I'm holding on to your soul and I'm not letting go (freja)

mi-juin 2020
Il aurait dû dire non. Elle n’aurait jamais dû téléphoner à la base. Pas à lui, du moins. Pas pour ça. Woody se sentait déjà retomber, doucement, chuter le long de cette bulle de verre de laquelle il avait tenté de s’extirper pour enfin tourner la page sur Freja. Il n’avait suffi que d’un coup de fil, une invitation à s’enfuir loin de Bowen comme eux seuls savaient le faire, pour que les espoirs que Woody avait essayé de déconstruire se retrouvent et s’emboitent comme les pièces d’un casse-tête. L’image formée était cependant des plus floues, des plus ambiguës. Que cherchait Freja, avec cette aventure sur la route en sa compagnie ? Que cherchait-elle à prouver ? Qu’ils pouvaient demeurer meilleurs amis et retrouver leur complicité d’avant sans risquer quoi que ce soit pour son couple ? Woody savait que c’était impossible, ça, et deep down il était persuadé que Freja le savait aussi. Alors à quoi jouait-elle ? Malgré ces doutes, malgré cette voix qui lui disait de fuir pour leur bien à tous les deux, le trentenaire avait évidemment accepté. Un voyage impromptu avec Freja, c’était ce qui lui redonnait toujours la vie, c’était ce qui lui redonnait le souffle qu’il peinait à prendre. C’était donc à bord de son SUV qu’il se rendit au point de rencontre donné par la norvégienne, où elle l’attendait à neuf heures ce matin. Il avait enlevé les sièges à l’arrière de sa voiture et y avait installé un grand matelas où ils pourraient dormir, la le coffre arrière ouvert, face aux paysages qui défileraient devant leurs yeux pour les prochains jours. Ils n’avaient jamais fait chambre à part lors de leurs innombrables périples, Woody ne pouvait se résoudre à commencer maintenant. Au coin de la rue, le jeune homme repéra rapidement celle qui fit accélérer les battements de son cœur. Il se gara face à elle et lui sourit, un sourire où se mêlait le bonheur, le soulagement, mais aussi l’incompréhension et l’incertitude. Where would they go from here ?

Ce sms n'était clairement pas le bienvenu et tu n'aurais jamais dû l'envoyer. Pourtant, au moment d'appuyer sur le bouton "envoi", tu n'as pu te résigner à l'effacer. Face à ce trop grand besoin d'escapade, tu n'as pu réprimer cette envie de t'échapper, une fois de plus, aux côtés de ton meilleur ami. Aujourd'hui, et depuis bien longtemps d'ailleurs, Woody n'est plus seulement ton meilleur ami mais bien celui qui rythme ton coeur et une grande partie de tes pensées. A présent, il partage cette place avec un autre Australien ce qui fait que ton coeur balance perpétuellement entre les deux. Tu sais qu'un jour ou l'autre cet amour pour deux hommes va t'éclater en plein visage mais pour l'heure, tu ne trouves aucune solution. Aucune alternative. Tu as besoin de Woody et Concho pour exister et surtout pour vivre. Alors tu t'accroches aux deux hommes en sachant pertinemment que tu finiras par souffrir et eux aussi. C'est égoïste, tu le sais, et tu te détestes pour ça. Mais tu n'as pas le choix. Ce sont toutes ces raisons qui t'ont poussée à envoyer ce message au jeune Rutkowski sans savoir s'il accepterait. Etonnamment, il l'a fait. Peut-être aurait-il fallu qu'il refuse pour te faciliter le travail. Mais il ne l'a pas fait et n'a fait que repousser cette prise de décision qui tombera bien à un moment où un autre. Au moment où tu repères la voiture de Woody et l'homme en question à l'intérieur, un sourire vient illuminer ton visage et une once de soulagement prend place dans ton regard. Comme si tu avais peur qu'à la dernière seconde il annule tout et te pose un lapin. Un gros sac sur le dos, tu t'approches du coffre de sa voiture pour l'y déposer. « Ce spot est parfait. » Dis-tu en souriant à l'Australien qui arrive à tes côtés, à l'arrière de la voiture. « Salut. » Ajoutes-tu en t'approchant pour déposer un tendre baiser sur sa joue. « Merci d'avoir accepté mon invitation. » Parce que la vérité c'est que tu n'aurais pas pu faire ce voyage en compagnie de quelqu'un d'autre que Woody. Pas même Concho. Aujourd'hui, à cet instant précis, c'est de Woody dont tu as besoin et avec qui tu as envie d'être.

Une fois rangé sur l’accotement, face à Freja, Woody appuya sur le bouton de sa clé permettant l’ouverture du coffre-arrière. Le jeune homme la rejoignit à l’arrière pour l’aider, mais la norvégienne y avait déjà posé son gros sac à dos, à côté du sien. Ces deux-là avaient l’habitude de reposer l’un sur l’autre, à l’arrière d’une voiture ou dans les cabines d’un train ou d’un avion. Tout comme Freja et Woody avaient l’habitude de sillonner les routes de ce pays, de ce monde. Cette fois-ci serait probablement différente, toutefois, et le trentenaire ne savait pas encore s’il arriverait à faire face à ce changement brutal et douloureux de leur relation. Et au fond, à la suite des déclarations que l’homme avait faites à la norvégienne, cette dernière était injuste de le confronter à ça. Ou avait-elle autant besoin de lui, que lui d’elle ? « J’ai essayé de nous faire quelque chose de comfy. Je ne savais pas trop ce que tu avais en tête pour ce roadtrip. On pourra s’arrêter où on veut, quand on veut. » Dit-il en regardant le matelas posé, et les oreillers et draps qui le recouvraient. Il reporta son regard sur celui de Freja lorsque cette dernière le salua. Ce baiser sur la joue avec un goût amer, un mélange de nostalgie et de distance. « T’as vraiment pensé que j’aurais pu refuser ? » Il était incapable, au fond, de lui refuser quoi que ce soit, à Freja. Hormis leur amour. Ça, il s’était toujours borné à le lui refuser. Jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Woody referma le coffre-arrière et retourna derrière son volant, au même rythme que Freja gagnait son siège de passagère. En bouclant sa ceinture, Woody la regarda. « J’imagine qu’on s’en va … Nulle part et partout à la fois ? » Demanda-t-il sur le ton de la légèreté, bien que ses paroles pesassent bien plus lourd que le poids d’un simple voyage. Freja et Woody, ils fonçaient droit vers un mur, en empruntant la 77, puis l’A7 et l’A4, qui les enfonceraient vers le centre du continent et à partir de là, ils n’auraient plus qu’à laisser le hasard et les envies décider de quelles côtes ils avaient envie de longer en continuant vers l’ouest, en descendant au sud ou en montant au nord. Le choix, Woody n’avait pas envie de le faire maintenant, alors il préférait qu’ils s’enfoncent. Gagner un peu de temps avant de décider de la suite des choses.

Dans le fond, tu ne sais pas vraiment ce que tu as en tête pour ce roadtrip, toi non plus. Tu ne sais même pas ce que tu cherches en partant à la (re)découverte de l’Australie aux côtés de Woody alors que tu devrais justement t’en éloigner. Pour l’oublier. Pour le bien de ta relation amoureuse, tu ne devrais pas agir de la sorte. Pourtant, tu le fais quand même, sans penser aux conséquences désastreuses que ce voyage pourrait provoquer. « C’est parfait. Tu sais que j’aime la spontanéité alors, juste rouler, pouvoir s’arrêter où on a envie, dormir où on a envie, c’est juste parfait. » Dis-tu en souriant plus largement. Maintenant que tu sais que vous quittez Bowen pour quelques temps, rien que tous les deux, tu te sens déjà un peu plus légère. C’est mal. Terriblement mal. « Mmh, j’sais pas. Disons que tu aurais pu refuser et que j’aurais compris ta décision. » Après ce qu’il t’a avoué, dernièrement, tu aurais pu comprendre qu’il veuille garder ses distances. Parce que ni Woody, ni toi, ne savez comment se déroulera ce voyage. Tu ne sais pas si tu supporteras de garder autant de distance entre vous pendant aussi longtemps surtout quand on sait que tout, durant ce voyage, vous poussera à vous rapprocher. A commencer par cette proximité dans ce lit aménagé dans la voiture. Mais malgré le caractère compliqué de ce voyage, ce sera toujours mieux que l’absence totale de Woody dans ta vie, à Bowen. « Exactement. Je propose qu’on roule et que quand on voit un nom de ville qui nous attire, nous plaît ou même nous fait rire, on se dirige par-là. Qu’est-ce que t’en dis ? » Rétorques-tu en employant le même ton, léger, que Woody. C’est une bonne alternative, à tes yeux, puisque vous ne savez pas où aller. Tu as envie d’aller partout et de tout découvrir donc ça ne devrait pas être très compliqué de trouver un endroit qui te plaît. « C’est si bon de reprendre la route avec toi. » Dis-tu un peu plus sérieusement en tournant la tête vers l’Australien qui est focalisé sur la route. Et après quelques secondes, pour éviter que la conversation ne devienne trop sérieuse, tu proposes : « Et si on jouait au jeu de Phoebe, dans Friends ? Celui qu’elle propose à Joey. Je te donne à chaque fois deux propositions et tu dois en choisir une des deux le plus vite possible, sans réfléchir. Partant ? » Peut-être même que tu pourras tenter d’y glisser quelques questions intéressées en toute innocence. Ou pas.

Bien sûr que Woody savait que Freja aimait la spontanéité. Il la connaissait presque par cœur, elle avait été sa meilleure amie, son amante, son amoureuse, et aujourd’hui il n’était peut-être plus capable de mettre des mots sur ce qu’ils étaient, mais il n’oubliait pas tout ce qu’ils avaient vécu et tout ce qu’il savait d’elle. Il avait seulement peur que pendant ce voyage, sa dite spontanéité soit autant une qualité qu’un défaut. Parce qu’il avait peur qu’ils fassent quelque chose qu’elle regretterait ensuite, et qu’ils n’en ressortent que plus blessés encore. Pourtant, Woody n’avait aucunement envie d’éviter les dégâts. Il avait envie de la retrouver, depuis tellement longtemps. Et il était toujours aussi égoïste qu’avant, au fond, peu importe les efforts qu’il pensait mettre sur lui-même. Inconsciemment, ce nid douillet qu’il avait préparé à l’arrière de sa voiture était sans doute une manière de les rapprocher. Jamais il n’aurait pu refuser ce voyage à ses côtés, pour cette raison. « J’pourrais jamais passer à côté d’une occasion de passer du temps avec toi. » Avec la femme que j’aime, pensa-t-il. Ces mots-là restèrent cependant dans sa tête et il contourna à nouveau sa voiture pour aller s’installer derrière le volant. À partir de là, les routes infinies de l’Australie s’offraient à eux. La proposition de Freja pour les directions à prendre le fit rire. « Je pense que c’est la meilleure façon de naviguer, oui. » Sur ce, il démarra et prit d’assaut la route principale pour sortir de Bowen. Après quelques minutes de route, Freja admit que c’était bon de reprendre la route en sa compagnie. Il la regarda un bref instant, un sourire au coin des lèvres et le regard pensif, avant de poser ses yeux sur la route à nouveau. « À moi aussi, ça m’avait manqué. » Dit-il finalement. Elle brisa ce moment doux et difficile tout à la fois, proposant un jeu vu dans Friends. « Merci d’avoir expliqué parce que j’dois avouer que quand tu m’as fait regarder Friends, je n’étais pas très attentif. » Il rit doucement. « Vas-y, j’suis prêt. » Il redressa les épaules, ses deux mains tenant fermement le volant.

« Moi non plus. » Réponds-tu avec une sincérité presqu'effrayante. C'est compliqué d'avouer que tu auras toujours besoin d'être proche de Woody, de passer des moments comme celui-là avec lui, alors que tu es en couple avec un autre homme. C'est compliqué d'admettre que, malgré le temps et la distance, une partie de ton coeur lui appartiendra toujours. Mais tu es bien obligée de te montrer lucide et honnête. Après avoir déposé tes bagages à l'arrière, celles-ci se composant principalement de maillots de bain, vous passez tous les deux à l'avant de la voiture, prêts à prendre la route. Tu proposes à l'Australien de choisir votre destination en fonction des panneaux que vous verrez et que vous trouverez amusants, ce qu'il accepte évidemment. Tu n'en doutais pas vraiment. Vous avez toujours laissé la spontanéité et l'imprévisible vous porter. C'est un peu votre marque de fabrique. Le regard que vous échangez, en avouant que reprendre la route ensemble vous avait manqué, signifie beaucoup à tes yeux. Même si vous ne le dites pas à haute voix, tu vois à travers le regard de Woody tout ce qu'il pense et ressent grâce à cette puissante connexion qui vous habite depuis tant d'années. Quand tu reviens cinq ans en arrière, alors que tu prenais conscience de tes sentiments pour le jeune homme, tu es obligée de reconnaitre que vous avez fait du chemin tous les deux. Autant séparément qu'ensemble. « Sans blague, tu passais ton temps à me peloter. » Dis-tu en riant avant de réfléchir aux questions que tu vas lui poser. Puis, une fois que Woody affirme être prêt, tu lui balances des questions auxquelles il doit répondre spontanément. « Hamburger ou frites ? Chinois ou japonais ? La Suède ou la Norvège ? Sud ou Nord ? Chien ou chat ? La vie en ville ou à la campagne ? Avec ou sans enfants ? » Certaines réponses semblent évidentes à tes yeux mais Woody parvient encore à te surprendre malgré les années qui passent.

À ressasser les vieilles histoires alors qu’ils empruntaient les routes sillonnant les terres intérieures de l’Australie, Woody se rendait compte que tous les souvenirs de Freja gravés dans sa mémoire lui faisaient autant de bien que de mal. S’il arrivait à rire en sa présence en se rappelant ces soirées à regarder cette série de colocataires - surtout passée à la caresser, la toucher et l’embrasser -, il savait que c’était également le genre de souvenir qui le faisait souffrir quand il prenait conscience que Freja ne lui appartenait plus. C’était doux, ce roadtrip, mais ça ne ferait que créer davantage de belles images qui lui glisseraient d’entre les doigts lorsqu’il se retrouverait seul à nouveau. « Qu’est-ce que tu voulais que j’y fasse, t’étais plus intéressante que le tv show … » Répondit-il malgré tout en haussant les épaules, un sourire au coin des lèvres. Freja lui lança alors les questions les unes après les autres, et Woody répondait à chacune d’entre elle sans réfléchir, au même rythme effréné qu’elle les lui posait. « Hamburger, au moins ça nourrit. Japonais, j’pourrais pas me passer de sushis. Norvège, parce que … toi. Nord, y’a moins de monde. Chien, les chats ça sert à rien. La campagne, même si plus jeune j’aurais dit la ville. » Quand Freja lui demanda avec ou sans enfants, cependant, Woody fut pris par surprise. Il n’arriva pas à répondre ou à expliquer aussi vite que pour les autres. Parce que cette question était lourde, pour eux deux. Ce n’était pas un sujet qui ne demande aucune réflexion. Ce n’était pas une légère interrogation de laquelle on peut rire, pas après ce qu’ils avaient vécu ensemble. Il avait l’impression qu’elle rouvrait une plaie sur leurs cœurs déjà meurtris. D’autant plus que si Woody voulait des enfants, ce n’était qu’avec elle. Il déglutit, et répondit, cachant son émotion : « Avec enfants. » Il l’avait toujours voulue, sa petite famille, au fond. Et ce désir était devenu encore plus réel quand il avait été avec Freja. Mais il savait que ça ne se produirait jamais, pas avec elle et encore moins avec une autre. « À mon tour ? » Demanda-t-il alors.

Tu es probablement la pire des égoïstes en ne permettant pas à Woody de tourner la page alors que de ton côté, tu vis une belle histoire d'amour avec un autre homme. Et cette indécision constante risque bien de te coûter deux des hommes les plus importants de ta vie. Mais pour l'heure, égoïstement, tu as trop besoin de ce voyage aux côtés de l'Australien. « Pourtant Rachel est carrément canon. Combien de fois n'ai-je pas fantasmé sur elle ? » Dis-tu, un sourire malicieux aux lèvres. Monica est une bombe atomique également mais tu as toujours flashé sur Rachel sans savoir pourquoi. Peut-être est-elle ton idéal féminin finalement. Commençant ce jeu vu dans Friends et inventé par Phoebe, tu enchaines les questions sans laisser le temps à Woody de réellement réfléchir. Seulement, quand tu poses cette question concernant les enfants, le jeune homme s'arrête pendant quelques secondes, troublé. Tu le serais probablement aussi à sa place mais tu as besoin de connaitre sa réponse. Puisque tu ne pourras jamais avoir d'enfants de ton côté, tu as besoin de savoir si c'est un vrai désir pour Woody. Même si tu connais déjà la réponse. Et comme tu t'y attendais, il répond avec enfants. Même si ça fait horriblement mal de l'entendre, tu sais au moins que tu as fait le bon choix en restant auprès de Concho. Tu ne pourras jamais donner à Woody ce qu'il veut et Concho, de son côté, a déjà deux enfants avec d'autres femmes. Tu ne supporterais pas que le jeune Rutkowski te reproche un jour de ne pouvoir lui apporter une famille. Alors, les choses sont probablement mieux comme ça. Il faut simplement te laisser un peu de temps pour faire ton deuil de cette relation. Troublée à ton tour, tu réponds plus bas qu'à ton habitude : « Vas-y. » Tu es prête à tout entendre, ou presque.

« C’est vrai qu’elle est canon. » Répliqua Woody avec un sourire en coin. « Mais j’ai plus souvent fantasmé sur toi que sur elle … » Il avait plus fantasmé sur Freja que n’importe quelle autre femme. D’ailleurs, dans la dernière année, elle avait été l’unique objet de ses désirs, de ses pensées. L’homme qui autrefois couchait d’un côté comme de l’autre, n’avait pas eu de relations sexuelles depuis de longs mois. Depuis Freja, dans ce bar. Il était brisé, à quelque part il savait qu’il avait besoin de prendre ses distances, mais il n’en avait pas envie. Il ne s’en sentait pas capable. Elle était la force invisible qui lui permettait d’avancer encore un peu à tous les jours. Vinrent finalement les questions, qui furent d’abord légères et amusantes, jusqu’à ce que vienne celle sur les enfants. Elle savait fort bien que Woody aurait voulu être père un jour. Elle savait que malgré sa froideur, malgré son air de loup solitaire, il aurait voulu sa petite famille. Leur petite famille. Et parce qu’il ne voulait pas mentir à Freja malgré les circonstances, il lui répondit en toute sincérité qu’encore aujourd’hui, il préférait s’imaginer avec des enfants plutôt que sans, même si cela ne demeurerait sans doute que dans son imaginaire. Sa petite voix lui fit comprendre qu’elle était attristée de sa réponse, mais au fond, qu’est-ce que cela changeait ? Ils n’étaient plus ensemble. Elle en avait choisi un autre. La question de la famille ne se posait même plus. Woody alla donc de l’avant avec ses questions. « Bruyant ou silencieux ? Bière ou vin ? Mer ou montagnes ? Lever de soleil ou coucher de soleil ? Courir ou marcher ? » Et alors qu’il hésitait légèrement, laissant croire qu’il avait terminé, il osa ajouter : « Lui ou moi ? » Parce que ce roadtrip ouvrait trop de questionnements pour Woody et il ne pouvait passer sous silence cette confusion qui l’habitait. Il avait besoin de savoir, même si cette question était sans doute cruelle, ne pas y répondre serait aussi été injuste pour lui.

Combien de fois n'as-tu pas fantasmé sur Woody, toi aussi, même alors que tu couchais avec un autre homme ou une autre femme ? Tu ne comptes plus le nombre de fois où cela est arrivé. Où ton esprit voyageait très loin du moment présent, te renvoyant automatiquement dans les bras de l'Australien, quelques mois plus tôt. Plus d'une fois, il a également été le fantôme de tes nuits, et prisonnière de ceux-ci, tu n'as jamais pu te défaire de son image. Alors, chaque matin, en te réveillant, c'était son visage, ses yeux, ses lèvres, que tu voyais. « Moi aussi... bien qu'il me soit arrivé de fantasmer sur vous deux en même temps. » Dis-tu avec ce même sourire malicieux. Néanmoins, la probabilité que tu fasses un threesome avec Woody et Jennifer Aniston est plutôt faible, malheureusement. Perdue dans tes pensées, tu ne parviens pas à te défaire de cette image où le jeune Rutkowski porte sur ses épaules votre fils. Heureusement, les questions de Woody te ramènent les pieds sur terre dans une réalité où cette image n'existera jamais. « Bruyant, le silence me fait peur. Vin et du blanc qui plus est. Montagnes, sans hésiter. Coucher de soleil et crois-moi, on va en voir des tas durant ce voyage. Courir non marcher. Non courir. » Dis-tu en riant, indécise. C'est trop compliqué de faire un choix sur cette dernière question parce que tu pratiques autant l'un que l'autre. En randonnées, c'est la marche qui prime mais le matin, quand tu fais ton sport journalier, c'est la course qui est bénéfique. Et alors que tu pensais que l'Australien allait s'arrêter là, il te pose cette question que tu redoutais tant. Lui ou moi ? Ne pas répondre serait complètement injuste pour Woody mais y répondre le serait tout autant pour Concho. Est-ce finalement ce moment durant lequel tu dois te prononcer et faire un choix définitif ? Car si c'est le cas, tu t'en sens toujours autant incapable. Tu tournes la tête vers lui, posant ton regard complètement perdu et troublé sur Woody. Concho ou Woody. Woody ou Concho. Le choix est impossible et pourtant, le jeune homme attend une réponse. Alors tu te lances en espérant que tes mots ne jetteront pas un froid entre vous et ne ruineront pas ce moment si particulier que vous vous apprêtez à passer. « Ce sera toujours toi avant les autres... C'est toi qui m'as fait découvrir l'amour, toi qui m'as redonné confiance en moi et en les hommes. Toi à qui j'ai dit je t'aime pour la première fois. Toi, toujours toi. » Dis-tu sincèrement non sans culpabiliser d'avoir ces mots pour un autre homme que Conchobáhr. « Mais j'ai tellement souffert après notre histoire que je veux être certaine de ce que je veux, de ce que tu veux et que notre histoire fonctionnera. J'supporterais pas un second échec. » Tu es tellement bien avec ton colocataire que tu ne voudrais pas balayer cette relation et l'amour que tu lui portes pour une histoire instable avec Woody. Et puis, par respect pour Woody, tu ne peux pas te remettre en couple avec lui si ton coeur appartient toujours à un autre homme. Alors, pourquoi fais-tu cela à Concho ?

HJ:

En entendant cette confidence de Freja, Woody arqua un sourcil en esquissant un sourire. Ça n’avait rien de surprenant, mais l’image n’en était pas moins agréable. L’envie de réaliser un threesome avec la norvégienne et une autre femme avait toujours été bien présente, il était d’ailleurs surprenant que tous les deux n’aient jamais expérimenté quelque chose de semblable ensemble. Que ce soit avec Jennifer Aniston relevait de l’impossible, mais c’était tout de même plutôt excitant de se le représenter mentalement. Excitant et douloureux, parce que les courbes du corps de Freja lui revinrent alors en tête. Il aurait tant voulu la déshabiller de ses doigts effleurant sa peau pour la faire tressaillir. Il aurait tant voulu couvrir de baisers chaque parcelle dénudée, pour la faire trembler de désir. Mais les paroles qu’ils échangeaient actuellement n’étaient que ça, des paroles. Freja ne passerait pas à l’acte malgré ce qu’elle lui disait. Du temps où ils se tournaient autour et s’aimaient, la norvégienne adoptait parfois ses airs de séductrice avec d’autres hommes par moment, il le savait, il la connaissait et il l’acceptait comme elle était, laissant toujours ses pointes de jalousie bien cachées. C’était juste douloureux de prendre conscience qu’il était maintenant celui de l’autre côté du jeu. Un autre jeu qui lui mina un peu le moral malgré le bonheur de ce roadtrip, ce fut ces questions dont la dernière avait réveillé en eux des douleurs. Et comme s’il pensait maintenant que tout était permis, que plu aucune limite n’était à respecter, Woody avait renvoyé une cruelle question à Freja à son tour, la mettant au pied du mur à propos de ses sentiments. Woody, ou Concho. Sa réponse ne venait pas, l’attente était interminable. Si le début de sa réponse avait éveillé en lui des espoirs qu’il s’efforçait d’enterrer, la suite le laissa encore plus confus. « Je ne sais même plus comment te faire comprendre que je suis certain de ce que je veux … Pour moi aussi, ce sera toujours toi, Freja. J’ai beau essayer de tourner la page, t’es toujours là, et c’est même pas dans un coin de ma tête. T’es là et tu prends toute la place. » Il tourna un rapide regard vers elle avant de le reporter sur la roue, en soupirant. « Pour tout te dire, parce que j’ai vu sur Insta et parce que j’ai entendu les autres parler, je t’imaginais vraiment heureuse avec l’autre. Alors je me suis inscrit sur BowTie parce que si j’essaie pas, j’pourrai jamais te laisser partir. Mais même avec ces filles à qui je parle … j’peux pas m’empêcher de penser à toi. » D’où son empressement à accepter ce roadtrip, ghostant du même fait ces femmes avec qui il avait engagé une conversation. « À quel point ce sera injuste pour les autres qu’on fréquente, si on se fera toujours passer en premier, toi et moi, sans jamais rien retenter, par peur de souffrir encore ? »

C’est assez difficile, pour toi, de voir où sont les limites d’un couple. A quel moment entre-t-on dans un jeu de séduction ? A quel moment frôle-t-on la tromperie ? Est-ce qu’un petit jeu de regards est déjà trop ? Des questions que tu t’es posées un million de fois sans forcément avoir de réponses. Alors forcément, parfois, tu peux paraître borderline, on peut penser que tu aimes jouer avec le feu en prenant le risque de tout perdre mais c’est plus compliqué que ça. En fait, la notion de couple est encore floue à tes yeux même après quasiment six mois de relation avec Concho. Par contre, partir en roadtrip avec son ex, dormir dans le même lit, collés à cause du peu d’espace de la voiture, tout ça, tu sais que c’est trop. Tu sais que si ton petit-ami l’apprend il ne l’acceptera pas. Et probablement que toi non plus, si les situations étaient inversées, tu ne l’accepterais pas. Alors qu’est-ce que tout ça signifie ? A quoi joues-tu ? Tu n’en sais tout simplement rien. Et quand ce petit jeu vous mène à des questions bien trop compliquées pour ce voyage qui se veut léger, tu te sens comme prise au piège. Pourtant, tu t’efforces d’être honnête pour ne pas faire souffrir Woody même si cela veut dire te faire souffrir toi. Vos regards se croisent un moment avant que celui de l’Australien ne se reconcentre sur la route. Dans chacun d’eux on peut lire une profonde confusion. A force de vous poser tant de questions, vous êtes complètement perdus. Tu ne sais plus ce que tu veux ou plutôt tu as peur de t’aventurer dans une histoire qui te briserait, une bonne fois pour toutes. Woody peut t’apporter tellement d’amour, tellement de bonheur, tu le sais, tu l’as déjà vécu. Mais à contrario, il peut également apporter beaucoup de noirceur dans ta vie et t’emmener dans des travers que tu pensais avoir dépassés. « Ce voyage… j’peux pas dire que c’est un test mais j’espère y voir plus clair après tout ça. J’veux voir si tout peut être aussi beau, léger et doux qu’auparavant entre nous. » Pourtant, à cet instant précis, tu te sens plus perdue que jamais. Encore plus en apprenant que l’Australien a tenté de t’oublier sur cette application dont tu as entendu parler. En même temps, qui n’en a pas entendu parler ? « Je suis heureuse avec Concho, c’est ça le pire. Mais pas à cent pour cent parce que j’ai sans cesse l’impression d’être incomplète, je ne sais pas comment l’expliquer… » Tentes-tu d’expliquer malgré tout. « Je sais que c’est injuste. Si je n’étais pas aussi égoïste, j’devrais même pas être là. C’est pas seulement par peur de souffrir que je suis réticente c’est aussi par peur de ne pas pouvoir t’apporter tout ce que tu désires. » A commencer par des enfants, comme évoqué un peu plus tôt.

Ils avaient été perdus, au cours de cette longue relation, passant d’amis à meilleurs amis, d’amants à amoureux, d’ex à amants, entrecroisant leurs sentiments sans jamais parvenir à y mettre de l’ordre. Le chaos des cœurs les en empêchait. Mais Woody avait l’impression qu’ils n’avaient jamais été à ce point perdus. Parce que cette fois, l’un et l’autre étaient prêts à avouer qu’ils seraient toujours en premier plan dans leurs pensées. Que personne n’arriverait à la cheville de leur amour. Et pourtant, ils n’étaient pas ensemble. Woody ne savait même pas s’il pouvait y croire encore. Le discours de Freja allait dans tous les sens, il n’arrivait même pas à comprendre où elle se situait. Il avait le sentiment que pour la première fois, il était le point d’ancrage et elle, la girouette. Quand la norvégienne lui avoua que ce voyage serait peut-être un moyen de lui faire savoir s’ils étaient encore capables de douceur et de légèreté, Woody eut un léger rire. « C’est mal parti … » Lâcha-t-il un peu à la blague, même si c’était pourtant la triste vérité. À peine quelques kilomètres d’effectués et ils en étaient déjà aux questions trop sérieuses, trop douloureuses. Freja lui affirma ensuite être heureuse avec son petit ami, mais qu’elle avait l’impression d’être incomplète. « Je ne sais pas comment l’expliquer non plus mais je comprends ce que tu veux dire. Y’aura toujours une partie de moi qui manquera, quand t’es pas là. » Lui confia-t-il. Elle avait raison, c’était injuste, cette situation. Qu’ils aient à ce point besoin de l’un et de l’autre mais qu’ils ne puissent être ensemble. Woody soupira quand la jeune femme ramena sur la discussion les enfants, même si ce n’était pas ouvertement dit, le sous-entendu était clair puisque c’était bien tout ce que Freja ne pourrait pas lui donner. « Et moi aussi j’ai peur de ne plus pouvoir, un jour, répondre à tous tes désirs. Tu le sais, ça. Mais est-ce qu’on va toujours laisser cette peur-là avoir raison de nous deux ? » Il avait évolué, Woody. Il acceptait que ses peurs n’étaient peut-être pas les peurs des autres. Que ce que lui redoutait serait peut-être bien accueilli et vécu par les autres. Il voulait au moins essayer d’y croire.

On peut dire que vous avez été complètement dépassé par des sentiments incontrôlables et bien plus forts que tout ce que vous auriez imaginé. L'amour que vous vous portez est à la fois puissant et destructeur. Il aurait sans doute fait peur à bon nombre de gens mais vous, vous vous êtes battus pendant si longtemps. D'abord pour l'oublier, parce que Woody était déjà en couple avec une autre. Ensuite, pour le préserver, malgré tous ces obstacles qui se mettaient sans cesse sur votre route. Et aujourd'hui, vous vous battez pour quoi au juste ? Pour enfin entrevoir le bonheur que vous méritez. Mais tous ces hauts et ces bas te rendent confuse, perdue et inquiète de gâcher une belle relation auprès de Concho, cet homme que tu aimes tant. « C'est ma faute, j'n'aurais pas dû te poser cette question. » Dis-tu en soupirant. En amenant un sujet aussi délicat sur le tapis, tu as mis en péril le bon déroulement de votre voyage. Toi qui voulais pourtant quelque chose de léger, tu as tout gâché. Quand Woody met des mots sur ta pensée, tu te sens soulagée qu'il ressente la même chose que toi et qu'enfin, quelqu'un puisse comprendre dans quel tourbillon infernal tu te trouves. « Pourquoi a-t-il fallu que l'on se sépare pour comprendre cela ? » Demandes-tu finalement sans réellement attendre une réponse. Pourquoi faut-il toujours que les choses soient si compliquées entre vous ? Pourquoi n'avez-vous pas droit à un bonheur simple et durable, comme la plupart des gens ? « La différence entre nous c'est que pour toi, ce sera peut-être le cas un jour. Mais pour moi c'est déjà là, ma stérilité ne va pas disparaitre. » Finalement, tu mets des mots sur le fond de ta pensée, de toute façon Woody voit très bien de quoi tu veux parler. « J'ai peur qu'un jour tu me reproches de ne pas avoir pu te donner d'enfants et que tu ne saches plus me regarder tellement ta rancoeur sera grande. » Ca et le fait d'avoir l'impression de le priver d'un des plus grands bonheurs de la vie alors qu'il pourrait l'avoir avec une autre. Mais si Woody fait le choix de rester à tes côtés, malgré tout, ne devrais-tu pas le laisser faire ? N'était-ce pas ce que tu lui reprochais il y a de ça, un an, quand tu voulais être avec lui et qu'il refusait, sous prétexte de sa maladie ?

Woody haussa les épaules. « Et moi, je n’aurais pas dû te demander de faire ce choix. Enfin, pas maintenant. Mais faudra que tu le fasses un jour … » Dit-il en lui jetant un coup d’œil. Parce que même si elle lui avait enfin avoué que ce serait toujours lui, qu’il passerait toujours en premier tout comme elle, elle serait toujours au premier plan dans son cœur, elle n’avait tout de même pas fait son choix. Elle lui avouait ça mais elle demeurait en couple avec un autre que lui. C’était sans aucun doute pire que de lui demander de tourner la page. « Je pense qu’on l’a compris depuis longtemps mais qu’on ne voulait pas se l’admettre. » Répondit Woody. Depuis longtemps déjà, il avait saisi l’importance de Freja dans sa vie. Il avait rapidement su que cette femme-là serait une nécessité à sa vie, peu importe les efforts qu’il mettait à la repousser pour mieux la protéger de lui. Ils avaient voulu jouer aux aveugles face à une puissante évidence et aujourd’hui, ça se retournait contre eux. Ils n’avaient pas compris que même en choisissant des routes différentes, tous les chemins les ramenaient à eux. « On tourne en rond avec ça, j’en peux plus. Ce ne sera pas peut-être le cas, c’est une certitude, on n’sait juste pas quand ça va arriver. Je suis une bombe à retardement, c’est pas forcément mieux que d’avoir déjà l’heure juste. Ta stérilité, je l’accepte, Freja. Des enfants, j’en ai toujours voulu, mais que tu puisses en avoir ou pas c’est même pas vraiment ça qui joue le plus. J’pourrai pas en avoir, j’en aurai pas la force. » Lui dit-il avec fermeté, pour que le message passe enfin. « Si tu ne veux pas être avec moi dis-le mais n’utilise plus cette excuse. Tu avais fait ton choix de rester avec moi pour le meilleur et pour le pire y’a des années, et je n’ai pas su l’accepter ou le respecter. Maintenant je fais le mien, il ne faudrait pas qu’on répète mon erreur qui nous a tout coûté … » Lâcha-t-il, même s’il avait la triste impression que ce ne serait pas aussi facile. Ça ne l’était jamais, entre eux.