(#Chez Prim) Breathe into me

Prim ouvrit lentement les yeux. Enroulée dans sa couette, de la même façon qu'une tortue se cache dans sa carapace, elle ne s'était pas rendue compte que le jour s'était levé et que le soleil était déjà haut dans le ciel. La lumière entrait abondamment dans sa chambre. Mais la jolie française n'avait pas du tout envie de se lever. A quoi bon ? C'était les vacances, et elle n'avait rien à faire aujourd'hui. Elle n'avait aucune raison de se lever, alors pourquoi le ferait-elle ? Elle n'avait même pas faim. Prim sortit une main de son cocon pour attraper un mouchoir et essuyer les larmes qui perlaient aux coins de ses yeux. Il y a des nuits comme ça, que vous passez à pleurer, où tous vos souvenirs heureux et malheureux remontent à la surface. Ca fait mal. C'était ce qui était arrivé à Prim cette nuit-là. Elle n'avait pas arrêter de ressasser ses souvenirs avec Nate, avec son Nate, et elle n'avait pas réussi à trouver le souvenir. La jeune femme le revoyait encore si bien. La brunette avait encore l'odeur de son parfum dans le nez et la goût de ses lèvres sur les siennes. Tout ça était terminé. Trois ans que, pour elle, c'était terminé. Pourquoi avait-il fallu que ça finisse ? Pour une fois qu'elle était heureuse. Elle venait tout juste de goûter au bonheur et à l'amour. C'était injuste.

Finalement, on sonna à la porte. Surprise, Prim sortit la tête de la couette. Elle qui n'avait aucune vie sociable durant cette période de l'année... Elle se leva, tandis que la personne commençait à frapper avec force à la porte. "C'est bon, j'arrive... Pas la peine de s'exciter..." grommela la jeune femme en s'attachant les cheveux négligemment. Prim attrapa ses clefs et ouvrit la porte. C'était un jeune homme au teint mat, les cheveux noirs, les yeux de la même couleur, grand, avec un nez un peu trop gros. Prim n'en croyait pas ses yeux. Presque instantanément, les larmes lui vinrent aux yeux. C'était Nate. Pas de doute, c'était lui. Mais qu'est-ce qu'il faisait là ? Il était mort, non ? Choquée et surprise, Prim ne bougea pas d'un poil et ne dit rien. Elle se contenta se regarder l'individu, l'individu qui se trouvait être Nate.

Prim ne savait pas quoi penser. Elle avait l'impression d'être l'héroïne d'un film d'horreur, où les morts reviennent à la vie. Elle aurait dû être heureuse de retrouver Nate, après trois ans d'absence. Mais tout lui semblait étrange. Enfin, il était mort ! Les médecins avaient bien dit que son état était proche de celui de la mort cérébrale et qu'il n'y avait quasiment aucun espoir qu'il se réveille ! Pendant trois ans, Prim avait souffert le martyre pour essayer de se reconstruire, sans Nate. Elle sortait tout juste d'une période difficile, et un rien l'aurait fait replonger. Pour un coup du destin, elle a réussi à tenir bon, pour Nate. Au bout de trois longues années, elle avait enfin réussi à faire plus ou moins son deuil; elle était (presque) tombée amoureuse de ce débile de Perry, et il y avait aussi Pandore -avec qui elle entretenait une relation très étrange- et voilà que Nate revenait. Si bien sûr elle n'était pas victime de quelques complots de télé-réalité nouvelle génération, ou une connerie dans ce genre.
- Je suis désolé... j'ai été long... fit-il d'une voix un peu rauque, signe qu'il n'avait effectivement pas parlé depuis un bon bon de temps. Long ? Non, juste trois ans, trois ans de souffrances qui avait paru à Prim durer une éternité. Et puis pourquoi n'était-elle pas heureuse de le revoir ? Est-ce qu'elle culpabilisait de ne jamais avoir eu le courage de venir le voir, d'être au près de lui tandis qu'il se battait ? Oui, c'était sûrement ça. Elle s'en voulait et ne méritait plus Nate. Lui, il aurait passé des semaines entières à son chevet, il aurait tout fait pour Prim. Mais pas elle. Finalement, Nate lui tendit une main. Au début, la jeune femme la fixa pendant quelques instants, puis tout doucement, elle l'attrapa. Aucun doute, c'état lui, c'était son amour, l'amour de sa vie. Elle fit quelques pas vers lui, et posa son front sur sa poitrine. C'était lui... "Je suis tellement désolée. Je suis vraiment nulle, de t'avoir abandonné comme ça. Je... Je ne t'ai pas oublié. Chaque mois, je t'écrivais des lettres et je les jetais dans la mer. Je suis désolée, désolée, désolée..." chuchota Prim tandis que des sanglots secouaient son corps. Elle se mit à pleurer à chaudes larmes. Dieu qu'elle s'en voulait. Et, dieu, qu'est-ce qu'elle pouvait aimer Nate aussi.

C'était tellement incroyable, tellement impossible, tellement inexplicable et inimaginable que Prim avait l'impression que tout ça n'était qu'une vaste blague. Un rêve, peut-être. Combien de fois avait-elle rêvé du retour de Nate ? Combien de fois avait-elle rêvé de le toucher encore une fois, de l'enlacer, de l'embrasser ? Ce rêve-ci semblait juste plus réel que les précédents. Pendant ce temps, elle avait finit par s'habituer à son absence. Elle ne l'oubliait pas, au contraire, elle avait juste appris à vivre sans lui. Comme une personne qui devient handicapée; on doit réapprendre à tout faire, que ce soit à se laver ou à conduire. Depuis qu'il était parti, Prim était devenue handicapée. On lui avait arraché le coeur, et croyez-moi, vivre sans coeur, c'est très compliqué. Certes, la jeune femme était effrayée, mais elle n'imaginait même pas ce que devait ressentir Nate. Trois ans coupé du monde. Il avait manqué tellement de choses, que ce soit au niveau technologique; le cinéma en trois dimensions, les tablettes tactiles. Quand il a eu son accident, les iPhone étaient tout nouveau. Désormais, c'était devenu aussi courant qu'un ordinateur ou une télévision. Les mentalités avaient dû changer, les gens aussi. Prim avait dû tellement changé depuis tout ce temps. Plus calme, plus sombre peut-être. Mais plus forte, plus courageuse que jamais. Déterminée à ne plus jamais replonger dans la drogue. C'était la seule qui la rendait vraiment fière. Elle n'avait pas replonger, alors que ça aurait tellement facile de le faire. C'est ce que beaucoup de gens auraient fait.

Quand Nate lui assura qu'elle avait été présente, un sentiment de révolte lui prit les tripes. Non, elle n'avait jamais été là. Lui aurait été là chaque jour, chaque heure. Elle en venait à penser qu'elle ne le méritait pas, qu'il aurait été bien mieux avec une autre fille. Pendant qu'il se battait pour survivre, Prim était en cours ou en boîte. Certes, elle n'avait pas arrêté de penser à lui, mais ça ne valait pas la présence physique. Pourquoi n'avait-elle jamais trouver le courage d'aller le voir ? Peut-être qu'elle avait peur qu'il ait été défiguré pendant l'accident, ou qu'elle soit choquée de le voir si faible, lui qui avait toujours été le plus fort d'eux. Prim renifla doucement, sécha ses larmes et recula d'un pas. Ne restons pas là. La jeune femme fit rentrer Nate dans le couloir, referma la porte derrière eux et le conduisit dans le salon. Comme si de rien n'était, elle s'assit en tailleur par terre, au milieu de la pièce. Elle passa une main lasse dans ses cheveux. Je n'arrive tout simplement pas à y croire... Je suis heureuse, mais... Enfin, désolée, mais pour tout le monde tu étais mort. Tu es un zombie ou quoi ? Le pire, c'était qu'elle était sérieuse avec cette histoire de zombies. Tous les sentiments confus qu'elle éprouvait actuellement lui faisait dire n'importe quoi.

Peut-être que Prim était un peu crue ou dure avec lui. Peut-être qu'elle aurait dû sauter de joie en le voyant à sa porte, peut-être qu'elle devrait lui offrir une tasse de chocolat chaud et qu'ils discutent de sa santé. Qu'ils discutent de lui. Mais rien à faire, Prim faisait une fixette sur son retour, un retour qu'elle avait espéré mais jamais envisagé. C'est comme quand on est gamins et qu'on demande une licorne; on la veut vraiment, mais on sait pertinemment qu'on ne l'aura jamais. Et maintenant que son rêve s'était réalisé, Prim ne savait plus quoi faire. Devait-elle l'enlacer et l'embrasser, comme avant ? Elle avait tellement désiré se retrouver ne serait-ce qu'une fois dans ses bras, et désormais, elle hésitait. La jeune fille était amoureuse de lui, elle n'avait pas cessé de l'être. Parfois, elle glissait sa main droite dans la gauche et imaginait que c'était celle de Nate. Elle souriait et l'imaginait à ses côtés, et il lui semblait sentir son souffle dans son cou. Puis elle ouvrait les yeux, et ne voyait que ses mains emboîtées l'une dans l'autre. Nate s'assit en face d'elle. Ensemble, ils semblaient intouchables. Ils ne formaient pas un couple superficiel, du genre Barbie et Ken. Peut-être que tous les deux, ce n'était pas des canons de beauté et peut-être même qu'ils n'allaient pas ensemble. Mais ils s'en fichaient; ils s'aimaient, n'était-ce pas suffisant ? Ils n'avaient pas besoin de s'acheter des cadeaux, la simple présence de l'autre suffisait. Aller manger dans le restaurant le plus chic de la ville était inutile; une journée passé à la plage, entre baignade et bain de soleil dans les bras de l'être aimé, c'était trois fois mieux. Prim avait peur que cela change. Que Nate veuille changer sa manière d'aimer la jeune fille, pour compenser sa longue absence. C'était si compliqué, tout se mélangeait dans la tête de la jeune fille. Des tas de pensées s'emparaient de son esprit, et pourtant, dès qu'elle essayait de réfléchir un peu, tout s'effaçait. La tête lui tournait. Elle ne pouvait plus défaire son regard des yeux ténébreux de son... petit-ami ? Prim ne savait pas si elle pouvait le considérer comme tel. Elle l'aimait, il l'aimait, il l'avait quitté alors qu'ils étaient vraiment amoureux. Mais désormais ? Est-ce que quelque chose aurait pu changer dans leur relation ?

Nate prit la parole. Il raconta ce qu'il ressentait. De son point de vue sur le fait qu'il soit une espèce de mort-vivant. Comme si la Vie avait un instant hésité à propos de son sort, le laissant dans la salle d'attente pendant trois ans. Puis, finalement, elle a décidé qu'il méritait de vivre encore. C'était brutal pour lui. On le croyait tous mort, mais malheureusement pour lui, la vie continuait. Personne ne l'avait attendu, tout le monde avait continué de tracer sa route. Sauf Prim. Lors de son accident, un énorme trou s'était formé sur le chemin de sa vie, l'empêchant d'avancer malgré tous ses efforts. Et là, elle voyait enfin un espoir de continué. Mais désormais, elle était pleine de culpabilité; elle se rendait enfin compte de l'enfer qu'il avait dû vivre. Conscient, mais incapable de bouger ou d'ouvrir les yeux. Maintenu en vie grâce à des machines, de foutues machines. Il devait être terriblement déboussolé. Ne plus rien comprendre au monde moderne. Les nouveaux présidents, les nouvelles guerres, les nouveaux amis, les nouvelles maisons, les nouveaux téléphones, la nouvelle crise financière, tout, absolument tout, devait être dépaysant pour lui. Prim, immobile depuis plusieurs minutes, lui prit la main, tout doucement. Elle avait juste besoin de le toucher, de sentir sa main rassurante dans la sienne, pour trouver du courage. Pour une fois, la jolie étudiante décida de ne pas s'excuser. Des excuses, ça ne servait à rien. Il fallait agir, désormais.

"Je vais t'aider. Je t'aiderais à aller mieux, à t'adapter à cet horrible monde. Je ne veux pas que tu souffres encore, Nate. On est ensemble, maintenant. Enfin, je veux dire, réellement ensemble." dit-elle en souriant malgré les larmes qui brouillaient sa vue. Puis, tout doucement, elle se pencha et posa ses lèvres sur les siennes. C'était un baiser simple, innocent et pudique. Un baiser qui représentait à lui seul la force de l'amour qui unissait les deux jeunes gens.

Prim savait qu'elle aurait dû passer outre sa culpabilité. Qu'elle devait, maintenant que Nate était de nouveau bien vivant, faire en sorte qu'il vive le mieux possible sa réinsertion dans la société. Des remords, c'était normal qu'elle en ait. Mais désormais, elle devait se montrer plus forte que jamais. Le retour de l'être aimé, c'est toujours un évènement magnifique. Sublime, inoubliable. Alors pourquoi, au lieu d'éprouver une immense et intense joie, se sentait-elle encore plus honteuse et coupable qu'avant ? Pourquoi maintenant ? Peut-être avait-elle peur que le bel Australien lui en veuille. Qu'il soit en colère, lui, alors qu'il était normalement aussi doux qu'un agneau. Pourtant, il ne paraissait pas en colère contre qui que ce soit. Il paraissait... fatigué, et apeuré. Il avait perdu tous ses repères, c'était normal; tout avait changé depuis trois ans. Il se retrouvait balancé dans une monde qu'il reconnaissait à peine, avec les mêmes personnes qui avait, elles aussi, changés. Prim espérait ne pas avoir trop changé, elle. Bien sûr, la disparition de Nate l'avait certainement rendue plus mélancolique, moins joyeuse, mais aussi plus mature et plus forte. Désormais, tous les malheurs du monde glissaient sur elle comme sur une feuille de lotus. Après avoir subit une telle douleur, vous êtes en quelque sorte vacciné. Les larmes, Prim ne les gaspillait plus. Elle n'avait jamais oublié Nate pendant tous ces mois. La française pensait à lui tellement souvent. Tout le temps. Dès qu'elle voyait la plage, qu'elle écoutait une chanson un peu très, quand elle voyait un couple. Elle se disait : "ça pourrait être nous deux". Elle n'avait jamais cessé de l'aimer, de croire en lui, et même si ça faisait mal, elle n'avait jamais voulu tourner la page. Et elle ne voulait pas que Nate croit qu'elle l'avait oublié. Parce que ce n'était vraiment pas ça.

La jeune femme imaginait facilement les souffrances qu'avait pu endurer Nate. Elle se mettait à sa place; elle avait "dormi" pendant trois ans, et à son réveil, quoi, son petit ami n'était pas là ? L'incompréhension, d'abord. L'espoir idiot qu'il pense encore à elle après tout ce temps. Et ensuite, le désespoir. Il n'était pas venu une seule fois. La colère, ensuite, pendant un court moment. Et finalement, le désarroi, le vide total. Le sentiment d'être seul dans ce flot de monde. Il reconnaissait les bâtiments, les gens, c'était pareil, mais tout avait changé. Combien de fois devait-il s'être dit qu'il aurait mieux fait de mourir ? Des tonnes, sans aucun doute. Prim l'aimait tellement. Il s'était battu, il était courageux. Elle était fière de lui. Après toutes ces années où il s'était occupé d'elle, où il l'avait soutenu jour et nuit pour qu'elle devienne enfin quelqu'un de bien, c'était terminé. La jolie brune avait une dette envers lui, une dette de vie; elle se devait de l'aider. C'était la moindre des choses. Son mal-aise venait sûrement de là; il l'avait toujours aidé, il lui avait toujours donné, sans rien demander en retour. Et Prim, cette garce, n'avait rien fait pour lui. Elle n'avait même pas déplacé ses fesses jusqu'à Sydney pour le voir. Mais maintenant, tout ça était fini. Elle serait la petite amie la plus exemplaire. Elle serait présente pour Nate, désormais.

Ce baser qu'ils échangèrent, ce simple petit baiser, court et pudique, lui remonta néanmoins le moral. Elle savait que Nate était encore à elle, et lui, il savait qu'elle était encore à lui. Le paradis n'était pas dans le ciel, mais sur les lèvres de Nate. Prim avait eu tellement peur en le voyant sur le palier de chez elle. Peur que les choses aient changées, peur que lui ait changé, qu'il lui en veuille ou pire, qu'il trouve qu'elle ait changé. Mais non. Sa peur n'était pas fondée; rien ne changerait jamais entre eux. Ils s'aimaient, et jamais rien ni personne ne pourrait changé ça. L'amour le plus fort et le plus pur.

« Tu peux venir t'installer ici, si tu veux » commença Prim. « Je veux vraiment t'aider. Je ne t'abandonnerais plus jamais, Nate. Jamais, jamais. Je veux plus qu'on soit séparés. De quelque façon que ce soit ».