santa's coming for you (ezekielle)

Depuis quelques mois, j'ai l'impression d'être inactive et de ne servir à rien. Je passe mes journées à dormir et mes soirées à boire, j'avais perdu l'habitude d'avoir un emploi du temps si peu chargé. Depuis quelques jours, j'ai retrouvé le courage de reprendre le travail même si mettre un pied à la piscine me donne l'impression de faire un effort surhumain. Pour cesser de continuer à me sentir inutile, je me suis inscrite à ce jeu organisé par la ville, le Secret Santa. J'ai trouvé le concept sympa mais c'était un peu sur un coup de tête. En fait, je suis contente de recevoir un cadeau à la fin mais j'avais oublié que moi aussi, je dois en faire un à quelqu'un. Ezekielle Wakefield, c'est elle que je dois apprendre à connaître dans le but de lui offrir un cadeau qui lui correspond. On ne peut pas dire que je la connaisse, mais son nom ne m'est pas totalement inconnu. Je ne la connais qu'à travers des articles publiés sur son blog et des photos, et j'ai toujours eu l'impression qu'elle avait la grosse tête. J'ai d'abord réfléchi à une méthode pour l'approcher sans me faire griller, puis j'ai décidé de ne pas jouer le jeu, parce que j'ai autre chose à faire de la suivre partout pour savoir ce qu'elle aime ou non. Je n'y pensais même plus, à ce Secret Santa, avant aujourd'hui. Avant de la voir installée toute seule au bar de la plage. Après un instant d'hésitation, je décide de sauter sur l'occasion. Je prends place non loin d'elle, passe ma commande au barman et adresse un sourire à la blonde lorsque je croise son regard. Je me demande comment je vais bien pouvoir engager la conversation. « Dure journée ? » que je lui demande sans trop réfléchir. Ça commence bien, je vais me faire griller dans cinq minutes si ça continue. Mais en même temps, que voulez-vous que je lui dise ? Il faut un niveau de sociabilité supérieur pour jouer à ce jeu.

Ezekielle avait passé tout l'avant-midi à courir après son temps. Entre les appels et les courriels qui affluaient, se retrouver à la plage, seule avec elle-même et avec la mer lui ferait le plus grand bien. Les feux de forêt continuaient à prendre de l'ampleur sur ce beau continent qu'elle avait adopté et elle n'arrivait pas à se laisser convaincre de couvrir cette tragédie environnementale. C'était déchirant, c'était horrible. Avec les festivités de fin d'année qui approchaient, ça lui brisait encore plus le coeur de savoir que bien trop de gens garderaient de douloureux souvenirs de cette fin d'année. Son coude contre le comptoir du bar, la machoire posée dans le creux de sa main, Ezekielle griffonnait dans son cahier de notes, comme si les petits cercles et les flèches feraient disparaître tout le reste. Une jeune femme s'installa sur le siège voisin au sien. Ses traits lui paraissaient familiers, mais la voyageuse ne saurait dire si elle la connaissait. « On peut dire ça comme ça ! », répondit-elle à la jeune femme en déposant son crayon, un sourire au coin des lèvres. « Le vent de l'océan combiné au soleil est un excellent remède. » La nature, tout simplement, était son remède le plus efficace. « Puis je ne dis jamais non à un peu de compagnie ! », lança Ezekielle tout en fermant son cahier. Le barman déposa un verre devant son interlocutrice. « À quoi trinquons-nous ? » Il y avait toujours de bonnes raisons de trinquer, mais c'était sa façon d'inviter la brunette à lui parler d'elle.

Les jours passent et se ressemblent et la période des fêtes n'arrange rien. Il fut un temps où j'adorais les fêtes, tout simplement parce qu'on passait des moments conviviaux en famille et que les repas de famille, c'est sacré. Mais depuis que Woody est malade, et encore plus depuis l'accident, j'appréhende un peu cette période. L'ambiance est toujours étrange, même si j'adore passer du temps avec ma famille. Si la jeune femme a passé une dure journée, pour moi, c'est la période qui est compliquée. J'acquiesce à sa remarque sur l'océan et le soleil, la plage est un excellent endroit pour se ressourcer. Elle aime la nature, c'est déjà un bon indicateur sur sa personnalité. Je souris lorsqu'elle affirme ne jamais refuser un peu de compagnie, peut-être que ça me fera du bien à moi aussi. Et grâce à ce jeu, je suis curieuse d'apprendre à connaître cette jeune femme autrement qu'à travers des écrits. Je remercie le barman et lève mon verre pour trinquer... mais à quoi ? « Hum... à cette nouvelle année qui s'apprête à débuter ? En espérant qu'elle soit meilleure que la dernière. » J'espère en tout cas, sur tous les points. Je bois une gorgée de ma boisson avant de lever les yeux vers mon interlocutrice. « Vous êtes Ezekielle c'est ça ? » Pas très discret comme question, mais en même temps il y a pas mal de gens qui doivent connaître son nom, je pense. J'enchaîne pour me rattraper : « J'ai lu quelques uns de vos articles. Je m'appelle Adelaïde. »

Trinquer à la nouvelle année, c'était cliché, mais plus qu'acceptable. Ezekielle sourit, demeurant silencieuse. Elle leva son verre et le cogna doucement contre celui de sa nouvelle partenaire de la soirée. « À cette nouvelle année qui ne saurait tarder à arriver, alors » souffla la blonde avant de consommer une gorgée de son breuvage. Ces deux dernières années n'avaient pas été des plus douces avec elle, mais les derniers mois commençaient à être plus calmes, plus apaisants, plus agréables. Ezekielle pouvait se compter chanceuse. De façon générale, elle était bien entourée, elle faisait ce qu'elle aimait le plus dans la vie et son emploi, en fait, n'en était pas vraiment un. C'était plutôt un loisir, une passion. Elle se permettait de croire que la jeune femme avec qui elle partageait cet instant avait vécu son lot de petites tempêtes, de blessures et sincèrement, l'Américaine espérait que cette année à venir soit plus accommodante pour elle, plus simple. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire curieux lorsque son interlocutrice l'interrogea sur son prénom. « Oui, c'est exact. » Se connaissaient-elles ? Son impression d'un air familier était-il plus vrai qu'elle ne le pensait ? La jeune femme poursuit alors en indiquant avoir lu quelques uns de ses articles. « Oh ! Alors là, je me demandais ce que j'avais bien pu faire pour qu'on parle de moi ! » Elle échappa un petit rire. Son blog rejoignait un public bien précis, et bien qu'elle était consciente de la portée qu'il avait et de son évolution, Ezekielle préférait parler du contenu de ses articles plutôt que de l'auteure qu'elle était. « Enchantée, Adélaïde. » Du bout des doigts, Ezekielle repoussa encore un peu son cahier et ses stylos. La blonde ne savait pas encore pourquoi, mais elle sentait qu'Adélaïde et elle passeraient un bon moment ensemble. « Mais alors là, faudra me tutoyer, parce que je ne suis ni assez âgée pour être ta grand-mère, ni assez narcissique pour croire que je mérite d'être vouvoyée ». Ça la fit rire. « En fait, je ne suis pas narcissique du tout, mais je suis tout de même intéressée à savoir quel article t'a plu le plus. » Adélaïde avait-elle voyagé ? Venait-elle d'ici, ou encore d'ailleurs ? Planifiait-elle un voyage ? Il y avait tant à dire, à partager.

Nous faisons donc tinter nos verres pour trinquer à la nouvelle année et je bois une gorgée de ma boisson, pensive. Je ne suis pas très à l'aise, parce que même si je suis plutôt sociable de nature, je pense que je n'aurais jamais parlé à cette demoiselle si ce n'était pas pour ce jeu du Secret Santa. Mais je ne veux pas me faire démasquer si vite, et c'est pour la bonne cause puisque à la fin elle recevra un cadeau de ma part, alors je fais de mon mieux pour paraître naturelle. Concernant le cadeau, comme je n'ai aucune idée de ce qui pourrait potentiellement lui faire plaisir, il faut que je creuse un peu pour apprendre à la connaître. Pour ne pas passer pour une folle, je lui explique la raison pour laquelle je connais son prénom. Via son blog, que j'ai eu l'occasion de regarder de temps en temps. Mon rire se joint au sien lorsqu'elle indique s'être demandée ce qu'elle avait bien pu faire pour qu'on parle d'elle. Je secoue la tête. A dire comme ça, elle a l'air plutôt discrète, pas vraiment du genre à être en première page sur le blog des Writers. Je hoche la tête quand elle m'invite à la tutoyer. « Pas de soucis. Désolée de t'avoir fait te sentir vieille. » Je ris doucement. Lorsqu'elle affirme ne pas être narcissique, je me sens un peu idiote. C'était exactement ce que je pensais d'elle avant de lui adresser la parole. Les préjugés ont la vie dure. « En tant que bowenienne pure souche, je  dirais ceux sur Bowen et l'Australie en général. Mais si je veux aller plus loin, je dirais que tout le contenu est intéressant. Ça fait rêver, en fait, surtout les gens comme moi qui n'ont jamais eu l'occasion de voyager. » Et je ne dis pas ça pour la flatter, je le pense vraiment. Je me rends compte que pour l'instant, c'est elle qui en apprend plus sur moi et que ce n'est pas vraiment mon but. Même si évidemment, il va falloir échanger pour mieux la connaître. « Qu'est-ce qui t'a poussée à faire tous ces voyages ? » finis-je par demander pour en savoir plus.

Adelaïde s'excuse de l'avoir vouvoyer et se joint à elle en riant. Elle aurait pu être offusquée, mais ce n'était pas son genre. Ezekielle disait toujours qu'il était important de mettre son énergie sur les choses positives, qui nous font avancer, qui nous font grandir, plutôt que sur celles négatives qui nous gardent en place et nous empêchent d'évoluer. D'ailleurs, les commentaires des gens sur ses articles lui permettaient justement de toujours faire mieux. La jeune femme s'identifia comme étant Australienne pure souche, chose qu'Ezekielle avait cru comprendre de par son accent. Elle poursuit en parlant de ses articles de façon général, du contenu qu'elle présentait et d'un certain mode de vie de rêve qu'elle présentait à travers ses articles. « J'ai eu un petit plaisir à écrire sur Bowen, je l'avoue. Quand je suis arrivée ici pour la première fois, il y a quelques années, je n'avais encore jamais mis le pied en Australie. » Sa main droite glissa sur sa tête et elle remis une mèche de cheveux derrière son oreille. Tant de souvenirs lui revenaient alors en tête. « C'est une belle ville, un beau pays d'ailleurs. Je m'y suis attachée rapidement et j'ai écrit sur le sujet dans l'espoir de susciter la curiosité des gens d'ici et d'ailleurs. » La voyageuse prit une pause afin de consommer une nouvelle gorgée de sa boisson, puis reprit, toujours l'air rêveuse. « Tu es toujours restée à Bowen ou tu as eu l'occasion de découvrir les villes voisines ? » L'Australie lui rappelait souvent son pays d'origine, même s'ils étaient complètement différents, tous deux étaient grands et réservaient tant de petites merveilles à découvrir. « En tout cas, je suis heureuse de savoir que mes articles t'ont permit de voyager à travers mes mots, c'est un peu l'objectif de ce blog. » Et bientôt, encore plus d'êtres humains auraient accès à son travail, à ses connaissances et à ses expériences. La blonde ne pouvait faire autrement que de s'en réjouir. Elle se sentait bien, Ezekielle, mieux qu'un peu plus tôt aujourd'hui. Les feux n'étaient pas disparus et l'état d'urgence n'avait pas prit fin, mais l'instant de quelques minutes, elle avait l'impression de pouvoir mettre de côté cette crainte que ce beau pays ne soit plus jamais le même. La brunette la questionna sur sa motivation à voyager autant. « Je ne crois pas y avoir déjà vraiment réfléchit, en tout honnêteté. » C'est vrai, du plus loin qu'elle pouvait se souvenir, cela avait toujours été inné chez elle. « Je suis Américaine d'origine argentine. Enfant, je devais avoir sept ou huit ans, je crois, mes parents nous ont amené ma soeur et moi visité nos grands-parents en Argentine pour la première fois. Habituellement, ce sont eux qui venaient faire quelques séjours chez nous, chaque année. Pour ce voyage, mes parents m'avaient offert un appareil photo. J'étais aux anges. » Petite Ezekielle aurait-elle pu croire un jour que ce simple voyage d'ordre familial allait changer le cours de sa vie ? « À notre retour, j'avais une tonne de films à faire développer, j'ai mené la vie dure à mes parents un peu » dit-elle en riant. « Je me souviens les avoir collées une par une sur les murs de ma chambre, par la suite. Puis un matin, j'ai prit les pièces qui traînaient au fond de mon sac et je les ai mises dans un petit bocal. Je voulais économiser pour voir le monde, pour changer le monde à ma façon. » Ses yeux brillaient, parce que ça la rendait heureuse de repenser à tout ça, mais aussi un peu parce qu'au fond, elle avait réussit, la petite Wakefield.