you again ? (arthur)

Accoudée au comptoir du Elm Street avec une certaine nonchalance, les yeux plongés dans le vide, je joue nerveusement avec la paille de mon verre déjà vide. Après cette journée chaotique, je n'ai rien trouvé de mieux à faire que d'entrer dans ce bar pour me changer les idées, en sachant pertinemment que ça ne fonctionnerait pas. Je m'en veux tellement de ne pas avoir su trouver le courage de retourner au travail, de reprendre mon poste que j'ai laissé de côté depuis déjà trois mois. En même temps, comment pourrais-je y retourner comme si de rien était ? Je suis terrifiée à cette idée et même pas sûre que le temps y changera quelque chose. Le barman me sort de mes pensées lorsqu'il pose devant moi un verre que je n'ai pas commandé. Je lève les yeux vers lui au moment où il me montre d'un signe de main un jeune homme assis au bar à quelques centimètres de moi. « Je crois que t'as une touche. » Il accompagne sa phrase d'un clin d'œil et retourne à ses occupations. Je suis d'abord surprise que quelqu'un me paye un verre, c'est pas quelque chose qui se passe tous les jours non plus, puis je comprends mieux le geste quand je pose mon regard sur l'inconnu, pas si inconnu que ça. Son visage me revient directement en mémoire. Ce journaliste qui voulait m'interviewer à propos de l'accident et que j'ai gentiment envoyé se faire voir. Quoi que je fasse,  où que j'aille, cette histoire me suivra tout le temps. Je soupire en levant les yeux au ciel pour lui montrer que son geste n'est pas vraiment le bienvenu. J'attrape quand même le verre et me lève pour me diriger vers lui. « Encore vous ? » Je pose le verre sur le comptoir, devant lui. « Vous me suivez ou quoi ? » Bon, je suis peut-être un peu parano sur les bords mais c'est quand même étrange. Et même si c'est le hasard, je sais que son geste n'est pas désintéressé. Je ne le connais pas, mais dès notre première rencontre, j'ai compris qu'il est du genre à forcer pour obtenir ce qu'il veut. « Vous pensez que c'est en m'offrant un pauvre verre que je vais accepter de répondre à vos questions ? Vous rêvez un peu. » que je finis par dire en le foudroyant du regard. J'ai simplement envie qu'on me fiche la paix, mais apparemment, c'est trop demandé.

En ce moment, t’étais morose. T’arrivais pas à avancer dans ton travail, t’arrivais pas à pondre un article digne de ce nom. Et puis lorsqu’on te connaissait, on savait que le travail c’était toute ta vie et ce qui animait ton quotidien. Ce soir, tu t’étais dirigé vers le Elm Street pour échapper à cette morosité surement. Et tu t’adossais au comptoir en commandant une bière au barman. Tu balayais la salle du regard et à l’autre bout du comptoir, tu remarquais Adelaïde. Cette fille, t’avais essayé de l’interviewer plusieurs fois pour avoir une histoire en or après l’incident qu’elle a eu sur son lieu de travail. Et tu avais surement un peu trop insisté. Pour éviter de causer quelques problèmes que ce soit, tu demandas au barman de lui emmener un verre que tu paierais ensuite. C’était une manière de dire pardon, dans ton langage. Mais l’australienne n’avait pas l’air d’apprécier ce geste. Tu le remarquais lorsqu’elle arrivait vers toi, assez remonté. « Hé, hé ! Calmez-vous, c’était pas méchant » dis-tu simplement en levant les mains en l’air comme pour t’innocenter. « C’est le hasard qu’on se croise ici, c’est tout » ajoutas-tu en haussant les épaules. Tu pris une gorgée de ta bière avant de la reposer sur le comptoir et de reporter un regard vers la brune. « Non, je voulais juste m’excuser d’avoir été aussi insistant. J’aurais pas du faire ça, j’pensais qu’à moi et pas à ce que ça vous faisiez de ressasser cet évènement… » finis-tu par dire en reportant un regard vers ta boisson. C’est vrai que t’avais toujours pensé à ta gueule avant de penser à celle des autres surtout lorsqu’il s’agit de ton travail.

C'est vrai que je suis un peu sur les nerfs en ce moment, je vois le mal partout et pour le coup, oui, je vois d'un très mauvais œil le fait que ce journaliste que j'ai recalé la dernière fois m'offre ce verre. J'ai l'impression qu'il essaye par tous les moyens d'avoir un quelconque témoignage de ma part, sauf que je ne suis pas une bête de foire et cet adolescent qui est aujourd'hui dans le coma, encore moins. Je n'ai pas envie de m'afficher et de l'afficher par la même occasion. Qu'est-ce qu'il y aurait à dire de toute façon ? Je n'ai pas su le sauver, point final. J'ai surtout pas envie que mes propos soient déformés et que quelque chose puisse blesser John ou sa famille. Alors je m'approche de l'homme et je lui dis ses quatre vérités, remontée à bloc. Mais surprise, il se défend directement en affirmant que c'est un hasard si on se croise ici. Il s'excuse même d'avoir insisté la dernière fois alors je m'adoucis un peu même si je reste quand même suspicieuse. « Qu'est-ce qui me dit que vous êtes pas en train de me mentir ? Après tout, vous aimez faire ça vous, les journalistes. » Je fronce les sourcils en le regardant, en essayant de déterminer si j'aperçois ou non de la sincérité dans ce qu'il raconte. J'y vais peut-être un peu fort avec cette pique, mais c'est trop tard, elle est lancée. Le pire c'est que je n'ai aucun problème particulier avec les journalistes. C'est un métier comme tous les autres que je respecte, je n'aime juste pas quand on essaye de forcer les gens à parler alors qu'ils n'en ont pas envie. Je finis quand même par me calmer et je prends place à côté de lui. Après tout, pourquoi pas lui laisser le bénéfice du doute. « Je veux bien accepter ce verre mais je verrai plus tard si je vous pardonne votre insistance ou non. » Histoire de comprendre ses réelles intentions. Je bois une gorgée puis reporte mon attention vers lui. « J'ai cru comprendre que vous aimez beaucoup votre travail. J'aime énormément le mien aussi alors je peux comprendre que vous soyez un acharné. » Je lui accorde un léger sourire. Au fond, je ne peux pas lui reprocher de vouloir faire son travail.

Ok, t’avais totalement abusé en harcelant cette pauvre jeune femme. Et ta curiosité journalistique t’avait surement fait défaut. Mais fallait que tu saches ! Et on t’avait missioné pour ça. Mais au bout d’un moment, t’avais lâché l’affaire, comprenant que t’avais dépasser les bornes. Ce soir, si vous vous retrouviez tous les deux au Hendrix, c’était un pur hasard. Le plus total. Parce que tu n’avais pas du tout prévu de la suivre pour avoir des informations. Lorsque tu savais que c’était peine perdue, t’abandonnait tout le temps. A sa question, tu soufflais. « J’peux comprendre que vous aillez pas envie de me croire, mais pourtant c’est vrai » répondis-tu en prenant une gorgée de ta bière. Tu reposais le verre sur la table, en tournant un léger regard vers elle. C’était de bonne augure, que tu lui avais payé ce verre. Un peu comme des excuses. A ton plus grand bonheur, la brune acceptait le verre que tu lui avais offert. Elle s’installa près de toi et vous commenciez une vrai discution. « Pour moi ce verre veut dire : j’suis désolé, j’aurais pas du insisté, j’suis un gros con » avouas-tu à la jeune femme en laissant échapper un rire. Tu repris une gorgée de ton verre, qui laissait place à plus de légèreté à chaque dois que tu buvais. D’habitude t’étais un gros coincé, sauf au travail. Mais là, ça n’avait plus rien de professionnel maintenant. « Un acharné, c’est le meilleur mot je crois. Mais… j’suis sincèrement désolé d’avoir insisté aussi longtemps. Ce qu’il s’est passé ne doit pas être quelque chose d’agréable à ressasser » dis-tu avec un léger sourire. Tu voulais compatir en fait, être sympa parce que t’avait été un gros naze.

Il a l'air plutôt sincère, même si je reste sur mes gardes quand même. Je sais à quel point les journalistes peuvent être des génies pour trouver des stratégies afin d'obtenir ce qu'ils veulent. On peut pas leur en vouloir, c'est leur métier, mais leurs méthodes sont parfois limites. Alors j'accepte ce verre qu'il m'offre avec prudence. Je m'installe, bois une gorgée de la boisson en écoutant son explication. Je et lève les mains innocemment quand je l'entends s'insulter lui-même de gros con. « C'est vous qui l'avez dit. » Effectivement, il s'est comporté comme un con la dernière fois, mais il n'a pas l'air méchant. Il a l'air plutôt cool d'ailleurs quand il enlève son masque de journaliste. Je comprends qu'il est vraiment sincère quand il s'excuse une nouvelle fois, cette fois-ci ce sont de vraies excuses qui sonnent vraies à mes oreilles. Mon sourire s'efface un peu lorsqu'il affirme que ça ne doit pas être facile de parler de ce qu'il s'est passé avec cet adolescent. « C'est vrai, c'est pas agréable... Je me le ressasse déjà assez dans ma tête, tous les jours, pour avoir en plus envie d'en parler. Vous comprenez ? J'essaye juste de tourner la page, mais c'est compliqué. » Compliqué, c'est le mot. Avec ce gamin toujours dans le coma, je ne vois pas bien comment je pourrais oublier tout ça et passer à autre chose. J'essaye au moins d'arrêter de culpabiliser, à force que tout le monde me dise que ce n'était pas de ma faute. « Comme vous l'avez compris, je n'ai pas du tout envie de parler de ça. Alors, qu'est-ce que vous  diriez de recommencer à zéro ? On dira que notre première rencontre était un faux départ. » Pour joindre le geste à la parole, je tends la main à l'homme pour me présenter, un sourire amusé aux lèvres. « Enchantée, je m'appelle Adelaïde et je vous jure que je ne crie pas sur chaque personne que je rencontre. » dis-je avant de rire. « Pour le verre, on dira que vous me l'avez offert parce que vous avez eu pitié de moi, en train de boire toute seule au bar. » Je lui adresse un clin d'œil. Voilà, on peut repartir sur une bonne base.

T'avais pas envie de passer pour un menteur, alors tu lui montrais toute ta sincérité en lui offrant ce verre. Même si ça pouvait être surement mal placé. Mais bon, au moins, t'auras eu le mérite d'essayer et de tout faire pour éviter de passer pour un con. Même si elle te le faisait remarquer. Tu ris légèrement à sa remarque. Puis, tu attrapais ton verre pour en boire une gorgée alors qu'elle vint s'assoir à côté de toi. C'est vrai qu'Adelaide est très jolie, et tu n'avais même pas eu le temps de le remarquer tellement tu étais concentré sur son histoire et ton travail. Comme quoi, le boulot ça rend aveugle. « Maintenant je l'ai compris, et je promets d'arrêter d'insister. Vraiment. Je le répète mais c'est vrai » dis-tu avec un maigre sourire sur tes lèvres, pour paraitre le plus honnête possible envers elle. Tu ne connaissais que brièvement l'histoire de ce gamin tombé dans le coma et c'est pour ça que tu t'étais acharné, parce que tu voulais en avoir le fin mot. Mais la curiosité est un vilain défaut, et t'en avais fais les frais. Au moins, ça va te calmer pour un moment, toute cette histoire. « Faisons comme ça, repartons à zéro » répondis-tu en élargissant un peu ton sourire. Un faux départ, il fallait repartir sur de bonnes bases. Après tout, vous pouviez surement bien vous entendre, tous les deux. Lorsque la jeune femme te tendait la main, tu la serrais en riant légèrement à sa présentation. « Enchanté, je m'appelle Arthur et je ne m'immisce pas dans la vie de tous les gens que je rencontre » finis-tu par dire à ton tour. Puis tu souris à sa remarque. « On peut dire aussi qu'on va se tutoyer, parce qu'il n'y a rien de professionnel dans notre échange, non ? » proposas-tu à ton tour.