in one unending moment, you fall within my reach (zelda)

Zelda ne voulait rien entendre, et je savais que dans ces moments-là, il valait mieux pour moi de capituler. Ça ne servirait à rien de toute façon de se renvoyer la balle toute la nuit, le résultat de cela serait bien pire : on ne dormirait tout simplement pas. Je soupirai bruyamment, balançant ma tête vers l’arrière, pour bien faire comprendre à mon ex qu’elle était insupportable – adorablement insupportable – quand elle voulait quelque chose à tout prix. « Oook, ooook. Mais si tu te réveilles trop, si tu dors mal, que t’es pas confortable, hésite pas à venir. On changera de place. » Je n’étais quand même pas venu ici pour m’imposer et voler son lit. Ce ne serait pas comme ça à toutes les nuits cette semaine, je m’en faisais la promesse. Ce soir cependant, nous étions tous les deux fragiles, Zelda encore bien plus que moi. On ne se battrait pas pour des futilités. Il y avait tellement plus important. Ce qui semblait prioritaire pour la jeune femme, actuellement, c’était elle. Sa personne, sa personnalité. Je ne savais pas trop d’où tout cela provenait mais j’essaierais de la rassurer au maximum. De nous deux, Zelda était certainement la meilleure personne. Qu’elle ait tout laisser passer ou non, au fond, ça ne changeait rien au fond que si c’est moi qui avais mieux agit, on serait encore ensemble tous les deux. « Je pense que dans notre situation, s’accrocher aurait encore plus fait mal, à la fin … Je crois qu’il fallait qu’on se laisse aller. Pour mieux se retrouver. » Dis-je en toute sincérité. Si nous nous étions accrochés à ce qui s’effritait, peut-être aurions-nous fini par nous détester. En tout cas, elle, elle aurait fini par me détester. Mais en lâchant prise, en laissant l’autre aller, on avait conservé la base de notre relation intacte. Nous n’avions pas tout ravagé à force d’espérer dans le vide. Mes paroles n’apaisaient cependant pas les questionnements et les doutes de mon ex, qui essuya encore ses larmes en me disant à quel point elle était fatiguée. Je descendis du comptoir pour l’enlacer, parfois une étreinte, une chaleur, une présence, ça valait beaucoup plus que des mots. « J’ai pas pitié de toi, Zeld. Je suis juste là pour toi, sans jugement ou quoi que ce soit … Je t’aime, c’est tout. » Je ne lui avais pas dit ces mots depuis notre rupture mais ça ne changerait jamais, ça. Je l’aimais, Zelda. Juste plus tout à fait de la même manière. Probablement même encore plus, depuis qu’elle était devenue mère de ma fille, et redevenue ma meilleure amie. Elle craqua et sanglota un moment dans mes bras. Je caressais son dos en la berçant contre moi. C’est Lara qui perça notre petite bulle pour nous rappeler qu’on la partageait à trois. On regarda tous les deux dans sa direction, et nos sourires revinrent illuminer nos visages. « On est de retour à la base de la pyramide là du coup. T’as pas besoin d’aller faire pipi, aussi ? Non pas encore ? » Me moquais-je. « J’ai faim aussi. Ça creuse l’appétit, de bercer les gens. » Je préférais aussi les rires aux pleurs, pour ça nous étions pareils. Comme sur un tas d’autres points d’ailleurs. Zelda prit mes mains dans les siennes et je les serrai. Je ris quand elle s’autoproclama géniale. Elle avait raison de le croire et de le dire. « C’est ça. On va de l’avant. » Soufflais-je en l’accueillant pour un nouveau câlin. Contre moi, elle me murmura que j’étais un père extraordinaire et un meilleur ami de feu. Mes yeux s’embuèrent, de bonheur, et un doux sourire se dessina sur mon visage alors que je fixais droit devant moi, la serrant contre moi. « Merci. Et t’en fais pas pour Frej’. Elle va comprendre … Il faudrait d’ailleurs que je lui téléphone, elle m’a laissé des messages, elle a dû avoir vent de ce qui s’est passé … Ta boîte vocale doit déborder, toi aussi. » Nous avions été prisonniers de ce tourbillon infernal mais il était maintenant temps d’en émerger, de reconnecter avec la réalité. « Mais avant, on mange ? »

Les trois petits mots furent échangés des deux côtés, et ça me fit un baume au cœur qu’on soit encore capables de se le dire. J’avais tellement eu peur de perdre Zelda pour toujours, à notre rupture, mais c’était un risque qu’il avait fallu prendre. On ne pouvait rester dans une relation qui n’allait plus rien que pour préserver notre amitié. Au contraire, c’était ça qui l’aurait fait complètement flamber, à mon avis. Si nous étions capables d’agir comme ça l’un envers l’autre aujourd’hui, c’était parce qu’à quelque part, on avait fait les choses correctement. Enfin, le plus correctement possible dans les circonstances. Je proposai de manger avant de reconnecter avec la réalité, ma boîte vocale débordant de messages sans doute majoritairement de Freja. Zelda, de son côté, proposa plutôt de prendre contact maintenant avec le monde extérieur. Sans doute avait-elle besoin de rassurer ses proches avant de pouvoir réellement essayer de passer à autre chose. C’était plus sage que de repousser le moment, c’est vrai. « Ok … Je vais juste fermer le four pour que les pizzas restent chaudes sans cramer. » Je m’exécutai, avant de prendre mon téléphone dans ma poche et de m’éclipser sur le balcon arrière, sans refermer la porte. Je voulais quand même pouvoir entendre tout ce qui se passait à l’intérieur de l’appartement. Je téléphonai d’abord à Freja pour lui donner des nouvelles. L’appel dura une dizaine de minutes, le temps que je lui raconte les événements, que je lui dise que je resterais auprès de Zelda pour la semaine, tout ça. Elle se montra évidemment compréhensive et promit de passer dans les prochains jours, pour laisser un peu de temps à Zelda de se remettre mais pour lui montrer qu’elle était là elle aussi. J’appelai ensuite Tahlia puisque c’était elle qui avait gardé Maxwell pendant que j’étais à la recherche de Zelda. Je lui demandai si elle pouvait le garder pour la nuit, promettant de mieux m’organiser dès demain matin. Évidemment, elle aussi se montra à l’écoute et compréhensive, acceptant avec plaisir de faire un petit pyjama party avec mon fils. Je répondis finalement aux quelques sms paniqués reçus dans la journée, rassurai tout mon monde, et rentra à l’intérieur où je trouvai Zelda qui revint quelques secondes après que j’eus refermé la porte du balcon. « J’ai parlé à Frej’, à Tahl’, envoyé j’sais plus combien de sms … C’est bon, je crois que tout Bowen est au courant de l’heureux dénouement. » Je ris. Quelle tristesse c’aurait été d’avoir des conversations beaucoup plus sombres que ça, si ça s’était passé autrement. Heureusement que le détective Johnson avait été là. Trop affamé, je croquai dans ma pizza avant même que Zelda soit assise, elle qui avait été portée Lara à la chambre. Je secouai la tête en entendant Zelda à son retour. « Évidemment c’est quand j’abandonne d’insister huit cent quarante-trois fois que tu changes d’idée. You’re killing me, woman. » Je souris, la bouche pleine de sauce tomate. « Y’a pas de problème. » Conclus-je quand même, content de pouvoir la laisser avoir ce cocon plus confortable que le canapé. Je tournai les yeux vers la télévision quand elle l’alluma, me laissant volontiers absorber par des futilités imagées.

De l’intérieur, j’avais entendu les voix de Jay et Willow qui étaient plus que soulagés de savoir leur sœur et leur nièce saines et sauves. Je n’avais pas écouté davantage leur conversation, me replongeant de toute façon dans mes propres échanges sms après avoir parlé de vive voix à Freja et à Tahlia. Les autres attendraient à demain avant d’être rassurés par ma voix solide, parce qu’actuellement, elle n’était pas aussi solide que je l’aurais voulu. J’étais malgré moi encore un peu trop ébranlé, et revenir sur les événements de la journée faisait vite ressortir le trémolo de mes cordes vocales. Je rentrai à l’intérieur une fois toutes les communications terminées, prêt à retrouver un contact humain réel avec Zelda et notre fille. Elle aborda une question à laquelle je n’avais même pas songé. « Ah ouais, hein … les journaux locaux, j’avais … j’avais même pas réfléchi que c’était exactement le genre de truc qu’on lit en première page en se disant oh mon Dieu, c’est terrible … » Je me perdis quelques secondes dans mes pensées. « Y’a pas déjà un journaliste qui t’a approchée, quand même ? Qu’ils te laissent le temps de reprendre tes esprits, bordel … » Peut-être même que Zelda aurait à sortir du petit monde local de Bowen. Elle était quand même connue dans le monde du jeu vidéo, et même les gamers aimaient bien tout connaître de la vie des streamers et des joueurs professionnels. « T’en parleras à tes fans ou … peut-être importe comment tu les appelles, les gens qui te suivent quoi … » Je m’installai enfin face à la télévision avec ma pizza pour me remplir l’estomac, en espérant remplir le vide en-dedans de moi du même coup. « Allez, oublions-nous dans le film de ton choix. » Je lui souris, posant une main sur son genou pour le serrer doucement, avant de la ramener sous mon assiette.

En même temps, si les journaux locaux ne couvraient pas ce genre d’événements, la population ferait ses propres investigations et ça deviendrait lourd. Dès qu’on entendait plus d’une sirène de police, à Bowen, on se demandait ce qui se tramait. Moi-même j’avais l’habitude d’aller chercher sur les réseaux sociaux pour savoir si quelqu’un avait été témoin de quelque chose. Pourtant, qu’est-ce que ça changeait à nos vies, de le savoir tout de suite et maintenant ? C’était la curiosité, souvent malsaine, j’imagine. J’espérais que Zelda n’ait pas été déjà prise d’assaut par les journalistes en soif de nouvelles pour faire la une. « Tant mieux. » Dis-je à propos du boulot des flics. Je pensai alors à toute la communauté qui suivait Zelda sur Internet. Peut-être que le mot avait déjà commencé à se passer entre eux. Ses fans. « Ouais j’sais pas ça me fait encore bizarre de les appeler comme ça, même si, j’sais bien que c’est ça … » Je ris, gêné. « Donc, tu leur raconteras ? » Demandais-je. J’étais surtout soucieux pour Zelda, je n’avais pas envie qu’elle se replonge dans le trauma, mais elle faisait bien ce qu’elle voulait. C’était sa vie, son événement, sa manière de gérer ce qui s’était passé. Quand je posai brièvement ma main sur le genou de mon ex, je sentis son corps se raidir, raison de plus pour que je l’enlève rapidement pour la remettre sous mon assiette. On mangea en silence devant le film, jusqu’à ce que nos paupières deviennent lourdes et qu’on décide d’aller se coucher. Zelda alla dans le lit avec Lara et moi, je m’installai plus ou moins confortablement sur le canapé. J’étais grand et mes pieds dépassaient, mais je n’en avais rien à faire. À 2h45 du matin, de toute façon, je continuais à me réveiller régulièrement. J’avais donc entendu Zelda se lever de son lit et marcher jusqu’à la cuisine. J’ouvris les yeux mais je ne bougeai pas. Je ne voulais pas la déranger et l’empêcher d’aller se recoucher après avoir bu son verre d’eau. Elle avait besoin d’une vraie nuit de sommeil et il était trop tôt pour qu’elle ait eu une nuit réparatrice, là. Par contre, quand j’entendis le verre tomber sur le plancher de la cuisine, je me levai rapidement. Je marchai à tâtons jusqu’à la cuisine, me prenant le pied dans une chaise et retenant un juron. J’allumai une petite lumière, rien de trop fort, pour découvrir Zelda recroquevillée dans un coin de la cuisine. « Hey, Zeld’ … » Dis-je doucement. Je m’accroupis face à elle. « Est-ce que ça te va si je te prends dans mes bras ? Si je te prends contre moi ? » Je préférais demander, vu comment son corps avait réagir à ma simple main sur son genou hier soir, je ne voulais pas la prendre par surprise, je ne volais pas lui imposer un geste dont elle ne voulait pas, même si je le faisais pour aider.

De retrouver Zelda là, recroquevillée dans un coin de sa cuisine, ça me brisa le cœur. Heureusement que les lumières étaient fermées et que je me contentais de deviner sa silhouette. Ça aurait brisé ma mémoire, de devoir conserver une image trop nette de ce moment crève-cœur. Je n’avais qu’une seule envie c’était de courir à elle et de la prendre contre moi, de la serrer bien fort en la berçant dans mes bras. Mais je me rappelai bien vite de quelques heures plus tôt, quand ma main avait effleuré son genou et que ce mince contact avait suffit à crisper ses muscles. Je comprenais. Évidemment que je comprenais. Après les dernières heures qu’elle avait dû affronter, il était plus que normal de réagir de la sorte, d’avoir cet instinct un peu sauvage qui la protégeait. De tout. Même de moi. Après tout, je ne l’avais jamais physiquement blessée mais je n’avais pas été aussi doux avec ses sentiments, et sans doute avait-elle raison de se méfier. Mais je ne lui voulais que du bien, à Zelda. Je voulais qu’elle s’en sorte, je voulais qu’elle retrouve la lumière. Rien ne me ferait plus mal que de savoir que cet épisode traumatisant l’enfoncerait dans un trou. Zelda était une femme lumineuse, pleine de vie, et si ce connard brisait ça en elle, je le briserais à mon tour. Je m’agenouillai face à la mère de ma fille et lui demandai si je pouvais la prendre contre moi. Ça me semblait la manière la plus respectueuse de lui montrer que j’étais là. Sans me répondre, elle se jeta dans mes bras, face à un cri de soulagement de ma part. Heureusement, ça ne réveilla pas Lara. « Ne le sois pas. Ne le sois pas. » Répétais-je. « Jamais, ok, Zelda ? Jamais t’as à être désolée. » Dis-je doucement en caressant ses cheveux de ma main droite. « Y’a aucun mot pour dire à quel point j’suis chanceux de t’avoir. T’es l’une des femmes de ma vie aussi, Zelda. » Avec ma maman, avec ma petite Lara. Avec Ally malgré moi. Avec Pippa et Tahlia. Avec Freja. Toutes ces femmes, Zelda y comprise, avaient pris une partie de moi. Je continuai à bercer son corps tremblant, assis au milieu de la cuisine et des éclats de verre. « Viens, j’te reconduis dans ton lit, ok ? J’vais venir ramasser ça après … » Proposais-je. Mais la décision lui reviendrait. Cette nuit, je faisais tout ce qu’elle voulait.