#381 - Today's another day (Woody)

Une enveloppe. C’est ce qu’il trouva à ses pieds en ouvrant la porte après qu’on ait sonné. Quelques semaines plus tôt, sans doute n’aurait-il même pas ouvert. Enfin, ça ne faisait aucun doute, c’était même arrivé. Certaines personnes avaient tenté de passer chez lui, de le sortir de sa torpeur, depuis novembre. Il n’avait jamais daigné leur répondre. Ni à la porte, ni à leurs messages sur son téléphone. Sa boîte vocale avait atteint son quota pour la première fois de sa vie mais au moins, cela signifia le silence total, plus de notification de nouveaux messages vocaux. Puis, Léo avait débarqué chez lui comme un voleur mais au lieu de brasser la place pour lui dérober des biens, c’est Woody qu’il brassa en voulant lui redonner un peu de raison, un peu de logique. Il s’était complètement laissé aller, Woody, mélangeant alcool et médicaments, s’laissant dévorer par la noirceur et le brouillard chimique dans sa tête. Il aurait voulu y laisser sa peau. La vie s’entêtait à ne jamais le laisser partir, jamais complètement. Elle préférait y aller doucement, des petites brindilles d’énergie à la fois, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de lui. Il n’aurait su dire si Léo avait réellement réussi à lui faire reprendre ses esprits mais en tout cas, il avait repris un semblant de vie depuis. C’était peut-être sa visite chez Charlie qui avait eu l’effet d’un défibrillateur pour son cœur endormi. Revenons-en à l’enveloppe. Woody la fixa un moment, reconnaissant l’écriture de sa sœur. Il leva machinalement la tête et vit Nevaeh, de dos, en train de remonter l’allée jusqu’à chez elle. Il fronça les sourcils, se pencha et ramassa la lettre qu’il ouvrit, planté là agenouillé devant chez lui, la porte ouverte. Il la lut, son cœur se serrant à chaque mot de plus qui lui rentrait dans le crâne. Depuis l’annonce de la grossesse de Charlie, et encore plus depuis sa fausse couche qu’elle avait passée sous silence – vengeance méritée pour le silence de Woody à propos de la grossesse ? il doutait avoir mérité telle cruauté -, les deux aînés de la famille s’ignoraient, s’évitaient. Cette lettre, c’était la main tendue de Nevaeh, c’était une approche sur la pointe des pieds. Woody releva la tête, la porte de la maison de sa sœur était refermée. Peut-être le guettait-elle depuis la fenêtre, mais il ne discerna pas sa silhouette. Il attrapa son portable et composa le numéro de sa sœur. Quand elle décrocha, il lâcha directement : « So, tu m’apportes cette lettre et cette promesse de cookies, mais tu les gardes en otage avec toi ? That’s not fair. » Il esquissa un faible sourire, levant les yeux vers la fenêtre du salon de Nevaeh, même si l’éclairage ne lui permettait pas de voir qui que ce soit, quoi que ce soit.

Nevaeh avait tout juste eu le temps de rentrer chez elle avait que son frère ne sorte pas de chez lui. Elle ne l'aurait franchement pas cru. Elle n'était même pas sûre qu'il soit chez lui à cette heure-ci. En fait, elle n'avait certitude de rien du tout avec Woody ces derniers temps. Elle ne l'avait pas vu sortir même si elle avait cru entendre la porte d'entrée de son frère qui indiquait qu'il était dehors. Alors, elle s'installa dans la cuisine, les coudes sur le comptoir et sa tête dans ses mains, elle était au-dessus des cookies et les regardait comme si, elle allait les manger sur l'instant. Bien sûr qu'elle en avait envie, mais il fallait qu'elle ait quelque chose à donner à son frère si jamais il acceptait de lui parler à un moment donné. Elle sentait que depuis quelque temps, elle faisait n'importe quoi. Heureusement, elle avait pris sur elle, elle était allée voir quelqu'un pour l'aider dans sa démarche. Hélas parler à woody surtout ces temps-ci, ça relevait plus de son courage que de sa santé mentale. Et ça, ce n'était pas sa psy qui pouvait l'aider à prendre son courage à deux mains.

Très vite, la réponse avait un air de sonnerie de téléphone, son cœur se mit à battre si fort qu'il aurait pu sortir de sa poitrine. God. C'était grisant comme sensation. Même s'il allait lui dire d'aller se faire voir, au moins il l'appelait. Elle décrocha le téléphone et se mit instantanément à rire face à la réaction de son frère. «Pour être honnête avec toi, j'ai quand même voulu t'en laisser un, mais je ne savais pas si tu allais ouvrir aujourd'hui ou dans une semaine et je me suis dis que ça serait du gâchis. » Lança-t-elle à son ainé comme une piqûre de rappel. C'était la guerre froide entre les deux depuis quelque temps, mais, Nev et Woody avaient toujours était si proche que ça ne pouvait pas se terminer ainsi. Parce qu'ils avaient toujours pu compter l'un sur l'autre. Parce que c'était Nev et Woody envers et contre tous. «Woody, viens s'il te plaît, tu me manques.» Demanda-t-elle tristement à son frère tout en passant la tête par la fenêtre. Ils avaient l'air de deux idiots à se regarder par la fenêtre. Elle fit un petit signe à son frère avec un cookie à la main. Elle le renifla comme pour embêter son frère avant de croquer un bout dedans «Puis, je serais toi, je ne tarderais pas trop sinon, je vais finir par tous les manger.» Ajouta-t-elle la bouche pleine. Elle pouvait voir son frère sourire de là où elle était et ça, ça lui faisait déjà un bien fou.

Elle le connaissait bien, son frère, Nevaeh. Elle savait fort bien qu’il était possible que cette porte, il ne l’ouvre pas avant un bon moment. Sa voiture était garée dans l’entrée, ce qui signifiait qu’il était chez lui. S’il n’avait pas besoin de passer le pas de la porte, peut-être ne le ferait-il pas avant plusieurs jours. Au début de l’âge adulte, il était impossible d’imaginer l’aîné des Rutkowski rester enfermé plus de quelques heures à la maison. Il était constamment dehors, à dévaler les pistes à vélo, à courir au Mullers Lagoon ou au bord de la plage, à sortir dans les bars et dans les restaurants avec des potes et des femmes à draguer, à n’en plus finir. L’existence de Woody avait complètement basculée depuis qu’il laissait sa maladie le dévorer bouchée par bouchée en la regardant faire, las, impuissant. Il n’était plus le même homme qu’avant. Nevaeh avait été aux premières loges de cette chute vers l’oubli, raison pour laquelle elle savait fort bien que ce cookie, il aurait sans doute eu le temps de s’assécher, de périmer, avant que son grand frère n’ouvre la porte pour se montrer au grand jour. Alors, à la réplique de sa sœur quand elle décrocha le téléphone, il ne pouvait que répondre : « Ouais, j’crois que t’as bien fait. Y’avait quand même une certaine probabilité que ça arrive, que ce soit gaspillé. » Admit-il, même si ce n’était pas forcément joyeux à lui accorder, comme raison. Non seulement Woody avait fermé la porte à pas mal tout le monde de son entourage, mais il avait surtout tourné le dos à Nevaeh après cette altercation entre eux depuis l’annonce de la grossesse – puis de la fausse couche – de Charlie. Cette guerre froide prendrait peut-être fin aujourd’hui, grâce à cette lettre, grâce à cette main invisible tendue vers l’aîné de la famille. Ce n’est pas lui qui aurait fait le premier pas, elle le savait. Dans cette histoire il avait encore la conviction de ne pas avoir de tort. « Ok. Mais j’ai pas envie qu’on s’éternise sur ce qui s’est passé dernièrement. J’sais pas si j’ai l’énergie pour tout ça, Nev’. » Il savait qu’il faudrait qu’ils en parlent, mais il l’avertissait simplement qu’il n’avait pas envie de s’épandre sur le sujet, pendant des heures et des heures. Il avait assez souffert dernièrement, il ne voulait pas retomber dans cette spirale descendante. Le jeune homme aperçut enfin du mouvement à la fenêtre de la maison de sa sœur et il la vit avec son cookie en main. Il sourit - c’est vrai qu’ils avaient l’air idiots. « Tu m’en ferais d’autre. J’t’ai donné signe de vie, tu partages les cookies. C’était le deal. » Il raccrocha sans perdre ce léger sourire, referma la porte de sa maison derrière lui, et traversa la rue pour rentrer chez sa sœur.