Evil is coming [Kae]

Il y avait un paquet de trucs qui déraillaient dans ma vie en ce moment, mais heureusement j'avais Amara. Et par sa seule présence elle parvenait à éclaircir un peu mes ténèbres. Qui aurait cru un jour que je parviendrais à apaiser mes tracas grâce à une fille ? Pas moi ! Pourtant j'en étais là, je crois bien que j'étais amoureux... C'était grave chelou quand même, en plus elle me manquait quand elle n'était pas près de moi, et ça c'était le comble ! Jamais personne ne m'avait manqué, et il n'y avait pas forcément de raisons à ça, ça ne m'était simplement jamais arrivé et ça m'allait très bien. Je découvris récemment que ça n'avait rien d'agréable, mais ça le devenait quand je retrouvais Ams'. C'était quand même bien compliqué les sentiments, bordel ! Malgré les difficultés et les moments de doutes, je n'avais pas envie de changer une virgule à ma relation naissante avec Amara. Et puis c'était pas comme si je pouvais décider de ne plus l'aimer d'un claquement de doigts. J'avais pas choisi, ça m'était tombé dessus sans que je le vois venir. Un peu comme quand un pigeon lâche une fiente juste au moment où vous passez, à l'endroit exact où vous passez. Ça aurait pu arriver cinq secondes plus tôt, ou cinq secondes plus tard. Mais non, c'était pour votre gueule ! En plein sur la tronche ! L'amour, c'était un peu comme se faire chier dessus par un putain de piaf finalement. Le dégoût et la colère en moins évidemment. Je trouve que c'était assez proche de Cupidon comme métaphore. Même si Cupidon c'était quand même plus mignon que la merde d'oiseau... Quoi que je trouvais pas ça hyper cool le mythe d'un bambin à moitié à poil, avec des ailes, qui s'amusent à canarder tout le monde avec ses flèches à la con ! Le mec qui avait inventé Cupidon, il avait sûrement bien chassé le dragon avant...

C'était presque midi, je me faisais chier comme un rat mort. Ams' bossait et moi j'avais rien à faire de la journée. Enfin, si, on avait tous des trucs à faire, tout le temps, mais il y avait rien qui me tentait. J'aurais pu faire du ménage, mais il aurait fallut que j'ai un grave problème neurologique pour que l'envie de pratiquer ce genre d'activité ne m'effleure l'esprit... Du coup je trainais. J'avais geeké toute la matinée sans entrain et j'étais sortis pour prendre l'air. Quand je me faisais chier, j'aimais bien emmerder le monde pour rigoler, histoire de tuer le temps. Du coup comme je passais devant l'église, ben j'étais rentré, forcément. Les bigots c'était toujours marrant à faire tourner en bourrique.

Je pénétrais dans l'antre du... Hem. Dans la maison du seigneur. Il y avait du monde, tous les p'tits vieux s'étaient donné rendez-vous pour la messe. Ça me faisait marrer de voir tous ces gens se bousculer pour écouter parler un type qui racontait les mêmes conneries et ce, tous les jours. Il y avait la queue dans l'allée centrale, ça bouchonnait grave parce que la moitié des pèlerins avançaient avec une canne. Je me penchais vers la petite vieille devant moi et lui murmurai à l'oreille.

- Je serais vous, je me dépêcherais un peu. Je vous rappelle que vous avez pas toute la vie devant vous.

La momie se retourna vers moi en me regardant de haut en bas, un peu confuse. A tous les coups, elle avait rien entendu. Elle était sûrement dure de la feuille.

- Heu... Bonjour monsieur ?me répondit-elle en hésitant, cherchant probablement si elle me connaissait ou non.

C'était une question ? Ok, elle était sourde comme un pot ! Et non, on ne se connaissait pas, elle avait pas besoin de chercher de midi à quatorze heures. Les vieux je les côtoyais pas. C'était trop chiant, un peu comme les enfants.

- Bonjour madame, lui répondis-je en souriant jusqu'aux oreilles. Faut avancer maintenant, si possible avant la nuit.

Elle me regarda en plissant les yeux, générant un max de rides sur sa tronche, n'ayant visiblement toujours pas compris ce que j'avais dit.

- Oui, il fait beau aujourd'hui !

Elle me sourit et se retourna pour avancer. Je levai les yeux au ciel, soufflant un petit "oh my god" et allai m'asseoir à mon tour. Je restai au fond, j'avais pas envie d'être coincé entre deux croutons, ça empestait déjà assez la naphtaline dans tout le machin ! Ça me rappelait un peu l'école, quand j'allais m'asseoir au fond de la classe pour avoir la paix.

Tout le monde était enfin installé. Je sortis mon téléphone pour faire une partie de call of et je montai un peu le son pour faire mon connard. Rapidement les visages se tournèrent vers moi, certains confus, d'autres offusqués. Le bruit des fusillades et des râles de l'agonie, ça leur plaisait pas trop apparemment... Puis une vague de chuts m'arriva en pleine gueule comme un putain de tsunami. Je levai le nez, regardai autour de moi et souris comme un crétin. Il en fallait pas beaucoup pour les agacer. Les vieux qui étaient assis juste devant moi me fusillèrent du regard. My god, j'avais tué personne non plus ! Quelle bande de rabat-joie ! Ils aimaient pas se marrer les culs-bénis... Ils préféraient faire la gueule jusqu'à leur mort et obtenir l'absolution plutôt que de profiter de la vie... Grand bien leur fasse !

Je sortis à nouveau mon téléphone et envoyai un message à Kae. J'étais sûr que ce genre d'ambiance ça allait la faire marrer. Et à deux ce serait plus fun. Je tapais mon message, attirant à nouveau quelques regards vu que le son des touches tactiles était activé. "Je suis en train de m'éclater à l'église. Grosse ambiance, ramène ton cul, on va se marrer ! Ps: met une jupe courte". Hop, envoyé ! Ils allaient être choqué les vieux de la vieille. Le prêtre allait en tomber la bouche. Au pire, s'il faisait un arrêt cardiaque, ça ferait de l'animation.

Avec Kae, on pouvait déconner. Et c'était toujours fun. Même si au final c'était toujours moi l'instigateur de nos méfaits. Il n'y avait rien de bien méchant dans ce qu'on faisait, mais il n'y avait rien de bien gentil non plus. J'avais pas trop grandi dans ma tête, même si j'avais quitté la fac et que j'étais rentré dans la vie active. Je savais pas à quel moment c'était normal de se sentir adulte, mais pour moi rien n'avait vraiment changé. J'étais toujours pas tenté par l'idée de me ranger dans une petite vie tranquille. Le boulot ça me saoulait, et devenir quelqu'un de respectable qui était sympa avec tout le monde, ça me paraissait pas fun du tout. Pourtant autour de moi, je voyais plein de gens évoluer. Pas tous, mais la plupart. Certains de mes potes du bahut était restés coincés à un stade primaire de l'évolution eux aussi, et même si j'aimais me marrer avec eux, je kiffais pas forcément de les côtoyer tous les jours. Faut dire que c'était pas des flèches, les mecs. Je valais probablement pas beaucoup mieux, mais j'étais assez lucide pour me rendre compte que je ne voulais pas finir comme certains qui se retrouvaient carrément à la rue parce qu'ils n'avaient aucune ambition et pas d'entourage proche. Moi, j'avais des gens qui m'aimaient, malgré le fait que ça relevait d'un véritable miracle. Et même si je me fichais qu'on me voit comme quelqu'un de mauvais, j'avais pas envie de décevoir les gens dont j'étais le plus proche. C'était peut-être pour ça que je n'avais pas fini clodo.

Je brillais quand même pas avec mon parcours carrément limite. Pourtant, je faisais quand même des efforts. Après tout, j'avais un taf, et j'y allais presque tout le temps, alors que je m'y faisais chier comme un rat mort ! Ce n'était pas suffisant pour faire de moi un adulte accompli mais même si j'avais voulu essayer de devenir plus responsable, il suffisait que l'ennui ne s'empare de ma journée pour que ma tête ne me suggère de faire des trucs idiots pour tuer le temps. Certains aimaient occuper leur temps libre à bon escient, planifiant leur vie, déployant des efforts pour valoriser leur carrière. Pas moi. Moi j'avais besoin d'être stimulé. Seulement il n'y avait pas grand chose qui m'intéressait. L'oisiveté est mère de tous les vices, qu'on dit.

Du coup l'église c'était le bon plan pour se marrer. A l'heure de la messe, il y avait de quoi faire quand on aimait emmerder le monde. C'était un des rares domaines dans lequel j'excellais. Je regardais mon téléphone qui avait vibré et lus la réponse de Kae. "SALUT. Ok, j’arrive." Super, on allait bien se marrer. En attendant, je tapotais le sol du pied, ce qui agaça rapidement mes voisins au rang juste devant. Un couple de vioques se retourna pour me fixer, sourcils froncés, accentuant ainsi le paquet de rides qu'ils avaient déjà sur la tronche. Ah les vieux, aucune patience...

- Vous pouvez arrêter ce bruit, monsieur ? me demanda le type âgé.

- Votre moumoute est de travers, répondis-je en lui servant un sourire hypocrite.

Le vieux s'offusqua et tenta maladroitement de remettre son postiche en place, avant de se retourner, visiblement très vexé. J’étouffai à peine un petit rire suffisamment bruyant pour attirer l'attention des moins durs de la feuille.

Je me retournai en entendant du bruit derrière moi. Kae était là. Je la matai tandis qu'elle approchait. Ok, quand j'avais dit "jupe courte", elle avait clairement compris le message. Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire en voyant sa culotte dépasser.

- Salut River. Ça va ? T’as une petite idée derrière la tête toi non ?

- Moi ? Non. Je voulais juste m'ouvrir aux voies du seigneur, répondis-je en faisant approximativement le signe de la croix sur ma poitrine. Que ton blaz soit sanctifié, et tout et tout. Amen monsieur. Il faut lever la main droite quand on dit "Amen" ? Ah non, ça c'est pour faire genre on dit la vérité quand on est au tribunal.

La religion, c'était un concept abstrait pour moi. Ça faisait quand même un paquet de trucs auxquels je pigeais rien. J'avais probablement des activités pas assez variées. Ou alors mes légers penchants pour la toxicomanie commençaient à sérieusement me griller les neurones.

- Dis donc t'as mis le paquet avec tes fringues, bichette ! C'est juste pour se marrer ou t'as des fins de mois difficiles ? Parce que je pense que tu peux trouver un tas de clients ici.

Je fis un signe de tête pour lui désigner un papy crado qui s'était retourné exprès pour la reluquer. Il souriait d'un air vicelard en la dévorant du regard.

- Il bave, non ?

Eurk... A cet âge-là c'était pas sain d'avoir des pensées impures comme ça. Même moi je trouvais ça carrément dégueu. Et pourtant j'étais pas facilement embarrassé.

- Les vieux c'est les pires...

La mamie devant nous se retourna à nouveau, pinçant les lèvres et plissant les yeux. Je savais pas trop si elle me maudissait par la pensée ou si elle s'apprêtait à chier dans son froc, mais je ne supportais pas de voir sa sale trogne pleine de pustules... ou de kystes ou je sais pas quoi. Enfin, des petites excroissances bien moches qui faisaient un peu momie.

- Qu'est-ce qu'il y a, Mamie verrue ? Y a rien à voir, retournez-vous !

La réaction de Kae que je percevais du coin de l’œil me fit sourire. Je savais que je la faisais marrer en vrai, mais elle voulait peut-être sauver les apparences. Moi, je n'avais aucune dignité, je m'en branlais qu'on me regarde de travers ou qu'on me juge pour mes blagues qui ne faisaient pas l'unanimité.

Je baissai les yeux sans bouger la tête pour mater Kae discrètement. La demi-mesure, elle connaissait pas apparemment. Mais j'adorais ça chez elle. Heureusement que je lui avais pas dit de venir à poil. Il y avait déjà quelques vicieux qui zieutaient dans sa direction, visiblement plus intéressés par de la chair fraiche que par le prêtre qui souffrait de toute évidence de la maladie de Parkinson. Il brandit son verre - de piquette ? - en baragouinant des trucs religieux. Le vieux machin, il tremblait tellement qu'il en foutait partout. J'espérais pour lui que c'était pas un grand cru. Quel gâchis, putain !

-  Ben … ça coûte cher les études qu’est-ce que tu crois ? Et puis bon, le modeling ça suffit pas pour payer mon loyer.

- M'en parle pas, je suis à deux doigts de m'y mettre. A me taper des vieux hein, pas au modeling.

Ce qui était cool avec Kae, c'est qu'on était toujours synchro sur les conneries. Il y avait pas grand chose qui pouvait nous gêner. Même si sur elle, ça se voyait pas au premier coup d’œil qu'elle pouvait s'amuser d'histoire graveleuses.

Bon moi j'avais pas de loyer à payer, ni de factures. Merci Papa. Mais mon train de vie me coûtait quand même super cher. C'était pas facile de s'y retrouver avec un salaire minimum quand on regardait jamais à la dépense et qu'on claquait tout son fric dans des choses futiles.

- Quitte à me taper un vieux j’préfère autant juste en épouser un qui soit riche et attendre qu’il meure. Y en a par ici qui feraient d’excellents candidats, me murmura t-elle à l'oreille.

- J'aime ton pragmatisme. Bon plan.

J'agrémentai mes paroles d'un pouce en l'air et d'un regard salace. Je ne doutais pas des capacités de Kae à se trouver un crouton décrépit pour entretenir son cul.

Elles nous avaient entendus, les momies juste devant. Je les remis à leur place direct, leur arrachant des petits "Roooh" et des regards contrariés. C'était facilement impressionnables les personnes âgées, je les adorais au final. Y avait toujours moyen de se marrer avec eux, enfin à leurs dépends plutôt. Parce qu'eux en général, ils se marraient pas tellement.

- T’es quand même un peu un connard. Je suis sûre que toi aussi tu seras moche comme tout quand tu seras vieux !

Je ravalai un sourire amusé en me pinçant les lèvres.

- Je serai mort avant, t'inquiètes.

Vivre vite, mourir jeune, comme disait l'autre ! De toute façon, j'étais pas du genre à penser à l'avenir, à la mort, et encore moins à la maladie. Je vivais dans le feu de l'action, dans le présent. Aux chiottes les plans ! Aux chiottes les projets ! Carpe Diem, et tout et tout ! Heureusement que je n'étais pas du genre à m'inquiéter de ce genre de choses, sinon je serais carrément démoralisé d'avoir foiré mes études. Et au final, je m'en tartinais le scrotum avec du beurre demi-sel !

La remarque de Kae avait insulté toute l'assemblée en une seule phrase. Mais comme ils étaient tous sourds comme des pots, seuls les premiers rangs s'était retournés. Je crus même percevoir une voix lugubre et tremblante s'élever de la masse pour grogner un petit "Ah, la jeunesse..."

- Vous n’avez pas fini de nous enquiquiner oui ?!

Wow, il sortait d'où, lui ? Il avait été tellement furtif que je l'avais pas vu arriver avec sa canne, prêt à nous tabasser. C'était un putain de ninja, ou quoi ? Kae simula l'émotion de la jeune fille de bonne famille ultra choquée. Elle le faisait trop bien d'ailleurs.

- Allons, mon ami, Jésus n’a-t-il pas dit d’aimer son prochain, et de pardonner à tous ceux qui nous ont offensé ?

J'étouffai un rire dans un grognement bruyant, ne pouvant le retenir.

- Pardonnez-nous monsieur le Dieu tout puissant, parce que nous avons grave péché !

Le type nous affichait sa plus belle mine déconfite, visiblement troublé par tant d'insolence. Aucune répartie celui-là, c'était à peine drôle...

Kae en rajouta une couche en se baissant pour ramasser sa vapoteuse qui avait glissé de sa poche comme par miracle. Je vis les yeux du type âgé s'écarquiller tout à coup, brandissant toujours sa canne, comme pétrifié par un soudain regain de libido qui devait être endormi depuis une bonne trentaine d'année. Pitié, je voulais pas le voir bander...

- Coquin de sort ! s'exclama t-il tandis que toute l'assemblée se retournait sur nous.

- Alors, je me débrouille comment ?

Je me penchai vers Kae pour que tout le monde ne me voit pas m’esclaffer.

- Fais gaffe, il va saigner du nez ! A tous les coups c'est un hémophile en plus.

On était dans de beaux draps si la blague se terminait par un décès. On en entendrait parler au journal de vingt heures, à tous les coups. "Drame à Bowen. La messe de ce matin agitée par un incident. Bilan, un mort et une quinzaine de personnes en état de choc. Une cellule psychologique a été ouverte. L'enquête est en cours."

Kae se redressa et se rassit à côté de moi. Tous les deux, nous fixions le vieux monsieur qui semblait catatonique. Le prêtre lui-même avait cessé son discours. De toute façon je crois qu'il parlait en latin, il pouvait continuer, personne ne devait biter une broque à ce qu'il disait.

- Mettez-vous en PLS monsieur, ça va passer, lui conseillai-je, le regard compatissant.

La mamie devant nous se leva et l'aida à se réinstaller, visiblement tout aussi choquée que lui par notre comportement. Je pouffai de rire et soupirai tout de suite après.

- Bon, c'est quand qu'il distribue les trucs à grignoter, là ? Tu sais, les biscuits apéros ? Tu crois qu'on peut avoir du rhum au lieu du vin ? Parce qu'à tous les coups c'est de la Villageoise son picrate.

Une vague de "shhhh" m'arriva en pleine gueule, me faisant hausser les épaules d'un air faussement désolé. Ça me rappelait la bibliothèque municipale... Et le cinoche. Et les amphis à la fac. Et la salle d'attente chez le toubib... Bref, je m'exprimais peut-être un peu trop.

- J'espère qu'ils s'éclatent à la maison quand même, parce que leurs sorties, c'est pas super jouasse...