Boom / Livio + Giulia

Sous ses lunettes noires, elle le cherchait dans la place de la ville. Elle portait une robe rouge grenade, épousant ses formes généreuses. Ses fines bretelles laissaient deviner qu'elle n'avait pas pris la peine de mettre un soutien-gorge. Son poignet laissait apparaître un bracelet qu'il lui avait offert il y a deux ans. La manière de disposer ses cheveux, ses traits noirs d'eye-liner et le choix de son parfum : rien n'avait été laissé au hasard. Giulia venait de déposer ses valises à l'hôtel il y a une heure à peine, et elle calculait déjà comment surprendre Livio. Chance pour elle, il répondait assez rapidement à ses messages. Encore mieux : il venait de lui envoyer un selfie devant sa boutique de vêtements préférés. En faisant une simple recherche sur internet elle trouva l'endroit exact où il était et elle le vit. Même de dos elle reconnaissait sa demarche et ses épaules carrées. Surprise, mio caro. Elle venait de coller ses mains sur ses yeux et d'approcher son visage près de son oreille. Il la connaissait mieux que personne Giulia. Il devait donc sans doute deviner qu'elle venait d'enlever le goupillon et qu'elle était prête à tout pour tout faire exploser sur son passage.

Quand Livio avait envoyé ce selfie à Giulia, devant son magasin de vêtements préféré et annonçant qu'il allait faire chauffer la carte bleue, il était loin de s'imaginer la tournure qu'allait prendre sa journée. Même s'il avait dû mettre les choses au clair et calmer le caractère de feu de l'italienne, Livio n'arrivait pas à rester froid avec elle bien longtemps. Elle était l'une de ses plus proches amies, et cela, rien ne pouvait l'enlever. Des vêtements en main, Livio s'était avancé vers le rayon enfant, ses yeux d'expert ayant remarqué un ensemble particulièrement mignon. Si mignon que même Aura ne pourrait rien dire face aux excès de son petit ami. Alors qu'il s'apprêtait à envoyer une photo à sa petite amie, on posa des mains sur ses yeux. Il eut d'abord un mouvement de recul, surpris. Mais en entendant le grain de voix qui arrivait à son oreille, Livio se raidit aussitôt. Cette voix, il la reconnaîtrait entre mille. Giulia. Il se dégagea de son étreinte et se retourna vivement. Quand ses yeux se posèrent sur l'italienne, l'abasourdissement se lut aussitôt sur son visage. On aurait dit un poisson qui venait de sortir hors de son aquarium, tant ses yeux s'écarquillaient sous le coup de la stupéfaction. Ça, il ne l'avait pas vu venir. Absolument pas ! « Mais... » Il se ressaissit, secouant la tête. « Giulia... qu'est-ce que tu fais là ? » Putain, se retint-il de jurer.

Si Giulia cherchait l'effet de surprise, elle ne se fit pas prier. Livio se dégagea de son emprise pour découvrir qui lui cachait ses yeux. Abasourdi, il avait l'air d'avoir vu un fantôme et n'était-elle pas au fond, un fantôme de son passé? Ils se connaissaient profondément et même si leur relation amoureuse n'avait pas fonctionné, ils restaient liés l'un à l'autre. Elle s'attendait naïvement qu'il la prenne immédiatement dans les bras, refusant de croire que quelque chose aurait changé entre eux. Puis elle remarqua les vêtements qu'il tenait dans le mains, des vêtements pour bébé. Cache ta joie, hein ! se moqua t-elle, sous un trait d'humour. En réalité, comme bien trop souvent, elle cherchait à masquer sa terrible peur de l'abandon mais aussi cette épreuve insurmontable de son avortement. Livio avait refait sa vie, elle le voyait / elle le ressentait. C'était douloureux et pourtant elle s'efforça à ne pas lui montrer. On m'a proposé des vacances à Bowen, tous frais payés. Ce n'est pas Dubaï mais c'est assez charmant. fit-elle remarquer, un sourire au coin. À quoi bon lui cacher la vérité? Il saura bien assez vite que la production l'a envoyé pour le convaincre de tourner une dernière fois.

Cache ta joie, hein ! répliqua Giulia en remarquant la réaction de Livio. Retrouvant ses esprits, l'italien secoua la tête et répondit aussitôt : "Non, mais ça me fait plaisir de te voir ! Je ne m'y attendais simplement pas..." Un sourire vint s'afficher sur ses lèvres, même si l'on sentait qu'il n'était pas non plus très serein. Bien sûr qu'il était content de voir Giulia, qu'elle avait toujours une place dans sa vie et qu'il serait toujours là pour elle, mais il savait aussi que sa présence pouvait mettre un peu d'eau dans le gaz. Déjà, avec Aura, qui ne supportait pas l'italienne. Sans même se connaître, il savait que cela ne passerait pas entre les deux brunes, à son grand désarroi. Et puis, il y avait les raisons de la présence de la jeune Ricci. Elle était habituée aux grandes villes, à la vie citadine, ses ambiances et ses fêtes. Pourquoi venait-elle se perdre ici ? Il avait bien une idée en tête, mais il préférait se convaincre que ce n'était pas cela. Qu'elle ne venait pas ici en tant qu'émissaire. "En vacances ?" à Bowen ? Toi ?" répéta-t-il, en plissant des yeux. Elle affichait ce sourire en coin qu'il ne connaissait que trop bien. Il reposa le vêtement pour bébé qu'il avait en main et se retourna vers Giulia, posant une main dans le bas de son dos pour l'entraîner avec lui. "Bon, et si tu m'expliquais qui a payé ces vacances à Bowen devant un verre ? Il y a un petit bar sympa à deux pas d'ici..." Il la connaissait, Giulia. Il savait qu'elle n'était pas là pour des vacances. Il suffisait de voir comment elle s'était apprêtée. Elle s'était mise en bombe pour une mission séduction. Elle avait mis le bracelet qu'il lui avait offert, il y a deux ans. Tout était calculé... Mais s'il y en avait bien un qui n'était pas dupe, c'était bien Livio...

Devant l'air abasourdi de Livio, Giulia esquiva un petit commentaire ironique. Surpris il l'était, mais content de la voir, il ne le semblait pas. Comment lui jeter la pierre, car au fond elle avait conscience des problèmes qu'elle pouvait déclencher ne serait-ce qu'au sein de son couple. Si Aura se montrait facilement jalouse, Giulia aurait de quoi faire joujou pendant un sacré bout de temps. L'italienne savait jouer sur les mots, les souvenirs, les marques d'affection. Oui, elle pouvait être très manipulatrice quand il s'agissait de se protéger d'elle et des gens qu'elle aimait. Je l'aurais parié. lui dit-elle répondant à son sourire. Elle jubilait de cet effet de surprise parce qu'elle savait que dans peu de temps Livio ne lui facilitera pas la tâche. Sous les ordres de la production, elle avait une proposition à lui faire : celle de tourner leur dernière émission de téléréalité. Il avait déjà refusé pour des raisons évidentes, sa petite amie étant enceinte il souhaitait consacrer son temps auprès d'elle. Cependant Giulia venait avec ses propres arguments qu'elle espérait convaincants. Tous frais payés. répéta t-elle avec précision. Livio connaissait suffisamment bien Giulia pour dire que Bowen ne serait pas son endroit de vacances de prédilection. Elle aimait davantage le luxe, les endroits paradisiaques, les grandes villes. Bowen avait son charme, mais ce n'était pas Dubaï, quoi que cette canicule y ressemblait. Oui tu as raison j'ai besoin d'un verre glacé. Il fait une de ces chaleurs! constata t-elle en dégageant ses cheveux derrière sa nuque. Pourtant elle était habituée aux hautes températures. Son sang se réchauffa davantage au contact de la main de Livio sur son dos. Son toucher, lui avait manqué. Elle se laissa traîna en dehors du magasin et le suivit jusqu'au dit bar. Il ne servait à rien de tourner autour du pot, Giulia cherchait tout de même à amener le sujet en douceur. Donc comme je te disais, on m'a proposé des vacances. Tu sais que je ne peux rien refuser à Ferrucio? Il a fait beaucoup pour moi. Pour toi aussi, Livio. lui rappela t-elle d'un air entendu. Ferrucio étant un des producteurs, Livio allait vite comprendre où elle allait venir. Je suis de ton coté. se précipita t-elle de rajouter avant qu'il ne prenne la défensive. Je lui ai dit je ne te ferais pas changer d'avis mais qu'il pouvait me payer ces fichus billets d'avion pour l'Australie. Ayons cette pénible discussion et n'en parlons plus, d'accord? Si Giulia faisait croire qu'elle prenait son parti, elle pourrait alors contrecarrer plus facilement.

Depuis qu'il avait dit 'non' à la dernière saison de leur émission, Livio se sentait terriblement seul. Il était heureux avec Aura, évidemment. Il était impatient d'avoir leur enfant. Il savait que sa place était ici, près d'elle. Mais il lui manquait ses amis, ses camarades de télévision. Sans doute Aura dirait-elle que ce n'était pas ses amis, et peut-être aurait-elle raison, mais ils étaient ce qui se rapprochaient le plus d'une bande de potes. Il avait passé des années avec eux et avait partagé joies, tristesse et épreuves. Alors, voir Giulia ici était surprenant, mais il y avait quelque chose de familier, de réconfortant, même. Même si la présence de l'italienne ici allait faire des vagues. Une fois remis du choc, Livio eut besoin de savoir ce qu'elle faisait là. Bowen n'était pas Dubaï, ni autre grande ville qui pouvait attirer la brune, adepte des fêtes à foison et de la vie trépidante. Quand elle répéta qu'elle avait eu des vacances tous frais payés, il eut la confirmation qu'elle n'était pas là de son plein gré. "On ne va pas tourner autour du pot, hein." Il lui proposa donc d'aller boire un verre dans un bar à côté. Machinalement, il posa sa main dans son dos afin de l'accompagner galamment. Sans doute n'était-il plus en droit d'agir de la sorte, mais il y avait toujours eu quelque chose de tactile, de physique entre eux. S'installant à l'intérieur du bar, où la climatisation rendait l'atmosphère plus respirable et après avoir commandé leurs boissons, Livio s'assit face à Giulia, bras croisés, le sourcil relevé. C'était à elle d'ouvrir le sujet. Quand elle parla de Ferrucio, Livio lâcha un long soupir qu'il ne chercha même pas à retenir. Il était vrai, il lui devait beaucoup. Mais il n'était pas sa marionnette. Livio avait suffisamment donné. "Donc... c'est lui qui t'a envoyé ?" demanda-t-il, avec un ton brusque. Il n'en revenait pas. Il n'en revenait pas que Ferrucio ait décidé d'utiliser Giulia. Pire encore, il n'en revenait pas qu'elle ait accepté. Quand elle lui affirma être de son côté, il lâcha un rire jaune : "Permets-moi d'en douter." Rien que sa présence ici remettait en doute ses mots. Il la laissa pourtant s'expliquer, haussant les épaules face à sa dernière phrase : "On ne devrait même pas l'avoir, cette pénible discussion, Gigi. J'ai dit non. Pourquoi Ferrucio ne veut-il pas l'admettre ? Il croit sérieusement qu'en t'envoyant, je vais changer d'avis ? Et toi, tu acceptes d'être la petite marionnette que l'on envoie pour essayer de faire changer d'avis le grand méchant Livio ? Tu ne peux pas dire que tu es de mon côté et faire ça, ensuite..." Elle résidait là, la déception.

Marchant près de Livio, Giulia le suivit jusqu'au bar où ils s'installèrent et commandèrent un verre pour se raffraichir de cette pesante canicule. Préférant ne pas tourner autour du pot, elle évoqua la proposition de leur producteur. Elle s'était attendu à un nouvel refus de sa part mais elle ne pensait pas que ça dégénèrerait aussi vite. Pourtant cela a toujours été explosif entre les deux anciens amants, c'était à se demander par quelle miracle leur relation tenait encore le coup après toutes ces années. Car Livio connaissait les failles de Giulia par coeur, il était un des rares à connaitre toute son histoire. Alors les mots de l'italien la heurta. Offensée, elle prit un air courroucé. Je suis la marionette de personne, Livio. Attention à ce que tu dis. Tu sais mieux que quiconque que je ne me laisserais manipuler par personne. Il avait touché à sa corde sensible, elle qui refusait se montrer faible. Elle dut faire un effort considérable pour mettre sa fierté de coté mais c'était le prix à payer si elle voulait se donner une chance de convaincre Livio.  Qu'on soit clair. J'ai accepté parce que j'avais envie de te voir. Depuis que t'es parti... lâcha t-elle en s'interromptant brusquement. Sa peur de l'abandon refaisait surface. Il lui manquait. Constamment, sans répit. Son départ à Bowen lui avait fait plus de mal qu'elle ne le montrait. Elle se redressa au fond de son siège et fouilla dans son sac son paquet de cigarettes. Elle fumait toujours quand elle était contrariée. Putain ça ne fait même pas une demi-heure qu'on est ensemble et on est déjà en train de s'engueuler. Je t'expose juste mon point de vue, tu en feras ce que tu veux. Là c'est ton amie qui te parle et pas ton ex. En dehors du paquet du paquet de fric que tu peux empocher pour ta future petite famille, ce serait le moment parfait pour mettre fin à ta carrière dans la téléréalité. Tu retrouverais tout le monde, car les gens t'aiment, Livio. Ce n'est pas pour rien que tu as gagné cette finale. Les gens t'apprécient. Les spectacteurs, la bande, l'équipe de tournage... Tous. On m'a dit qu'on te propose d'héberger Aura à proximité et que tu rentres un jour sur deux dormir avec elle. Ferrucio est prêt à négocier toutes autres demandes de ta part. Même à De Niro, on ne lui astique pas autant les chaussures. Son sac vidé, elle pouvait enfin allumer cette fine cigarette qui tremblait entre ses mains. Elle était nerveuse Giulia, elle pouvait vite montrer en pression. Parfois la nicotine l'apaisait, mais cette fois elle savait qu'elle allait avoir besoin de bien plus qu'une cigarette pour essuyer le rejet de Livio.

Se dirigeant avec elle jusqu'au bar, Livio se demandait combien de temps allaient-ils mettre avant de s'engueuler. Ils avaient beau ne pas se voir pendant des semaines, voire des mois, il ne fallait parfois que quelques minutes pour que les mots fusent entre eux. Mais quiconque les connaissant savait que c'était propre à Giulia et Livio. Ils avaient besoin de s'affronter pour se prouver leur affection. Cela avait toujours été comme ça. D'abord, lors de leur première émission commune, où ils étaient chacun le rival de l'autre. Puis, dans leur relation. Ils se détestaient tout autant qu'ils s'aimaient. Aussi, Livio tenta de savoir ce qu'elle faisait là. Ou plutôt de savoir qui l'avait envoyé là. Elle était restée mystérieuse, Giulia. Mais la vérité éclata quand ils s'installèrent à cette table. C'était Ferrucio qui l'avait envoyé ici. Evidemment, la colère monta en Livio, en se rendant compte qu'elle faisait partie de tout ce stratagème destiné à le ramener vers la télé-réalité. Elle n'était qu'une marionnette. Mot qui ne sembla pas la convaincre. "T'es venue là, tous frais payés, pour me dire ce que Feruccio avait en tête. Si ce n'est pas être sa marionnette, c'est quoi, Giulia ?!" Il savait qu'il touchait sa corde sensible, mais il s'en contrefichait. Elle le blessait. Il la blessait. Pour autant, ses mots suivants brisèrent quelque peu la carapace. Un tout petit peu. "Depuis que je suis parti... vas-y, continue ta phrase !" la défia-t-il. "Je t'ai invité à venir à Bowen, ne l'oublie pas." Même si les contacts avaient changé, il avait continué à l'appeler, à lui envoyer des messages. D'ailleurs, cela lui avait valu quelques crises de jalousie de la part de Aura. Mais il n'avait pas fait le mort. Il la regarda prendre son paquet de cigarettes, comme à chaque qu'elle était énervée. Il leva même les yeux au ciel quand elle affirma qu'ils s'engueulaient déjà, après seulement une demi-heure. "L'histoire de notre vie..." souffla-t-il, le visage fermé. Il reposa son regard sur elle alors qu'elle exposa son point de vue, tentant de mettre son entêtement de côté pour écouter ses arguments. Des arguments qui le faisaient défaillir, évidemment. Elle mettait le doigt sur ce que Livio voulait : tourner la page dignement, en alliant sa vie de candidat de télé avec sa vie personnelle, tout en préservant Aura et son bébé. Il avait envie de tout cela, évidemment. Il avait envie de se sentir aimé - même s'il savait que c'était faux - une dernière fois, sentir l'engouement du public et les regards se poser sur eux. "Je ne peux pas, Gigi. Je ne peux pas." dit-il en secouant la tête. "Evidemment que j'ai envie de tourner la page correctement, de vivre une dernière aventure avec vous tous. Feruccio m'avait déjà parlé de toutes ces propositions. Si ça ne tenait qu'à moi, bien sûr que j'accepterai. Mais... mais je ne suis pas seul dans cette histoire. Je ne veux pas entraîner Aura dans tout ça. Je n'ai pas le droit de lui imposer ça. Tu le comprends ?"

Gigi partait facilement au quart de tour et encore plus quand on appuyait sur ses faiblesses. J'ai pris son gros chèque pour venir voir ta tête parce que je le voulais bien, je fais ce que je veux! s'enerva t-elle tandis que Livio la mettait au défi. Elle s'arrêta net, cherchant à dissimuler la tristesse sur son visage. Avec les années, elle y parvenait de moins en moins auprès de Livio. Tu m'as... laissé... tomber dit-elle lentement en appuyant chacun de ses mots. Elle avait dit cela avec méchanceté, avec cette rancœur qui lui a été propre car la vie ne lui avait pas fait de cadeau. Pourtant Livio n'était pas responsable de toute cette haine qu'elle renvoyait aux autres. Lui qui la connaissait par coeur, avait compris qui elle était vraiment au fond. Livio ne se laissa pas démonter pour autant, lui rappelant qu'il l'avait invité à venir à Bowen. Elle contra du tac au tac. Pour tenir la chandelle avec ta ragazza? Plutôt crever! Levant les yeux au ciel, elle eut un rire sans joie. La tension entre eux allait difficilement redescendre. Une fois que la mèche s'allumait, Gigi ne pouvait plus s'arrêter. Quoi qu'il en soit elle avait tout de même envie que Livio la rejoigne faire ce dernier tournage. Elle étala ses arguments, des arguments mûrement réfléchis mais qui étaient sincères. Livio représentait le candidat de téléréalité aimé de beaucoup de spectateurs. Leur bande qu'ils formaient à l'écran, appréciait également Livio. Cependant il fut catégorique et refusa de participer. La raison se prénommait Aura. Gigi bouillonnait intérieurement. Elle enleva sa cigarette entre la bouche et prit un air détaché. Tu ne peux pas. Ok. Fin de l'histoire. Le cœur serré, elle se demandait pourquoi ne l'avait-il pas aimé aussi passionnément qu'il aimait Aura?

Il aurait préféré que sa démarche soit plus sincère, qu'elle vienne le voir sans le gros chèque et sans les négociations de Ferrucio. Là, il avait juste l'impression d'être le dindon de la farce. Ou celui que l'on voulait attirer vicieusement dans les filets de cette putain d'émission. Quitte à utiliser Giulia, sa meilleure alliée. Une alliée qui l'énervait aujourd'hui. Qui l'énervait énormément. Il détestait quand elle n'allait pas au bout de ses pensées, elle le savait. Alors, quand il la mit au défi, il s'en ficha d'aller trop loin. Bien sûr, voir la tristesse sur son visage n'était pas une partie de plaisir. Mais il savait aussi qu'il allait passer un mauvais quart d'heure, à se prendre en pleine face sa rancoeur. "J't'ai pas... laissé... tomber." dit-il en appuyant de la même façon sur chacun de ses mots. "Ne me fais pas payer pour tous les autres." Bon, il n'était pas non plus tout blanc dans l'histoire. Il était parti. Mais pour lui, c'était dans l'optique de se ressourcer, de se changer les idées après cet avortement qui l'avait marqué. C'était juste le destin qui avait changé ses plans, en le faisant virer de la dernière saison, en rencontrant Aura. Mais il n'avait pas oublié Giulia. Il leva les yeux au ciel quand elle exprima son refus sous prétexte de ne pas vouloir tenir la chandelle. "Arrête ça !" Un long soupir s'échappa de ses lèvres, ne voulant pas entrer dans un débat qui leur ferait du mal. La suite de la conversation ne fut pas meilleure. Elle ne voulait pas être là pour tenir la chandelle, mais pour ramener Livio dans l'émission, ça, par contre, ça ne le gênait pas. MAis ce qu'elle ne savait pas, Giulia, c'était qu'il avait envie de faire l'émission, il en avait vraiment envie. Toutefois, il n'avait pas le droit de jouer l'égoïste et de faire son petit plan sans l'avis d'Aura. Et l'avis d'Aura, il le connaissait déjà. Elle avait peur de la célébrité de Livio, elle avait peur des impacts que cela pouvait avoir sur leur vie personnelle. Même s'il en détenait les ficelles, il pouvait vite se faire dépasser par les commentaires intrusifs et le tribunal médiatique qu'étaient les réseaux sociaux. Lui, cela faisait des années qu'il nageait dedans. Giulia aussi. Mais pas Aura. Il n'avait donc pas droit de lui imposer cela. L'air détaché de Giulia ne convainquit pas Livio. Et encore moins ces quelques mots. "Fin de l'histoire... t'es sûre ?" Il garda ses yeux bleus sur elle et reprit : "Tu m'en veux ? "

Depuis leur séparation, Gigi essayait de survivre comme elle le pouvait. Elle faisait tout pour se montrer comme une femme forte, car il le fallait dans le milieu. Son quotidien était rythmé par prendre soin de son image. Livio ne voyait pas d'un bon œil la raison de sa présence, mais en aucun cas Giulia se considérait comme la marionnette des producteurs. Elle était là parce qu'elle le voulait. S'emportant l'un et l'autre, Gigi finit par se braquer. Ne me lance pas là-dessus! répliqua t-elle aussitôt avec furie. Elle se retint de faire son show, de balancer la table au sol, de taper du pied, comme elle le faisait parfois devant l'écran. Là il s'agissait de Livio, il était donc censé la connaitre. Il devait connaitre la fragilité de Gigi et au fond, elle lui en voulait qu'il n'ait pas été plus présente pour elle lors de son avortement. Il aurait dû deviner qu'elle allait mal, il aurait dû chercher à creuser, il aurait dû continuer à se battre. Mais toute cette rancœur, Giulia encaissait. Et c'est pourquoi elle explosait avec tant de facilité. Non toi arrête! Malgré ce mur qui semblait les séparer, elle tenta de lui donner tous les arguments possibles afin qu'il participe à la dernière émission. Sans surprise, il refusa. Pour Aura. Il lui fallut plusieurs bouffées de nicotine pour qu'elle contienne sa douleur. Elle sentait les yeux de Livio sur elle mais elle, ne lui accorda pas l'ombre d'un regard. Expirant une fumée sur sa droite, elle haussa les épaules d'un air indifférent. Qu'est-ce que tu veux que je te dise? Tu ne veux pas venir. Tu ne veux pas venir. La vie continue. Pour des retrouvailles, elle ne pouvait pas rêver pire.

Ils ne savaient pas communiquer calmement et sereinement, Giulia et Livio. Ils s'emportaient, se braquaient ou avaient de sacrés coups de sang qui avaient fait leur renommée télévisuelle. Leurs disputes étaient passées et repassées à plusieurs reprises. Et les gens leur demandaient souvent comment ils faisaient pour se parler encore. Livio avait souvent répondu que c'était l'amour vache. Mais en réalité, ils ne pouvaient dire qu'ils se connaissaient par coeur, qu'ils connaissaient les faiblesses de l'un et de l'autre, leur passé difficile qui avait forgé cette carapace. Et leur présent qui était tout aussi complexe. Il y avait cet avortement qui flottait au-dessus d'eux, sans être nommé, tel une épée de Damoclès qui pouvait leur tomber et couper leur lien bien trop fragile. Il la foudroya du regard quand elle lui demanda de ne pas la lancer sur le sujet. Elle allait exploser et sans doute le lieu n'était pas propice à cela. Pourtant, Livio continuait à appuyer là où ça faisait mal. Pour pouvoir s'expliquer clairement. Pour qu'elle dise qu'elle n'allait pas bien. Pour qu'il dise qu'il n'avait pas tout oublié. Gigi faisait partie de cette vie, même s'il construisait son foyer avec une autre femme. Elle avait sa place. Elle avait toujours eu une place privilégiée. Mais elle ne le croyait pas. Elle n'avait que l'image de celle qui tenait la chandelle. "T'es casse-couilles !" dit-il en lâchant un large soupir, fatigué de cet affrontement qui ne menait à rien. Et l'émission allait sûrement empirer le cas. Il ne pouvait pas, Livio. Il était dans une situation délicate, tiraillé entre son envie de clore le chapitre et les peurs de sa petite amie. Sans doute Giulia ne prit pas pleinement conscience de ce dilemme, s'arrêtant simplement au fait qu'il refusait pour Aura. Elle n'était pas si indifférente qu'elle ne laissait pas paraître. Il la connaissait trop bien pour voir qu'elle bouillonnait de l'intérieur. "Donc, en gros, ça s'arrête là ? Maintenant que tu as ta réponse, tu vas partir de Bowen, c'est ça ?"

Le ton montait, la colère aussi. Giulia gardait en elle bien trop de rancœur. Il y avait cet avortement l'année passée dont elle n'arrivait pas à se défaire de cette immense douleur. Elle aurait aimé que Livio soit plus présent pour elle, qu'il montre plus d'importance à ce bébé qu'ils n'ont pas désiré / planifié. Aujourd'hui il refaisait sa vie auprès d'Aura et les choses entre eux devaient être plus simples. Aura semblait apporter à Livio ce qu'elle n'avait jamais su lui apporter. De la douceur, de la stabilité, de la sécurité. Alors quand Livio n'acceptait pas de refaire cette saison de tournage avec elle, l'enjeu était en réalité bien plus grand pour elle. Il lui renvoyait tous ses échecs en pleine face et c'était dur à encaisser. Il la traita de casse-couilles, l'italienne lui lâcha un regard furieux et tourna délibérément son visage. Cigarette à la main, elle tentait de contrôler son tremblement. Non je reste jusqu'au prochain tournage. répondit sèchement Gigi. Pourquoi t'as envie que je parte? lui demanda t-elle presque sur un ton de défi. Obstinée, elle gardait la tête tournée ne voulant surtout pas croiser le regard de Livio.

Il avait tendance à réagir au quart de tour, Livio, mais depuis qu'il était à Bowen, il travaillait énormément sur sa sérénité et son calme afin d'apaiser cette impulsivité qui lui apportait bien trop de problèmes. Mais il y avait des personnes qui savaient appuyer là où il fallait pour l'énerver. Giulia en faisait partie. Mais dans leur cas, cela résultait d'un vrai manque de communication, d'une rancoeur chez elle, d'une culpabilité chez lui. Ils s'étaient souvent disputés, oui, mais jamais leur relation n'avait été aussi difficile que depuis l'avortement. Ils devraient en parler, sûrement, mais l'un et l'autre se braquaient. Elle avec ses regards noirs, lui avec son casse-couille sorti du cœur. L'odeur de nicotine lui arrivant au nez, il sortit à son tour son paquet de cigarettes, s'en octroyant une qui était la bienvenue. Dire qu'il essayait d'arrêter de fumer...  Alors qu'il l'alluma, il releva son regard vers elle quand elle lui affirma qu'elle resterait ici jusqu'au tournage. Ça aurait pu s'arrêter là mais sa phrase suivante, qu'il voyait comme une vraie provocation, le fit soupirer. « Déjà, regarde-moi avant de lâcher une telle question... » Elle savait qu'il détestait ça, qu'elle dévie le regard, butée, obstinée. « Je n'ai jamais dit que j'avais envie que tu partes. » Au contraire, il était content de la voir, aussi chiante était-elle. Elle apportait un peu de familiarité dans un pays au sein duquel il essayait toujours de se faire une place. « Si tu restes jusqu'au tournage, on peut quand même faire en sorte de se supporter jusque là et ne pas trop s'engueuler, non ? » Il avait bien ne pas trop, parce que connaissant les deux italiens, ils ne pouvaient passer une journée sans s'affronter.

Gigi l’avait agacé, elle le savait, Livio venant lui aussi sortir son paquet de cigarettes. Ils étaient tendus, blessés, et leur passé commun n’arrangeait en rien l’atmosphère qui devenait de plus en plus pesante. Elle roula les yeux et céda à affronter son regard de cet air hautain qui lui était propre. La plupart du temps, elle ne le faisait pas exprès. Ce qui, sans l’atteindre, lui valait beaucoup d’ennemis notamment avec la gente féminine. En lui demandant s’il voulait qu’elle parte, Giulia cherchait bien évidemment à être rassurée. Sa peur du rejet, ses séquelles durant son enfance, refaisaient surface. Sa réponse ne la satisfaisant pas, elle répliqua aussitôt. Mais t’as pas dit non plus que tu voulais que je reste lui dit-elle sans parvenir à tenir un ton de reproche. Il est vrai qu’elle pouvait être une vraie casse-couille quand elle se butait ainsi. Mais ça, ce n’était qu’une surface, il la connaissait pourtant Livio. Il l’avait vu se montrer douce et sensible lorsqu’ils étaient ensemble. J’sais pas, faudrait déjà que tu sois content de me voir pour me supporter insista Gigi sans lâcher le morceau. Oui l'italienne était du genre têtue.