sa perception. « Tu m’laisses pas indifférent non plus, Bella. La preuve, plus mes sentiments s’en mêlent, plus j’agis comme un con, alors … » Il esquissa un faible sourire, même s’il n’avait pas vraiment le cœur à l’humour. Il retira ses mains de celles de l’étudiante ; c’était trop difficile de maintenir ce contact malgré la distance qu’ils devaient s’imposer. « Mais j’peux pas m’lancer dans ce genre d’histoires, je le sens déjà que ça va mal se terminer, tu comprends ? C’est trop … trop flou. Milo, toi, moi. Je peux pas risquer de perdre un ami, de perdre mon groupe peut-être même … » Mais pouvait-il risquer de perdre Bella ? Il déglutit difficilement, grimaçant face à sa propre décision. « J’vois pas comment on pourrait faire autrement. Autrement, Milo le saura forcément un jour et … et j’sais vraiment pas comment il réagirait. Que ce soit terminé entre vous ou non … tu seras toujours un peu la sienne, Bella. » Par rapport à lui, du moins. Parce qu’ils étaient meilleurs amis.

Peut-être que ça aurait été plus facile pour eux d'entretenir le mensonge et de laisser faner leurs sentiments. Peut-être qu'ils auraient sauvé tous les coeurs acteurs de cette merde dans laquelle ils s'étaient tous les deux fourrés en laissant les regards et les sourires se transformer en d'autres actions qui ne pouvait s'oublier aussi facilement. Perdus tous les deux entre le bien et le mal, ne sachant pas comment se comporter face à la suite, ils ne s'entendaient pas sur une bonne façon d'agir. Parce que bonne, c'était bien subjectif. Ils pouvaient oublier, vivre leur vie comme ils le faisaient avant, laisser cette décision n'être que bonne à préserver leur relation avec Milo, le coeur de l'enjeu. Ou alors, ils pouvaient laisser leurs coeurs parler et risquer que la décision ne soit bonne que pour eux, et pas pour les autres. Il risquait gros, Elmo. Il risquait son amitié, il risquait son groupe. Et même si ces deux enjeux étaient assez gros pour le convaincre de refouler définitivement ses sentiments et leur vision de cette soirée-là, il n'arrivait pas à le dire. Les autres, ils peuvent bien raconter ce qu'ils veulent. As-tu réellement besoin d'eux pour repenser à ce qui s'est passé entre nous ? Parce que Bella, non, elle n'en avait pas besoin. Lorsqu'elle fermait les yeux, elle revoyait toutes les scènes clairement. Elle n'avait pas besoin qu'on l'aise à se souvenir, elle y arrivait très bien seule, malheureusement. Les ragots qui se faneraient, eux, ils ne seraient que bénéfiques pour maintenir secret leur dérapage de celui qu'on ne devait pas prononcer le prénom, mais entre eux, ils sauraient toujours ce qu'ils avaient fait. Ils ne pouvaient le nier, ils pouvaient seulement éviter d'en parler. Les deux étudiants ne pouvaient pas mettre les choses au clair entre eux sans mentionner l'éléphant dans la pièce, Milo et la relation qu'ils entretenaient tous les deux avec ce dernier. Quand Elmo mentionna la relation complexe que la brune entretenait avec son amie, elle se sentit quelque peu attaquée. La belle laissa un soupir s'échapper alors qu'il prétendait qu'elle cherchait à se convaincre elle, plutôt que lui, de la finalité de leur histoire. Le problème, c'est que si même toi tu ne me crois pas quand je te parle avec mon coeur, personne ne le fera, lâcha-t-elle, déçue. Milo, il lui avait dit maintes et maintes fois que leur histoire était terminée. Ce n'était pas à défaut d'avoir tenté de le reconquérir, et ce jusqu'à récemment. Mais c'était terminé. Il allait toujours l'aimé, d'une certaine façon, et elle aussi, d'ailleurs, mais Bella ne se voilait plus la face à présent. Elle avait droit au bonheur, elle aussi. Peut-être pas avec Elmo, parce qu'il représentait l'interdit, peut-être qu'elle s'était complètement tiré dans le pied en s'approchant de lui. Mais pour l'instant, le mal était fait et son coeur battait bien trop fort pour le laisser croire qu'elle n'avait d’yeux que pour son ex. Elmo, il avait pris une place importante dans sa tête et dans son coeur en l'espace de quelques jours seulement. C'est là qu'elle prit ses mains, qu'elle chercha du courage et du réconfort à la fois alors qu'il avouait, lui aussi, n'être pas indifférent à son charme. Mais il retira tout de même doucement ses mains de l'emprise de la Costaricaine, retrouvant une distance nécessaire entre eux pour respirer et réfléchir plus facilement. Tu as raison... Finit-elle par avouer, vaincu. On risque gros. Tous les deux. Puis je m'en voudrais de te faire perdre ton groupe et ton ami, par la même occasion, pour une histoire qui nous mènera je ne sais trop où. Mais elle soupira à nouveau quand il la désigna sienne, à Milo, à son ex. C'est injuste de me voir comme ça. Il m'a quitté, Elmo. Il m'a brisé le coeur, parce que j'ai voulu son bien, parce que j'ai cherché à le protéger de la galère dans laquelle il s'enfonçait avec sa putain de drogue. Elle était révoltée, fâchée, déçue, peinée. Il m'a quitté et aux yeux de tous j'suis encore sa possession. Je l'aime beaucoup, je vais toujours l'aimer, mais je refuse d'être réduite à son objet. Puis, j'suis certaine qu'il ne se gêne pas pour rencontrer des filles. Elle roula les yeux au ciel, froide, distante. Ok, j'ai merdé en m'accrochant à son ami, j'admets mes torts. Mais j'suis censée faire quoi, là, Elmo ? Bella baissa à nouveau les yeux. Parce que même si ma tête me dit que c'est la solution la plus logique de t'oublier, mon coeur lui, il ne veut pas. J'ai pas envie. Non... j'ai pas envie

Elle avait raison, Bella. Elmo n’avait certainement pas besoin des autres pour lui rappeler à quel point cette nuit avait changé ses fantasmes, changé ses envies. Il n’avait plus besoin d’aller chercher bien loin lorsqu’il laissait son imagination emporter son excitation. Il n’avait qu’à songer à Bella, à ses courbes, à son corps nu, et il était comme projeté à nouveau dans ce passé auquel il s’accrochait, incapable de laisser aller cette heure inoubliable. « Non … Je n’ai pas besoin d’eux pour ça, ma tête le fait très bien toute seule. » Lâcha-t-il en haussant les sourcils, regardant autour de lui. Il soupira. « Mais ils n’aident pas. » Ajouta-t-il. Si Elmo aimait habituellement être le centre de l’attention, il s’y était rarement retrouvé pour des raisons qui l’affectaient autant. Pour quelque chose qui pourrait lui faire perdre gros. Il avait ce sentiment constant d’angoisse, et à chaque fois qu’il recevait un texto de Milo depuis une semaine, il avait cet instant de panique avant de l’ouvrir et de constater que ça n’avait rien à voir avec Bella. Le moment où ce le serait, il le redoutait. C’est pourquoi il tentait le tout pour le tout en cachant ses sentiments, en cachant ses souvenirs, en essayant de garder cette histoire d’une nuit complètement secrète. Si seulement ça n’avait été que ça, une histoire d’une nuit. C’aurait été bien plus facile. Mais il avait fallu que ce soit Bella et qu’elle soit aussi belle, aussi douce, aussi intelligente. Il avait fallu que son meilleur ami tombe amoureux d’elle le premier et que lui débarque, des années trop tard. « C’est pas que je te crois pas … C’est juste que … pas que je vous stalke hein, mais je vois les commentaires que vous échangez sur Instagram, les photos que vous postez de l’un et de l’autre et j’sais pas … J’sais pas si j’me vois vraiment me mettre en travers ça. » Si elle semblait convaincue que cette histoire était achevée, Elmo ne le voyait pas du même œil. Un amour aussi fort ne s’oubliait peut-être jamais totalement. Mais les sentiments qu’il éprouvait, lui, pour Bella, saurait-il les mettre de côté ? Il l’ignorait. Peut-être, avec le temps, oui. Mais de la revoir à tous les jours à l’université, de la voir rire et boire avec d’autres à toutes les fêtes qu’ils organisaient ensemble, ça le tuerait de l’intérieur. Mais dans la balance, Elmo préférait souffrir en silence que de voir son monde s’écrouler autour de lui. Et son monde, c’était son band, c’était Milo. « Right ? Après tout on sait même pas où on s’en va avec ça, alors de tout risquer … » Il cherchait une confirmation dans les paroles de Bella, qu’elle lui dise qu’effectivement, ça n’en valait sans doute pas la peine. Elmo, lui, n’arrivait pas à se raisonner de lui-même. Sans doute parce qu’elle n’était pas qu’une amante comme une autre, qu’elle avait réussi à le toucher d’une manière totalement différente des autres. Alors quand elle se vexa pour ses paroles qui la désignaient presque comme l’objet exclusif de Milo, il se sentit complètement con. Il lui avait fait de la peine, il l’avait fâchée, et contrairement à ce qu’on aurait pu croire, ça ne lui plaisait pas du tout. Elmo n’arrêtait peut-être pas de la décevoir, coup après coup, mais c’était seulement parce qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il devait faire. « Je me suis mal exprimé, je m’excuse, je ne voulais pas que tu te sentes comme sa possession, ce que je voulais dire par là c’est que … pour moi, t’as toujours été son ex, tu vois, enfin je te réduis pas non plus à cette simple caractéristique, j’te vois pour tout e que tu es, et c’est peut-être ça le problème d’ailleurs … Bref, ce que je tente de dire c’est que t’es l’ex d’un de mes meilleurs potes et ça se fait pas. Ça se fait juste pas. » Et pourtant il l’avait fait une fois, cette nuit-là. Mais s’il pouvait la faire passer pour une erreur, il s’en sauverait peut-être. S’il recommençait, Elmo ne convaincrait plus personne de l’absence de sentiments envers Bella. « J’ai pas envie non plus … Crois-moi … » Il posa sa main sur celle de Bella après avoir jeté un coup d’œil autour d’eux. Il laissa ses doigts s’entremêler aux siens, caressant doucement sa peau de son pouce.