and then there was her (aisling)

Tranquille dans son atelier, Isaiah écoutait de la musique tout en travaillant sur les finitions d’une commode. Pour les détails précis, l’ébéniste avait souvent besoin d’une musique pour se plonger complètement dans la tâche, oubliant tout ce qui se passait autour. Siobhan dormait, Aisling était dans le bain, c’était le moment idéal pour se laisser happer par l’inspiration des touches finales. Il sifflait les mélodies les unes après les autres, balançant la tête d’un côté vers l’autre lorsqu’il se reculait pour avoir une vue d’ensemble sur le meuble. C’est lorsqu’il releva la tête pour une énième fois qu’il fronça les sourcils, pensant avoir entendu son nom d’en haut. Il s’arrêta pour dix secondes, dans son propre silence même si le volume de la musique resta au même niveau. Il pensa réentendre un cri à nouveau. Il arrêta la musique et monta au rez-de-chaussée. « Aisling ? M’as-tu parlé ? » Demanda-t-il au bas de l’escalier. Lorsqu’il l’entendit répondre, la voix plus forte, la voix plus impatiente, le jeune homme monta les escaliers trois marches à la fois, jaillissant dans la salle de bain avec empressement. « Qu’est-ce qui se passe ? » Il avait eu peur qu’elle ait glissé en sortant de la baignoire. Aisling était enceinte de neuf mois, l’accouchement était imminent. La date prévue était dans quelques jours à peine, le sac pour l’hôpital était déjà prêt. Mais il n’avait pas prévu, dans sa tête, que ça se passerait dès aujourd’hui.

Aisling arrivait au bout de sa grossesse, et le moins que l'on puisse dire c'est que ça avait été éprouvant. Les nausées, les interdictions... Elle avait toujours détesté les interdictions, Aisling. Et elle les détestait toujours. Mais les médecins invoquaient sans cesse la sacro saint santé du bébé pour la convaincre. Ils savaient que sa propre santé n'était pas un argument de poids pour Aisling elle-même. Enfin, son médecin avait trouvé le filon récemment. Il allait directement voir Isaiah dés qu'il voulait que la blonde fasse quelque chose. Il avait ce privilège-là, le néo-zélandais, qu'elle avait du mal à lui refuser quoi que ce soit. Ses grands yeux la faisait fondre, est-ce que c'était de sa faute ? Elle avait donc été Aislingement le plus raisonnable possible pendant sa grossesse. Pas d'alcool, pas de cigarette, pas de surmenage. La dernière grosse étape restait l'accouchement. Elle avait à la fois hâte, et pas hâte du tout, qu'il arrive. Sa grossesse lui pesait, même si, de sa menue taille, elle n'était pas devenu si énorme que ça, son corps commençait quand même beaucoup à lui manquer. Et avec sa sexualité. Même si l'accouchement était loin de signer le retour à une véritable sexualité... Mais plus tôt le bébé serait là, et plus tôt son périnée serait rééduqué. Mais évidemment; l'accouchement, c'était aussi la venue d'un nouveau petit être qu'elle aurait probablement du mal à gérer. Heureusement, ils étaient une équipe chez les Gartshore-Nairn-Callaghan. Ou un truc comme ça.

Siobhan dormant, Aisling avait elle aussi besoin de se d"tendre et s'était glissé dans un bain chaud. Il faut dire qu'elle avait quelques crampes au ventre et sentait qu'elle avait besoin de quelque chose qui relaxe un peu ses muscles. L'eau chaude lui faisait du bien. Enfin... jusqu'à un certain point. Au bout d'une heure environ, elle sentit que ses crampes se transformaient en contraction. Elle avait déjà eu des contractions de faux travail, elle savait qu'il ne fallait pas s'affoler. Seulement... elles semblaient plus rapprocher. Elle resta dans le bain, prenant de grandes inspirations, mais elle n'arrivait pas à arrêter de s'inquiéter. Elles faisaient de plus en plus mal, elle en était certaine. Est-ce que c'était le moment ? Elle sentit son rythme cardiaque s'accélérer d'un coup. Panique. Elle hurla le prénom d'Isaiah qui était sans doute à la cave, mais elle ne pouvait pas se lever pour aller le chercher. En fait elle préférait éviter de se lever pour faire quoi que ce soit. Elle n'eut pas de réponse et appela encore. C'était sûr, elle allait finir par réveiller Siobhan, si ce n'était pas déjà le cas.

-Je ne t'ai pas parlé, je t'ai appelé putain !

Une main sur le ventre, elle ne savait pas si c'était la panique, mais elle avait l'impression d'avoir de plus en plus mal.

-Je... J'ai des contractions. Elles me font mal je... Je crois qu'il faut qu'on compte pour savoir si c'est le moment...

À peine rentré dans la salle de bain, Isaiah se faisait déjà crier dessus par Aisling. Il la regarda les yeux grands ouverts, sa bouche s'ouvrant et se refermant alors que son esprit n'avait même pas eu le temps encore d'assimiler le regard assassin qu'elle lui lançait. « J'étais en bas ... j'étais pas certain d'avoir entendu quelque chose ... » Balbutia-t-il. Il perdait rarement ses moyens, Isaiah. Il était du genre à être assez en contrôle de lui-même, surtout parce qu'il ne se souciait pas de l'image qu'il renvoyait, parce qu'il se faisait confiance, parce qu'il avait confiance en la vie et parce que ses méditations le menaient souvent à un état assez zen. Mais il ne s'était encore jamais retrouvé devant cette situation, non pas le regard meurtrier d'Aisling - ça, il y avait déjà eu droit à quelques reprises soyons bien honnêtes -, mais plutôt la main sur son ventre, sa respiration changée, ses plaintes de douleur. Elle avait ses contractions. Isaiah sortit de sa surprise et hocha la tête quand elle parla de compter. Ils en avaient parlé si souvent, de ce moment, mais maintenant que c'était là, ici, maintenant, le jeune homme sentait son coeur battre pas mal plus vite. Il attrapa le cellulaire d'Aisling, posé à côté de la baignoire et trouva l'application du minuteur. « Ok, t'en as eu combien, jusqu'à maintenant ? » Demanda-t-il en relevant les yeux vers la blonde, prenant sa main. Lorsque la prochaine contraction allait arriver, il s'attendait à ce que cette main-là y passe - cliché, peut-être, mais sans doute que cela ne sortait pas de nulle part. Dès qu'il sentit Aisling se crisper et gémir de douleur à nouveau, il appuya sur le départ du minuteur. Il leur fallait calculer la durée de chaque contraction ainsi que les délais entre chaque.  Heureusement qu'Aisling lui avait déjà montré où trouver l'application de petite horloge, autrement, ils y auraient passé la journée et leur bébé serait né dans la baignoire.

Isaiah se justifiait de ne pas l'avoir entendu, de ne pas être monté assez vite. Et probablement qu'Aisling serait un peu revenu sur sa colère en temps normal. Mais là, elle souffrait. Ce qui diminuait considérablement sa raison et son niveau d'empathie.

Et sans doute la blonde aurait-elle continuer à crier si Isaiah n'avait pas été étonnamment dégourdi. Il n'était pas à l'aise avec tout ce qui était téléphone, encore moins avec le smartphone d'Aisling -au moins elle pouvait être relativement tranquille sur le fait qu'il ne s'amusait pas à fouiller dedans. Mais là, il avait bien retenu les leçons et cela soulagea Aisling qui se détendit... jusqu'à la prochaine contraction.

-Je... Je suis pas sûre... Pas tant que ça je crois, cinq peut-être... Mais elles me font vraiment mal.

La blonde serra doucement la main d'isaiah dans la sienne. Elle appréhendait les prochaines, elle voulait que ça se calme. Elle voulait une pause, pour pouvoir réfléchir à la suite des événements plus sereinement, pour aller tranquillement à l'hôpital... Mais pourquoi est-ce que ça ne semblait pas se dérouler ainsi ?

-Je... je veux pas que ce soit maintenant...

Mais ses contractions semblaient contrariantes, et la prochaine vint assez rapidement. Elle serra davantage la main d'Isaiah dans la sienne. Elle essayait de se contrôler, elle semblait mieux y arriver maintenant qu'il était là.

-Putain...

Aisling ne répliqua rien à propos des justifications d’Isaiah, ce qui prouvait une chose : elle n’avait l’énergie ni pour s’obstiner, ni pour s’excuser d’avoir un peu levé le ton. De toute façon, maintenant que l’artiste comprenait ce qui était en train de se produire, il n’était pas fixé là-dessus. Il était rapidement sorti de son moment de confusion pour s’approcher de sa petite amie. Il attrapa le téléphone intelligent - trop intelligent - de la blonde et trouva rapidement l’application du minuteur. C’est qu’ils avaient répété ce moment-là, quand même, dans leurs têtes. Depuis quelques semaines, l’ébéniste y rêvait souvent, aussi. Sans doute que son subconscient l’avait préparé, peu à peu, au moment où Aisling donnerait naissance à leur enfant, fille ou garçon, ils ne savaient pas encore. Tout ce qu’ils savaient, c’est que l’enfant se prénommerait Harper. Ils avaient eu le temps d’y penser, à ce prénom neutre qu’Isaiah avait voulu, et ils avaient finalement trouvé. Harper allait bientôt voir le jour et il était impatient. Mais avant … il fallait calculer le délai entre les contractions. Il s’agenouilla à côté du bain, téléphone en main, et de son autre main il serra celle d’Aisling. « Ça va aller, Ais’, si c’est le moment, alors ce sera le moment et tu vas être merveilleuse. » Affirma-t-il d’une voix douce. Elle venait à peine de terminer une contraction, selon les gémissements qu’il avait pu entendre en montant, que déjà une autre débutait. « Il doit y avoir cinq minutes entre chaque, là, à peu près … » Ce qui signifiait que si cela continuait ainsi pour un bon moment, il leur faudrait se rendre à la maternité. « On devrait peut-être te sortir du bain, commencer à te préparer à partir … » Parce que plus ils attendaient dans le bain, moins ils allaient pouvoir être réactifs si ça devenait plus urgent de quitter la maison.

Isaiah était toujours là, dans les mauvais et les bons moments. Là, tout de suite, elle classerait plutôt le moment dans els mauvais d'ailleurs. Parce qu'elle avait mal, parce qu'elle avait peur. Elle voulait que ce soit vite fini, elle voulait tenir son bébé dans ses bras, voir Isaiah sourire, voir Isaiah heureux. Ca comptait. Pourquoi fallait-il toujours de si grands sacrifices pour atteindre le bonheur ?

-Je ne suis vraiment pas sûre de ça...

Elle n'avait pas de diplôme pour "bien pousser" ou "accoucher vite et bien". Evidemment, elle avait eu un certain nombre de cours de préparation à l'accouchement. Mais bon, difficile de savoir si ça avait porté ses fruits avant le jour fatidique.

-Je... J'ai peur que si je sors, ça s'accélère...

Elle avait un peu trop entendu ce genre d'histoires, de femmes qui accouchaient quasiment dans leur baignoire. Elle ne voulait pas que ça arrive. Son bébé pouvait avoir des problèmes, il avait besoin d'un service d'urgence si jamais... Et elle aussi, elle pouvait en avoir. Le médecin l'avait dit, elle devrait peut-être être mise sous oxygène. Mais rester dans la baignoire indéfiniment n'arrangerait pas le problème. Elle finit par lever son regard clair vers Isaiah, tendant doucement le bras.

-Tu veux bien me donner mon peignoir ?

Isaiah n’avait pas besoin des liens sacrés du mariage pour savoir qu’il allait être auprès d’Aisling pour le meilleur et pour le pire. Il n’avait pas besoin qu’on le lui fasse promettre devant l’autel pour qu’il se le promette à lui-même. Peu importe ce que la vie leur réservait, et même si un jour ils n’étaient plus ensemble pour une raison qu’il ne pouvait actuellement pas concevoir, Isaiah serait toujours là pour Aisling. Elle était trop importante à sa vie pour qu’elle soit le genre de personne qu’on imagine pouvoir facilement délaisser. Il ne la délaisserait jamais. D’autant plus qu’elle s’apprêtait à mettre au monde leur enfant. Pour ça il lui serait éternellement reconnaissant. « Moi si, et j’ai presque toujours raison. » Il esquissa un sourire, c’était pour détendre l’atmosphère, pour la faire rire peut-être, dans ce moment chargé émotionnellement. Son propre cœur se débattait dans sa poitrine mais il ne pouvait pas laisser la panique le submerger. « Mais si tu ne sors pas il faudra que t’accouches dans le bain. Je ne pense pas que ce soit mieux. » Lui rappela doucement Isaiah, pour la ramener au moment présent. Aisling leva son regard clair vers lui et demanda à avoir son peignoir. Il hocha la tête et alla chercher le peignoir accroché derrière la porte. « Tu veux te tenir à mon bras ? » Lui suggéra le jeune homme pour l’aider à se relever. Ce n’était pas le moment qu’elle glisse – ce n’était jamais le moment, certes, mais en étant sur le point d’accoucher c’était un scénario catastrophe à imaginer. Isaiah l’aida à sortir de la baignoire et l’aida à enfiler son peignoir. « Ça va, t’es ok ? » Il s’en assura avant de continuer : « Je vais te chercher du linge, je reviens. » Il alla à leur chambre, trouva du linge pour sa petite amie dans les tiroirs puis attrapa le sac qu’ils avaient préparé pour l’hôpital, avant de revenir vers la salle de bain. « Veux-tu que je t’aide à t'habiller ? » Demanda-t-il en tenant son linge dans ses mains.

Isaiah réussi à arracher un sourire à sa petite amie. En temps normal, il était certain qu'elle aurait trouvé quelque chose pour le contredire, mais pas aujourd'hui.

-Tu sais il y a des femmes qui accouchent dans un bain, il paraît que c'est mieux physiologiquement...

Pourquoi Aisling n'avait pas prit cette option dans son projet de naissance ? Parce qu'elle voulait sa péridurale, pardi ! Et c'est sans doute cette pensée qui l'encouragea à se lever de son bain. S'ils arrivaient trop tard à la maternité, elle ne pourrait pas en avoir. Elle n'était pas très assurée pour autant. Quand Isaiah lui proposa son bras, elle acquiesça d'un signe de tête et s'y accrocha. Avec son gros ventre, elle n'était plus très stable, et dans la baignoire...

Rapidement, elle sortit de la baignoire et son peignoir fut enfilé. Elle se frotta légèrement pour se sécher, mais fut tout de même interrompu par une contraction qui la fit serrer les dents.

-Je... ça va.

Elle hocha la tête quand il la laissa pour aller lui chercher des vêtements, mais elle ne put s'empêcher de se dire qu'elle aurait tout aussi bien pu aller à la maternité en peignoir. Outre le fait qu'Aisling n'avait jamais été bien pudique, elle savait qu'arriver là bas, elle pouvait laisser son honneur à la porte.

-Ca va aller je vais juste passer une robe...

Elle attrapa, entre les main d'Isaiah, une robe de grossesse. Il était certain qu'elle avait du refaire toute sa garde robe, elle qui flottait pourtant dans ses vêtements d'habitude. Mettre des sous-vêtements semblait être au-dessus de ses forces aujourd'hui.

-Par contre je... je veux bien tu me tiennes jusque... jusque... On ne va pas aller à la maternité à pied, je ne crois pas que j'y arriverais...

Elle avait l'impression de se sentir incroyablement faible. Bon, elle avait toujours été une personne de frêle constitution, mais contrecarrait ça avec sa force de caractère d'habitude. Là, la situation lui faisait perdre ses moyens.

Aux explications d’Aisling, Isaiah hocha la tête. « Il me semble avoir entendu cela aussi. Mais dans ces moments-là il y a un docteur ou une sage-femme pour accompagner, non ? Je ne remplis aucun de ces critères, malheureusement … » Il esquissa un sourire. Il aurait été pris de panique, Isaiah, s’il avait fallu qu’il soit celui à faire accoucher Aisling. Lors de son tout premier accouchement, celui de Siobhan, Aisling avait été aidée, mais pas d’Isaiah. Il avait même été en retrait – à cette époque, ils n’étaient pas ensemble. Le jeune homme, après avoir aidé la blonde à se mettre debout, les pieds sur le tapis de douche, se retira le temps d’aller récupérer les vêtements et le sac d’Aisling. Il obtempéra quand elle demanda une robe, lui tendant celle-ci. La blonde était déjà en train de s’en emparer, plus pressée que lui. Ou plutôt, plus rapide. Isaiah, même quand il était pressé, il avait l’air d’un paresseux. Quand la jeune femme parla d’aller à la maternité à pieds, Isaiah réfléchit un instant. Non, il était en effet inconcevable d’y aller à pieds ou à vélo, ses modes de transport habituels. Et on oublie le transport en commun pour ce cas-ci. « On va prendre la van ! J’l’ai pas fait vérifier depuis que Noa me l’a remise, mais elle ne m’a rien signalé, ça devrait aller. » Ça devrait aller, ce n’était probablement pas la phrase la plus convaincante pour Aisling qui devait se rendre le plus rapidement possible à la maternité afin d’accoucher. Ce n’était pas le moment pour qu’une lumière rouge s’allume sur le tableau de bord de la vieille caravane d’Isaiah. Ce n’était pas le moment de voir de la fumée s’échapper du capot alors qu’ils seraient si près et si loin du but tout à la fois. Mais ils n’avaient pas vraiment le choix. La compagnie de taxi de Bowen n’était pas réputée pour être la plus rapide en ville. Isaiah accompagna donc Aisling jusqu’au rez-de-chaussée, puis jusqu’au stationnement. La van était garée en retrait, presque dans la cour. Il lui ouvrit la porte et l’aida à embarquer – c’était plus haut qu’une voiture normale. « C’est bon, t’es confortable ? » Peut-être pas confortable, dans les circonstances, mais passons.

Aisling fit la moue alors qu'Isaiah avouait ne pas avoir les compétences en terme de mise au monde d'enfants. Presque sur un ton de reproches, la blonde éleva boudeusement la voix.

-Tu aurais pu apprendre au cours de tes voyages...

Qu'ils servent à quelque chose, non mais !
Il est vrai que son premier accouchement ne s'était pas déroulé à l'hôpital. Il avait été plutôt rapide d'ailleurs... En tout cas tout semblait s'être enchaîné très vite pour Aisling qui ne comprenait rien à ce qui lui arrivait. Mais elle espérait bien que cette seconde naissance serait moins atypique. Elle se demandait parfois si Siobhan gardait des séquelles inconscientes de cet accouchement, ou même de la grossesse dans son ensemble. Pendant cette seconde grossesse elle avait lu beaucoup de choses et certains pensaient que la grossesse et l'accouchement pouvait avoir des impacts sur les enfants - autre que physique. Aisling ne trouvait pas cela très cartésien, mais elle ne détenait pas la vérité absolue.

A présent habillée à la va vite, il fallait décider de la façon de se rendre jusqu'à la maternité. Le van semblait l'unique solution... C'était un peu atypique mais... ça ferait l'affaire, non ? C'était fait pour rouler et transporter des gens, jusque là il n'y avait rien à y redire.

-La maternité n'est pas si loin, on ne devrait pas avoir de problème...

S'il y avait bien quelque chose qu'Aisling ne maitrisait pas, c'était les voitures, et autres objets affiliés. Elle n'avait pas son permis. Mais entre ici et la maternité, elle ne voyait pas vraiment ce qui pourrait se passer.
La blonde prit la main de son amoureux pour s'appuyer sur lui et descendre les étages. Elle serrait parfois les dents, et serrait plus fort ses doigts sur lui. Ca devrait aller, pas vrai ? Même si ses contractions n'étaient pas agréables, elles n'étaient probablement pas assez rapprochées pour qu'elle accouche dans le van. La marche était haute et il était donc particulièrement difficile pour elle de s'installer sur le siège. Mais Isaiah l'aida au mieux. Elle passa sa ceinture de sécurité, s'installant bien au fond du siège et planta ses doigts dans l'accoudoir lors d'une énième contraction.

-Autant que je puisse l'être je crois... Est-ce qu'on doit les appeler avant d'arriver ?

C’aurait pu être pris pour une belle blague avec une belle répartie, ce commentaire sur les voyages d’Isaiah, si cela n’avait pas été accompagné de la mine boudeuse et du ton désapprobateur d’Aisling. L’ébéniste ne s’en frustra pas – ce n’était pas le genre de réplique qui l’atteignait de toute façon généralement, mais là, en plus, il savait que sa petite amie était en douleur et probablement assez nerveuse. Il fit donc semblant d’être offusqué, question de détendre l’atmosphère, avec sa bouche ouverte comme un poisson et ses sourcils froncés. « J’ai de nombreux autres talents appris pendant ces voyages ! » Il secoua la tête, retrouvant un mince sourire qui se voulait rassurant. Ses paroles à propos de la caravane l’était un peu moins, rassurantes, mais ça ne sembla pas arrêter Aisling qui acquiesça à l’idée de la prendre pour se rendre à l’hôpital. Isaiah avait confiance en Noa, il savait qu’elle n’avait pas profité de ce prêt indéterminé pour faire n’importe quoi avec le véhicule. Ça avait surtout été un endroit pour vivre, pour avoir un toit sur la tête, pas tellement une manière de se transporter à travers tout le pays. « C’est vrai, si Noa a été capable de la ramener jusqu’ici sans soucis, j’vois pas pourquoi là, on en aurait pour quelques kilomètres. » Peut-être s’ils enchaînaient les malchances mais jusqu’à maintenant, il n’y en avait pas vraiment ! Certes, c’était peut-être pas le meilleur endroit pour débuter ses contractions, le bain, puisqu’il fallait l’en sortir, la sécher et l’habiller, mais ce sont des choses qui arrivent. Ils s’en tirèrent plutôt bien, sans qu’Aisling ne glisse. Elle était maintenant habillée – en tout cas juste assez pour se rendre à l’hôpital où elle serait de toute façon à nouveau changée pour une chemisette -, et le couple se dirigea vers le rez-de-chaussée de la maison, tranquillement, puis vers la van. Le jeune homme était en train de s’installer derrière le volant quand la blonde lui demanda s’il fallait appeler avant d’arriver. Il démarra. « Euh … bonne question. T’es ok pour appeler ? J’veux pas qu’on perde de temps avec l’attente et … bah, mon téléphone est pas bluetooth. » Et la van n’avait de toute façon pas ce système-là non plus. L’artiste entama le trajet jusqu’à l’hôpital, l’excitation de plus en plus grande.

Aisling esquissa un sourire, un sourire crispé de douleur, certes, mais un sourire quand même, alors qu'Isaiah répliquait à son reproche. Elle savait que si elle commençait à le lancer sur le sujet, il risquait de se mettre à jouer d'un instrument de musique saugrenu, ou quelque chose du genre.

Elle hocha la tête quand Isaiah abonda dans son sens au sujet de la caravane. Oui, juste quelques kilomètres. Même si c'était sans doute le rêve d'Isaiah, pour le moment, ils ne vivaient pas très loin du centre-ville.

-Oui, on risque plus d'avoir des problèmes à faire tourner la caravane dans les rues qu'à rouler jusqu'à l'hôpital...

Ce n'était pas vraiment un véhicule "citadin" après tout.

Elle réussit à se hisser tant bien que mal dans le van et à s'attacher. Elle acquiesça d'un signe de tête.

-Oui je vais le faire, mais ne te trompe pas de route.

Il est vrai qu'elle n'avait pas la plus grande confiance en lui. Pas qu'il avait un mauvais sens de l'orientation cela dit, mais ils prenaient tellement la voiture pour se rendre en ville qu'il y avait de quoi douter. Et si elle appelait, elle ne pouvait pas faire GPS en même temps.
Alors qu'ils démarraient, Aisling appela le service gynécologique de l'hôpital pour prévenir de leur arrivée. Elle tenta de répondre le plus calmement possible aux questions sur la fréquence et la durée des contractions. Mais sa patience était, comme Isaiah le savait bien, très limité, d'autant plus quand elle était dans une position aussi délicate. Être sur le point d'accoucher était indéniablement être vulnérable, et ça, la blonde détestait.

-Sur une échelle de 1 à 10 ? Qu'est-ce que ça peut vous foutre merde ! J'ai mal ! Je veux une péridurale et je veux pas l'attendre pendant des heures et...

Elle sentit un instant le regard d'Isaiah et se mordit la lèvre. Elle leva les yeux vers la route.

-On arrive...

Elle finit par raccrocher le téléphone, la main tremblante. Elle avait l'impression que les contractions se rapprochaient. Ce qui voulait dire que l'accouchement allait bientôt vraiment commencer et... quelques heures plus tard... Son cœur battait de plus en plus fort dans sa poitrine.

Ils habitaient effectivement bien trop près du centre-ville, pour les envies d’Isaiah, mais comme il s’agissait d’un bon prix pour une maison louée, il n’avait pas trop à se plaindre. Dans l’idéal, leur petite famille, ils la fonderaient à la campagne, pourquoi pas au bord du cours d’eau Menilden Creek. Leurs enfants auraient un immense terrain de jeu, pas juste une petite cour de quartier. Pour aujourd’hui cependant, Isaiah remerciait quand même les circonstances, parce que s’ils avaient été plus loin que ça, il n’était pas certain que sa caravane aurait pu les mener sans soucis jusqu’à l’hôpital, ou du moins pas très rapidement. « Après dix ans à vivre ici, tu doutes de ma capacité à me rendre jusqu’à l’hôpital ? » Demanda-t-il avec un sourire amusé. Elle aurait pu ne pas avoir tort, Aisling, puisqu’Isaiah ne conduisait jamais en ville et n’allait certainement pas se fier à un Global Positioning System pour le guider. Cependant, après tout ce temps à se déplacer à vélo ou à pieds dans Bowen, il avait appris la plupart des rues. Certes, souvent il utilisait les pistes cyclables qui ne suivaient pas forcément les mêmes trajectoires que les routes, mais quand même. Il savait très bien comment se rendre à l’hôpital, heureusement pour eux. Aisling composa le numéro du service gynécologique et parla rapidement à quelqu’un. C’était déjà cela, elle ne tombait pas sur une boîte vocale automatique. Parfois, il était impossible de parler à un être humain ! Raison pour laquelle l’ébéniste préférait toujours se rendre en personne. En entendant la blonde s’énerver, Isaiah lui jeta un doux regard, pas de reproche non, mais pour lui faire comprendre que ça ne servait à rien de s’en prendre à la dame. Quelques minutes plus tard, il se garait à l’hôpital. « Je vais aller te chercher un fauteuil roulant. » Il descendit de la van, alla à l’entrée des urgences et dégota rapidement un fauteuil roulant qu’il ramena à la voiture. Il aida Aisling à s’installer et il la poussa jusqu’à la maternité, où il donna le nom d’Aisling à la première préposée qu’il vit à la réception. Il avait l'air calme, Isaiah, Aisling assise devant lui et le sac d'hôpital sur son épaule. Il avait l'air en contrôle. Mais en-dedans de lui, c'était l'excitation, la peur, la hâte, l'appréhension.

Aisling fit une petite moue à sa question. C'est vrai que c'était peut être un peu ridicule -voire insultant- de douter de lui, mais c'était principalement parce qu'il ne conduisait presque jamais.

Isaiah semblait vouloir calmer le jeu au téléphone. Mais il était naïf de croire qu'Aisling sur le point d'accoucher se calmerait parce qu'il lui faisait les yeux. Dans d'autres circonstances, ça aurait très bien pu fonctionner cela dit. Elle finit par rapprocher, les choses sérieuses ne faisaient que commencer, pour ainsi dire.

-D'accord...

Un fauteuil roulant, elle se faisait la réflexion qu'elle n'était jamais monté là-dedans. Enfin, si Isaiah ne pouvait pas en avoir, elle arriverait probablement à marcher jusqu'à l'intérieur... Même si ça risquait d'accélérer le travail. Et à ce stade, elle ne savait pas si c'était bien ou non.

A peu prés aussi laborieusement qu'à la monté, Aisling descendit de la caravane. Elle s'installa dans le fauteuil roulant et dû admettre que c'était bien pratique.

-Est-ce qu'on ne devrait pas investir pour en avoir à la maison ? Ca a l'air rigolo...

Bien plus rigolo que ses contractions en tout cas. Elle continuait de grimacer alors qu'ils s'approchaient de l'entrée de l'hôpital. Elle voulait éviter de hurler, ni pour les énergies ni pour éviter de stresser le bébé, juste pour ne pas avoir l'air de ne pas savoir gérer sa douleur. Alors qu'ils attendaient qu'on leur trouve une chambre de libre, Aisling attrapa la main d'Isaiah dans la sienne.

-Est-ce que toi aussi tu as hâte... mais pas trop hâte ?

Elle avait hâte d'expulser ce bébé après 9 mois de grossesse qui lui avaient paru interminables. Mais elle avait peur, de ne pas être à la hauteur de ce bébé, des responsabilités en tant que mère. Elle avait peur de gaffé sur ses premiers mois de vie, pendant lesquels elle avait été totalement absente de la vie de Siobhan, enfin, très absente en tout cas. Est-ce qu'Isaiah avait peur de ce genre de choses ?

-J'espère que ça ne prendra pas trop de temps... Ils ont dit que le bébé ne devrait pas être trop gros à la dernier échographie, mais en même temps, je n'ai pas un bassin très large non plus.

Un rire franc et amusé s’échappa des lèvres d’Isaiah quand Aisling s’installa dans le fauteuil roulant, visiblement ravie du côté pratique de cette invention. Il secoua la tête de gauche à droite, reconnaissant la blonde même alors qu’elle était en douleur et sur le point d’accoucher. « Je ne sais pas si c’est ce que je qualifierais d’investissement. » Il sourit, poussant Aisling vers les portes coulissantes de l’hôpital. « Tu voudras que je te construise un système pour que tu puisses rester dedans et que ça te fasse monter les escaliers sans effort, aussi ? » Système mécanique généralement réservé aux personnes vivant avec un handicap. Aisling était très bien capable de se déplacer par elle-même. Elle était juste, parfois, légèrement paresseuse. Pour l’instant, cependant, la jeune femme ne pouvait pas porter ce qualificatif. Il n’y avait aucune paresse dans son regard, au contraire, que de la force. Elle grimaçait pour contenir toute cette souffrance mais Isaiah, même en ne voyant pas son visage de face, puisqu’il poussait le fauteuil roulant, savait reconnaître cette force intérieure qu’elle puisait actuellement en elle. Alors qu’ils étaient en attente d’avoir une chambre, la blonde leva sa main et vint la poser sur celle d’Isaiah, qui tenait encore les poignées de la chaise. Il fixa celle-ci et la contourna, afin d’aller retrouver sa petite amie, face à elle. Il s’agenouilla, puisqu’il n’y avait pas de chaise libre à proximité. « C’est vraiment difficile de mettre des mots sur ce sentiment-là, hein ? » Admit-il avec un sourire. « J’ai vraiment hâte de faire sa rencontre, ça, c’est clair. » Dit-il en posant doucement sa main sur le ventre bien rond d’Aisling. « Mais c’est sûr que j’espère être capable d’être le père que je me suis toujours promis que je serais si j’avais des enfants. » Isaiah embrassa la main d’Aisling lorsque cette dernière parla de la durée de l’accouchement, de la grosseur du bébé, de la largeur de son bassin. C’était cette étape-là, en fait, qui le faisait le plus flipper. Il brouillait les cartes en parlant du après, mais c’était l’accouchement qui l’angoissait au plus profond de son être. Et si ça tournait mal ? « Est-ce que c’est un mythe, que pour le deuxième c’est plus facile ? Ton accouchement avait été plutôt rapide, pour Sio … » Alors si ça pouvait se passer aussi bien, aussi vite, dans un hôpital en plus cette fois, Isaiah n’aurait plus à craindre. Aisling, surtout, non plus.