hot - we come together 'round midnight when it’s just you and me (belmo)

Les bras chargés d'un plateau chambranlant, des tasses vidées d'un latte probablement ignoble au goût mais que les clients trop polis avaient tout même bu, Bella avançait cherchant son équilibre. Mais de l'équilibre, elle en avait pas. Et elle ne ferait pas un bon funambule. Deux pas plus tard, le contenu de son plateau venait s'écraser au sol, laissant voler en éclat les tasses de verres transparentes. La brune regardait le gâchis au sol, soupirant. Encore heureux que le patron avait quitté et qu'il n'était pas là pour observer son fiasco. Pare qu'entre les commandes mal exécutées, celles offertes au mauvais client et les dégâts derrière le comptoir, il était sans doute à deux doigts de vouloir renvoyer la copine de son employé et, par le fait même, de lui demander de ne plus jamais lui référer quelqu'un. C'était horrible. Bella agrippa le balai pour faire disparaître le verre au sol. Puis, s'avançant vers Elmo qui avait sans doute été témoin de toute la scène, elle soupira, jetant les débris dans la poubelle sous le comptoir et s'y appuyant dramatiquement, les coudes sur la surface, les mains entre ses paumes. « Je t'avais dit que j'étais nulle », soupirait-elle de plus belle. C'était sa faute, au fond. Elle avait bien trop chargé son cabaret. Et elle n'était qu'à demi attentive aux consignes, la tête bien trop préoccupée par l'envie que ce temporaire soit court et qu'une firme dans le domaine qu'elle avait choisi la rappelle. Mais ça, ça pouvait être long. Bella se redressa seulement lorsqu'une belle blonde entra dans le café. Elle se tourna vers Elmo. « Sers-là... », soupira-t-elle à nouveau. « J'vais me tromper dans son café, elle va te regarder avec ses grands cils, j'ai pas envie de vivre ça. Je me suis déjà assez humiliée comme ça », fit-elle en baissant les bras.

À chaque seconde qu’il avait de libre, Elmo jetait un regard à Bella pour voir comment elle se débrouillait. De temps en temps, il réprimait une grimace quand il la voyait remplir un peu trop le refill d’une tasse de café, ou quand son plateau tremblait sur sa main incertaine. Il l’avait gavée d’encouragements et mots rassurants toute la journée, mais il était vrai que la costaricaine avait du mal à prendre un rythme, à prendre ses marques. C’était normal, elle commençait. Mais certaines serveuses débutantes l’avaient eu un peu plus naturellement qu’elle. Elmo ne se décourageait cependant pas et il était persuadé qu’après quelques journées de pratique, elle serait la meilleure et la plus appréciée des clients. Elle n’avait qu’à sourire pour se faire pardonner toutes ses erreurs maladroites. Malheureusement, ce soir, Bella ne souriait plus vraiment. L’italien ressentait tout le stress qui habitait sa copine, et la déception, aussi. Elle baissait déjà les bras. Au point d’en échapper son plateau de tasses vides. Heureusement, le café s’était vidé de ses âmes revigorées par leurs lattés. Il ne restait que quelques étudiants ou amis par-ci et par-là, qui n’accordèrent que quelques secondes d’attention à cet accident. Le barista suivit sa copine des yeux alors qu’elle venait jeter toutes traces et preuves de céramique cassée derrière le comptoir. Il esquissa un sourire. « Laisse-toi le temps, babe. » La sonnette de l’entrée retentit et tous les deux tournèrent la tête vers une jolie blonde. Elmo redirigea son regard vers Bella quand elle lui lança de la servir, lui sortant des arguments à demi compréhensibles. L’italien se dirigea vers le comptoir et prit la commande de la blonde, avec son grand sourire – pour le bon service à la clientèle, quoi. Il lui prépara son café pour emporter et, quand elle repartit vers l’extérieur, Elmo fit quelques pas vers Bella. « T’es trop dure avec toi, comme d’hab. C’était vraiment pas si mal. Si tu savais le nombre de tasses que j’ai cassées quand j’ai les deux yeux dans le même trou, le matin. » Il tentait de la rassurer, mais il voyait bien que c’était peine perdue. « On a un pas pire pourboire à se séparer malgré tout, toi et moi … » Dit-il en désignant leur cagnotte de la soirée.

Elle était nulle. Une horreur. Et, pourtant, Bella n'était vraiment pas du genre à se dévaloriser. Bien au contraire, elle était dotée d'une confiance en elle que bien des filles jalousaient. Cependant, ce job, il était à l'opposé de ce que Bella savait faire. Elle, elle savait parler. Parler beaucoup. Le job de vendeuse était tout indiqué pour la belle brune. Elle créait un climat de confiance avec sa cliente, parlait d'un peu tout et rien pendant qu'elle fouinait dans la boutique ou qu'elle essayait des morceaux. Bella se permettait de donner son opinion, de proposer des ensembles, des coupes différentes et le tour était joué. Mais au café, tout était bien différent. C'était les autres qui parlaient et elle qui devait écouter. Et comme elle était plutôt nulle en cuisine, faire des cafés et des lattés était une tâche plus ardue pour la Costaricaine. Ça et, évidemment, débarrasser les tables, comme elle en avait fait tomber la moitié du contenu sur le sol et qu'il s'était fracasser. Devant autant de déception, Bella n'accordait même plus d'importance aux clients encore dans le café qui pouvaient la regarder. Humiliée, elle l'était bien assez ainsi.

Ramenant les débris de verres et de céramiques vers l'avant du café, là où Elmo la regardait derrière le comptoir, elle affichait cette moue contrariée, fâchée contre elle d'être aussi nulle et incompétente. Elmo, pourtant, la regardait avec des yeux doux. Et dans son ton de voix, il y avait une douceur absolue, quelque chose qui se voulait apaisant. Cependant, il avait beau lui donner tous les compliments du monde, le sentiment de Bella ne se dissipait pas : elle était nulle à chier. Une vraie merde. Elle aurait eu envie de sourire à Elmo, pour lui faire comprendre que ses tentatives étaient excellentes, qu'il lui disait exactement ce qu'il fallait, qu'il était le parfait petit ami, mais elle n'en eut pas le temps. Le travail les ramenait à l'ordre alors qu'une nouvelle cliente, sans doute dans les dernières de la soirée, entrait dans le café. Elle lui ordonnait presque de prendre le service, même si sur son tablier était épinglé le macaron en formation et qu'Elmo avait reçu l'ordre du patron de laisser le plus de client possible à Bella. À cet instant, elle se foutait bien des consignes du patron.

Elmo ne se fit pas prier pour servir la blonde, à la demande de sa blonde à lui. Mais une fois la jeune femme partie, satisfaite de sa commande et du grand sourire qu'elle avait reçu, il ne perdit pas un instant pour s'approcher de Bella, une voix qui se voulait rassurante. « Pas si mal », répétait-elle en soupirant. « Les tasses cassées, ce n'est pas que ça... » Elle releva un regard réellement déçu sur son petit ami. « Babe, j'arrive même pas à me souvenir ce qu'il doit y avoir dans un macchiato... Et je ne sais même pas si je le prononce comme il faut. Et si je sens encore une chocolatine, je pense que je vais gerber. Comment tu fais pour tout gérer ça? » Elle posait réellement la question, désemparée, perdue, elle qui n'avait pas l'habitude d'être mauvaise. « C'est surtout pour toi », fit remarqué la Costaricaine à l'égard du pourboire. « Tu penses qu'on peut m'acheter du talent avec ça? » Après avoir lâché un soupir de plus, elle se hissa sur le comptoir pour s'y asseoir, tendant les bras devant elle pour qu'Elmo s'approche. Elle attrapa les mains de son petit ami. « Tu me le dirais si j'étais la plus nulle des serveuses? »

À cet instant, Elmo se foutait lui aussi des consignes du patron. C’était à peu près toujours le cas, en fait, mais encore plus ce soir. Si l’italien pouvait parfois paraître insolent auprès de son boss, ce dernier aurait du mal à le renvoyer puisqu’il était quand même l’employé idéal pour le reste. Il couvrait les horaires que les autres étudiants ne pouvaient assurer pendant les cours ou les périodes d’examen, il n’avait pas de fin à son contrat verbal, il commençait à connaître le café et les recettes par cœur. Alors même s’il arrivait parfois quinze minutes en retard ou qu’il parlait un peu trop avec des amis plutôt que s’activer dans les préparations, son patron le gardait là où il était : sur le payroll. Elmo n’allait donc pas miner encore plus le moral de sa petite amie en l’obligeant à s’occuper des derniers clients de la soirée. Elle en avait assez eu pour aujourd’hui, il le sentait. Le barista servit rapidement la blonde, ne manquant quand même pas de faire preuve de beaucoup d’enthousiasme, et il revint bien vite vers la costaricaine qui l’attendait, sa moue renfrognée toujours au visage. Il espérait que les quelques pièces de pourboire sauraient la réjouir. « On va pouvoir se payer un petit-déjeuner au lit demain matin, avec ça … Maintenant que McDo livre aux portes. » Il réprima un rire. Lui prenait ça à la légère, des pourboires loin de ce qu’on entend des serveurs de grands restaurants. Même chose pour les tasses cassées, ce n’était pas grave. « Macchiato. » Rectifia Elmo, avec la bonne prononciation, même si elle en était proche. « Mais ta manière de le dire est bien plus adorable alors trompe-toi autant que tu veux pour ça. » Il jeta un coup d’œil aux environs avant de déposer un baiser furtif sur les lèvres de Bella. « On s’habitue, babe. On s’habitue à tous les détails différents de chaque café, on s’habitue à toutes les odeurs qui parviennent toutes en même temps dans le nez, on s’habitue aux journées plus maladroites et aux clients de marde. » La jeune femme revint sur le pourboire, mentionnant que c’était surtout pour lui. Elle demanda s’il était possible de lui acheter du talent avec. « Je préférais mon idée de McDo … Mais j’peux aller chez Woolworths jeter un coup d’œil dans l’allée des talents … » Proposa-t-il pendant qu’elle soupirait, se hissant sur le comptoir. Ce n’était pas vraiment approprié puisque le café n’était pas fermé, mais tant pis. Il s’approcha d’elle qui réclamait ses mains. À sa question, il hésita,entre le sérieux et la blague. « On s’en reparle dans quelques mois. Laisse-toi le temps. » Dit-il en caressant ses mains du bout des doigts. Manière de dire qu’elle était actuellement assez nulle, ouais, mais qu’elle ne pouvait que s’améliorer.

Habituée à exceller dans tout ce qu'elle entreprenait, le coup était dur à encaisser pour Bella qui n'était pas la serveuse du mois, ni de l'année et encore moins du siècle. Et pourtant, le travail n'était pas si difficile en soit. Dans sa tête, il y avait trop de choses. La déception de ne pas avoir été engagé à l'ONU, celle de chercher encore un travail dans son domaine d'étude, celle d'avoir été tellement confiante qu'elle avait quitté son emploi étudiant avant même de s'assurer d'avoir un back up plan, trop de choses qui l'empêchaient d'être cent pour cent concentré à la tâche. Devant la belle blonde qui entrait en fin de journée au café, elle se sentit démunie, assez de déceptions pour la journée, elle refila la cliente à son petit ami. Elmo la servit bien, d'ailleurs, grand sourire et ton mielleux, sans doute pour le pourboire. Bella n'y accorda pas d'attention, elle qui aurait sans doute eu un pincement au coeur de le voir agir ainsi avec la blonde. Elle était ailleurs, complètement ailleurs. « C'est le gros luxe, dis donc. Si j'avais été moins nulle, on aurait peut-être pu se faire livrer un vrai déjeuner avec le pourboire », soufflait la brune, sa moue déprimée toujours présente sur son visage. Et quand elle lui confia tout ce qui la tracassait, ne pas se souvenir des recettes et tout le tralala, Elmo de son bel accent italien la reprit sur le terme Macchiato qu'elle avait visiblement écorché. Elle soupira avant qu'il ne s'avance vers elle pour poser rapidement un baiser expéditif sur ses lèvres et, enfin, pour la première fois depuis des heures, elle sourit. Un tout petit sourire, rien de grandiose, rien d'exceptionnel, mais il était là, tout de même. Tout petit, mais vrai. « Ça sonne si beau quand toi tu le dis et si fancy », répliqua-t-elle avec déception. « Quand je le dis on dirait une vieille matante qui essaie de se donner un genre d'accent italien raté... Et, pourtant, j'parle espagnol, j'devrais pas avoir de difficulté à dire Macchiato, merde ! » Elle était réellement en colère contre elle, à croire que tout ce qu'elle connaissait ne pouvait s'appliquer dans cet emploi. Et soucieuse que son petit-ami ne regrette de l'avoir fait engager. « Dans le fond, on s'habitude à être pas mal nulle? », lâcha Bella dans un rire. Quant au pourboire, il valait peut-être mieux l'investir dans du talent pour elle que dans un petit déjeuner, au final. Ce que la brune proposa à l'Italien, se hissant sur le comptoir caisse du café, se fichant bien que ce dernier n'était pas fermé et qu'il y restait des clients. Ils l'avaient vu briser des tasses et se brûler avec la machine à espresso, qu'est-ce qui était pire? Elmo, fidèle à lui-même, répondait à la blague. Et, à nouveau, il réussit à faire sourire faiblement sa petite-amie, assez pour qu'on entrevoit un début de fossettes sur ses joues. « Ok... Va pour le McDo.... » Parce qu'elle osait croire que si elle était si nulle, il le lui dirait, non? D'ailleurs, elle lui demanda. Mais à sa question, Elmo tenta de trouver une façon politiquement correct de lui retourner la réponse. « En gros, j'suis la plus nulle des nulles, même toi tu le penses... », fit-elle en baissant les yeux vers leurs mains enlacées, Elmo qui les caressait avec douceur. « J'vais aller passer la moppe dans les toilettes... Ça, au moins, je saurai faire... » Ella lâcha les mains d'Elmo à contre-coeur, laissant ses pieds se reposer sur le sol pour accaparer le saut et la serpillère en direction des toilettes.

Elmo la savait complètement ailleurs, sa Bella, puisqu’en temps normal elle n’aurait pas hésité à lui envoyer une pique à propos des yeux doux faits à la blonde. Ce genre de petits commentaires était coutume entre eux, ils jouaient toujours à ce jeu dangereux qui les menaient trop souvent sur une pente glissante entre la plaisanterie et la querelle. Mais ce soir, rien. Bella avait détourné le regard et n’avait rien dit sur cette clientèle à laquelle l’italien avait autant souri rien que pour le pourboire. Maigre pourboire, d’ailleurs, autant de sa part que de la part de tous les clients de la journée. Mis ensemble, ce n’était pas trop mal, mais juste assez pour se payer un wrap-déjeuner chez MacDonald, et peut-être un café, comme le proposait Elmo à la semi-blague. « Oh … te fais pas trop d’espoir. Même les meilleurs d’entre nous ne réussissent pas à s’offrir un brunch de l’Autre Monde avec les pourboires d'ici. » Il esquissa un sourire. Elmo s’était un peu résigné à ne pas vivre la vie de bourgeois à laquelle il était pourtant habitué en Australie. Enfin, résigné, pas encore tout à fait. Ça le hantait parfois au creux de ses nuits, quand l’angoisse le gagnait en réalisant qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il foutait actuellement de sa vie. Mais il avait accepté qu’il ne deviendrait jamais comme son père, qu’il ne mènerait pas la vie qu’il avait mené. Après une gentille correction sur le terme macchiato, Elmo vola un baiser à sa copine dont le visage fut enfin illuminé par un bref sourire. Ce qu’elle était belle quand elle souriait. Il lui donnerait mille baisers sous les regards dérangés des derniers clients, si ça pouvait la faire rire. « Bella … c’est qu’un mot. Who cares si tu ne l’as pas bien dit ces derniers jours ? Tu devrais voir comment les clients massacrent encore plus certaines pâtisseries ou certains cafés. J’ris dans ma tête. Au pire les clients auront un peu rit dans leur tête, s’ils ont réalisé l’erreur, ce qui m’étonnerait. Y’a pas mort d’homme. » Dit sérieusement Elmo, parce qu’il voyait bien que Bella était réellement irritée par ça. « Non. C’est pas ce que je dis. Tu t’habitueras à toutes ces nouveautés et tu seras meilleure. » Lâcha-t-il dans un soupir. Il n’avait jamais vu quelqu’un se prendre autant la tête avec un petit boulot. C’était bien Bella, à vouloir tendre vers la perfection, à ne vouloir jamais se tromper. Il caressa les doigts de la costaricaine installée sur le comptoir, ne sachant plus quoi dire de plus pour la rassurer. « Moi j’crois en toi. T’es capable de tout. Si tu fais un peu preuve de bienveillance à ton égard et que tu te donnes le droit d’avoir besoin d’apprendre quelques petits trucs. » Elle ne pouvait pas tout maîtriser dès la première seconde, c’était illusoire. Il s’écarta quand elle décida d’aller passer la moppe dans les toilettes. « Je vais closer ici en attendant … » L’heure de fermeture approchait alors il pouvait prendre un peu d’avance en nettoyant les machines et les tables qui se vidaient peu à peu.  

Ailleurs, elle l'était. Complètement. Totalement. Et rajouter une crisette pour un sourire offert dans l'espoir d'un pourboire généreux, actuellement, ce n'était pas la priorité de la Costaricaine. Ce qui la décevait davantage, c'était la confirmation qu'elle était bonne à rien. Pas assez douée pour être engagée dans son domaine, pas assez douée pour réussir un boulot typiquement étudiant comme serveuse dans un restaurant. Elle n'était finalement pas bonne à grand chose. Du moins, c'était le sentiment que la brune avait. Elmo, de son côté, essayait tout ce qu'il pouvait pour rendre le sourire à sa petite amie. Et ça commençait par une proposition de petit-déjeuner au lit pour le lendemain, petit-déjeuner de chez McDo. Il tenta de la rassurer, que ce n'était pas parce qu'elle était nulle qu'ils avaient raflé un si petit gain aujourd'hui. Et il était adorable. Un jour, elle le remercierait pour tout ce qu'il tentait de faire, quand elle serait dans un état de le réaliser. Parce que pour l'instant, tout ce que Bella voyait c'était son échec monumental.

Heureusement, le baiser qu'il vint lui offert à la va vite mit une pause à sa déploration. Bella sourit à Elmo, furtivement, aussi rapidement que le baiser qu'il lui avait offert. L'italien commençait à bien connaître sa petite-amie. Et c'est sans doute pour cette raison qu'il savait quoi dire pour tenter de lui faire se sentir moins nulle. « Peut-être... », fit-elle en réponse à ses mots qui se voulaient dédramatisants. Elle n'était pas encore assez redescendue de son nuage de déception pour non seulement accepter les mots d'Elmo, mais aussi être du même avis que lui. Mais tout ça commençait à mijoter dans sa tête. AU fond, était-ce réellement si grave que ça? Était-ce aussi dramatique qu'elle tentait de le faire voir? Elmo, d'ailleurs, croyait en elle, si, cependant, elle y mettait un peu du sien. Bella sourit en coin. « Tu es adorable, Elmo. » Et elle, elle était odieuse. La perfectionniste en elle prenait un sacré coup. Avec déception, elle baissa les yeux, retrouva la terre ferme et s'empara de la serpillère pour commencer le ménage de fermeture.

Dans les toilettes, elle n'avait de cesse de penser aux mots d'Elmo. Bella était têtue, renfrognée. Et, pourtant, c'était l'Italien qui avait raison. Et sur toute la ligne, d'ailleurs. Que ce soit pour le mot Macchiato ou les tasses cassées ou les erreurs dans les commandes ou quoi que ce soit d'autre. Il avait raison. Après quelques minutes seule à réfléchir en faisant briller le plancher, la brune ressortie des toilettes en tirant la chaudière à roulette derrière elle. Elle passa derrière le comptoir pour rejoindre son petit-ami, laissant la moppe là où elle devait être rangée, et vint coller sa tête contre le torse d'Elmo. « Tu as raison », avoua-t-elle avec difficulté, elle qui aimait avoir le dernier mot. Il fallait qu'elle se rende à l'évidence. « Je suis désolée d'être aussi désagréable. J'ai.. J'ai pas l'habitude d'être nulle... » Elle avait plutôt l'habitude d'exceller tout ce dont elle entreprenait. « Toi, tu es adorable. Et moi, je suis acerbe... Tu m'as proposé ce job pour m'aider. Et tout ce que je te donne en retour c'est de la négativité. Je suis désolée, vraiment. » Elle releva sa tête et prit une distance raisonnable entre elle et lui. « J'ai envie d'un petit-déjeuner de chez McDo et de finir nos soirées ensemble ici... Mais j'ai pas envie de te voir draguer devant moi, par contre, pour tenter de toucher un peu plus de pourboire.. Pas besoin d'un brunch à l'Autre-Monde. », fit-elle en tirant la langue.

Elmo savait pertinemment que ses mots n’avaient pas réussi à convaincre Bella, mais il espérait qu’après quelques jours, ils feraient leur petit chemin jusqu’à sa tête. Il comprenait que là, sous le coup de l’émotion et après une journée épuisante, la costaricaine n’avait pas vraiment envie de rationnaliser. Il ne la forcerait pas à sourire, d’ailleurs. Mais il n’arrêterait pas de l’encourager non plus. L’italien la laissa aller passer la serpillère puisqu’un ou l’autre allait devoir le faire avant la fin de la soirée. Pendant ce temps-là, il pourrait avancer la fermeture des comptoirs, des tables et éventuellement de la caisse. Bella n’avait pas encore appris toutes les étapes du close, mais Elmo jugeait que ça pouvait attendre à un prochain quart de travail. Il ne voulait pas taper sur le clou davantage en la bombardant d’informations qu’elle ne retiendrait sans doute pas, vu son niveau de fatigue et d’exaspération. Elle était trop dans sa tête. Si son patron se plaignait que la petite nouvelle ne savait pas encore fermer toute seule, Elmo prendrait le blâme, il n’en avait rien à faire. Perdu dans ses pensées, Elmo n’avait même pas remarqué que le café n’avait plus du tout de clients. Les tables étaient toutes vides quand il avait relevé la tête en voyant Bella ressortir des toilettes avec la chaudière à roulettes. Les machines brillaient, cependant, signe que ses réflexions l’avaient peut-être rendu un peu trop attardé à la tâche. La costaricaine marcha jusqu’à lui et se lova contre lui, la tête posée sur son torse. Elmo posa le menton sur la tête de la brunette et l’enlaça, pivotant de gauche à droite en les berçant tous les deux. « T’es pas désagréable, babe. T’es fatiguée et t’es stressée. Je comprends ça. Tant que c’est pas moi que tu envoies chier. » Il eut un léger rire. Il aurait cependant préféré qu’elle ne s’envoie pas elle-même promener non plus, mais c’était ce qu’elle avait fait toute la journée, se rabaisser. La jeune femme ajouta que lui était adorable, sans doute était-ce pour cette raison qu’elle ne déversait pas sa colère sur lui. Il haussa les épaules à propos de la négativité. « On a traversé pire, toi et moi. Maintenant j’suis équipé à vie pour les bons côtés comme les mauvais côtés de toi. » À vie, ce n’était pas quelque chose qu’il disait souvent, Elmo. N’importe quelle allusion à la durée possible de leur relation était souvent balayée parce qu’il ne voulait pas voir trop loin. Là, c’était sorti tout seul. Il leva les yeux au ciel à propos de la drague, sans perdre son sourire. Il ne voulait pas se prendre la tête en plus. « Et si j’dis que c’est pour ma retraite, ça passe mieux ? » Il n’irait pas bien loin avec un tel pourboire, alors s’il pensait pouvoir économiser avec ce qu’il faisait à ce café, il rêvait en couleurs, Elmo.

C'était dur. Pour une fois dans sa vie, Bella Garcia devait avouer être nulle dans quelque chose. Quelque chose qui paraissait pourtant si simple de l'extérieur. Elle était venue souvent au café, pour voir Elmo, pour étudier, pour attraper un latté to go avant un cours ou une séance shopping entre filles. Et elle avait souvent vu son petit ami faire. Ça avait l'air si simple, quand c'était lui. Sourire, écouter le client, exécuter la commande à la perfection. Elle aurait cru pouvoir faire toute ça en un claquement de doigts. Si elle était en mesure d'apprendre par coeur des articles de loi du code pénal, pourquoi ne pourrait-elle pas apprendre la recette d'un espresso allongé ou d'un double latté mocha-caramel? Ça ne faisait aucun sens. Mais Bella était stressée, dans la lune, fatiguée et loin d'être prédisposée à apprendre quoi que ce soit. Dans les toilettes, elle passait la serpillère en se remémorant cette journée où Elmo aurait pu maintes et maintes fois s'énerver contre la Costaricaine : parce qu'elle ne comprenait pas, parce qu'elle se décourageait, parce qu'elle attirait de la négativité. Et, pourtant, c'était un Elmo doux, adorable, bien trop compréhensif qu'elle avait eu sous les yeux. Et si elle ne l'avait pas remarqué sur le coup des déceptions, seul devant son parquet luisant, Bella se rendait bien compte qu'elle en avait de la chance d'être avec lui.

Elle sortie des toilettes pour trouver un café vide. Les tables n'avaient que les vestiges des derniers clients, des tasses vides ou à motié vides de café froid, des miettes de biscuits ou de pâtisseries, des revues et des journaux. Ils n'étaient donc plus que tous les deux. Bella tira la chaudière roulante jusqu'à son rangement avant de retrouver Elmo derrière le comptoir et de profiter de leur solitude pour se coller à lui. L'Italien avait posé son menton contre le crâne de la nouvellement diplômée, resserrant son étreinte et berçant leur deux corps avec douceur. « Je ne pourrais pas t'envoyer chier.. Tu es tellement adorable », avouait-elle en se laissant bercer par son petit-ami. Si Elmo pouvait sincèrement faire sortir Bella de ses gonds facilement, et tout à fait volontairement, il était impossible de se fâcher contre lui à l'instant. Il avait été parfait, toute la journée. Bella releva la tête vers lui alors qu'il lui rappelait les épreuves qu'ils avaient dû surmonter, et toutes les moins belles facettes de la personnalité de la Costaricaine qu'il avait pu voir. À présent, il était équipé à vie, disait-il, pour surmonter toutes les épreuves quand il était question d'eux. À vie. Bella lui sourit, faiblement, lui qui avait pourtant dit, à son retour à Bowen, qu'il ne pouvait lui promettre l'éternel, qu'il fallait prendre leur relation comme elle passait, sans s'attarder sur sa longévité, parce qu'il n'avait aucune idée d'où il serait demain. Serait-il en train de faire des plans d'avenir pour eux deux? Bella posa une main sur la joue de l'Italien, caressant sa fine repousse à peine visible de barbe du bout de son pouce. « Tu sais que tu es parfait? », demandait-elle avec sincérité. Elle savait qu'il lui répondrait qu'il ne l'était pas, elle s'était préparé à répliquer. « Pour moi. Parfait pour moi », fit-elle avant d'embrasser sa joue et de plaisanter ouvertement sur la drague qu'elle n'acceptait clairement pas de voir sous ses yeux. Puis, la brune roula ses propres yeux, soupirant bruyamment avant de le repousser doucement. « N'essaie même pas. Toutes raisons sont mauvaises pour la drague! » Elle se détourna enfin vers la caisse qu'il fallait sans doute compter, ça, elle savait le faire. « Je peux me charger de la caisse. Je le faisais à la boutique. Les dépôts, faire du change, vérifier si elle balance... C'est dans mes cordes. Puis, pour compter, j'suis plutôt pas mal. Regarde », fit-elle en se retournant vers lui, alors qu'elle était près de la caisse. Elle leva un doigt vers Elmo. « Un beau gosse », lâcha-t-elle dans un rire, feintant de dénombrer le nombre de bel homme qu'il y avait dans le café.

Il faut toutes sortes de monde pour faire un monde, un truc comme ça. Des gens tous plus différents les uns que les autres, des gens plus intellectuels, des gens plus manuels. Elmo n’était certainement pas de la catégorie pour ceux qui arrivent à retenir un bouquin par cœur. Limite, il finissait de lire un truc et il avait déjà tout oublié. Il n’avait aucune concentration, aucune volonté pour étudier. Mais quand venait le temps de faire quelque chose de ses mains, que ce soit de lancer un ballon, jouer de la batterie ou préparer des cafés, il trouvait son compte. Le temps filait et il ne remettait rien en question. Bella, de son côté, était définitivement plus intellectuelle que lui, et définitivement moins manuelle aussi. Qu’elle ne réussisse pas à être douée comme serveuse en un claquement de doigt, ça faisait juste prouver qu’elle était imparfaite et, du même fait, humaine. Être bon dans tout, absolument tout, ce n’était pas drôle, et pas juste pour les autres. Il l’aimait encore plus, au fond, sa Bella, quand il découvrait quelques-uns de ses adorables failles. La costaricaine sortait maintenant des toilettes en ramenant la serpillère et la chaudière. Elle n’avait pas renversé l’eau savonnée partout dans le local, c’était quand même une avancée notable, non ? Bien sûr, Elmo garda cette pensée moqueuse pour lui en réprimant un sourire pendant qu’elle marchait jusqu’à lui. Il l’entoura de ses bras et la berça avec douceur, après cette dure journée. « Tu m’as déjà envoyé chier pour si peu, pourtant … » La taquina-t-il avec un rire au visage même si elle ne pouvait pas le voir, puisqu’il avait toujours le menton posé sur sa tête. La douceur de sa voix laissait tout entendre de la blague – qui avait son fond de vérité, oui. Mais ces disputes et ces mots regrettés avaient renforcé leur couple, ils étaient maintenant assez forts pour affronter bien d’autres embûches. Elmo n’en avait plus peur, de l’avenir, et sans doute était-ce pour cette raison qu’il se permettait d’en parler, du futur. Bella ne le releva pas, mais se détacha de lui pour caresser la barbe mal rasée de l’italien, en affirmant qu’il était parfait. Avant qu’il ne réplique, elle précisa qu’il était parfait pour elle. Il arqua un sourcil. « Oh, je n’allais pas te contredire, hein. » Il retint un sourire mais bien vite céda, riant joyeusement. La brunette revint sur la dernière cliente et la supposée séduction d’Elmo pour obtenir des pourboires. Pourboires pour sa retraite, proposa-t-il malgré l’impossibilité de cette idée. « D’accoooord, d’accoooord, j’attendrai les quarts de travail que t’es pas là. » Une blague n’en attendait pas une autre, ce soir ! Il voulait la faire rire, la détendre, lui faire oublier cette journée merdique pour l’emprisonner dans leur bulle de petites habitudes, de douceur et de moqueries. Mais ce moment tira à sa fin parce qu’il fallait aussi fermer boutique, s’ils voulaient rentrer chez l’un ou chez l’autre pour la nuit. À la blague archi-nulle de la costaricaine, Elmo se plaqua la main contre le front. « T’es tellement nerd. » Il lui jeta un torchon moyennement propre dessus et s’esclaffa. « Je vais nettoyer toutes les tables pendant ce temps. On pourra partir après. » Il s’exécuta et, une dizaine de minutes plus tard, ils se retrouvèrent à l’arrière. La porte d’avant était verrouillée, ils devaient sortir par la ruelle en sortant les poubelles de fin de soirée qu’Elmo avait dans chaque main.

Si elle n'avait pas eu réellement besoin de cette étreinte, la chaleur du corps d'Elmo qui venait rassurer le peu de manque de confiance en elle qui l'habitait et qui, pourtant, ce soir, pesait lourd pour Bella, la brune aurait sans doute repoussé son petit-ami en criant au scandal alors qu'il lui disait qu'elle l'avait envoyé chié pour moins que ça, avant. C'était une blague. Évidemment. Bella l'entendait à la douceur de la voix d'Elmo. Son ton de reproche, elle le connaissait. Parce que si elle, elle l'avait effectivement déjà envoyé chié pour moins que ça, lui aussi n'avait pas toujours été doux avec elle. « Je vais faire comme si j'avais rien entendu. J'ai les oreilles bouchées. Et j'ai trop besoin de tes bras, là. » Elle se sentait douce, Bella. Elle n'avait pas envie de laisser le dragon ressortir, elle qui pouvait facilement grimper dans les rideaux. Elle était une bombe à retardement, Bella. Et quand elle explosait, il valait mieux ne pas se mettre dans son chemin. Elmo en avait déjà subi les frais par le passé.

Le seul moment où elle se détachait du corps de l'Italien, c'était pour mieux le regarder alors qu'il disait comprendre comment elle pouvait se sentir et que le stress, la fatigue et tout ça faisaient en sorte que la patience de la Costaricaine était moins développée, en ce moment. Et elle, elle lui dit combien il était parfait. Parfait pour elle. Ce à quoi, Elmo plaisanta à nouveau. Bella leva les yeux vers le ciel. Se sentant sur un nuage, pas l'envie de se disputer avec lui, elle divergea sur le sujet de la drague et du genre de sourire qu'il avait lancé à la jolie blonde de plus tôt, sur une note d'humour. Si, cependant, aujourd'hui Bella le prenait à la blague, ça ne serait clairement pas le cas de toutes les fois. C'était interdit. Que ce soit pour un déjeuner à l'Autre-Monde ou pour la retraite de son petit-ami, cela ne passait pas dans le monde de Bella. Et quand il rigola sur les quarts de travail où elle ne serait pas présente, là, elle s'énerva. Soupirant bruyamment, même s'il plaisantait, Bella bouillait. « T'avise surtout pas de faire ça », fit-elle en secouant la tête, tentant de contrôler le sourire qui voulait naître sur son visage parce que regarder Elmo se trouver hilare, blague après blague, la faisait craquer. « T'es con! », finit-elle par capituler avant de rire et de se cacher derrière une nouvelle plaisanterie, celle de compter les beaux gosses dans la salle : lui. Lui et pas d'autres. Ce qui lui valu un torchon sale en pleine tronche. « Hey! », fit la brune en guise de défense.

Elmo lavait les tables. Bella comptait la caisse. Et elle s'appliquait. Et, cette fois, elle faisait vraiment bien ça. Ça, elle savait faire. De toute la journée, les seules erreurs qu'elle n'avait pas commises concernait la caisse. La monnaie rendue, les commandes poinçonnées, ça, elle savait faire. Et, comme par magie, elle arrivait totalement juste après avoir compté leur gain de la soirée. Un dépôt avait été fait et glissé dans le coffret de sureté du café, la monnaie pour le lendemain avait été compté, la caisse était à présent verrouillée, Bella accrocha son tablier sur le crochet derrière le comptoir et enfila une large veste de Jean bien trop grande pour elle, par dessus le crop top noir qui habillait son corps. Dans l'arrière-café, en attendant Elmo, Bella releva ses longues boucles brunes dans un chignon décoiffé au sommet de sa tête et sourit alors qu'elle voyait son petit-ami s'approcher. Elle s'éleva sur la point de ses pieds, voulant venir l'embrasser et lui voler sa casquette, mais se résigna en voyant les ordures. « Ok, ça, ça me coupe tout envie de t'embrasser avec passion », gloussait-elle. « On va se chercher un take-out? », fit-elle en baissant ses yeux vers les ordures. « Ça presse, de les mettre dans la benne? »

Il valait mieux que Bella fasse comme si elle n’avait rien entendu, effectivement. Les connaissant, une simple blague mal interprétée pouvait faire péter les feux d’artifices, et ceux-là n’étaient pas toujours jolis à regarder. Ils étaient surtout bruyants et dangereux. Heureusement, ce soir, c’était la belle ambiance qui régnait au creux de leur bulle et ce malgré la journée morose de Bella. Sans doute savaient-ils l’un comme l’autre qu’une dispute aurait été de trop, même futile. Alors Bella acceptait ses blagues nulles sans en chercher de double-sens et Elmo choisissait ses mots en réfléchissant, pour une fois. Ils faisaient tous les deux des efforts, et ça prouvait bien qu’ils pouvaient être sur la même longueur d’ondes et filer le parfait bonheur, quand ils y mettaient un peu d’attention. Elmo se contenta de rire et d’accueillir sa copine dans ses bras, puisque tel était son besoin. Passées les blagues sur sa pseudo-perfection et sur les moments de séduction à garder pour les moments d’absence de Bella, Elmo sentit qu’il avait atteint son quota de vannes pour la soirée. La mèche de la costaricaine commençait à être plus courte. À sa menace, Elmo lui offrit sa gueule de p’tit con qui sait qu’il a dit un truc qu’il ne faut pas mais qui s’en sort avec ses yeux rieurs. « Jamais j’oserais. » La pression se relâcha à nouveau, crisis averted, et ils continuèrent sur leur lancée mais cette fois, c’est Bella qui lâcha une blague. Au lieu d’une tomate, elle reçut un torchon sale. Elmo se marrait bien à l’autre bout du comptoir. Puis, l’heure de fermeture oblige, le retour à la réalité du travail se fit pour qu’ils puissent enfin partir d’ici. Elmo ne détestait peut-être pas ce job, mais il n’allait quand même pas passer son temps libre entre ces murs. Le barista laissa la brunette allait se changer et se préparer à partir pendant qu’il fermait les sacs de poubelle, dernière étape avant de pouvoir réellement en avoir fini avec son quart de travail. Il s’arrêta devant les crochets et accrocha son propre tablier à côté de celui de sa douce, un petit sourire aux lèvres en voyant les deux tissus l’un à côté de l’autre, parce que des soirées à fermer le café avec elle, il en prendrait par centaines. Il prit sa casquette de l’autre crochet et la posa sur sa tête avant de reprendre les sacs fermés dans chacune de ses mains et marcha jusqu’à l’arrière-local. « Hey, les ordures elles sont là, pas là. » Dit-il en soulevant légèrement un sac pour le premier là, et en faisant aller ses lèvres comme plein de bisous répétitifs pour le deuxième là. « Ouais, tu feels pour quoi ? Pizza ? Thaï ? Sushis ? » Il aurait pu continuer la liste parce qu’il avait envie de tout. Il baissa lui aussi les yeux à la question de Bella, fixant les ordures. « Ça va prendre deux secondes. À moins que tu tiennes vraiment à ce que je les laisse à côté de la porte pour que tu puisses t’en occuper à ton prochain shift … » Il sourit, se doutant de la réponse, pour ensuite sortir dans la ruelle. « Tu peux verrouiller derrière ? » Lança-t-il à Bella sans se retourner. Il traversa les quelques mètres le séparant du grand conteneur, dans lequel il balança les deux sacs, avant de revenir vers la brunette.

Heureusement, qu'il n'oserait jamais. Et qu'il utilisait son visage d'ange pour s'en sortir. Parce qu'effectivement, le quota de vannes pourries que Bella pouvait encaisser dans son état actuel était longuement atteint. Et le retour à la réalité imminent allait vite sonner. Ça commençait d'ailleurs par les tables à finir de laver et la caisse à fermer. C'est cette dernière tâche qu'avait choisi Bella, parce que d'une part elle savait le faire, mais aussi parce qu'elle voulait se montrer compétente tant aux yeux d'Elmo que du patron qui ouvrirait très certainement le café demain et qui examinerait les dépôts. Les deux amoureux s'étaient donc affairés à leur tâche respective, Elmo qui lâchait des conneries, un peu comme toujours et Bella qui tentait de rester le plus concentré possible sur son compte, mais qui éclatait de rire chaque fois que son petit ami se dandinait au son des chansons de fin de soirée du café. Et une fois le dépôt terminé, elle s'éclipsa en arrière-boutique, attendant qu'Elmo la rejoigne.

L'ambiance entre eux était plus douce. Ça avait sans doute un lien avec les mots d'Elmo, ses encouragements qui poussaient Bella à se dire que de se laisser une chance, ce n'était pas une si mauvaise idée. Et, peut-être aussi, que ça avait un lien avec la fin de la journée et le fait de se retrouver complètement seule avec son amoureux. D'ailleurs, le voyant arriver vers elle, un sourire se cala sur son visage fatigué, l'envie de l'attirer contre elle était tentante. Cependant, les ordures qu'il avait entre ses mains refroidissaient les ardeurs de la brune qui le relevait à la blague. « Je le sais, ça », lâchait Bella, toujours en riant. « Mais ça schlingue! », s'empressait-elle d'ajouter en riant. Elmo reprit la discussion en relevant la proposition de sa copine, un take out, en fin de soirée, c'était la meilleure idée. Ni l'un ni l'autre n'avait envie de cuisiner, et tous les deux avaient faim, ça en était d'une évidence. « Va pour les sushis! », affirmait Bella, déjà l'eau à la bouche en pensant à ses nigiri au saumon. Puis, son regard dévia sur lesdites ordures mentionnées plus tôt, celles qui avaient freinée Bella dans sa course au baiser. Elle lui demandait si les jeter était urgent, une idée en tête, mais, visiblement, Elmo, lui, n'y avait rien compris. Pour le coup, Bella y avait été en subtilité... Trop, sans doute. Les garçons, vous savez comment ils sont. Bella roula les yeux au ciel à la remarque du batteur, laissant un soupir de frustration s'échapper d'entre ses lèvres alors qu'il sortait déjà dans la ruelle pour jeter les sacs d'ordures. Bella, toujours dans l'encolure de la porte, le regardait avec un air désespéré. « Quand je disais « est-ce que ça presse » », fit-elle en mimant des guillemets de ses doigts, « ça voulait dire « est-ce que ça peut attendre genre.... deux minutes » », lâchait-elle en secouant la tête. « Ou peut-être une quinzaine de minutes... », se reprit-elle, toujours aussi subtile. « Genre, le temps que je te fasse l'amour dans l'arrière-local après une longue journée. » Elle lui sourit, le visage encore désespéré, secouant la tête et refermant la porte derrière elle. Puis, elle s'avança vers Elmo pour lui remettre la clé du café. « Faut absolument tout te dire, hein? », gloussait-elle en attrapant sa main. « Viens. Je pense encore à mes nigiris. Et à la mayo épicé. Et aux rolls de crevettes.... » Sur ça, la nourriture, ils se comprenaient sans sous-entendu.

Humant les poubelles comme si ça sentait la rose et que ça ne le dérangeait pas, Elmo éclata ensuite de rire et haussa les épaules. « Encore heureux qu’on ne bosse pas dans un restaurant style buffet, où toutes les odeurs de friture et de sauce se mélangeraient. » Là, c’était des pâtisseries mangées à moitié ou périmées, des fruits ou des crudités de l’heure du lunch, bref des fonds d’assiette et du marc de café à n’en plus finir. Bella proposa alors d’aller se chercher du takeout, ce qui deviendrait sans doute une habitude pour eux puisqu’à cette heure, ni l’un ni l’autre ne se lancerait derrière les fourneaux. Cela n’aiderait en rien la situation financière d’Elmo, plutôt précaire, qui allait dépenser une heure de salaire de sa journée à chaque jour, pour de la bouffe. Si Bella pouvait se dire que ce n’était qu’à court-terme, lui, n’avait pas vraiment ce plan-là. Il n’avait pas de plan du tout, en fait. La costaricaine choisit les sushis, et rien qu’en imaginant ses dragon eyes, l’estomac de l’homme gronda. « J’pensais pas que j’avais faim mais … maintenant je suis affamé. » Ça avait toujours cet effet, les sushis. N’importe quelle bonne bouffe, mais surtout les sushis. C’était addictif, ce truc. Et tellement coûteux. Bella lui sortit la tête de son compte en banque en demandant si ça pressait, les vidanges. Pensant que c’était encore à cause de l’odeur qu’elle ne voulait pas traîner même dehors, Elmo lui assura que ça ne prendrait qu’un tout petit moment et que comme ça, le patron n’allait pas rentrer dans un café puant la vieille poubelle, demain. Non, l’italien n’avait pas compris que la jeune femme avait une idée derrière la tête qui impliquait de ne pas sortir tout de suite. Il avait eu le temps de marcher jusqu’au conteneur à déchets quand il entendit Bella lui dire, d’une voix plus forte pour qu’il entente, que son attente pour les déchets n’était que pour cinq ou quinze minutes … le temps qu’elle lui fasse l’amour dans l’arrière-local après une longue journée. Il se retourna direct vers elle, essuyant ses mains sur son pantalon avant de les lever de chaque côté de son corps. « Quoi ? Mais pourquoi tu m’as pas exactement dis ça ? » Se plaignit-il, accélérant le pas vers elle. Il n’était pas trop tard, si ? Si. Elle venait de fermer à clé la porte du café. Elle lui remit la clé entre les mains, devant son air hébété. Il regarda la porte close, puis sa copine à nouveau. « Et tu la refermes, comme ça, juste comme ça après une telle proposition ? Genre l’offre est expirée ? » Se plaignit-il comme un bébé à qui on vient de retirer son jouet avant même de l’avoir laissé jouer avec. Bella lui attrapa la main et le tira vers la sortie de la ruelle, vers la rue commerçante. « Et moi j’pense plus du tout à mes dragon eyes. Je pense à tes dragon eyes. » Il rit, et marcha avec elle, saluant leur choix de repas qui pourrait sagement les attendre au frigo pendant qu’il lui ferait l’amour en rentrant, après cette longue journée.

« T'es con, fais pas ça! », lui hurlait-elle presque en riant alors qu'Elmo humait les ordures comme s'il s'agissait du parfum de Bella qui se délectait de sentir sur sa peau. Elle mettait ses mains à son visage, montrant son dégoût, alors que l'italien trouvait le positivisme dans leur tâche de fin de soirée. « Ouais, j'crois que j'aurais gentiment décliné ton offre d'emploi », fit remarquer la brune. L'idée d'avoir l'odeur de friture collé à ses vêtements et à sa peau ainsi qu'un peu de gras sur les cheveux à force de porter un filet ne l'enchantait pas réellement. Elmo comprendrait. Si Bella n'était pas totalement matérialiste, elle avait tout de même son petit côté princesse qu'il fallait préserver. Le seul avantage possible de travailler dans un buffet, c'était de pouvoir y manger et de ne pas se sentir complètement vidé une fois la fin de la journée de travail. Dans le cas d'Elmo et Bella, enfin surtout Bella, visiblement, leur journée se terminait sur une faim qui se déclinait sur une invitation à aller se chercher du take out, trop vidés pour se poser dans un restaurant, devant se tenir droit et sensiblement respectueux des autres autour. Bella avait qu'une hâte : retirer son soutien gorge, se mettre en mou, s'écraser dans son salon et manger ses sushis avec Elmo, sans devoir faire attention à comment elle tenait les baguettes ou combien elle s'en foutait dans la bouche.

« Ça, c'est l'effet Bowen Sushi », gloussa Bella en décrétant leur restaurant favori de sushi, pas très loin de l'appartement de la brune. Ils pourraient donc commander en route, même, payer et aller directement chez elle - maintenant seule dans son appartement - pour être tranquilles. Enfin, pas dans l'immédiat. Puisque pour l'heure, Bella avait d'autres idées. Les sushi, ce serait juste après avoir consommé une autre faim, pour reprendre des forces. Adressant les ordures, Bella lança en tout subtilité ce qu'elle pensait être des avances. Mais, visiblement, Elmo ne les avait pas capté. Non, lui il était déjà sorti du café, dans la ruelle, à se débarrasser des dites vidanges. Avec désespoir, Bella lui indiqua ce que être pressé voulait dire, dans son vocabulaire, tout de même un peut surprise qu'Elmo ne captait pas ses illusions au sexe plus facilement. On parlait d'Elmo, tout de même. Elmo, celui qui pensait le plus clair de son temps avec son sexe qu'avec sa tête. Et ça, Bella se permettait de le dire, parce qu'il le disait lui-même.

À peine la phrase de Bella terminée, Elmo s'était déjà retourné vers elle, le visage à la fois surpris et déconcerté. Il avançait avec presse vers elle, mais cette dernière avait déjà refermée la porte et y avait tourné la clé. « Parce que... Parce que t'es un mec, tu penses avec ta queue le plus clair de ton temps, je pensais que tu décrypterais les messages subliminaux », répondait la Costaricaine, moqueuse. « Expirée? Non, disons que c'est partie remise pour l'arrière-local. » Ils n'allaient quand même pas ouvrir à nouveau le café, retirer le code du système d'alarme, risquer d'alerter le patron s'il recevait une alerte sur son portable ou quelque chose du genre, tout ça pour faire l'amour. Ça aurait été excitant de lui faire l'amour ici, dans un lieu qu'ils n'avaient jamais testé avant, certes, mais le timing était passé, expiré, comme Elmo le disait si bien. Bella engageait déjà leur route, tenant Elmo par la main, vers le restaurant de sushi. « Tu veux que je te lance du feu aussi? », pouffait-elle devant la technique de drague pourrie de son petit ami.

L'attente n'avait pas été très longue. C'est qu'en chemin, avec leur téléphone portable, ils avaient déjà pu faire leur commande à l'avance et la prendre rapido presto une fois arrivés au restaurant. Ce qui fut le plus difficile, c'était de retenir Elmo de manger ses sushi en chemin, lui qui faisait le bouffon avec leur sac de repas. Porte d'appartement déverrouillée, chaussures retirées, Bella branchait déjà son téléphone sur sa station de chargement et enceinte. Spotify toujours en marche, on entendait en fond sonore Ritt Momney et sa chanson populaire sur les réseaux sociaux. Bella fredonnait girl, put your record on, tell me your favorite song en rejoignant Elmo qui, visiblement, s'était débarrassé de leur repas. « T'as déjà tout mangé? », gloussait-elle en venant entourer ses bras autour de la nuque de son petit ami. « T'étais affamé », soufflait-elle en ne regardant rien d'autre que ses lèvres.