ça f'sait un sacré bail [ft. Madelaine]

Accoudée au comptoir comme toujours, je passe juste mon temps à imaginer ma vie si elle n'avait pas pris un autre chemin. Aurais-je poursuivis mes études? Aurais-je même déjà commencé des stages dans l'industrie du cinéma à créer au lieu de revendre les chef d'oeuvres des autres? Stylo dans l'autre main, je gribouille sur une feuille blanche, faisant des dessins qui n'ont absolument ni queue, ni tête. Je ne sais pas si mon boss serait content de me voir avec si peu de professionnalisme -je ne pense pas en soi, ça reste un patron qui a soif de fric- mais je pense aussi qu'il comprendrait que très peu de personnes viennent par ici. Ils ont Netflix, OCS, Amazon Prime et leurs sites de streaming. On se fout maintenant du bien matériel. Il y a toujours des personnes qui font exception à la règle tout de même, comme cette tête qui vient de franchir la porte. Je me redresse, soupire, une vieille connaissance. J'ai tendance à fuir comme la peste les personnes qui me rappellent le passé, une amitié si belle et si superficielle il faut croire pour que ça ne dure pas au-dessus des années collège. "Salut. J'peux t'aider?" Que penserait la fille modèle de revoir son ancienne pote en train de revendre des choses futiles? Qu'elle a bien réussi sa vie comparé à la mienne? C'est exactement pour cette même raison que nous faisons des réunions des anciens, histoire de voir qui en a le plus chié dans son parcours, qui a le mieux réussi en les enviant en secret. "Tu cherches quoi comme genre?" lui demandais-je, d'un ton un peu las et monotone.

Je sais bien qu'elle n'était pas bien méchante Mads mais j'peux être parfois rancunière. Le fait que notre amitié se résume qu'au collège, je l'ai pris comme une sorte de trahison. Elle me parle comme si on ne s'était pas quittées mais je sais que j'en serais incapable. Pourtant avec Nova, j'ai encore contact maintenant et c'était de la même époque. Peut-être que je ne comptais pas autant pour elle qu'elle ne comptait pour moi. J'hoche la tête à sa requête et commence à tracer dans les rayons. "C'est l'une des séries les plus appréciées de maintenant avec le phénomène Cumberbatch donc je suppose qu'il nous en reste." Je cherche sur l'étagère avant de le trouver et de le récupérer. J'pourrais au fond lui demander comment elle va, qu'est-ce qu'elle fait maintenant, si elle n'est pas devenue l'une de ces filles que ses parents s'occupent mais je pense que ce serait assez déplacé. J'lui tends le coffret. "Tu veux autre chose peut-être ? Des films pour passer le temps que tu ne trouveras pas sur les plateformes de streaming? On fait de la location aussi si besoin." Et j'me dirige vers le comptoir, prête à l'encaisser.

J'l'écoute d'une oreille en soi puis hausse les épaules. "Oui souvent mais ce n'est pas dérangeant. Leur relation est bien loufoque comme je les aime, une sorte de je t'aime moi non plus." que je termine avant d'aller à la caisse pour poser le coffret. Elle est d'accord pour d'autres films alors? Très bien. Je repars dans les rayons. "Pas de films d'horreur donc." J'pourrais très bien troll en ne lui passant que ce genre de films mais ça ne ferait rire que moi. J'le récupère donc Mademoiselle de Park Chan-wook, Enemy de Denis Villeneuve, Erin Brockovich de Steve Soderbergh, Le Docteur Jivago de David Lean et finis simplement avec un film de guerre récent, 1917 de Sam Mendes. "Bon tu as un film d'amour, un que je ne saurais vraiment ranger dans une catégorie si ce n'est magouille, un qui est féministe, un autre qui est juste what the fuck mais qui fait une analogie de la femme à sa façon et un film de guerre. Tu as de quoi te diversifier." que je lui dis en lui tendant les dvds pour qu'elle les voit et me rende au pire ceux qu'elle a déjà visionné. Je retourne à la caisse. "Du coup, ça fera 75 dollars s'il te plait." Je lui adresse un sourire pincé. Je ne cherche pas à l'entuber mais on sait tous que les coffrets ne sont généralement pas donnés, surtout quand il y a toutes les saisons. "Tu règles comment?" lui demandais-je en m'agrippant directement de la machine à cartes, juste au cas où. "Et au fait, Nova va bien?" Ca fait un petit moment que je ne lui ai pas parlé mais vu qu'on est elle et moi toujours en contact et que Mads l'est d'autant plus, ça me permet juste de me rassurer à son sujet.

Un petit sourire sur les lèvres, ce genre de sourire commercial plus qu'autre chose. On a eu un passif en soi mais je ne retiens que le présent qui n'est rien d'autre qu'un grand vide rempli aujourd'hui d'une conversation presque futile. Jusqu'à ce que je mentionne Nova. La seule qui fait partie de la vie de l'une ou de l'autre. Je souris d'avantage. "Je ne dirais même pas que je suis étonnée à vrai dire." On ne la changera jamais, faut s'y faire. Puis une proposition en lui tendant le TPE, j'hausse les sourcils avant de les froncer légèrement, puis d'en arquer un. "T'es sûre que ce serait une bonne idée? Enfin... Je veux dire, je suis pas contre mais on s'est tellement perdues de vue que ça reviendrait à... Je ne sais pas, réapprendre à se connaître, ça serait bizarre non?" Je me sens déjà stressée à l'idée d'être là, à une table avec elle sans rien dire, un blanc gênant comme je les déteste. Un soupir en baissant le regard et en arrachant le morceau de papier avec la carte bancaire. "Peut-être lors d'une soirée, ça serait un peu plus convivial non?" Je m'ose à relever mes yeux sur elle, un peu crispée. "Je ne sais même pas pourquoi on a réellement arrêté de se parler. Peut-être qu'on n'était pas si proches que ça malgré ce qu'on pouvait peut-être en penser." Un sourire pincé. Je baisse ma garde. Qu'est-ce qu'elle devenait maintenant? Son frère, ses parents? Fait-elle des études, a-t-elle quelqu'un dans sa vie? A-t-elle quitté Bowen durant des années sans que je n'en sache rien même si je pense que Nova m'en aurait peut-être touché quelques mots? Je ne sais même pas ce que j'aimerais savoir sur elle à l'heure actuelle.

Un haussement d'épaules. Rien qu'en une vingtaine de minutes on s'était déjà tout dit. Un hochement de tête suivi d'un soupir, je relève mon regard sur elle. "C'est la vie, Billy comme on dit." rétorquais-je simplement. J'lui tends tout ce qu'elle a pris et la fixe durant quelques secondes qui semblent durer une éternité. "Well, je te souhaite une bonne continuation alors." Je ne dirais pas que je suis contente de l'avoir croisé car en soi ça ne changera rien à ma vie et même si les propositions de se recroiser sont là, je ne pense même pas que ça se fera ou ce serait sur un pur hasard, une soirée organisée par la ville où on se rendrait sans en avoir parlé avant. Et je la suis du regard, l'observant ainsi quitter la boutique jusqu'à une prochaine fois. Si prochaine fois il y a, toujours.