(henri) camping brothers

Une journée avec ton frère, comme avant. Ca faisait longtemps que tu n’en avais pas faites. Et tu en rêvais depuis ce jour où il a miraculeusement apparu sur ton bateau alors que tu t’y attendais pas. Et surtout, depuis qu’il t’avait présenté ses excuses. Un moyen de vous retrouver, réellement. Lorsque vous étiez enfant, votre père vous emmeniez souvent en camping pour un week-end, et pour essayer de vous canaliser. Parce que vous étiez la tornade Dickerson, et rien ne pouvait vous arrêter. C’était le seul moyen d’arrêter de vous faire courir partout et rester zen, le temps d’une journée ou deux. Et ça faisait du bien à votre père, autant qu’à vous. En souvenir du bon vieux temps, tu avais proposer à ton frère de faire du camping en forêt, tous les deux. Et puis tu avais bien besoin de lui en ce moment, tu ne pouvais plus faire comme si tout allait bien. T’avais besoin de parler et tu savais qu’il t’écouterait. Alors vous vous dirigiez tous les deux dans les fin fonds de cette foutue forêt pour planter votre campement. « Là ça me parait bien, tu penses pas ? » demandas-tu à ton ainé en posant ton sac à dos par terre. Ouais, ça devait bien faire une heure et demie que vous marchiez pour trouver un endroit où vous posez. Et puis t’étais un flemmard, tu cherchais souvent la facilité. T’attrapais une bouteille d’eau dans le sac pour boire un peu et tu la reposais par terre. Heureusement pour vous, le temps était magnifique. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. Alors ça ne poserait pas de problèmes pour une nuit en campement.

Du camping sauvage. Avec notre père, nous en faisions souvent lorsque nous étions jeunes, Flo et moi. On adorait ça. Florian plus que moi sans doute, parce qu’il était dans son élément davantage que je ne l’étais, moi, en pleine nature. Malgré tout, j’aimais ces moments de cohésion, de calme – enfin quand mon petit frère ne se mettait pas en tête de grimper au sommet de l’arbre le plus haut qu’il avait trouvé pour nous crier son exploit depuis une branche haute perchée. Flo avait toujours été le plus joyeux de nous deux, je lui avais toujours envié ça. Ca m’agaçait aussi que sa flemme légendaire l’emporte souvent sur son tempérament enthousiaste mais cela faisait parti du package.

Le camping sauvage donc. Je n’en avais pas fait depuis mon adolescence. A New-York, j’avais eu peu d’occasions, en effet. Et puis, de toute manière, j’étais occupé tout le temps. Mon travail m’accaparait au point que j’en étais venu, parfois, à considérer que dormir était une perte de temps. Depuis mon arrivée à Bowen, je m’étais détaché de ce mode de vie, mais j’en payais les frais aujourd’hui. Au moment où Flo m’avait proposé cette escapade avec lui, cela faisait une semaine que je n’étais sortie de chez moi que pour ravitailler mon frigo. Je passais mes journées en pantalon de jogging, affalé sur mon canapé, seul dans mon 20m2. Travailler à distance s’avérait plus compliqué que je ne l’avais prévu, car si je pouvais faire la plupart de mes tâches en télé-travail, mon absence de New-York me pénalisait pour ce qui était d’entretenir mes relations et ma réputation. Ma côte baissait depuis un an, ça allait vite, très vite ces conneries là. Un an plus tôt, j’étais un roi. Implacable, un agent réputé. Aujourd’hui…arf…y penser me filer le cafard.

J’avais conscience que je devais me ressaisir. Et mon projet de monter ma maison d’éditions ici alors ? Un rêve que je chérissais depuis toujours. Etre mon propre chef, être décisionnaire pour une fois…mais sans Ally, ça n’avait pas de sens. Parce que ouais…ça aussi je l’avais foutu en l’air. Pourquoi ? J’en avais pas une foutue idée. Je l’aimais bien Ally. Beaucoup même. Ca me tuait de plus la voir. La simple vision de son sourire suffisait à me remonter le moral. Avant. Putain ce que j’avais été con.

Flo était venu me cherche donc. J’avais pris une douche, m’étais rasé – pas trop tôt Henri, ça gratte ces conneries… - puis avait enfiler des fringues adéquates pour de la randonné. Nous marchions depuis presque une heure et j’avais beau essayé de me vider la tête, les mêmes idées noires m’embrumaient l’esprit. J’étais ailleurs. Flo allait bien finir par s’en rendre compte, mais je n’arrivais pas à vivre l’instant. Pourtant, j’étais heureux, au fond, de passer du temps avec lui. Cela faisait longtemps…

Quand il s’arrêta et proposa l’espace que nous avions sous les yeux pour monter notre tente, je haussai les épaules.
— Ouais, ça me semble bien.
Notre père aurait sans doute trouvé à redire quand au choix de l’emplacement. Mais je n’étais pas notre père. Et Flo non plus. Je posai, à l’instar de mon petit frère, mon sac à dos au sol, heureux de me délester de la charge que j’avais porté sur le dos depuis plus d’un heure, puis tâchai de sourire un peu.
— C’est parti ? fis-je en français tout en désignant la tente encore roulée.