if we can find a little hope, we can make it on our own (pippa)

Si j’avais proposé à Pippa tous ces choix de remèdes miracles contre le bad mood, comme la crème glacée, le vin, les chocolats chauds, c’est parce que j’avais tout ce qu’il fallait déjà. Tout le nécessaire pour apaiser un cœur brisé. Cela faisait maintenant deux mois que Freja et moi n’étions plus ensemble. C’était un peu de sa faute, beaucoup de la mienne. La veille, elle avait publié sur son compte Instagram une photo d’elle, un autoportrait au regard tellement triste, accompagné du caption « I miss you ». Moi aussi, je m’ennuyais d’elle. Terriblement. Et supposant que ce message s’adressait à moi, et je le croyais, j’avais eu envie de courir la rejoindre, la prendre dans mes bras, lui dire que tout ça c’était idiot, que bien sûr que je lui faisais assez confiance pour qu’on poursuive notre histoire, que je me fichais bien des autres qui nous entouraient en autant qu’on s’aimait. Mais c’aurait été faux. C’était mon chagrin qui aurait parlé. Ma tête était encore sur la même longueur d’ondes que ma décision d’il y a deux mois. Tant qu’elle entretenait cette relation floue avec Woody, je ne me sentirais jamais totalement en paix. Toujours de trop. Toujours la parenthèse dans leur roman d’amour. Bref, tout cela pour dire que le ton des messages textes de Pippa ressemblait à mon humeur également. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait dans la vie de mon amie, mais je me disais qu’on pourrait se blottir dans la solitude l’un de l’autre, briser un peu mon isolement des dernières semaines, aussi.

Pippa cogna à la porte. « J’y vais ! » Criais-je à Allen qui était au salon avec des amis. J’ouvris la porte du #17, retrouvant Pippa sur le pas de la porte. Je lui adressai un triste sourire. « Hey. Rentre. » Je fermai la porte derrière, avant de la prendre dans mes bras. « Ça va pas, toi. » Soufflais-je, la tête dans ses cheveux. Je me reculai. « Allen est avec des copains toute la soirée mais si ça te dérange pas, on peut aller parler dans ma chambre. M’reste plus qu’à aller prendre la bouteille de tequila à la cuisine et j’t’y rejoins ? T’as mangé ? » Demandais-je. Pour le reste, Pippa connaissait le chemin jusqu’à ma chambre. Depuis le temps que j’habitais ici ...

Cette douleur, j’avais cru l’avoir banni à tout jamais. Pourtant, elle était bien vivace aujourd’hui. Ce poignard planté dans mon coeur. Une souffrance terrible qui ne permettait de penser à rien d’autre. L’air frais de la nuit me faisait du bien, j’essayai de me concentrer sur sa fraicheur, sur sa caresse sur ma peau et dans mes cheveux plutôt que sur ce qui me faisait tant souffrir. J’étais en train de les perdre. Juliann et Nevaeh. Quelque chose s’était brisé et j’étais en train de les perdre. Pire, je commençais à culpabiliser. Je culpabilisais d’avoir encore envie de Juliann, tellement envie que ça me faisait mal au ventre. Je culpabilisais d’en vouloir à Nev, même un peu, de m’avoir cacher son crush pour le seul homme que j’avais aimé, depuis autant de temps. Mon pas se fit plus présent, et j’essuyai un trait humide sur ma joue. Après un moment, j’arrivais enfin chez Concho et frappai sans tarder.
Je ne savais pas ce qui me poussai dans la direction de mon ami d’enfance. Ou plutôt, je n’étais pas prête à mettre un nom sur cet élan qui me guidait. J’avais envie d’anesthésier la douleur, d’oublier, tout. Juliann, surtout. Je toquai, essayant tant bien que mal de ravaler mes larmes et de contrôler le tremblement de mes membres. Concho apparut rapidement dans le chambranle. Ma gorge se serra. Le dernier sms de Juliann me restait en tête. « J’abandonne. Bonne soirée ». Ca y est. C’était officiel. Je l’avais perdu pour de bon.
— Non, ça va pas, confessai-je à Concho en me nichant dans son cou, tandis qu’il m’étreignait.
Il proposa qu’on s’éclipse dans sa chambre, tandis que son colloc et ses amis occupaient le salon. Je fis oui de la tête et suivais mon ami, presque comme un fantôme, sans réfléchir. Je m’assis sur son lit et attendis qu’il ramène la bouteille de téquila, comme il l’avait prévu.
— J’ai euh…j’ai pas très faim… répondis-je quand il me demanda si j’avais mangé.

Ma main caressa le dos de Pippa pendant notre étreinte, d’une vitesse modérée ma paume vint flatter de haut en bas le tissu de son chandail, avant de m’éloigner pour lui redonner son espace. J’affichai un triste sourire en retrouvant son regard, elle qui venait de me confirmer que ça n’allait pas. C’est là que je lui proposai d’aller parler dans ma chambre, à l’abri du bruit que faisait Allen et ses potes dans le salon. J’avais complètement oublié qu’il recevait des gens au #17 ce soir, je ne m’en étais rappelé – de force – que lorsque ses quatre ou cinq amis étaient débarqués à l’appartement. J’avais déjà dit à Pippa qu’elle pouvait venir, et elle était déjà en route. De toute façon, ma chambre était bien assez grande et éloignée du salon pour nous donner un peu de tranquillité. Nous n’avions pas besoin du silence total et de l’appartement au complet pour trouver un peu de paix. Une paix extérieure, du moins. J’avais comme l’impression qu’en-dedans d’elle comme de moi, c’était la tempête. « J’arrive dans deux minutes. » Lui avais-je dit alors qu’elle s’éloignait dans le couloir vers ma chambre. J’allai tout de suite à la cuisine et ouvrit notre armoire d’alcool où j’en sortis une bouteille neuve de téquila, tel que promis. Pippa me disait ne pas avoir faim mais, si le plan de match était de boire pas mal de boisson forte, sans doute valait-il mieux préparer quelques encas. Alors que j’allais ouvrir le frigo, mon téléphone vibra. C’était Freja. Elle écrivait n’importe comment. Elle était ivre. Mon cœur se brisa en lisant son message. Je lui répondis, inquiet, avant d’apprendre qu’elle était en compagnie d’une amie. Nevaeh. Au bout de quelques échanges, des messages tous plus déroutants les uns que les autres, Freja m’écrivit être désolée pour tout. Les larmes me montant aux yeux, je fermai mon téléphone et le plongeai dans ma poche, sans répondre davantage. Elle n’était pas en état et, au fond, je ne l’étais pas non plus. Pas pour une conversation comme celle-là. Je sortis quelques légumes déjà coupés, des pains naans et de l’hummus, et je me rendis dans ma chambre avec la bouteille de tequila sous le bras. « Désolé, c’était plus long que prévu. » Dis-je en trouvant Pippa assise sur mon lit. Je déposai la nourriture sur ma table de chevet, avant d’aller m’asseoir à côté d’elle, lui tendant la bouteille. « Tu veux en parler ? » Si ça se trouve, elle était venue ici pour se changer les idées. Je n’arrivais même pas à me changer mes propres idées, mais je ferais l’effort, pour elle.

Je ne savais pas vraiment ce qui m’avait poussée, ce soir, à contacter Concho. Il était le seul ami, sans doute, a avoir une totale impartialité sur ma situation actuelle. Je ne pouvais pas me confier à Nevaeh sur ce coup là, je ne pouvais pas lui dire que j’avais le coeur en miette d’avoir été repoussée par Juliann, l’homme qu’elle aimait, et l’homme que j’aimais, moi aussi, encore si profondément. De plus, il y avait chez Concho cette aura réconfortante dont j’avais cruellement besoin ce soir. Il me laissa un instant dans sa chambre, où je m’assis sur le lit presque machinalement. La teneur du dernier message de Juliann tournait dans ma tête et entaillait un peu plus mon coeur à chaque second qui passait. J’avais mal. Vraiment mal. Et tout était de ma faute. La culpabilité s’ajoutant au reste, j’avais du mal à maintenir le cap, raison pour laquelle, sans doute, j’avais échoué chez mon ami de longue date. Ce dernier revint dans la chambre, s’excusant du temps qu’il avait passé à la cuisine mais j’étais dans un tel état second que les minutes m’avaient semblées des secondes. Je souris faiblement en le laissant s’installer à côté de moi avec son plateau garni. Du houmous, du pain naan et des bâtonnets de légume, pouvait-on officiellement décréter que ce garçon était parfait ? Je n’avais pas faim, mais machinalement, je pris un bout de concombre que je portais à ma bouche, ça passait tout seul, en général, le concombre. Concho me proposa de parler. Avais-je vraiment envie de parler ? Non. Mais d’un autre côté, peut-être que cela aiderait. Peut-être qu’il fallait que j’expulse tout ça hors de ma tête.
— Je ne sais pas ce qu’il y a dire...je me suis voilée la face pendant des semaines, et c’est maintenant que je me prends le revers dans la face. Et peut-être que c’est mérité, j’sais pas…

Un sourire triomphant, à peine dissimulé, se dessina sur mes lèvres alors que Pippa prenait un morceau de concombre tranché pour le glisser entre ses dents. Je savais qu’à l’aube de confidences, l’appétit s’ouvrirait. Peut-être pour nous occuper la bouche et retarder le moment des révélations. C’était peut-être un mécanisme de défense quelconque, de s’empiffrer pour éviter de se vider des mots qui nous tracassaient. Je repassais dans ma tête les textos de Freja, je ne pouvais faire autrement alors que je savais que son dernier message attendait sans doute une réponse de ma part, dans le fond de ma poche. Mais je ne réouvrirais pas cet écran. Je ne m’en sentais pas capable, pas ce soir, pas alors que je savais l’esprit de la norvégienne embrouillé et sa raison diluée. Je n’avais pas envie de faire pousser l’espoir aussi haut et aussi loin que le haricot dans Jack et le haricot magique. À chacun ses références, pour les métaphores, hein. Bref, ce soir, je me concentrerais sur Pippa, rien que Pippa. C’était bien pour ça qu’elle avait fait appel à moi, non ? « Va falloir que tu sois un peu moins énigmatique que ça parce que je vais avoir du mal à te suivre, sinon … » N’allez pas croire que je n’étais pas empathique, au contraire, je voulais que Pippa se sente à l’aise de s’ouvrir complètement sur cette histoire qui la turlupinait. Mais pour pouvoir accueillir ses plaintes, ses larmes ou ses tourments, encore fallait-il que je comprenne un peu envers qui ou quoi c’était dirigé. Je pris la bouteille de téquila pour ouvrir le bouchon, y mettant un peu de volonté puisque c’était son premier dévissage. Je pris une généreuse lampée du liquide transparent avant de le redonner à Pippa, grimaçant. J’avais toujours préféré mon alcool fort équilibré dans un cocktail trop sucré. « Va falloir que tu me ramasses à la petite cuillère demain matin. » Blaguais-je, sous-entendant du même coup que dans ma tête, cette conversation allait nous accompagner dans le changement de date sur le calendrier.

Je n’avais pas ressentis autant de tristesse depuis longtemps, je ne m’étais pas sentis si vide, non plus. J’avais la sensation que tout s’écroulait autour de moi et que j’avais tout provoqué. Le dernier message de Juliann était comme un poignard dans mon coeur. À cela s’ajoutait la culpabilité, plusieurs culpabilités différentes en réalité. Je me sentais mal par rapport aux sentiments que j’avais encore pour Juliann, mal par rapport à Nevaeh et puis il y avait Liam, et Charlie au milieu de tout ça. J’avais le sentiment de tout faire foirer, de faire du mal à tout le monde, moi y compris. Quel était donc le but de tout ça, à quoi bon ? Je me mariais dans quelques jours et je n’arrivais pas à en éprouver la moindre joie. Je savais pourquoi je le faisais, j’étais parfaitement en phrase avec ma décision. Pour autant, je ne pouvais plus me mentir, cela me rendait malheureuse. Pas de m’unir à Liam, ça non. Liam était l’une des personne sur terre qui me comprenait le mieux. J’étais malheureuse de savoir que cette union allait faire des pots cassés. Cela me donnait le sentiment d’être égoïste, et j’avais du mal à le supporter. Et puis, j’avais fait sourire Juliann. Et Nev, indirectement. Je me sentais si nulle.
— Désolée, c’est tout embrouillé dans ma tête.
Je soupirai puis bu une gorgée de téquila dans la bouteille que me tandis Concho.
— Je ne sais pas si je serais capable de ramasser quoique ce soit soit demain.
Malgré mon humeur morose, j’eus un petit rire. Je bus une nouvelle rasade, puis tandis la bouteille à mon ami, en m’essuyant la bouche.
— Je crois que j’ai encore des sentiments pour Juliann, balançai-je, sauf qu’il est amoureux de Nevaeh maintenant et que je peux pas faire ça. Je peux pas continué à penser à Juliann comme ça alors que ma meilleure amie l’aime, elle aussi. J’ai l’impression d’être une salope…

Dans mon élan de réconfort pour Pippa, en planifiant de l’écouter et de la laisser pleurer sur mon épaule en répondant à chacun de ses besoins, il fallait que j’avoue qu’il y avait un peu d’égoïsme. Si je m’attardais davantage aux problèmes de la blonde, peut-être que les miens allaient se taire pour cette nuit. Je voulais y croire au moins un peu. La vérité était que Freja était toujours un peu dans un coin de ma tête – quand elle ne prenait pas toute la place – et que c’était inconcevable que je ne pense pas à elle dans les prochaines heures, surtout pas après notre échange de textos quelques minutes plus tôt. J’étais loin de m’imaginer qu’actuellement, Pippa se sentait tout aussi égoïste que moi, mais pour de toutes autres raisons. J’ignorais qu’elle se trouvait non pas dans un triangle amoureux, mais bien dans une forme géométrique amoureuse que je n’aurais même pas su identifier. Hell, je ne savais même pas qu’elle allait se marier. Il était donc normal que je lui réclame quelques éclaircissements. « Ouais, je vois ça. Tiens, question d’nous embrouiller un peu plus. » Avais-je dit en lui tendant la bouteille de téquila. Le goût était infect, à mon avis, mais je suivrais quand même le rythme de Pippa. « Bon bah on restera enfermés ici comme deux baleines échouée alors. » Conclus-je avec un léger rire. Je n’avais pas l’intention de ramasser qui que ce soit non plus, encore moins ma propre épave. Pippa se lança enfin dans les confidences. Quand elle s’auto-insulta, je fronçai les sourcils. « Hey, non. Pas d’mot comme ça. Pas pour toi. Enfin, pour personne, idéalement … mais encore moins pour toi. » Dis-je fermement. « Tu peux pas juste faire disparaître tes sentiments comme ça comme un coup de baguette magique … Déjà, que tu tentes rien auprès de Juliann, c’est déjà une belle preuve du respect que t’as pour eux, non ? »

La téquila était amère, mais bien moins que les pensées qui me traversaient à cette instant même. Ce n’était pas mon genre de me dénigrer, ou d’avoir des mots durs envers moi-même, et encore même des insultes. Je trouvais cela trop violent, et négatif. En temps normal, je clamais partout que nous devions être la première personne à nous communiquer de l’amour. J’étais une grande défenseuse du self-love et ce que je faisais ce soir, en m’auto-insultant, était le parfait opposé. Concho avait raison, je ne devais pas avoir de tels mots envers moi-même. J’opinai doucement en levant les yeux vers lui, puis je levai le coude et portais à nouveau la bouteille d’alcool à ma bouche. L’amertume, à nouveau. Cette fois, ce fut lorsque Conchobahr avança que c’était déjà une preuve de respect de ma part envers Nevaeh et Juliann de n’avoir rien tenté avec mon ex. J’inspirai longuement. Cette affirmation là n’était pas totalement vraie. Me revenait en mémoire la fois où Nev était en voyage pour son boulot, en Afrique du Sud, et où Juliann et moi avions couché ensemble. Nous n’avions pas réfléchi aux conséquences ce jour là, et si mes deux meilleurs amis n’étaient pas officiellement ensemble à ce moment là, des sentiments étaient d’ores et déjà présents, j’en étais persuadée. Concho essayait d’être gentil, il essayait de m’apaiser, et cela marchait dans un sens. Je lui étais reconnaissante pour ça.
— T’es le mec le plus doux que je connaisse, confessai-je en me rapprochant de lui.
Je baissai les yeux vers lui. Je me sentais déjà un peu engourdie par l’alcool, et la sensation de flotter me gagna rapidement. Mon esprit embué n’était plus capable que d’une chose : se focaliser sur ce qui lui faisait du mien sur le moment. Autrement dit sur Conchobahr, ce mec beau et profondément gentil qui m’avait ouvert grand les bras ce soir, sans hésiter une seule seconde.
— Je crois qu’elle se rend pas compte de ce qu’elle perd, ta meuf…
Clairement pas. Ce type était un diamant à l’état brute. Le genre de mec qu’on ne laissait pas partir une fois qu’il nous avait donné le meilleur de lui. Sans réfléchir, je réduisis tout à coup la distance qui me séparait de l’homme et embrassai ses lèvres comme si c’était la meilleure chose à faire.

J’esquissai un faible sourire, peu convaincu. Doux, je ne sais pas. C’était sans aucun doute l’image que je projetais, celle que je voulais projeter en tout cas. La réalité n’était peut-être pas aussi jolie. Je n’étais jamais volontairement méchant ou cruel, mais je réalisais que plus les années passaient, plus mes décisions et mes réactions pouvaient semer la souffrance autour de moi. J’avais beau tenter de recoller les morceaux à tout coup, je réussissais à les refaire voler en éclats dans le temps de le dire. Je pensais de plus en plus à moi, et si pour certaines situations c’était un comportement tout à fait louable, dans mon cas cela frôlait bien trop souvent l’égoïsme. Ne voulant pas montrer mes doutes à Pippa, je lui répondis plutôt : « C’est la crème Vichy Aqualia qui fait ça. » J’avais assez de femmes dans ma vie pour pouvoir faire ce genre de blague et avoir l’air de trop m’y connaître en plus, ce qui ajoutait à l’humour. En réalité, ma peau était bien sèche, aussi sèche que mon cœur qui ne pouvait plus s’abreuver à l’amour de Freja. À cette pensée, j’attrapai la bouteille de téquila et j’en avalai une gorgée qui eut du mal à passer tellement j’en avais pris. Je grimaçai, laissant l’alcool brûler mon œsophage. Je fermai les yeux en sentant que la pièce autour de moi commençait à prendre un goût d’irréel. J’étais là mais je n’étais pas tout à fait là non plus. J’étais entre deux mondes. Glissant doucement vers le déséquilibre. Je tournai la tête vers Pippa quand elle affirma que Freja ne se rendait pas compte de ce qu’elle perdait. Je ne répondis rien, mon regard à lui seul disait tout, planté dans le sien. Mes yeux brillaient de tristesse et de reconnaissance à la fois. Pippa savait toujours quoi dire, quoi faire, pour chasser mes tourments. Et je ne sais pas si là, cette fois, ce qu’elle fit était la bonne chose à entreprendre, mais je me laissai prendre prisonnier de ses lèvres sans lutter. Je lui rendis ce baiser, posant une main sur sa joue après quelques secondes, ouvrant mes lèvres sur les siennes pour que nos souffles ne fassent plus qu’un. Ce souffle avait une odeur d’espoir, d’erreur, de douceur et de culpabilité. Je me concentrai sur l’enivrement qu’il me procurait, renversant lentement Pippa sur mon lit en m’allongeant contre elle.

J’étais quelqu’un de plutôt cérébrale en règle générale, malgré mon caractère insouciant et spontané que j’avais développé en opposition totale avec l’éducation de ma mère et surtout avec ce qu’elle attendait de moi. Malgré tout, j’avais ce réflexe de psychologue qui me faisait gamberger à chaque instant et la plupart du temps, même si aux yeux de mon entourage, c’était le contraire qui ressortait en priorité. Mes décisions étaient réfléchies, voire longuement muries pourtant. Mais pas cette fois là, cette fois là, ce fut l’instinct qui me guida de bout en bout. Et cela me faisait du bien, sur le moment. Quand à déterminer si c’était une bonne chose ou non, je n’en étais pas encore là. Mes lèvres contre celles de Concho, les paupières closes, je me laissai porter par ce moment hors du temps, hors de la raison. Je laissai son souffle couvrir le mien, sa peau électriser la mienne. Je l’embrassai sans penser au lendemain, sans penser tout court. C’était une pulsion, un besoin primaire qui était né dans mon ventre, attisant par le feu ardent du désir. Conchobahr m’attira sur son lit et me surplomba de son corps. Je lui souris entre deux baisers. L’alcool me faisait tourner la tête, mais ce tourbillon-là était agréable, je n’avais pas envie d’en sortir, pas encore. Je redoublai de fougue, et capturai les lèvres de Concho avec ferveur, enroulant par la même occasion mes jambes autour de ses hanches pour le rapprocher de moi.

Ma relation avec Pippa avait toujours été amicale, malgré l’attirance que j’avais toujours eu envers elle, malgré les sentiments que j’avais eus à une époque, je n’avais jamais acté sur ceux-ci. Mais j’avais l’impression que notre amitié était en train de basculer depuis un moment, entre les non-dits et les sous-entendus. Les mots échangés lors de ce pique-nique au bord de la rivière ne semblaient avoir rien changé entre nous, à priori, mais notre comportement de ce soir me prouvait que nous avions découvert une brèche dans notre relation. Et si les mots n’avaient pas suffi à tout chavirer, ce que nous nous apprêtions à faire aller sans aucun doute créer le déluge. Je n’avais aucune envie de méditer davantage sur la question, cependant. Les conséquences de la chute de dominos que nous étions devenus lorsque je l’avais renversée sur mon lit ne m’importaient pas. Je continuai à l’embrasser, à la toucher, à humer son odeur que je n’avais jamais perçue comme enivrante jusqu’à aujourd’hui. Ou peut-être était-ce la téquila qui rendait mes sens un peu trop brouillons. Pourtant, le bout de mes doigts captait chaque tressaillement de la peau de la blonde et mes yeux interceptaient chaque sourire entre deux baisers. La jeune femme entoura ses jambes autour de mes hanches, m’invitant un peu plus contre elle. Mon sexe gonflé se plaqua alors contre l’entrejambe de mon amie d’enfance et tout d’un coup, mes vêtements me semblèrent trop serrés, je suffoquais dedans. J’entrepris alors de délivrer Pippa des siens au même rythme que je retirais les miens, avec l’aide agile de ses mains à la chasse au tissu. Nos lèvres se retrouvaient dès qu’elles le pouvaient, entre les chandails et les sous-vêtements lancés par-dessus nos têtes.

Concho et moi n’avions jamais franchit le pas, nous n’y avions même jamais songé auparavant. Oui, il existait quelque chose de doux entre nous, quelque chose de spécial que j’avais assimilé jusque là à de l’amitié. Je ne pouvais pas nié cette petite attirance que j’avais pour mon ami d’enfant, cette même attirance qui venait gratter à la surface ce soir. J’étais obligée de la voir, de la sentir. Sa bouche sur la mienne et j’oublie complètement mon ami d’enfance. Il ne m’a embrassé qu’une fois auparavant, mais pas comme ça, pas avec cette fièvre, cette avidité qui faisait grimper d’un seul coup la température autour de nous. Mon esprit est complètement embué par l’alcool, mon jugement totalement altéré. J’ai mal et je veux tout anesthésier. Je me fiche de tout à ce moment précis. Seuls compte la peau de Conchobahr contre la mienne, son souffle court, la langue qui joue avec la mienne, seul compte le moment présent, qu’on regrettera le lendemain ou non. L’heure n’est plus aux questions de toute façon. Nos vêtements volent un a un et rapidement, nous nous retrouvons nus, l’un contre l’autre. Je sentais l’érection de mon amant contre mon sexe nu, et mon envie de lui grandit, jusqu’à devenir insoutenable. Ma bouche glisse jusqu’à l’oreille de Concho.
— Maintenant…, suppliai-je au bord de l’explosion.

C’aurait été un mensonge de dire que je n’avais jamais songé à Pippa de cette manière. Je l’avais déjà déshabillée du regard lorsqu’elle portait ses légères robes d’été ou ses maillots de bain qui facilitaient la tâche de mon imagination. Je l’avais déjà dessinée dans mes pensées, allongée nue sur mon lit, pour abreuver mes fantasmes lorsque le sommeil ne venait pas, il y avait de cela plusieurs années maintenant. Mais jamais je n’avais songé qu’on pourrait passer à l’acte, que son odeur imprégnerait ma peau de cette manière et que j’en serais enivré, et que j’en redemanderais encore et encore. Ces pensées-là, peu chastes, avaient été rangées dans un coin de ma tête et je ne les avais pas ressorties depuis longtemps, pas même lors de notre pique-nique au bord de l’eau. Pippa et moi avions mis au clair que nous étions peut-être passé à côté de quelque chose mais ça s’était arrêté là, puisque ni elle ni moi n’en étions là encore aujourd’hui. Jusqu’à ce soir. Ce soir, tout basculait, et je ne savais pas trop vers quel précipice nous nous dirigions à vive allure. Pour le moment, je n’en avais que faire. La téquila avait paralysé ma raison et je n’écoutais que mes pulsions les plus primaires, qui dictaient chacun de mes gestes. Si le jugement de Pippa était altéré, le mien s’était complètement volatilisé, à tel point que lorsqu’elle me supplia de passer à l’acte maintenant, je ne me posai même pas plus de questions. Pas même les questions habituelles. En même temps, c’était peut-être devenu une habitude pour moi de ne pas être trop réfléchi lors de mes relations sexuelles. Je n’aurais pas eu deux enfants surprises, autrement. Je me lovai donc entre les jambes de mon amie d’enfance et, le sexe fièrement dressé vers son intimité, je m’insérai en elle avec facilité vu nos niveaux respectifs d’excitation. Tous les deux pressés et impatients, les vas-et-viens débutèrent avec une force et une cadence qui laissaient présager le moment sans doute court mais passionné que nous partagions. Une chose était certaine : Allen et ses potes, au salon, allaient avoir de quoi discuter ce soir.

Je n’aurais su dire si c’était l’alcool, ou bien une espèce de frénésie contenue pendant trop longtemps qui rendait notre étreinte si effrénée, mais je retrouvais le caractère passionné et sans filtre que j’avais toujours connu chez Conchobahr. Je connaissais l’ami, je découvrais l’amant et l’un n’avait rien à envier à l’autre, chacun d’eux était doué dans son domaine. L’ami savait me faire rire, me proposer une épaule et une oreille attentive, là où l’amant prenait la place qui lui revenait, m’offrant des coups de reins à m’en faire perdre la tête, à me faire oublier ce qui m’entourait, à embraser le grain de ma peau comme s’il était le gratton d’une allumette. Le bassin de Concho se pressait fiévreusement contre le mien, ses vas-et-vients augmentant rapidement peu à peu, jusqu’à devenir complètement frénétiques. Je gémissais sans retenue, rejetai la tête en arrière, tendant la nuque et agrippant le drap. C’était exactement ce dont j’avais besoin, ne plus penser, ressentir, seulement ressentir. L’instant fut très intense, très vite. Je sentis peu à peu monter l’orgasme, dangereusement, il me terrassa rapidement sans que je ne l’ai vu venir. Je poussai un cri sans pouvoir le contrôler et me crispai toute entière, savourant cet instant qui me cloua comme un éclair.

Quelques minutes à peine, mais des minutes intenses, des minutes passionnées, des minutes qui se transformeraient sans doute en heures à force d’être repassées dans mes souvenirs auxquels je m’accrocherais pour être bien certain de ne rien oublier. Pas même l’alcool ne saurait effacer des parcelles de ce moment. Je voulais me rappeler de l’odeur de l’excitation de Pippa, je voulais me remémorer l’emplacement de chacun de ses grains de beauté sur lesquels mes yeux s’étaient posés. Je voulais garder en mémoire la douceur de ses lèvres sur les miennes et le goût de sa bouche quand nos langues se confondaient. Il s’agissait là d’un moment éphémère et je le sentais au creux de mon âme, au fond de mes tripes. Je n’aurais su dire pourquoi mon instinct me criait de m’accrocher mais je l’écoutais, m’enflammant en Pippa sans réfléchir davantage. Mes coups de rein ne suivaient même plus un rythme calculable, je perdais la tête, je perdais le contrôle, mon corps ne répondait plus qu’à l’empressement de jouir. La blonde me suivait dans cette cadence déchaînée, et bientôt je sentis son sexe se contracter autour du mien et son orgasme sembla exploser autour de nous. Son cri sembla réduire au silence tout le reste du monde environnant, ou peut-être est-ce moi qui n’entendais plus rien d’autre qu’elle, qu’elle et son plaisir, qu’elle et sa beauté vivante. Je jouis en elle, la rejoignant dans l’instant ardent, mes doigts se resserrant autour des poignets de la blonde alors que nous étions de toute façon déjà tous les deux cloués par la force de nos ébats. La respiration haletante, je chassai peu à peu les tremblements de mon corps contenté, cherchant le regard de Pippa pour voir si j’y lirais les mêmes questionnements que moi. Et maintenant ?