She’s the kind of crazy you want fighting on your side ı Saoirse

La douce odeur de crêpes envahissait la cuisine, dans l’appartement lumineux. Rentrée du centre-ville, après un peu de violon et des petites courses, Saoirse avait eu envie de cuisiner. Elle s’était lancée dans la confection d’une sorte de gâteau de crêpes salées, aux épinards et à la ricotta. La musique sortait avec un ton feutré de la chaîne hi-fi et l’Irlandaise s’amusait à faire sauter ses crêpes hors de la poêle, le petit challenge supplémentaire de cette activité culinaire. Si Saoirse n’y voyait rien, à part les nuances de lumière, elle connaissait cependant suffisamment bien l’appartement, depuis le temps qu’elle y vivait, pour prendre quelques risques. Faire à manger n’était pas un problème, tant que chaque chose était rangée à sa place. C’était l’un des points qui avait été établi avec Amara, sa colocataire, une jeune femme pétillante qu’elle adorait. Cette dernière était, depuis le début, très attentive aux spécificités de la vie avec une aveugle, avec une bienveillance et un naturel qui avait tout de suite fait matcher les deux filles. Amara n’était ni surprotectrice, comprenant bien que Saoirse était une adulte qui vivait avec son handicap depuis plus de quinze ans, ni négligente, ce qui avait ravi la belle rousse. Il y avait des petites choses à respecter, plutôt comme un guide, qui étaient devenues normales avec le temps, et puis s’y étaient ajoutées des petites situations atypiques, dont heureusement, la brune ne se plaignait pas. Quand Saoirse lui faisait une frayeur parce qu’elle lisait un livre – en braille - au salon dans le noir le soir, par exemple, et qu’Amara repérait sa présence en sursaut en allumant la lumière. Ou bien quand elle mettait leur linge à sécher sur le balcon en étalant toutes les culottes osées de sa colocataire sans le savoir, à la vue des voisins. Mais généralement, ces petits bémols leur offraient des belles tranches de rire. « Hello, sweetie pie ! » répondit la rouquine en entendant sa colocataire rentrer. Elle fit sauter une énième crêpe de la poêle pour la retourner, avant de l’entendre louper sa cible et s’écraser avec un bruit mat. « Et bien… Mieux que cette crêpe, je pense ? » répondit-elle en se tournant vers Amara qui était arrivée derrière elle, avec un air penaud et un sourire amusé qui se dessinait déjà au coin de ses lèvres. Ça, c’était une autre conséquence de vivre avec une aveugle : Saoirse savait cuisiner, mais ce faisant, elle foutait généralement un bordel monstre dans la pièce. Elle essayait toujours de tout nettoyer derrière elle, mais ne pouvant voir les taches et autres crasses qu’elle faisait, certaines échappaient parfois à son chiffon, et c’était Amara qui avait le plaisir de découvrir ces survivantes par après. Ou de voir que l’Irlandaise avait oublié d’éteindre une plaque de cuisson, comme c’était arrivé une fois, mais rien qu’une fois. Saoirse éclata de rire et ramassa la crêpe perdue. « Bon, ce sera pour les oiseaux ! » fit-elle avec un haussement d’épaules résigné, allant mettre la crêpe en question au bord du balcon pour lesdits volatiles. « À part réussir cette recette avant la nuit, non ! Du coup, je suis partante. Tu voulais faire quelque chose en particulier ? » reprit la rouquine en revenant dans la pièce.

La jolie rousse gloussa aux paroles d’adieu qu’Amara adressa à la crêpe, qui partait déjà rejoindre le balcon pour profiter aux oiseaux et autres demandeurs de la nature environnante. « Oh non non, dis, c’est moi qui ai mis la cuisine dans cet état ! C’est si terrible que ça ? » refusa la jeune femme en secouant la tête. Sa colocataire était quelqu’un d’aimable et très serviable, une immense qualité, et même si nettoyer à deux était plus plaisant, elle ne voulait pas non plus qu’elle ait à faire une tâche ennuyante alors que c’était Saoirse qui avait décidé de transformer leur cuisine en champ de mines. « Mmmh, moi non plus. » répondit-elle, pensive, alors que la brune lui proposait de faire quelque chose ensemble. Elles n’étaient pas difficiles, ni l’une ni l’autre, aussi Saoirse n’avait pas plus d’idées que son amie sur ce qu’elle avait envie de faire. Elle avait déjà fait quelques petites choses aujourd’hui, elle avait fait une grasse matinée après avoir travaillé à la boîte de nuit de Blake la veille, où elle accompagnait parfois les djs avec son violon pour des soirées spéciales. Dès qu’elle s’était levée, elle était allée à l’église, puis était restée jouer quelques morceaux sur la place, s’était promenée et avait fait des courses. « Ça te dit d’aller faire un peu de shopping ? Je sais pas si t’as besoin de quelque chose. Moi je me trouverais bien un nouveau petit truc. » proposa la rouquine tout ouvrant le frigo pour prendre les épinards préparés plus tôt et la ricotta. Pour faire les magasins, c’était chouette d’avoir un ou une amie à ses côtés. Vu qu’elle ne pouvait voir ce qu’elle achetait, elle se concentrait sur le toucher, et demandait conseil au vendeur ou à la vendeuse pour le reste. Mais c’était quand même plus sympa avec quelqu’un qu’elle connaissait. « Et on peut aller boire un verre après ? » s’enquit-elle avec un sourire en amenant le nécessaire pour la suite de la recette, sur le seul endroit du plan de travail qu’elle avait laissé libre. « Ça marche, mais si tu promets de ne rien ranger dans mon dos ! » accepta Saoirse de bonne grâce avec un clin d’œil complice. Si en plus Amara l’aidait à faire à manger, il était hors de question qu’elle nettoie son bordel. D’ailleurs, la rouquine commençait déjà à laver ce dont elle n’avait plus besoin, tout en expliquant la recette à la brunette. Il n’y avait plus qu’à mélanger ricotta et épinards, assaisonner, et en étaler une fine couche sur chaque crêpe pour les superposer.

Saoirse afficha une moue indécise, avant de finalement hocher la tête. « Bon, d’accord. Mais t’es vraiment une colocataire en or. » accepta la rouquine avec un sourire empreint de gratitude. Elle était sincère, elle était très contente de vivre avec Amara, et pas seulement parce que celle-ci n’hésitait pas à l’aider dans des tâches du quotidien, parfois moins faciles pour l’aveugle. Elle savait se débrouiller, mais certaines choses lui prenaient plus de temps, et sa dextérité ne remplaçait pas toujours deux yeux voyants. Alors qu’elles s’affairaient toutes les deux dans la cuisine, l’Irlandaise proposa d’aller faire les magasins, comme il était encore tôt. « Ce n’est peut-être pas la meilleure proposition, vu que tu es déjà dans une boutique toute la journée. » se rappela tout de suite la jeune femme. Amara avait peut-être envie de faire autre chose, et sa colocataire ne voulait pas lui imposer un shopping. Au final, ce qu’elles faisaient lui était égal, c’était tout simplement sympa de passer du temps ensemble. Mais la brune sembla convaincue par la proposition, arrachant un sourire Saoirse. « Super ! Et puis, s’il y a bien une personne à laquelle je peux faire confiance en matière de shopping, c’est toi. » ajouta-t-elle. À nouveau, elle ne pouvait voir comment les gens étaient habillés autour d’elle, mais elle aimait beaucoup toucher les vêtements que son amie lui "montrait", et qu’elle les lui décrive. Elles n’avaient pas vraiment le même style vestimentaire toutes les deux. Saoirse privilégiait ses coups de cœur en matière d’habits, fondés sur la sensation sur sa peau, ainsi que l’idée qu’elle se faisait d’un vêtement, quand on le lui décrivait, à la signification qu’elle leur trouvait. Qu’elle fasse des assortiments étranges aux yeux de ceux dotés de yeux fonctionnels ne lui posait pas de problème. Mais elle aimait aussi découvrir la façon dont ses proches s’habillaient, en tout cas ceux que ça intéressait, et découvrir des modes et des textures. Elle aimait bien la façon dont Amara se parait pour aller affronter le monde extérieur, tout comme elle aimait son style bien à elle. « Tu me gâtes trop ce soir ! D’accord, mais on en prendra obligatoirement un deuxième, dans ce cas. » sourit la jeune Irlandaise. Elle n’était pas du genre à boire beaucoup, Saoirse étant plutôt quelqu’un de raisonnable à ce niveau, mais elle tenait aussi bien l’alcool. Ce n’étaient pas deux ou trois verres qui allaient lui faire tourner la tête, elle connaissait bien ses limites. Plus jeune, elle buvait autrement, même à un trop jeune âge, mais c’était plutôt des conneries de jeunes de la communauté. Et puis, maintenant, aveugle, elle préférait que ses sens restants restent totalement fonctionnels. Quand Amara promis de ne pas ranger dans son dos, la rouquine pouffa de rire, sachant très bien qu’elle jouait sur les mots. Elle pouvait parfaitement ranger à côté ou devant elle, que Saoirse ne la verrait pas plus que derrière elle. C’était le genre de petites blagues comprenant son handicap que la jeune femme aimait échanger avec les personnes suffisamment à l’aise avec elle, et ça lui faisait plaisir, de pouvoir faire ça sans ressentir la gêne de son interlocuteur. Avec son amie, évidemment, il n’y avait jamais de cette gêne, et c’était ça qui était parfait dans leur dynamique. « Tadaaa, c’est prêt ! Miam. » renchérit Saoirse avec la touche finale, faisant couler un filet de sauce maison sur le gâteau de crêpes, avant de sortir les assiettes.

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La réponse de la brune arracha un sourire à Saoirse, qui ne répondit pas, laissant le compliment planer dans l’air et lui aller droit au cœur. Amara savait que c’était réciproque. Saoirse l’aurait aidée avec tout autant de plaisir si elle en avait eu besoin, elle savait que l’aide de son amie n’avait aucun rapport avec sa cécité. Enfin, si, car elle avait besoin parfois d’une aide dont les voyants pouvaient se passer. Mais sa colocataire le faisait à la façon d’une amie, pas d’une assistante de vie. C’était ça que Saoirse aimait aussi chez la belle brune, et ce qu’elle aimait chez ses proches. Ses nouveaux proches, en Australie. Dans sa communauté, on lui avait vite laissé son indépendance, on l’avait soutenue mais on l’avait laissée se débrouiller. Saoirse avait pris l’habitude que son handicap soit traité de cette façon, d’autant plus que lorsque ce n’était pas le cas, son caractère pouvait s’enflammer pour signifier ce qu’il y avait lieu de faire et de ne pas faire. Elle était heureuse de savoir que ses amis australiens, des rencontres plus récentes, avaient cette même capacité à l’aider avec bienveillance sans jamais prendre un rôle parental. « Parfait, je savais que je pouvais compter sur toi ! » plaisanta la jeune femme, de l’enthousiasme dans la voix, quand Amara renchérit sur le shopping. « Je n’en doute pas. » répliqua-t-elle avec un clin d’œil à sa colocataire. Si quelqu’un pouvait assortir parfaitement les trouvailles parfois étranges de Saoirse en matière de vêtements, c’était bien elle. La brunette marqua ensuite son accord énergique pour le plan suivant, qui était d’aller boire un verre tranquillement. « Oui ! Et puis… Est-ce qu’on a vraiment besoin de se justifier ? » pouffa Saoirse avec une main sur sa bouche. Si elles avaient envie de boire jusqu’à plus soif, elles en avaient bien le droit aussi. Mais Amara disait vrai, elles n’étaient pas contre l’alcool et la détente, mais aucune d’elles n’étaient des fêtardes à l’extrême. Quand l’Irlandaise était saoule, c’était de manière légère, juste histoire de se lâcher un peu plus sur les jurons en Shelta – son dialecte maternel – et de faire des blagues un peu plus osées que d’habitude. Bref, c’était l’idéal pour se laisser un peu aller, mais elle ne se trouvait jamais dans des états scandaleux non plus. Saoirse apporta enfin la touche finale à son plat, tandis qu’Amara semblait impatiente d’y goûter. Elle ne voyait pas les étoiles dans les yeux gourmands de la jeune fille, mais elle pouvait parfaitement les deviner. « Allez, déchaîne tes envies. » rigola la rousse en tendant à son amie un couteau et une spatule pour qu’elle puisse couper dans le montage et se servir une part.

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Évidemment, Am' était partante pour un peu de shopping. C'était chouette, parce qu'elle pouvait vraiment accompagner la rouquine dans ses achats, pas seulement pour lui décrire le vêtement mais aussi avec son œil expert. Et puis, c'étaient les mains de Saoirse qui décidaient du reste. En tant qu'aveugle, ses mains étaient son outil numéro un. Ce n'était pas dans les habitudes des voyants, mais le toucher donnait une multitude d'information, que ce soit pour choisir ses habits, pour faire la cuisine, etc. Les formes, les textures et les niveaux remplaçaient souvent la vision, même s'il y avait des choses pour lesquelles il fallait de l'aide, comme voir les couleurs, par exemple. Et puis, par chance, on vivait désormais dans un monde fait de technologies de plus en plus avancées, il y avait maintenant des applications qui permettaient de scanner et décrire des objets, dont les couleurs. Saoirse n'avait pas connu ça avant son arrivée à Bowen, vivant dans une communauté assez fermée à la modernité. Hormis à l'école pour aveugles, elle n'avait pas eu accès à toutes ces choses facilitant la vie des malvoyants. Mais après tout, il y avait eu des personnes atteintes de cécité à toutes les époques, et les applications et autres outils d'accessibilité n'existaient que depuis assez récemment. Saoirse apprenait seulement maintenant l'existence de certaines applis qui lui facilitaient la vie, elle apprenait à les utiliser, mais elle savait être relativement autonome sans ces aides aussi. C'était même dans ces circonstances qu'elle avait grandi. « Quelles responsabilités ? » demanda innocemment la belle Irlandaise en sifflotant, référence au fait qu'elle, elle n'en avait pas vraiment. Elle jouait du violon, allait à l'église, et basiquement, s'occupait juste de vivre. Faire à manger, faire les courses, nettoyer, se promener, rencontrer des gens, continuer à s'entraîner en braille, même si son utilisation était de moins en moins nécessaire. Les livres audio, c'était quand même vachement plus rapide, facile, et ça prenait moins de place. Mais c'était quand même bien de savoir déchiffrer ce code universel. Ne fut-ce que pour étiqueter des choses du quotidien, histoire de ne pas confondre le sel et le sucre, même si Saoirse aimait que chaque chose soit à sa place. C'était plus rapide que de lire toutes les étiquettes qu'elle collait sur tout ce qui était nécessaire. Le plat était prêt, et la rouquine invita sa colocataire à entamer les choses sérieuses. « Bien sûr, tout pour vous faire plaisir, ma chère ! » répondit-elle en riant, alors qu'Amara s'occupait de les servir et qu'elles s'installaient à table. « Merci. Allez, bon appétit ! » Elles entamèrent leur assiette, son amie ne manquant pas de signaler son contentement. Saoirse était plutôt satisfaite du résultat, elle aussi. « C'est vrai que c'est réussi. » confirma-t-elle tout en dégustant, elle aussi avec un soupir de délice.