your hands were making artifacts in the corner of my mind (nika)

Un peu sur un coup de tête et par ennui, aussi, Nova avait décidé de s’inscrire à un atelier de peinture organisé par la municipalité. Il sera déroulait dans la grande salle de fêtes afin de permettre à tout le monde d'avoir l'espace nécessaire entre les chevalets. La rousse s’était décidée à la dernière minute et n’avait pas eu le temps, de ce fait, d’inviter qui que ce soit à se joindre à elle. Elle le regretta assez rapidement, d’ailleurs, puisqu’en arrivant sur place et en écoutant l’animatrice de l’activité, elle apprit qu’il fallait se mettre en équipe de deux pour la suite des choses. Le but de l’atelier était de peinturer la personne en face de soi. Pour tenter d’imager encore plus le portrait, d’ailleurs, il était possible de poser des questions à l’autre participant afin d’apprendre à le connaître et de pouvoir dessiner son âme, pas que son physique. Cool. Mais pas si cool que ça quand on vient seul. Nova regarda autour d’elle et constata que la plupart des gens, contrairement à elle, étaient venus en duo ou en petits groupes d’amis qui se séparaient aisément en équipes. Elle tritura les poils de ses pinceaux entre ses doigts, replongée à l’époque du lycée. Bon, à l’école, elle avait toujours eu des copines avec qui se mettre en équipe pour des projets, mais il y avait tout de même ce similaire sentiment de nervosité dans les premières secondes, quand elle espérait que ses bonnes amies ne lui plantent pas un couteau dans le dos en la laissant seule si le chiffre d’amis avait le malheur d’être impair. Sauf que là, en ce moment, Nova avait la certitude que le chiffre était impair : elle était toute seule. Une. Après un moment, elle croisa le regard d’une autre jeune femme qui semblait seul mais là, son sang ne fit qu’un tour dans son corps. Elle la reconnut instantanément. Difficile de se méprendre, quand on regarde ce même visage, et ce même corps, soir après soir – ou presque, elle n’était pas non plus une creep - dans la noirceur de sa chambre. Shit, pensa-t-elle. Elle aurait dû chercher des camgirls qui étaient à l’autre bout de la planète.

Trois options se présentaient à Nova, selon le calcul mental qu’elle venait de faire sous l’effet de la panique. Un, elle prenait son sac et s’en allait en vitesse en ne laissant le temps à personne de questionner. Deux, elle prétendait vouloir faire l’exercice seule même si c’était carrément stupide puisqu’elle n’aurait alors personne à peindre. Et se peindre elle-même, non merci. Elle avait déjà bien assez de mal comme ça à soutenir son regard devant le miroir. Trois, elle acceptait de faire équipe avec la camgirl dont elle connaissait déjà le visage et le corps presque par cœur, pour l’avoir regardée se déshabiller pour les beaux yeux d’étrangers dont elle ne connaîtrait jamais l’identité. Elle ne connaîtrait jamais l’identité de Nova, elle ne saurait jamais qu’elle faisait partie des viewers qui la motivaient à continuer. Il n’y avait donc aucune raison de paniquer, pas vrai ? Nova ferma les yeux un instant, cherchant la force de passer à travers ce mauvais quart d’heure, mais les seules images qui lui vinrent en tête furent la jeune femme, celle devant laquelle Nova, protégée par un écran, glissait ses doigts sous sa culotte pour rencontrer son sexe. Celle devant laquelle la rousse laissait son feu intérieur tout ravager, puisqu’elle tentait constamment de l’éteindre quand elle n’était pas seule. Celle devant laquelle elle était parfaitement elle-même, mais ne s’en trouvait que plus honteuse à chaque fois qu’elle atteignait l’orgasme et rouvrait les yeux vers cet écran qu’elle fermait alors subitement. Nova rouvrit les yeux, mais cette fois elle n’était pas devant son écran, non, elle était bel et bien devant l’objet de bon nombre de ses fantasmes, et elle s’approchait d’elle. Shit, fuck, shit. Il était trop tard pour fuir, à présent. La blonde l’abordait. Trésor, qu’elle l’appela. Nova rougit encore plus, si cela est humainement possible. « Euh … oui, je suis toute seule. » La blonde ajouta qu’elles étaient donc dans la même situation, mais c’est surtout le clin d’œil qui resta gravé dans la mémoire de Nova. « D’être seules à ce cours de peinture ? Oui, oui, je pense bien qu’on est dans la même situation. » Mettre l’emphase sur l’atelier, pas sur tout le reste qui aurait pu les relier. Nova apprit enfin le véritable nom de la camgirl. Nika. Elle aurait préféré qu’elle ne demeure qu’un autre pseudonyme random. Elle ne pourrait plus jamais regarder ses vidéos, maintenant. Ce serait trop concret, trop réel. « Moi c’est Nova. » Nova et Nika. C’en était presque drôle. Mais Nova ne riait pas. Au mieux, elle souriait, un petit sourire aux coins des lèvres, juste pour dissiper le malaise. Son malaise. « Alors, euhm … t’es douée en peinture ? Moi pas trop. Je risque de te défigurer sur le portrait … » Elle poussa un léger et court rire, gêné, avant de s’affairer à arranger son espace de création.

Intimidée, déboussolée, nerveuse, Nova aurait été toutes ces attitudes amalgamées même sans le rentre-dedans de Nika. Elle l’aurait été même sans avoir en souvenirs à la fois doux et honteux les courbes de la jeune femme tatouées dans son esprit vagabond. Parce que Nova se désorganisait inconditionnellement dès qu’elle se retrouvait devant une femme qui lui faisait tourner la tête et lui renversait le cœur. Ajoutez donc à cela le manifeste intérêt de Nika envers elle ainsi que le secret que Nova ne lui révélerait jamais, et vous obtenez une rouquine dont la gêne s’enflamme plus drastiquement encore que la couleur de ses cheveux. Elle ne savait plus où se mettre et elle avait l’impression que tous les mots qui franchiraient la barrière de ses lèvres étaient incontrôlables. Elle ne se gérait plus du tout, encore moins avec les clins d’œil et les sous-entendus de Nika. Elle ne survivrait pas, Nova, à la prochaine heure. Elle allait se liquéfier sur place, et ce n’était pourtant pas son genre de perdre son assurance d’un seul coup, sans prévenir. Nika réveillait en elle toutes sortes d’émotions contraires et elle s’y perdait, elle s’y noyait. Au moins, elle arrivait quand même encore à dire son prénom. C’était un début. Elle esquissa un sourire à la remarque de Nika sur la consonance de leurs prénoms. « Je me suis dit la même chose. Parfois le hasard fait drôlement les choses. » Le hasard que Nika et Nova se soient toutes les deux retrouvées ici, aujourd’hui, seules, les amenant ainsi à devoir se peinturer l’une et l’autre. Pour Nova, l’harmonie de leurs prénoms était loin d’être l’objet premier de son étonnement face aux coïncidences de la vie. Afin de fuir les silences que la rouquine ne supportait pas quand elle n’endurait pas ses réflexions prenant toute la place dans sa tête troublée, Nova parla de la peinture et de ses talents quasi inexistants pour cet art. Elle renvoya la question à la blondinette, qui ne manqua pas de parler de son joli minois, de la qualifier de mignonne et de l’appeler ma puce, ce qui fit rougir la rousse. Et avec un teint pâle comme le sien, c’était immanquable. Nova, qui habituellement aurait détesté qu’on l’appelle ma puce et qui se serait tout de suite mise en mode défensive, perdait actuellement tous ses moyens. Juste parce qu’elle pouvait aisément déshabiller Nika du regard, connaissant par cœur le contour de ses seins, la couleur de ses mamelons, l’emplacement de ses grains de beauté … Elle tressaillit imperceptiblement. « On fera toutes les deux des portraits dignes d’enfants de quatre ans, alors. » Lâcha-t-elle suivi d’un léger rire soufflé. « L’important c’est de participer, et d’y avoir mis un tout petit peu d’effort, pas vrai ? » S’éloigner le plus possible du flirt imminent, celui qu’elle n’arriverait pas à recevoir convenablement, voilà la solution de Nova. Elle n’était pas prête à se mettre en mode séduction aussi ouvertement, envers des femmes. Lord, elle avait encore besoin que Gretchen se voile les yeux quand elles se voyaient, pour éviter qu’elle puisse mettre un visage sur la voix de Nova, qui s’appelait Adeline pour Gretchen. Mensonges, mensonges, que de mensonges. Tout pour ne pas embrasser complètement son homosexualité. La jeune femme regarda autour d’elle et constata que toutes les équipes s’étaient mises à l’œuvre. Elle repositionna donc son canevas sur son chevalet et orienta ce dernier vers Nika. « Je ne ferai que ton visage, je pense que c’est un assez gros défi pour moi déjà … » Lança-t-elle. De cette manière, elle n’aurait pas à laisser ses yeux parcourir tous les détails du corps de Nika. Attrapant un pinceau, Nova débuta le portrait, sans technique mais surtout, sans grande concentration.

Malgré la tension dans ses muscles face à l’attitude de la blonde, Nova réussit au moins à ressentir un semblant de soulagement quand elle comprit que son interlocutrice n’avait pas davantage de talent en peinture qu’elle. C’aurait été le comble, que la rousse barbouille les traits de Nika, devenus irréguliers sur toile, mais que la camgirl réussisse à embellir Nova dans des coups de pinceaux fluides et précis. C’aurait été la preuve, encore une fois, de l’échec qu’était la thanatologue. Elle aurait dû rester auprès de ses cadavres, aujourd’hui, ils ne risquaient pas de la faire rougir. Elle conserverait le même teint qu’eux. La rouquine s’occupa les mains – à défaut de pouvoir orienter son esprit ailleurs – en préparant son espace de travail. Nika l’imita, un silence planant donc pendant quelques minutes. Un moment de répit pour Nova qui avait besoin de ramasser au plancher les parties d’elle-même qui s’étaient éparpillées tout autour dès la seconde où elle avait aperçu Nika. Pas tout à fait entière, mais un peu plus courageuse que deux minutes plus tôt, la thanatologue était enfin prête à affronter la prochaine heure en feignant l’indifférence. Elle était douée, pour ça, Nova. Feindre. Elle faisait semblant d’aimer les caresses des hommes et elle jouait à l’indifférente quand une jolie femme effleurait sa peau, réveillant le feu en elle. Elle pouvait très bien continuer cette mascarade face à Nika, elle était une belle femme comme n’importe quelle autre, pas vrai ? La seule différence était que Nova entendait la voix sensuelle de Nika comme un écho infini dans sa tête, elle revoyait les mains de la blonde qui glissait sur son propre corps pour allumer les âmes anonymes qui la regardaient d’un peu partout dans le monde, comme des lâches. Merde. C’était une différence qui creusait bien trop l’écart pour que Nova soit capable de la feindre, cette indifférence. Et Nika n’aidait absolument en rien la situation avec sa question qui prit de court Nova, manquant de s’étouffer avec sa salive. « Euh … » N’était-ce pas une règle non-écrite de ne pas relever les rougissements d’une personne, sous peine d’aggraver la couleur, sous peine de créer l’humiliation ? C’est tout ce qui se produisit chez la rouquine, qui vit s’écrouler autour d’elle tous les morceaux de sa confiance qu’elle venait à peine de recoller. « Non, non, t’as rien dit de mal. J’crois qu’il fait juste un peu trop chaud dans cette pièce. » Et pour confirmer ses dires, elle agita sa main devant son visage, alors qu’on sait tous que cette technique n’est absolument pas efficace, pire, le mouvement créait encore plus de chaleur corporelle que le vent engendré. Nova ne pouvait imaginer une question plus directe et humiliante que celle à propos de ses joues – ou plutôt son visage au complet – rouges, mais Nika revint à la charge avec une question à laquelle la rousse ne pouvait tout simplement pas répondre honnêtement. Bien sûr qu’elle lui faisait de l’effet, elle transpirait de partout. « Euh, pardon ? » Demanda Nova, déroutée, pour gagner du temps. La blonde lui répondit avec la plus grande aise qu’elle était lesbienne et qu’elle trouvait Nova attirante. Fuck, ce qu’elle aurait aimé pouvoir, elle aussi, montrer ses vraies couleurs avec si peu de crainte, et tant d’assurance. Au lieu de ça, la rousse se cachait toujours un peu plus derrière le mensonge. « Oh … Eh bien, je suis désolée, mais je ne suis pas intéressée. Enfin, pas pas intéressée par toi, t’es jolie et tout, mais, c’est juste que … Je ne suis pas lesbienne. » Déclara-t-elle, les derniers mots comme une réplique apprise par cœur pour la livrer devant un théâtre. L’actrice derrière criait : je le suis, je suis aux femmes et j’en suis prisonnière, so help me God.

Alors que Nova pensait qu’elle pourrait bloquer chacune des répliques de Nika et s’en sortir sans trop d’égratignures internes, la blondinette revenait à l’attaque avec des propositions toujours un peu plus poussées. Était-ce un jeu, pour elle ? Un défi personnel pour voir jusqu’où elle pouvait pousser le bouchon avant que Nova ne se déverse de malaise face à elle ? La rouquine sentait son cœur s’agiter dans sa poitrine et si la pièce n’était effectivement pas particulièrement chaude, elle avait pourtant bien l’impression que de la sueur lui partait des cheveux pour s’écouler jusqu’à ses pieds. Couvrir son corps complet de honte. Cette fois, Nika lui affirma qu’elle pouvait se découvrir un peu. C’aurait pu être une réponse normale et banale, un conseil comme un autre, venant de la bouche de n’importe qui d’autre. Mais venant d’elle, avec son sourire amusé et son ajout quant au fait que ce n’était pas elle que cela dérangerait, Nova ne le recevait pas d’une manière tout à fait normale. Elle le recevait comme une invitation interdite, un pas que jamais elle ne devait franchir. Les paroles de sa mère faisaient écho contre les parois torturées de son esprit. Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il corrompe ma fille unique ? Tu te trompes, tu te fais des idées, qui t’as mis tout ça en tête ? Je ne veux plus que tu voies Roxy, je savais que cette fille était beaucoup trop dévergondée, c’est elle qui te fait croire un truc pareil ? Ce que tu me dis là ce n’est pas normal, mais toi, toi tu es normale, Nova. Encore une fois, Nova détourna le regard, mais cette fois elle ne savait pas si c’était Nika qu’elle évitait, ou bien sa mère qui discourait dans sa tête. Pendant ce temps-là, la camgirl lui assurait qu’elle déconnait. La rouquine rit, gênée. « Oh, non mais, de toute façon, ça va me passer. C’est juste le temps de m’installer mais quand je serai immobile à peinturer, j’devrais m’habituer à la chaleur. » Ça lui donnait un air tout fragile, à son petit corps. Et pourtant, ce n’était pas son enveloppe corporelle qui était sensible, c’était l’être prisonnier à l’intérieur. Nova resserra un peu plus l’étau sur son identité quand elle affirma à Nika qu’elle n’était pas intéressée par elle, parce qu’elle n’était pas lesbienne. Double mensonge. Mais c’était la seule manière qu’elle entrevoyait pour que la blonde la laisse un peu plus tranquille, un peu plus en paix derrière son masque. « Non, je n’ai personne dans ma vie pour le moment. Enfin, rien de sérieux. » Que des hommes qui allaient et venaient en la laissant toujours un peu plus vide au petit matin. « Ça ne m’est jamais venu à l’idée, non … Je n’ai pas besoin d’essayer pour savoir. » Pas besoin d’essayer pour savoir qu’elle les préférait, les femmes. Qu’elle les aimait. Que seule une femme arriverait à la faire rêver, à l’exciter, à faire frémir sa peau au contact de ses doigts. « En tout cas, toi, tu me sembles bien à l’aise avec tout ça, pour faire du rentre-dedans aussi intensément sans même te soucier de l’orientation de l’autre personne. » Fit-elle remarquer, plus courageuse que deux minutes plus tôt. Peut-être parce que maintenant qu’elle avait affirmé être hétérosexuelle, elle arrivait déjà un peu mieux à en reprendre le rôle. Il avait suffi de dissiper tout doute. Nova s'empara des différentes couleurs de peinture et en déposa quelques gouttes de différentes teintes sur sa plaquette, prête à débuter.