manzàntis --- every breath you take.

Emilia, tu étais sortie depuis peu de temps de l’hôpital, te remettant difficilement de cette violence. Il t’avait retrouvé, ton ex et il ne t’avait pas loupé, offrant une scène d’horreur à ton frère et ta belle-sœur. Les souvenirs de cette soirée étaient si flous qu’essayer de te remémorer te donnait un mal de crâne, te donnant l’impression de périr peu à peu. On t’avait vivement conseillé de te rapprocher d’un groupe de soutien, mais t’osais pas vraiment, Emi, parce qu’il y avait Elias. Cet homme que tu fuyais depuis que ton cœur s’était animé à la vue de son regard, entre ses bras. Et tu n’étais pas habituée à ça, fallait dire que t’avais adopté des réflexes de femme battue, que tu tremblais à l’idée qu’on puisse poser un doigt sur ta peau marquée. Tu affichais des bleus, des cicatrices et tu peinais à respirer sans frémir : les côtes encore douloureuses, tu n’étais qu’une blessure sur deux jambes, tentant de survivre et de ne pas t’effondrer, Emi. Pourtant, ce soir, tu semblais avoir pris ta décision, déplaçant ta carcasse malmenée jusqu’à l’association : tu baissais le visage, cachant ce long bleu niché sur ta mâchoire, tes cernes, ton teint blafard. Tu n’allais pas bien, mais tu faisais de ton mieux, réellement, mais tu n’étais plus qu’une ombre rôdant dans les rues de Bowen. La gueule enfoncée dans la capuche sombre de ton sweat, tu passais le hall d’entrée, sauf que tu réalisais que la réunion venait de s’achever, en raison de toutes les personnes qui sortaient de la salle. Tu relevais à peine le regard, regardant où était Elias, pour finalement t’approcher de lui. Tu touchais son épaule de ton index et laissais glisser ta capuche le long de ta chevelure, rivant tes prunelles céruléennes des siennes. Et tu ne disais rien, parce que les larmes te montaient aux yeux, parce que t’avais besoin de lui. Plus que tout.

Tu ne savais pas très bien pourquoi tes pas t’avaient mené jusqu’ici, toi qui avais refusé l’aide proposée à l’hôpital. Tu détestais montrer ton mal-être, affirmer que tu avais besoin qu’on t’épaule et t’écoute, toi, le soleil, qui mettait, autrefois, de la joie partout où tu allais. Les centres d’aide, qu’importent leurs nombres, te faisaient penser à Elias. Inévitablement. Revoir Elias te mettait dans l’embarras, toi qui avait ressenti un truc différent pour cet homme. Tu ignorais pourquoi, mais fallait dire que sa douceur et sa bienveillance te changeaient, te faisaient autant de bien que de mal. Avec la violence de ton ancien copain, tu pensais mériter ce sort, que tu avais fait quelque chose pour que la vie s’acharne ainsi sur ta carcasse. Cela se voyait au comportement que tu adoptais depuis un moment, Emi, que tu subissais, que tu ignorais comment retrouver ta joie de vivre, et pourtant, t’avais ressenti un certain soulagement lorsque ton ex avait été arrêté. Malgré la douleur, la souffrance et tous les traumatismes, tu t’en sortais, avec un poids en moins sur les épaules. Ceci n’avait pas de prix. Alors, lorsque tes pas te guidaient jusqu’à la salle vide et que ton index touchait l’épaule d’Elias, tu ne pouvais pas ignorer la douceur qui venait envelopper ton palpitant, longuement abandonné. « Il m’a retrouvé. » Que tu murmurais d’une voix fébrile, laissant ta main retomber le long de ton corps et tu étais incapable de quitter les prunelles d’Elias. Même si les larmes montaient aux yeux et que tu te mettais à pleurer, à trembler, tu ne résistais pas à l’envie de venir l’enlacer, entourant son torse de tes bras qui flageolaient. Et tu te laissais aller, Emilia, contre lui, contre celui qui mettait du baume à ton cœur, qui te réchauffait après avoir été bloquée dans une tempête de neige quelques années. Fallait bien que tu te reposes, Emi.

Tu trouvais un refuge et un abri au creux de ses bras, te permettant de fermer un petit moment les paupières, te laissant ainsi aller. Tout te semblait plus facile ainsi, comme si les planètes s’étaient alignées et que ton mal-être se voyait effacer par une étreinte rassurante. Peu de mots sortaient d’entre tes lèvres, Emi, tu sanglotais, en baissant les yeux. Les phalanges se liaient et la capuche retrouvait sa place initiale sur ta tête brune. Tu suivais ainsi Elias dans les couloirs : toute cette tendresse te bouleversait, tu avais perdu de vue ce drôle de sentiment qu’était l’affection, bien loin de celle portée à ta famille et à tes ami(e)s. Plutôt celui de se sentir protéger et en sécurité, loin des cris, des reproches et des coups mitraillant ton épiderme malmené, ta carcasse à l’abandon. Vous voilà à nouveau isoler dans une autre pièce et tu ne bougeais pas beaucoup, Emi, tu restais figer sur tes gambettes, à ne pas savoir où te mettre. Tes doigts, nerveux, jouaient ensemble, finissant par t’asseoir, presque de manière robotique sur le canapé. Tu hochais négativement le visage, tu ne voulais rien, juste t’asseoir et lui parler te ferait le plus grand bien, Emi. Alors, tu attendais qu’il prenne place à tes côtés pour glisser une de tes mains au creux des siennes. Tu tremblais : un coup de vent et tu valdinguais jusqu’en France. « Oui, je suis restée quelques jours à l’hôpital. » Et tu esquissais un maigre sourire, tes côtes encore douloureuses lorsque tu osais respirer. Tu finissais par le regarder, mais tu n’affichais que très peu les douleurs ressenties à chaque mouvement, Emi. Tu te contentais de le regarder, Elias, de tes beaux yeux azurés et tu déposais lentement ton visage sur son épaule. D’abord timidement, comme pour tâter le terrain, de peur qu’il te repousse et te voilà, à intensifier l’étreinte de vos mains. Tout ceci te permettait d’aller mieux, Emi, tu t’en rendais compte.

Tu ignorais pourquoi tu agissais de la sorte avec Elias, pourquoi ton corps ressentait le besoin de se blottir contre le sien, pourquoi tu avais l’envie de le sentir tout contre toi, alors que tu craignais le contact des autres. Elias, il avait percé ton cœur et tes secrets contenus derrière ta risette incandescente : tu savais que tu n’avais pas besoin de te cacher ni de te contrôler lorsqu’il était dans les environs, lorsqu’il plongeait ses prunelles dans les siennes. Tu étais totalement perturbée et déstabilisée par sa présence, par les paroles qu’il te confessait, sans détour aucun. Ce précieux sentiment de sécurité oublié te revenait progressivement et ça étirait une maigre risette le long de tes lippes charnues. « Je suis sortie il y a quelques jours… » Et tu faisais l’impasse sur tes absences aux réunions : tu ne pouvais pas lui dire que tu ne venais plus à cause de ce soir, que ton attirance pour lui t’effrayait et que tu n’arrivais pas à te le sortir du crâne. Autrefois, tu n’aurais ressenti aucune honte à avouer ton attirance et à te lier à lui, mais voilà que les temps changeaient, que tu vivais encore sous les ombres de ton ancien copain. Tu n’étais pas prête et pourtant, t’en mourrais d’envie. Terriblement sentiment refoulé, mh ? « Je ne préfère pas… » Tu avais toujours du mal à parler, Emi, fallait pas t’en vouloir : t’étais traumatisée, incapable de relater les derniers événements sans être parcourue par une montée d’angoisse. « Ça va, je crois. » Tu étais bien loin d’être sûre de toi avec tout ce bourbier, Emi. Tu ne faisais pourtant pas semblant, tu tentais réellement d’être bien, de remonter la pente, mais ça te semblait insurmontable par moments. Comme si chaque effort allait être réduit à néant par tes pensées tourmentées. « Je fais des crises d’angoisse, je dors mal et j’ai toujours l’impression de sentir ses coups. » Que tu finissais par dire en caressant l’intérieur des mains d’Elias, tentant de chasser le sanglot qui te bloquait la gorge. En vain.

Tu appréciais le fait qu’il ne te forçait jamais à parler, Elias. Tu te complaisais dans ton silence, à garder bien enfoui ton malheur, parce que tu n’étais pas habituée à vivre tant d’émotions néfastes. Emi, toi, tu souriais, tu riais, tu te faisais remarquer par ta bonne humeur et tes risettes enivrantes, jamais tu n’aurais pensé finir au plus bas de l’échelle. Et t’espérais, au plus profond de ton être, renouer avec cet ancien toi, celle que tu prenais plaisir à incarner, celle qui te donnait l’impression de vivre. Tu avais promis d’aller mieux, que ton ancien copain ne te pourrirait pas la vie jusqu’à ta mort, tu désirais sincèrement passer à autre chose, te remémorant à quel point tu avais été forte. Ne pas te rabaisser, ne plus culpabiliser : tu ferais de ton mieux et tu savais qu’Elias serait présent à tes côtés, même si parler de tout ceci te faisait plus de mal que de bien. Tu aimais être présente pour les autres, mais lorsqu’il s’agissait des siens, la difficulté était bien ancrée. « Il a été arrêté le soir où il m’a retrouvé et frappé… Je ne me souviens plus trop des détails, mais il est en prison. Ici ou en Italie, je n’en sais pas plus. » Tes doigts arrêtaient un instant leurs caresses pour simplement glisser tes phalanges entre celles d’Elias, liant vos deux paumes ensemble, sans oser le regarder. Tu craignais de te perdre dans son regard, de ressentir ce truc particulier, alors que tu venais tout juste de rompre. Certes, l’amour n’était pas réellement présent pour ton ex, plutôt envolé, le jour où il t’avait cogné pour la première fois, mais tu ressentais, au plus profond de ton être, qu’il y avait bien plus qu’une amitié avec Elias. Le téléphone sorti, tu rentrais son numéro et délaissais bien vite l’objet sur le côté, te séparant lentement de son épaule pour river tes prunelles des siennes. « D’accord. » Et ta voix portait à peine, lorsque ta main, celle qui n’était pas nouée à la sienne, venait épouser sa joue, dans un geste des plus affectifs. « Merci… Je n’hésiterai pas. » Ton cœur se serrait, Emi, ça te bouleversait.

Maintenant que ton ex se trouvait derrière les barreaux, il était vrai que tu te sentais plus en sécurité. Tu avais même entrepris les démarches pour pouvoir t’installer et vivre durablement ici, à Bowen. Encore un peu de temps et tu pourrais commencer à travailler, tenter de trouver un poste de cheffe cuisinière, comme tu l’étais en Italie. La cuisine te manquait, tout comme gérer ta vie, sans être dépendante de l’argent que ta famille te fournissait. Tu pensais également à tes voyages et aventures en milieu naturel, tes sorties en ville, tout pour retrouver celle que tu étais avant. Avec Elias, tu n’avais pas spécialement ces craintes et tu ne comprenais pas pourquoi. Les autres, tu ne les laissais pas t’approcher et te voilà, à caresser les paumes d’Elias, à mêler vos phalanges ensemble, dans un désir de toujours plus de proximité. « Pourquoi tourner en rond ? » Demandais-tu lorsque ton visage se redressait, la main caressant délicatement sa joue, comme pour t’assurer qu’il était bien là, vivant, en chair et en os, non-issu de ton imaginaire. « Je ne préfère pas… » Tu avais réellement du mal avec ces réunions et le fait d’attirer l’attention, qu’on t’écoute, te conseille, jusqu’à éprouver de la pitié pour toi. Non, tu étais le soleil, Emi, pas de ceux qui attisaient les larmes et la peine. « Je suis bien entourée, tout ira bien. » Et tu avais confiance, Emi, en ton avenir, en tes efforts pour perpétuellement avancer vers un chemin plus agréable, bénéfique. En le regardant, Elias, t’avais envie d’y croire, en déviant tes prunelles sur ses lèvres, t'avais envie de lui dire ce qui te traversais, mais tu finissais par reculer, brisant soudainement la proximité vous unissant. « Pardon, je… » Tu réalisais que cela n’avait rien d’anodin, que tu affichais un peu plus ton attirance et tu étais parcourue de culpabilité. « Je ne voulais pas paraître insistante ou… Intéressée. » Et voilà que la maladresse te faisait perdre tes moyens.

Tu pouvais que comprendre et approuver le fait qu’il ait parfois du mal à s’endormir, Elias. Cela t’arrivait bien trop souvent, depuis de longs mois, désormais, de peur que ton ex te tue, mais ta tête, elle, ne te laissait jamais tranquille. À chaque occasion, tes pensées te tourmentaient et tu n’en pouvais plus, Emi. Tu prenais régulièrement des médicaments pour pouvoir fermer les yeux et t’endormir sereinement, même si tu arrivais de moins en moins à t’en passer. Un malheur remplacé par un nouveau, dans le secret le plus total, mais tant que cela te faisait du bien, tu ne voyais pas le mal, Emilia. Alors, tu acquiesçais sans un mot à ses propos, pinçant tes lèvres ensemble. T’en profitais pour bien te redresser après avoir coupé court à votre proximité. Tout semblait étrange, à nouveau et tu ne pouvais pas t’empêcher de penser que tu l’avais blessé, Elias : à lui faire les yeux doux puis à le repousser, comme si la lucidité était revenue. « Je vais y aller. » Déclarais-tu d’un ton froid, sans parvenir à maîtriser les émotions qui te submergeaient. Tu te levais, glissais à nouveau ta capuche sur ton carré brun et faisais quelques pas vers la sortie, la main s’immobilisant sur la poignée. « Je ne venais plus à cause de ce soir. » Et il comprenait, Elias, que ce moment t’avais perturbé, suffisamment pour t’empêcher de revenir les autres jours. Un dernier regard porté dans sa direction, une risette et te voilà à disparaître dans les couloirs, les mains dans les poches, veillant à ne faire aucun bruit.

Tu souhaitais en finir là : laisser le malaise s’installer et lui confier la raison de ta disparition soudaine, de quoi le tenir éveiller, envahir ses pensées (tu le souhaitais, qu’il pense souvent à toi, qu’il ne trouve pas le sommeil en t’imaginant). Pour le moment, tu n’acceptais pas totalement les sentiments et sensations qu’il te provoquait, Elias, tu préférais couper court à la proximité, puis te relever, sur tes gambettes fébriles. Tu regrettais de ne pas pouvoir lui en dire plus, tu te retrouvais effrayer, à l’image d’un animal farouche face à lui, incapable de te livrer, comme si le faire lui donnait accès à tes failles cachées, celles que tu n’assumais pas tout à fait. Une risette pincée et tu disparaissais dans le couloir, les mains enfouies dans les poches, sauf qu’Elias ne tardait pas à te rattraper après ton sous-entendu servant de final à cette scène frôlant l’onirisme. Et tu le regardais dans les yeux, frissonnant au simple contact de ses doigts sur ta peau, de sa respiration s’échouant sur tes lèvres charnues. Ton palpitant s’emballait et tu étais parcourue d’une chaleur réconfortante, celle que l’on cherchait durant un hiver rude. « Tu n’as rien fait de mal. » Il avait juste vu au-delà de ton apparence solaire, eut une vision de toi que personne n’avait pu observer jusqu’à présent. « J’ai ressenti un truc ce soir et ça m’a déstabilisé… » Finissais-tu par confesser d’un ton hésitant, d’une voix à peine audible, sans baisser les yeux ni tenter de fuir. Fallait te rendre à l’évidence qu’il te plaisait, beaucoup trop, Elias. « Et j'ai peur que tu me repousses... »