Retour d'entre les morts [Isling]

Maintenant que Perry était revenu, Aisling s'était remise à fumer sans compter les paquets. Généralement, elle profitait de l'absence d'Isaiah pour le faire. Elle savait qu'il n'approuverait pas. Souvent, elle s'essayait sur le pas de la porte, sortait son paquet et descendant une clope, puis deux. Elle ne voulait pas laisser l'odeur dans la maison, ou que Siobhan puisse être à proximité. Elle avait au moins la sagesse de s'intoxiquer seule. Sa fille avait déjà bien assez subie quand elle était dans son ventre. Elle n'avait, d'ailleurs, pas l'intention de faire la même erreur avec son deuxième enfant. Mais pour le moment elle n'avait aucun symptôme d'une éventuelle grossesse, alors autant profiter des derniers moment d'autodestruction qu'elle pouvait se permettre.

Aisling venait de rentrer de l'université. Elle vérifia qu'Isaiah n'était pas au rez-de-chaussé et elle ressortit pour s'allumer une cigarette. Au passage, elle attrapa la pile de courrier posée sur la table. Assise sur les marches du péron, a cigarette dans la main gauche, elle balayait du regard les lettre qui leur était adressé. Rien d'extraordinaire jusqu'à ce qu'elle tombe sur une lettre adressée spécialement à Isaiah. Son regard chercha l'expéditeur et son cœur se serra subitement. C'était une autre blonde qu'elle qui lui écrivait. Écrasant sa cigarette, elle froissa la lettre dans sa main et descendit au sol-sous dans lequel Isaiah travaillait. Elle s'avança vers lui d'un pas décidé, le poing serré, avant de lui agiter la lettre sous le nez.

-Elle t'écrit souvent ?

Pas de bonjour ou de sourire, l'entrée en matière exprimait tout à fait la colère de la jeune femme. Elle n'était pas d'humeur, pas d'humeur à ressentir ce soudain sentiment d'insécurité, pas d'humeur à se poser des questions sur ce que pouvait ressentir son petit ami pour son ex-copine.

Depuis le retour de Perry, Isaiah sentait Aisling plus distante, plus réservée même. Il savait que ça l’avait pas mal ébranlée, avec les discussions concernant la garde de Siobhan et la fiabilité de Perry. En bref, les doutes et les remises en question refaisaient surface et Aisling semblait se refermer un peu. C’était discret, c’était presque un détail, mais le genre à ne pas échapper à Isaiah. Entre ça, leurs essais depuis trois mois pour qu’Aisling tombe enceinte ainsi que le doctorat de celle-ci, les pensées du couple étaient assez débordées. Ce n’était pas le moment d’entrer d’autres variables négatives dans l’équation et pourtant, quand l’ébéniste vit une lettre être agitée devant son nez par une Aisling plutôt énervée, il comprit qu’ils n’étaient pas au bout de leurs peines. Évidemment qu’il savait ce que cette enveloppe contenait. Il reconnaissait l’écriture d’Ezekielle et surtout, cette lettre n’était pas une surprise. Pas plus que toutes les autres échangées. « Hey. Bon retour. » Il se recula légèrement, pour ne plus avoir le bout de papier directement devant les yeux. Il s’en empara, d’ailleurs, pour que l’enveloppe ne soit pas davantage froissée par l’irritation de l’universitaire. « On s’écrit de temps en temps, oui. Surtout quand elle débute de nouveaux contrats dans de nouveaux pays. » Ezekielle était partie jouer à la reporter autour du monde. Elle couvrait des histoires un peu partout, là où les médias la portaient. Et Isaiah lui parlait de cette petite vie un peu plus rangée qu’on n’aurait jamais imaginée pour lui. « Ça te dérange ? » Lui demanda-t-il sincèrement, parce que visiblement la blonde était agacée par cette correspondance. Peut-être parce qu’Isaiah ne lui en avait jamais parlé, lui qui n’avait jamais vu une quelconque importance à ce qu’Ezekielle et lui aient gardé contact. Lui qui n’avait jamais non plus tenté de le cacher, les lettres ayant sans doute déjà traîné ici, ou dans la caravane trois mois plus tôt.

Comme toujours, Isaiah réagissait parfaitement calmement, et Aisling ne savait pas comment réagir à ça. Tout semblait parfaitement normal pour lui. Il n’était pas comme elle, il ne réagissait jamais au quart de tour. Mais ça, ce n’était pas une surprise, elle le savait, ils avaient toujours été différents, pour ne pas dire diamétralement opposé. Alors que Isaiah et Ezekielle, eux… Elle sentait une boule naître au creux de son estomac. Elle était inexplicablement angoissée par cette lettre mais ça, il n’avait pas l’air de s’en rendre compte. De temps en temps. Ezekielle n’était jamais sorti de la vie du néo-zélandais et égoïstement, elle aurait préféré.

-Elle te raconte les voyages que tu ne peux plus faire ?

Son ton aurait pu être calme et emprunt de curiosité, mais non, il était véritablement passif-agressif. Elle savait très bien que leur relation clouait Isaiah ici. Elle en avait parfaitement conscience et ça c’était une chose à laquelle généralement elle s’interdisait de penser. De penser au fait qu’Isaiah n’était peut-être pas heureux avec elle.
Si ça la dérangeait ? De toute évidence, oui. Avait-il vraiment besoin d’une réponse ? Maintenant qu’il avait reprit l’enveloppe, les bras d’Aisling étaient croisés sur sa poitrine. Sans doute n’était-ce pas l’attitude la plus propice à la communication. Mais comme beaucoup le savait, la blonde et la communication, ça faisait deux.

-Non je suis très heureuse de savoir que tu t’entends aussi bien avec ton ex. Au moins je sais déjà que quand on ne sera plus ensemble tu penseras encore à moi.

Sentant sa main se mettre à trembler, elle tourna les talons. Elle aurait sûrement dû y réfléchir un peu avant de lui en parler, essayer d’aborder le problème sereinement. Mais en ce moment, elle était tout sauf sereine.

À la question d’Aisling, Isaiah fronça les sourcils. C’était elle qui le disait, pas lui. Et il ne lui avait jamais semblé faire le moindre reproche à ce propos, à la blonde. Il ne s’était jamais plaint non plus de cette vie qu’ils menaient. Mais la vérité était que sa question cachait tout de même une vérité. Ezekielle vivait effectivement les voyages qu’Isaiah ne faisait plus depuis quelques années maintenant. Et il les vivait à travers les récits de son ex. « Elle me raconte les voyages que j’ai décidé de ne plus faire. Ce n’est pas une question de pouvoir ou de ne pas pouvoir les faire. » S’il le voulait, Isaiah pouvait partir dès demain. L’argent n’était jamais vraiment une question parce que même en voyage, il vivait de manière minimaliste. Plus encore qu’ici sans doute, même. Alors pourquoi ne partait-il pas à l’aventure, lui qui avait vécu ce mode de vie pendant la majeure partie de sa vie d’adulte ? Ça lui manquait, pourtant. Terriblement. Mais peut-être pas autant qu’Aisling et Siobhan lui manqueraient, si elles ne le suivaient pas. Innocemment, maladroitement, Isaiah demanda à sa copine si ça la dérangeait, alors que c’était indéniablement le cas. D’ailleurs, elle explosa de sarcasme. Sans lui laisser le temps de répondre, elle tourna les talons et commença à remonter les escaliers. « Ais. » Elle ne s’arrêta pas. « Aisling ! » Répéta Isaiah, en déposant ses outils sur un meuble inachevé, avant de se lever pour aller la rejoindre à l’étage. « Quand on ne sera plus ensemble ? Qu’est-ce que je suis supposé comprendre de ça ? » Ils essayaient d’avoir un enfant depuis des semaines et elle lui parlait de rupture ? Il s’arrêta à ses côtés, lui laissant tout de même l’espace dont elle semblait avoir besoin. Elle était trop à cran pour qu’il tente de la toucher. Ils avaient d’abord besoin de raisonner à deux. « On s’écrit depuis des mois et je suis pourtant toujours là. C’est pas parce que t’es tombée sur une des lettres que ça changera. » Dit-il, tentant de comprendre d’où provenait cette soudaine colère et ces remises en question inattendues.

Décidé. Evidemment que c'était lui qui l'avait décidé, parce que ne l'en avait jamais empêché. Enfin, pas de façon claire, pas comme quelque chose qu'elle lui ordonnerait. Mais il savait, Isaiah, comme ça lui ferait du mal si jamais il s'en allait, même pour quelques semaines seulement. Aisling prendrait sans doute ça pour un abandon, ça avait déjà été le cas à une époque où il n'était encore qu'amis. Mais, s'il en avait besoin, vraiment besoin, que dirait-elle ? Enfin, pour le moment, la question n'était pas là. Même s'il avançait le fait qu'il l'avait décidé, tout ce que ressentait la blonde, c'est qu'il devait surtout se sentir forcé de ne pas le faire. Même s'il lui affirmerait le contraire, encore et encore.

Elle remonta précipitamment après avoir dit des mots qui dépassaient de loin sa pensée, mais exprimait sans aucun doute son sentiment soudain d'insécurité. Elle l'entendit crier son prénom, mais elle avait besoin de s'enfuir, de réfléchir, de pleurer aussi. Elle l'entendit, juste derrière elle, et elle finit par s'arrêter, dos à lui. Il lui renvoyait ses mots à la figure, elle le méritait sûrement. Elle finit par se retourner vivement vers lui.

-Je ne sais pas !

Sa voix avait explosé en cris avant que de grosses larmes se mettent à couler le long de ses joues.

-Je ne sais pas...

Elle finit par détourner le regard. Elle était celle qui était en tort, et pourtant, ça ne l'empêchait pas d'être en colère.

-Ça changera que tu seras lassé de rester ici.

Elle était réaliste, Aisling. Lui qui avait fait ça toute sa vie un jour, ce sera plus fort que lui, un jour il repartira. Pourquoi resterait-il ? Pour elle ? La jeune femme n'était pas assez mégalo pour penser qu'elle serait la seule chose qui le ferait resté. Auparavant, elle avait essayé de ne jamais y penser, à tout ça, à cette évidence, mais aujourd'hui ça semblait lui avoir éclaté au visage.

-Et puis, elle est comme toi après tout...

Cette autre blonde. Sans doute Ezekielle n'avait jamais été que la seule femme de la vie d'Isaiah. Si le destin semblait les avoir séparé, il ne suffisait que d'un petit coup de vent pour qu'ils se retrouvent après tout, non ? Les pensées de la jeune femme étaient broyées de doute. Elle ne savait pas pourquoi il avait suffit d'un nom sur une enveloppe pour la mettre dans cet état, pour avoir l'impression qu'elle allait le perdre lui. Peut-être parce qu'elle avait l'impression qu'elle perdait doucement tout ce à quoi elle tenait.

Délaissant son travail inachevé, laissant tomber ses outils au sol sans y prêter davantage d’attention, Isaiah avait suivi Aisling d’un pas rapide. Pas parce qu’il était énervé. Pas parce qu’il cherchait à la rattraper pour l’arrêter. Mais parce qu’il s’inquiétait de cette explosion dont la source lui était inconnue, il s’inquiétait de ces pensées générées par une simple lettre d’une femme qui était loin, bien loin. Mais Aisling savait sans doute que pour Isaiah, loin des yeux loin du cœur ne faisait aucun sens, et que toute la distance du monde ne suffirait pas à éteindre les flammes de son cœur quand il aimait. Ce qu’elle ne semblait pas comprendre toutefois, c’était que c’était elle qu’il aimait désormais. Aisling. Bien sûr qu’il porterait toujours Ezekielle dans son cœur, parce qu’elle avait eu une place importante dans sa vie. Mais il ne l’aimait plus de cette manière bien unique. Une fois en haut, au même étage que la blonde, Isaiah la questionna sur le sens de ses paroles crachées injustement. Elle ne semblait pas savoir plus que lui tout ce que cela signifiait. Lorsqu’il vit les larmes rouler le long de ses joues, Isaiah s’avança doucement vers elle. « Ok, ok … C’est pas grave de ne pas savoir. » Dit-il d’une voix tendre, le cœur serré. « Je cherche juste à comprendre ce que j’ai fait pour causer toutes ces insécurités … » Et comme il le lui expliqua, il correspondait avec Ezekielle depuis des mois déjà et ça n’avait pourtant rien changé à sa relation avec Aisling. Au contraire, même, ils avaient déménagé ensemble et planifié l’arrivée d’un bébé. Il soupira quand la blonde lui parla de se lasser d’être ici. La vérité était qu’il ne savait pas quoi répondre à ça. Isaiah avait toujours tenté de ne pas se projeter des années dans le futur. Déjà, de vouloir fonder une famille avec sa petite amie, ça voulait dire beaucoup. « On n’en est pas là, Ais … » Mais ce n’était pas une réponse suffisante, il le savait. Elle revenait de toute façon à l’assaut en ajoutant qu’Ezekielle, elle, elle était comme lui. « Peut-être. Et pourtant ça n’a pas fonctionné entre elle et moi. » Parce qu’elle avait voulu repartir et lui avait voulu donner une chance à cette vie dans un seul et même endroit. Mais que se serait-il passé s’il l’avait suivie ? Seraient-ils toujours ensemble ? Peut-être. Il ne le saurait jamais, Isaiah. « Ces lettres n’ont rien de lettres d’amour, ou de regrets, Ais’. Ce sont des lettres pour prendre des nouvelles d’une amie qui m’est chère. » Il n’allait quand même pas mentir en disant qu’il n’en avait plus rien à faire d’Ezekielle. Mais il ne cherchait plus à construire quoi que ce soit de nouveau avec elle. Pas comme avec Ais.

Ce qu’il avait fait ? Il ne faisait jamais rien, Isaiah. Il ne faisait jamais rien de travers. C’était elle, toujours elle. Et un jour il finirait par se lasser, c’était inévitable. Ils s’étaient tous lassés d’elle, de son inconstance. Mais si Aisling avait toujours été convaincue que les autres ne l’aimaient pas, contrairement à Isaïah, elle arrivait de moins en moins à se convaincre que ce fait allait changer quelque chose à l’issu inévitable de ses relations. Les yeux détournés de lui, elle finit par hausser les épaules.

-On est juste différents.

Et c’était visiblement ça, qui lui conférait ce sentiment d’insécurité. Ca et la désagréable sensation que le sort essayait de lui prendre tout ce à quoi elle tenait.

Peut-être que pour le moment ses voyages ne lui manquaient pas, mais si finalement ça arrivait ? Qu’est-ce qu’il se passerait pour eux ? Elle secoua la tête quand il ajouta que ça n’avait pas marché entre lui et Ezekielle. Ce n’était pas tout à fait vrai, enfin, pas du point de vue de la jeune femme. Ils ne s’étaient pas quittés sur une dispute. Le travail de son ex l’avait seulement amener à rester loin de Bowen. Et si elle revenait ? C’était peut-être ça qui l’angoissait le plus. Si Ezekielle revenait dans la vie d’Isaiah comme Perry venait de revenir dans la sienne ?

-Je le sais, Isaiah.

Elle n’avait même pas imaginé qu’il pouvait lui écrire des lettres d’amour, elle n’en avait pas eu besoin pour se mettre dans un tel état. Essuyant les larmes qui avaient coulées le long de ses joues d’un geste de la main, elle finit par reculer jusqu’à atteindre le canapé et s’assit, le regard bas.

-J’ai peur que tu m’abandonnes.

Elle avait doucement murmurer son aveu. Elle avait du mal à l’admettre, le verbaliser mais c’était bel et bien pour ça qu’elle se sentait si mal.

Le nœud du problème était-il réellement leur différence ? Isaiah n’osait croire que toute cette scène n’était le résultat que de leurs personnalités contraires en certains points, et pourtant bien similaires pour d’autres. Personne ne se ressemblait en totalité, c’était bien là la beauté de la diversité humaine. Sept milliards d’êtres et pourtant pas un seul n’était le même. N’était-ce pas extraordinaire ? Pour Isaiah, qu’il ait pu trouvé l’amour en la personne d’Aisling, ce n’était pas étonnant, c’était magique. L’amour lui-même l’était, magique. « Et alors ? On était différents y’a des années de ça, et y’a un an aussi quand on a décidé d’être ensemble. Qu’est-ce qui a changé ? » Parce qu’avant aujourd’hui, ça n’avait jamais semblé poser le moindre problème à Aisling. Pas à ce point-là. Au contraire, ils s’équilibraient, se complétaient. Le retour inopiné d’Ezekielle entre eux, même si ce n’était que sous forme de lettres, semblait avoir fait basculer la balance. Isaiah ne comprenait pas tout à fait pourquoi, jusqu’à ce qu’Aisling essuie ses larmes, s’assit, et déclare qu’elle avait peur qu’il l’abandonne. Isaiah la regarda de loin, un moment, un inaudible soupir traversant ses lèvres. Il était triste. Il s’approcha de la blonde et la rejoignit sur le canapé. « Je ne vais nulle part, Ais. » Il posa sa main sur sa cuisse, la caressant doucement de ses doigts. « Et si j’ai envie de repartir, so what ? Ça n’a pas à être long et surtout, rien ne nous empêche de partir ensemble, pas vrai ? On n’a jamais voyagé ensemble. Peut-être que t’y prendras goût autant que moi. » Déclara-t-il dans un sourire, un sourire à la fois d’espoir et de réconfort.

Ce qui avait changé, c’était sans aucun doute le sentiment d’insécurité d’Aisling. Et ce n’était aucunement la faute d’Isaiah, sinon la sienne. Tout était toujours de sa faute après tout.

-Rien. Je ne sais pas, je ne pensais pas à elle.

Elle finit par s’asseoir sur le canapé. Essayant de mettre des mots sur ce qu’elle ressentait, même si tout se bousculait dans sa tête. Isaiah ne devait pas comprendre, après tout, il ne lui avait jamais fait sentir qu’il partirait et la laisserait peut-être seule un jour. Mais c’était difficile pour la jeune femme.
Elle leva les yeux vers son petit ami. Elle le vit, son regard triste. Et c’était de sa faute. Elle baissa de nouveau les yeux vers le sol. Pourquoi est-ce qu’elle lui faisait ça ? Le sentant la toucher, poser sa main sur sa cuisse avec douceur, la jeune femme ne put retenir de nouvelles larmes, et elles roulèrent silencieusement sur ses joues. Elle n’osait pas relever les yeux vers lui alors qu’elle n’avait qu’à écouter le son de sa voix pour savoir qu’il ne lui en voulait pas, qu’il essayait seulement de la réconforter.

-Peut-être oui. Ou peut-être que tu te rendras compte que tu préférerais partir avec Ezekielle.

Elle se leva, s’éloignant de lui, venant s’appuyer contre la table du salon.

-Je suis désolée, je réagis comme une gamine.

D’une main elle essuya ses nouvelles larmes et remit un peu d’ordre dans ses cheveux blonds et emmêlés. Elle prit une profonde inspiration alors que son regard évitait soigneusement toute vie.

-C’est juste que… depuis que Perry est revenu… Je crois que ça m’a perturbée.

Contrariée, chamboulée, retournée, effrayée. Il y avait sans doute mille mots pour décrire plus en détail ce qu’elle ressentait.

Parce qu’il ne supportait pas de la voir dans cet état tout en se sentant si loin d’elle, Isaiah alla rejoindre Aisling sur le canapé, cherchant à comprendre un peu mieux son ressenti. Parce que même lorsqu’il s’agissait de ses propres problèmes de couple, Isaiah ne changeait pas d’idée : si elle se sentait ainsi, c’était pour une raison, et une raison légitime. Elle avait le droit d’avoir cette perception-là, mais il voulait doucement la convaincre du contraire. Ça le rendait évidemment triste, Isaiah, de savoir que sa petite amie remettait autant en question leur amour. Il ne lui avait jamais semblé faire le moindre pas vers l’arrière, au contraire, il n’avait jamais autant avancé auprès de quelqu’un qu’avec Aisling. Il n’était plus le même homme qu’avant, il était bien mieux encore. Il était moins égoïste, aussi surprenant cela soit-il. Quand la blonde mentionna encore qu’il préférerait Ezekielle, Isaiah soupira tout doucement en la voyant s’éloigner à nouveau, vers la table du salon. Il croisa ses mains entre ses genoux. « Arrête de revenir à elle, Aisling. Ça n’a rien à voir. C’est avec toi que je veux être. » Mais ça semblait difficile à croire, pour elle, aujourd’hui. Elle s’excusa alors de ses réactions enfantines. Isaiah secoua la tête. « Non, pas du tout. Mais va falloir aller plus loin que ce genre de réponse pour aller au fond de ta pensée … » Avait-il répondu calmement, voulant juste lui faire comprendre que ces pseudo-attaque de jalousie sur Ezekielle ne les mèneraient à rien. Aisling aborda finalement ce qui la tracassait vraiment. Le retour de Perry. « Tu as peur qu’il reparte à nouveau ? » Demanda l’artiste, comprenant qu’elle projetait sans doute cette peur sur lui aussi.

Isaiah questionnait, sans jugement, sans croire tout comprendre. Il questionnait pour amener Aisling à élaborer sa pensée, parce que pour le moment ça ne lui semblait pas clair et organisé. Il questionnait parce qu’il avait l’impression de saisir le problème sans pour autant en avoir la conviction. Aisling seule était capable de mettre les bons mots sur son ressenti, et c’était vers là qu’il tentait de la guider. Isaiah fut d’ailleurs surpris de l’entendre dire qu’elle s’en fichait, qu’il reparte. Il attendit, en silence, la suite. Elle se leva d’abord pour le rejoindre à nouveau sur le canapé, sorte de drapeau blanc qui annonçait la voie vers la résolution de ce conflit. Isaiah appuya son coude contre le dossier du divan, sa tête dans la peau de sa main, écoutant patiemment et avec attention les réflexions de la blonde. L’artiste hocha la tête au même moment où la main de l’universitaire trouvait la sienne. « Je comprends. C’est vrai que Perry ne semble pas prendre en considération l’impact que ses allées et venues ont sur son entourage. » Et sur Aisling et Siobhan plus particulièrement. Isaiah fronça les sourcils, tiquant sur la suite, alors que la jeune femme disait que cette fois, Perry lui retirait Siobhan. « Qu’est-ce que tu veux dire par ça ? Qu’est-ce que Perry t’a dit pour Sio ? » Puis, parce qu’Aisling montrait encore sa peur qu’il parte à son tour, Isaiah se rapprocha d’elle et la prit dans ses bras. Il n’était pas du genre à promettre ce qu’il ne savait pas. Et qui sait ce que demain leur réservait. Peut-être partirait-il, au fond, qu’en savait-il ? Il ne jurerait pas à Aisling qu’ils finiraient leurs jours ensemble parce que même si c’était ce qu’il souhaitait, là, présentement, tout pouvait changer au fil des années. Il n’était pas dupe. « Je te le redirai autant de fois qu'il le faut, je ne compte pas partir, Ais. » Et ça c’était vrai, il ne planifiait pas la quitter. Ça lui semblait inconcevable dans la situation actuelle. Parce qu’il l’aimait d’un amour qu’il n’avait jamais connu auparavant.  

Aisling ne savait pas trop si elle devait s'attendre à ce qu'Isaiah prenne sa défense ou bien celle de Perry. Après tout, il était un éternel pacifiste dans ce monde de brute, alors que la blonde avait tendance à cracher haine et violence après quiconque ayant eu le malheur de la contrarier. Et Perry ne l'avait pas qu'un peu contrarier. Alors peut-être sa rancune envers lui avait d'injustes facettes, qu'Isaiah tenterait de corriger. Mais, pour le moment non, il lui concédait que l'américain ne prenait pas en considération les conséquences de ses actions. Ne pas faire attention, être maladroit, c'était du Perry tout craché. Mais est-ce que c'était une excuse ? D'être simplement "comme ça". La blonde prit finalement une grande inspiration à sa question.

-Il veut que Sio' aille chez lui quelques jours dans la semaine. Je n'ai pas l'intention de le lui refuser, maintenant qu'il est ici... Enfin, Siobhan a besoin de voir son père, ce serait injuste pour elle que je refuse. Seulement, ça me...

Elle détourna le regard alors que son cœur se serrait à cette pensée.

-Ça me fait quelque chose.

Elle finit par laisser tomber sa tête sur l'épaule alors qu'il la prenait dans ses bras. Elle vint même enfouir son nez dans son cou, respirant son odeur, l'odeur rassurante de l'homme qu'elle aimait. Elle finit par hocher doucement la tête alors qu'il lui maintenait qu'il n'avait pas l'intention de partir. Peut-être que ses mots finiraient par enfouir cette peur un peu plus au fond d'elle, et peut-être même, un jour, la faire disparaître.

-C'est parce que tu sais que sinon je me glisserais dans ta valise.

Elle finit par lui adresser un sourire avant de l'embrasser sur le front.

-Ou que je te tuerais et que je ferais disparaître ton corps.

Elle lui tira la langue, essayant, pour elle-même, de dédramatiser.

Éternel pacifiste, c’est vrai, il était rare de voir Isaiah s’emporter contre quelqu’un puisqu’il tentait toujours de se mettre dans les souliers de l’autre et de comprendre son point de vue. Il était doté d’une très grande empathie qui lui permettait de se détacher de cet égoïsme dont beaucoup étaient prisonniers. Cependant, Isaiah n’en perdait pas son bon sens, et s’il pardonnait rapidement aux autres parce qu’il savait qu’il ne détenait pas lui-même la perception absolue sur ce monde, il n’en reste pas moins qu’il ne prendrait pas la défense d’une personne ayant ses torts. Perry avait fait des erreurs dans son parcours avec Aisling, et Isaiah avait été témoin de toutes les conséquences que cela avait eu sur la blonde. Alors forcément, là-dessus, l’ébéniste rejoignait Aisling, même s’il ne choisissait pas un côté pour autant. « Je comprends que ça te fasse quelque chose. Tu t’occupes d’elle depuis sa naissance, bien souvent sans son aide, à Perry. Mais dis-toi qu’il essaie sans doute, justement, de se rattraper. Et de rattraper le temps perdu avec sa fille. Et puis, vois le bon côté, ça te permettra d’avoir quelques heures rien que pour toi, pendant la semaine. » Denrée rare pour les jeunes mères. Isaiah accueillit l’universitaire dans ses bras et tenta, une énième fois, de la rassurer quant à leur relation et la longévité de celle-ci. « T’imagines les frais supplémentaires que ça me coûterait de t’avoir là-dedans, en plus ? » Se moqua Isaiah à propos de la présence d’Aisling dans sa valise. L’autre option était tout de suite plus dramatique. Ça le fit rire. « J’aimerais bien te voir à l’œuvre. » Dommage, il serait mort.

Aisling haussa doucement les épaules aux mots d'Isaiah, essayant d'intérioriser un peu les choses avant de les exprimer. Il n'était plus temps d'être une gamine capricieuse, mais une adulte responsable qui savait communiquer. Même si c'était honnêtement loin d'être son fort.

-Je sais très bien qu'il aime Siobhan, et qu'il essaye de rattraper le temps perdu avec elle. Il ne veut que son bonheur, je ne doute pas de ça. Quant à se rattraper vis-à-vis de moi... Je ne sais pas. Je suis persuadée qu'il ne sait même pas ce qu'il a fait de mal. De toute façon, il ne peut pas se rattraper, on n'efface pas le passé.

Si le pardon était une chose qu'Isaiah maîtrisait, Aisling beaucoup moins. Elle ne niait pas que c'était un défaut, mais avec son sale caractère, difficile de lui faire changer d'opinion sur quelqu'un. Elle releva son regard avec Isaiah avec un petit sourire. Quelques heures sur elle, ce n'était pas faux. Et qu'est-ce qu'elle en ferait de ces heures-là ?

-Tu veux dire que ça fera plus d'heures pendant lesquelles tu seras obligé de me supporter ?

Le regard de la blonde se transforma en expression amusée alors qu'il lui parlait des frais supplémentaires de bagages. Elle prit un visage d'ange alors qu'elle se blottissait un peu plus dans ses bras.

-Mais je suis toute légère voyons !

Elle secoua la tête à ses dernières paroles avant de déposer un baiser sur le bout de son nez.

-Ne souhaite pas trop me voir enterrer un corps, on ne sait jamais, ça pourrait arriver.

Après tout, Aisling avait ses excès de violence. Même si ça n'avait jamais été aussi extrême, et que ça ne le serait probablement jamais. Mais il était toujours difficile de dire ce que l'avenir réservait. Si la blonde croyait en la sélection naturelle, il était clair et net que certains être humains sur terre n'auraient jamais dû se reproduire et pourtant...