ah, push it, push it real good (trevor)

Tenue sportive, legging plutôt moulant, Nevaeh regardait sa silhouette dans le miroir du gym en attendant son instructeur. C'est qu'elle avait signé son abonnement sur un semi-coup de tête, la veille, à distance, s'étant éprise dans plusieurs coupes de vin et une recherche nostalgique de vieilles photos de famille, lui laissant prendre conscience que son corps, la trentaine approchant, changeait. Elle ne s'était pas rendu compte que tout ça, d'abord parce qu'elle travaillait tellement qu'elle n'avait pas vraiment le temps de s'observer sous toutes ses coutures, ensuite parce qu'elle n'avait jamais porté une attention particulière à ces choses-là. Son corps, sa taille, elle l'avait toujours un peu pris pour acquis, sans y faire tellement attention, avec un régime de vie pas sainte du tout incluant peu de sommeil et beaucoup de café. Son métabolisme de la vingtaine avait fait tout le travail pour elle. Et, maintenant, elle était forcée de réaliser qu'elle n'avait plus la même taille qu'à sa vingtaine, elle voyait son corps prendre un tournant qui ne lui plaisait pas. La journaliste avait succombé, un peu pompette, à l'inscription au centre sportif qui lui offrait non seulement un abonnement au gym, mais aussi un entraineur sportif pouvant l'amener à atteindre ses objectifs plus rapidement. L'idée de montrer à un jeune homme sans doute bien pimpant ses cuisses de jambon et son ventre de camionneur ne plaisait pas particulièrement à Nevaeh, encore moins maintenant que l'alcool s'était dissipé. Mais elle avait signé, alors elle le ferait. Autour d'elle, d'autres femmes dans sa tranche d'âge, certaines au corps sculpté qui pourrait presque la rendre jalouse, d'autres avec des accoutrements particulier ornés de fanfreluches et breloques, c'était à se demander comment elles arrivaient à s'entraîner dans de telles tenues. Au loin, une silhouette masculine se dessina, sans doute lui, son entraineur. Elle le laissa s'avancer vers elle puis lui tendit la main. « Bonjour, vous êtes Trevor ? », demanda-t-elle en souriant. « Nevaeh, avant que vous le massacriez », souffla-t-elle à l'égard de son prénom trop souvent mal prononcé.

Lundi 8 juin 2020.
Complexe sportif de Western District. Salle de fitness.


Aujourd'hui matin en arrivant à la salle, mon chef m'avait annoncé que j'avais une toute nouvelle cliente. Une nouvelle membre de la secte des sportifs-en-devenir, mais restait à savoir si elle supporterait un coaching en ma compagnie. C'était toujours le problème : certain.e.s abandonnaient la salle à peine arrivé.e.s, parce qu'ils ou elles ne s'attendaient pas à se faire malmener. En revanche, les résultats pouvaient être excellents avec d'autres personnes. Tout dépendait de leur personnalité et de leur motivation. Vêtu du tee-shirt du club et d'un short, je sortis du vestiaire des hommes en fronçant le nez. Mon collègue avait installé un diffuseur d'huile essentielle, et l'odeur d'eucalyptus qui en émanait avait tendance à me faire cet effet. Surtout quand le machin enclenchait sa vapeur juste sous mon nez, ça me donnait des envies de meurtre. C'est un peu énervé que je m'avançai donc vers la nouvelle venue, qui semblait m'avoir repéré de loin. Elle me tendit la main lorsque je fus à sa hauteur, et je la lui serrai rapidement - je n'aimais pas particulièrement le contact, j'essayais de l'éviter un maximum. « Trey » répondis-je, puisque c'était ainsi que tout le monde m'appelait. Elle me donna son prénom, et je l'observai des pieds à la tête avant de lui répondre. « A priori, c'est vous que je vais massacrer. Mais c'est pour ça que vous êtes là, pas vrai ? Ah, et avec moi pas de prénoms ». Je baissai les yeux sur sa toute nouvelle fiche, puis les relevai vers elle. « Rutkowski, ça sort d'où ça ? » lui demandai-je, en fronçant les sourcils. J'essayais de ne pas être agressif ou quoi que ce soit d'autre, parce que c'était ce que me demandait mon patron - et vu qu'il me payait, hein... - mais j'avais parfois du mal à ne pas laisser sortir le fond de mes pensées. Son nom sonnait étranger, ça ne me plaisait qu'à moitié. Mais je l'appellerais ainsi, parce que j'étais encore imprégné de mon séjour à l'armée, et parce que c'était moins personnel. « Okay, Rutkowski. J'vais vous faire visiter, suivez-moi » ordonnai-je en tournant d'ores et déjà les talons. Je lui montrai la salle de spinning, celle où ma collègue Spencer donnait les cours de zumba, trampoline et autres conneries du genre, la partie consacrée à la musculation avec toutes ses machines, et enfin la grande salle du cardio. C'était celle où je commençais toujours les entraînements avec mes clients. Mais d'abord... « Questions ? »

La main de l'homme vint rencontrer celle de Nevaeh furtivement, l'effleurant presque seulement, alors qu'il se présentait. Trey. Elle sourit, hochant la tête en guise de réponse, affichant son enchantement de faire la connaissance de son nouveau coach, bien que terrifiée à l'idée de se faire juger sur la quantité de glace et de café qu'elle ingurgitait dans une journée ou bien encore sa piètre tolérance à la douleur. Il ouvrit à nouveau la bouche, lui précisant que c'était plutôt elle qu'il massacrerait et non son prénom au consonances étranges. Nevaeh répliqua d'un rire, croyant d'abord à une blague sympathique, mais la suite de son discours et de son ton lui indiquait qu'elle ferait mieux d'être moins joviale. Avec lui, on ne semblait pas rigoler. Pas de prénoms ? Vraiment ? D'accord, s'il l'entendait ainsi. Mais entre eux, il aurait sans doute dû choisir son de l'appeler par son prénom, parce que son nom de famille, lui était bien pire. Ce qu'il dénota, de son ton pressé et un peu trop direct. « C'est polonais », justifia-t-elle presque sèchement, sur le même ton que son entraîneur. Ce n'était pas qu'elle voulait lancer les hostilités, mais plutôt que Nevaeh ne supportait pas qu'on l'agresse verbalement. « Mais je suis née à Bowen, ce ne sont que des origines », précisa-t-elle, comme si ça pouvait bien changer quelque chose qu'elle soit née ici ou là-bas. Seulement, avec la prestance de Trey, pour elle, c'était comme si elle avait besoin de justifier tout ses faits et gestes. Elle le suivit dans le centre sportif alors qu'il lui présentait les différentes stations d'entraînement et les salles pour les cours. Devant la salle de cardio, ils s'arrêtèrent, Trey demandant alors si elle avait des questions. « Vous croyez que je vais survivre ? », demanda-t-elle en riant, tentant d'instaurer entre eux une relation un peu plus légère que celle qui semblait se créer naturellement. Nevaeh était une bonne vivante, comment pourrait-elle progresser avec un tyran ?