you... again ! (river)

C'était pas marrant au taf ces derniers temps. Ça faisait quelques semaines que je bossais au Wojna, et même si j'avais accroché avec la plupart de mes collègues, notamment Oz et surtout Chelsea que je connaissais depuis longtemps, avec Luna ça ne passait pas. J'avais essayé de lui faire les yeux doux pour qu'elle arrête de me casser les couilles à chaque fois que je faisais un pas de travers, mais rien à faire ! A croire qu'elle prenait un malin plaisir à m'emmerder gratuitement. Ou alors elle aimait tellement son taf qu'elle supportait pas que je fasse n'importe quoi. Ce que je ne comprenais pas d'ailleurs, ce n'était qu'un boulot au final. Et puis j'avais besoin de me venger des clients qui me faisaient chier et de rigoler un peu pour tenir jusqu'à la fin de mon service. Malgré mes tentatives d'amadouer Luna, et même de la draguer, elle ne baissait pas sa garde. Toujours en train de zieuter ce que je faisais et de me critiquer ! Y avait déjà le gérant qui me lâchait pas, j'avais pas besoin d'un adjudant-chef sur le dos en plus ! Du coup, je la rembarrais par moment, quand vraiment elle me les brisait trop fort. Ce qui n'arrangeait en rien la situation...

Encore une soirée éreintante au Wojna, pour ne pas changer. A la fin de mon service, j'avais un besoin urgent de me changer les idées. J'aurais pu appeler Kaz, mais à cette heure-ci, elle était probablement en train de faire la fête avec ses copines et je ne voulais pas la déranger juste pour vider mon sac une fois de plus. Avec Ams', c'était compliqué... Alors je ne me voyais pas l'appeler comme j'avais l'habitude de le faire à chaque fois qu'un petit truc venait contrarier ma vie. J'aurais pu appeler Elliott, ou un autre pote, mais j'avais envie de me laisser aller ce soir, et c'était mieux de faire ça seul. Et puis je n'avais pas envie de causer à qui que ce soit en plus... Aussitôt le taf terminé, je rentrai à la maison et constatai avec bonheur que mon père ne bossait apparemment pas ce soir. Sa voiture était là, garée devant la maison. C'était bizarre d'ailleurs... Peut-être qu'il avait un soucis ? En tous cas, ça attendrait bien que je revienne. Je rentrai et mais ne trouvai personne au salon. Il dormait peut-être. Les clés de la bagnole étaient dans le vide-poche. Je les attrapai et roulai direction la boite de nuit !

Je me frayai un chemin dans la foule jusqu'au bar et attendis mon tour pour commander. Alors que je tournai la tête pour voir s'il y avait du beau monde, je me retrouvai nez à nez avec... Luna, putain !

- C'est pas possible, même ici je dois te croiser ! Le monde est trop petit ma parole, me dit-elle en fronçant les sourcils.

Je fis la même tête en la voyant, déçu de devoir me la coltiner en dehors du taf. Elle m'avait assez emmerdé pour la journée ! J'avais fui le Wojna justement pour ne pas avoir à la supporter davantage, et je la retrouvais ici... Remarque, c'était l'occasion d'essayer de me la mettre dans la poche, ce serait peut-être plus facile en sortant du contexte professionnel. Je me radoucis alors, désireux de la voir me lâcher la grappe au taf, et lui adressai un petit sourire crispé.

- Je vais finir par croire que tu me suis ! T'es tellement sur mon dos au Wojna, que je pourrais penser qu'en fait je te plais, la taquinai-je en lui faisant un clin d'oeil.

- Je te paye une verre ?

Je trouvais un peu dommage que Luna ait ce côté casse-couilles qui l'obligeait à me prendre la tête régulièrement au taf. Je trouvais que c'était une nana qui pouvait être cool, mais elle avait franchement besoin de se détendre ! Je m'entendais bien avec mes autres collègues, j'aurais voulu que le courant passe aussi bien avec la jolie blonde. En plus elle m'attirait. Mais il ne pouvait rien se passer entre nous. Déjà parce que j'étais convaincu qu'elle ne pouvait pas me saquer et aussi parce que je voulais vraiment devenir quelqu'un d'assez bien pour Ams'. Même si je doutais que ce soit possible, Amara était tellement gentille, généreuse, diplomate et indulgente avec tout le monde. Mais j'avais envie d'essayer quand même, c'était viscéral. Malgré ça, je devais avouer que j'aimais flirter avec Luna. Mais il n'y avait rien de mal à ça vu que j'étais persuadé que je ne l’intéressais pas. Et puis, ça l'agaçait en plus de ça. Et je prenais un malin plaisir à lui taper sur les nerfs. C'était ma petite vengeance personnelle pour toutes les fois où elle me les brisait au boulot !

On avait tous les deux quitté le Wojna exprès pour ne pas avoir à se supporter plus longtemps. Et voilà qu'on se retrouvait ici, comme si le destin avait envie de nous faire un doigt d'honneur à tous les deux, comme ça, juste pour se marrer. Mais je me disais que c'était l'occasion d'essayer d'arrondir les angles. Si toutefois ça ne marchait pas et que Luna se montrait réfractaire à mes tentatives d'adoucir nos rapports, je pourrais toujours lui chercher des noises, histoire d'enfoncer le clou. Mais si elle décidait de faire la paix, peut-être qu'elle arrêterait de me saouler au travail, même si je doutais que ce soit possible. C'était une vraie teigne cette nana quand elle s'y mettait ! Mais ça valait quand même le coup d'essayer.

- En fait c'est tout le contraire, j'essayais de te fuir, mais peut-être que c'est toi qui me suis ?

Je fis comme elle et lâchai un rire sarcastique. Oui, elle était belle et tout, mais elle me prenait grave la tête. Alors non, je ne l'avais certainement pas suivie !

- Dans tes rêves, ouais ! Moi aussi je suis venu ici pour plus voir ta tête, je te signale. J'y peux rien si le hasard vient niquer mes plans !

J'avais dit ça sur le ton de la plaisanterie, ne voulant pas paraître trop sec. J'essayais quand même d'arranger les choses à la base. Mais si elle me piquait, je répliquais !

- Et non, si je suis sur ton dos c'est parce que tu fais de la merde. Ne va pas te faire des fausses idées.

Je ne m'en faisais pas, je savais pourquoi elle me prenait la tête au taf, et je savais qu'elle ne s'intéressait pas à moi. Mais je savais aussi que sous-entendre qu'elle pouvait être attirée par moi pouvait la mettre en boule. Et ça m'amusait.

- Moi je fais de la merde ? demandai-je, feignant une forme de vexation.

Oui je faisais de la merde ! Et je le savais très bien, j'étais lucide sur mon manque d'implication dans mon boulot. J'aimais pas tout ce qui incombait au milieu du travail. Les horaires, les clients, le fait de servir les gens. Tout ça n'était que contraintes pour moi. Alors je faisais le minimum. Et je n'avais pas l'intention de changer mes habitudes. Tant que je ne me faisais pas virer, je continuerais de faire à ma convenance. C'était déjà assez chiant comme ça de passer mes soirées au Wojna autrement qu'en tant que client, il fallait bien que je me divertisse un peu pour supporter cette routine.

- Je suis hyper pro ! T'as juste pas le niveau pour t'en rendre compte...

Là encore je plaisantais, mais je ne pouvais pas m'empêcher de la provoquer. Elle faisait bien pareil avec moi.

- Ouais ok, mais un seul alors. Je vais pas faire du baby-sitting toute la nuit.

Voilà qu'elle remettait ça... Même en dehors du travail, elle ne pouvait pas s'empêcher de me vanner. Et dire que je lui payais un verre... Je me trouvais quand même hyper délicat sur ce coup-là, j'aurais pu l'envoyer chier comme elle faisait avec moi. Mais non, je prenais sur moi et lui offrais une conso. J'étais un gentleman en fait ! Contrairement à ce que ma réputation laissait entendre.

- Haha... Je suis mort de rire... Ça me dit rien non plus de trainer avec toi toute la nuit, je te rassure. Je te supporte déjà assez au Wojna ! T'es toujours en train de me casser les oreilles, à croire que tu t'ennuies tellement que c'est le seul loisir que t'aies trouvé.

Je me mis à l'imiter en prenant une voix fluette, répétant les reproches qu'elle me faisait au boulot, mimant des gestes efféminés pour la caricaturer, avant d'éclater de rire. Je me moquais d'elle mais je ne faisais que lui renvoyer la balle. Et puis elle n'avait pas l'air de réellement se vexer. Je crois qu'entre nous c'était compliqué parce qu'on voulait tous les deux avoir le dernier mot. Du coup on s'envoyait des fions jusqu'à ce que ça aille trop loin et que l'un de nous finisse par venir à bout de la patience de l'autre. Notre problème, c'est qu'on ne savait pas s'arrêter avant que ça dégénère. Il fallait que je travaille là-dessus si je voulais que les choses s'arrangent entre nous. Mais il fallait qu'elle y mette du sien aussi.

Elle avait pris de la tequila et moi du rhum. Je la rejoignis après qu'elle se soit éloignée du bar et on trinqua. Je lui adressai un sourire, me disant qu'on repartait peut-être enfin sur de bonnes bases mais elle me planta là pour rejoindre la piste de danse. Je soupirai profondément... J'étais en train de faire un effort là, et j'avais un peu d'espoir de parvenir à une bonne entente avec Luna, même s'il y avait de grandes chances que ça ne dure pas, alors j'allais pas la laisser se débarrasser de moi comme ça !

Je la suivis, sans vraiment savoir ce que j'attendais d'elle. On avait échangé quelques mots, je lui avais payé un verre. Peut-être qu'il fallait que je me contente de ça et que je laisse le temps se charger d'apaiser nos querelles. Mais non, pas moyen ! Putain, elle avait raison, c'était moi qui la cherchais en fait !

- Tu vois, c'est toi qui me colle.

Je levai les yeux au ciel en souriant, ne pouvant masquer mon amusement.

- J'ai aucune raison de te coller, je te trouve particulièrement antipathique si tu veux tout savoir.

Pas tant que ça en vérité, mais je n'allais pas lui dire que ça me faisait chier qu'elle ne m'aime pas. Je n'avais pas envie qu'elle s'en serve pour me narguer davantage. Elle se foutait assez de ma gueule comme ça, pas la peine de lui donner en plus du grain à moudre. Je bus une gorgée de mon verre et l'observai tandis qu'elle dansait, illuminée par les stroboscopes. Elle me faisait de l'effet, et mon regard en était témoin. Mais bon, je faisais rien de mal, je la regardais, c'est tout.

Luna m'agaçait autant qu'elle m'attirait. Je ne savais pas si c'était pareil de son côté, mais j'en doutais un peu. Sa haine envers moi semblait sincère. La mienne aussi d'ailleurs. Mais, malgré ça, malgré toutes les fois où elle me prenait la tête au taf, je ne pouvais pas m'empêcher de la trouver particulièrement sexy. C'était franchement dommage qu'elle soit aussi chiante ! Quoi que... De toute façon il fallait que j'arrête d'envisager quoi que ce soit avec qui que ce soit si je voulait avoir une chance avec Ams'.

- Dans mes rêves ? Oula non, heureusement que t'es pas EN PLUS dans mes rêves, quel cauchemar.

Je lâchai un petit rire dédaigneux. A ce point-là ? C'était trop une garce quand elle s'y mettait. Elle était toujours très inspirée quand il s'agissait de me vanner.

- C'est vrai que ce serait fatiguant, tu te réveillerais tous les matins épuisée de ce que je t'aurais fait toute la nuit en rêve, rétorquai-je en la fixant d'un regard lourd de sous-entendus.

Provocation quand tu nous tiens... Comme quoi, cette animosité qu'il y avait entre nous n'était pas qu'une histoire de contexte, c'était pas seulement au boulot qu'on aimait se tirer dans les pattes. Même durant notre temps libre on trouvait le moyen d'avoir des raisons de s'envoyer des fions. C'était un peu gamin comme attitude, mais j'en avais vraiment rien à foutre. Si elle m'attaquait, je répondais. Même si elle ne m'attaquait pas d'ailleurs.

- Toi pro ? Non mais laisse moi rire ! T'as choisi une offre d'emploi au hasard et t'as postulé, je vois que ça comme truc pour expliquer comment t'as fait pour te retrouver là. Et comment t'as fait pour être embauché, ça, je sais pas par contre...

Elle avait l'air réellement surprise que j'ai réussi à obtenir ce taf au Wojna, c'était pas juste pour se moquer de moi. Honnêtement, même moi je ne comprenais pas comment j'avais fait pour décrocher ce boulot. A l'entretien, j'avais même pas assuré. Je savais pas faire semblant d'être emballé par un truc qui ne me branchait pas du tout. Le CV que j'avais transmis était hyper fourni cela dit, mais tout était faux. J'en avais mis des expériences professionnelles, il y avait des lignes et des lignes sur cette foutue feuille ! Mais rien de tout ça n'était vrai. Ce job au Wojna, c'était mon premier travail. Mais le boss n'avait pas eu l'air de douter de l'authenticité de mon CV. Et du coup, c'était passé crème. Il avait pourtant dû se rendre compte que c'était que des conneries après m'avoir vu à l’œuvre dans son bar. Luna avait raison, je faisais que de la merde. Mais il était hors de question que je le reconnaisse devant elle.

- C'est le talent bichette ! On m'a embauché parce que je suis doué, voilà. J'y peux rien, ça coule juste dans mes veines.

Et vas-y que j'en rajoutais... Et que je me la pétais grave avec mon sourire plein d'esbroufe. Elle me cherchait des noises sans arrêt, alors je n'avais pas de scrupules à lui raconter des conneries. Elle savait bien que c'était des bobards de toute façon, mais je n'avais aucune envie d'être sérieux avec elle. Parce qu'elle, elle l'était beaucoup trop ! Toujours hyper minutieuse dans son taf, pleine de zèle. Ça me gonflait carrément. Je me foutais un peu de sa gueule d'ailleurs, en la baratinant comme ça. Mais c'était de sa faute si on avait établi ce genre de rapports conflictuels entre nous. Si elle m'avait foutu la paix dés le début, on n'en serait pas là.

- Pourtant c'est toi qui veux me payer un verre... Serais-je parano ? Ou alors c'est pour faire le gentil et être encore plus chiant demain au taff ?

- Te méprends pas ma jolie, c'est juste pour faire le gentil. Et puis, de nous deux, celui qui est chiant au travail, c'est pas moi !

J'éclatai de rire devant tant de mauvaise foi. Oui parce que pour moi, c'était Luna la casse-couilles de l'équipe. Après tout, rien ne l'obligeait à me surveiller comme ça en permanence pour guetter le moindre faux pas de ma part. Elle le faisait juste pour m'emmerder, parce que c'était dans sa nature de faire chier le monde.

- Et j'avoue, c'est un bon loisir de t'emmerder. ça ajoute du piment à mes soirées.

Elle l'avait dit sur un ton sarcastique, mais j'étais certain qu'elle le pensait. Mon imitation ne la vexa pas, au contraire, ça avait même l'air de l'amuser. Elle était peut-être pas si coincée du cul finalement, elle savait même faire preuve d'un peu d'auto-dérision. Ça changeait de la nana hyper chiante et sérieuse qu'elle était au boulot.

- T'es con mec.

Je ris avec elle, agréablement surpris de constater qu'on pouvait quand même se marrer tous les deux. C'était assez inespéré...

Je ne sais pas pourquoi je l'avais suivie. Même si ce cours échange n'avait pas été trop désagréable, on aurait pu s'en tenir là. Mais j'avais envie de... Ben je sais pas trop en fait, je voulais lui parler. Encore un peu... Et la regarder aussi... Bordel ! Elle était tellement énervante, ça n'avait aucun sens qu'une petite conversation de trente secondes réussisse à effacer l'enfer qu'elle me faisait vivre au Wojna ! J'étais trop nul...

- Antipathique, moi ? T'as pas mieux comme compliment ?

- J'ai aucune raison de te faire des compliments... rétorquai-je avant de boire une gorgée, comme si elle ne m'intéressait pas le moins du monde.

Je le pensais, mais qu'à moitié. Il y avait quelque chose chez elle qui me saoulait vraiment et paradoxalement, je pouvais pas m'empêcher de la coller comme un clébard en rut. Et voilà qu'elle se mettait à danser en plus, tournant autour de moi comme si j'étais une proie sans défense et elle une lionne affamée. Je voyais bien qu'elle le faisait exprès pour me torturer uniquement, mais ça marchait putain !

- Arrête de me regarder, Morgan. T'as pas des filles de ton âge à mater ?

Des filles de mon âge ? Sérieux ? On avait certainement pas assez d'écart pour qu'elle puisse se servir de ça comme excuse pour me repousser. J'étais certain qu'elle était à peine plus âgée que moi, ça se voyait même pas d'ailleurs.

- C'est quoi le soucis avec l'âge ?
demandai-je surpris. Et puis si tu veux pas que je te mate, arrête de bouger ton cul devant moi, c'est pas fair-play...

Elle pouvait pas se dandiner sous mes yeux et me demander de ne pas regarder, c'était trop cruel, et impossible à réaliser. C'était pas cool de jouer avec moi comme ça. Mais je ne voulais pas la laisser me déstabiliser. Alors je m'approchais d'elle tandis qu'elle me fixait par pure provocation et posai mes mains sur ses hanches toujours rythmées par la musique, la reluquant ouvertement sans aucune discrétion. C'était à mon tour de la déstabiliser !

Le problème avec Luna, c'est qu'on était tous les deux dans la provocation et qu'on voulait toujours avoir le dernier mot. Du coup forcément, on ne savait pas s'arrêter, et ce qui n'étaient que des taquineries au début pouvait rapidement tourner au pugilat. A force de s'envoyer des fions, je me finissais par me vexer, devenant aussitôt irritable, et quelques fois c'était Luna qui perdait son sang-froid la première. En tous cas, on n'arrivait pas à lâcher l'affaire, ni elle ni moi.

- T'es peut-être doué mais en tout cas tu le montres pas.

- C'est parce que je préserve mon talent pour les gens qui méritent de le voir.

Voilà encore la preuve qu'on était comme chiens et chats. On avait toujours quelque chose à répliquer à l'autre, à croire qu'on ne se fatiguait jamais. Mais bizarrement j'aimais bien ça, même si on finissait par se prendre le bec, et ce assez souvent au boulot, je ne détestais pas Luna. C'était assez irrationnel, mais je n'y pouvais rien, c'était comme ça. Elle me saoulait grave la plupart du temps, et même si on se chamaillait régulièrement, je ne lui vouais jamais aucune haine. Sur le moment, je pouvais être carrément désagréable, voire vexant, mais je passais l'éponge assez vite.

- Bon ok je vais essayer de faire des efforts pour être moins relou... ou pas.

- Donc tu as conscience d'être relou ? C'est déjà ça, t'as plus qu'à travailler là-dessus.

Je souris effrontément, parfaitement conscient que je sous-entendais qu'elle était la seule de nous deux à être casse-couilles, et tout aussi lucide sur le fait que c'était faux, étant moi-même un sacré spécimen de brise-noix. Mais hors de question de le reconnaitre et de l'assumer, surtout pas face à Luna. C'était pas avec ce genre de réflexions que j'allais l'inciter à ce montrer plus indulgente avec moi, mais tant pis, c'était trop tentant.

Je ne la trouvais pas vraiment antipathique, c'était un mot un peu fort en réalité. Elle était chiante par moments, souvent même, et ça c'était la vérité. Mais je ne sais pas pourquoi, je trouvais le moyen de m'en accommoder. Parce qu'au fond je l'aimais bien. Je la trouvais belle aussi, mais ça ne tenait pas qu'à son physique. Peut-être parce qu'au fond je percevais qu'elle non plus ne me détestait pas, alors que je lui en faisais voir de toutes les couleurs juste pour le plaisir de l'emmerder. Il aurait été normal qu'elle m'en veuille suffisamment pour ne plus m'adresser la parole, et pourtant elle me parlait. Pas pour dire que des choses sympas, mais elle ne m'ignorait pas. C'était bien la preuve que malgré nos embrouilles récurrentes et parfois vivement animées, on ne se détestait pas. En tous cas, pas tout le temps.

- Rien, je sais même pas ton âge en vrai. Mais t'as l'air d'un petit merdeux c'est pour ça.

- Dixit celle qui cherche la merde sans arrêt...

Mon sourire disparut pour laisser place à une grimace blasée. Elle se trouvait drôle en plus... Mais je retrouvai mon sourire rapidement parce qu'elle continuait à minauder autour de moi, attirant toute mon attention.

- Qui a dit qu'il fallait être fair-play ? T'as qu'à danser toi, comme ça je pourrai mater aussi.

J'éclatai de rire. Moi, danser ? J'étais certain de ne pas être doué pour ça, même si je n'avais jamais essayé. Je crois qu'au fond j'étais un peu comme ces mecs machos qui trouvaient que la danse c'était un peu émasculant. Et puis de toute façon, j'aimais pas ça danser. A part me coller à la nana pour faire frotti-frotta sur la piste, ça me tentait pas. Sauf que là c'était Luna. Même si moi je la trouvais sexy, je ne l'intéressais sûrement pas, vu qu'on passait notre temps à s'envoyer des vacheries. Et puis, j'avais Ams' dans un coin de ma tête, les choses démarraient tout juste entre nous et je ne savais pas où ça allait nous mener. Mais on avait entamé quelque chose tous les deux, alors je ne pouvais pas commencé à merder maintenant. Même si quelque part, j'avais un côté un peu auto-destructeur, comme un diablotin sur l'épaule qui me dirait de merder tout de suite pour éviter de prolonger cette mascarade qu'était ma relation potentiellement sérieuse avec Amara, et qui finirait par échouer inévitablement. Ma lucidité sur mon penchant pour les relations éphémères, c'était comme une mauvaise conscience qui m'incitait à faire souffrir Amara maintenant pour éviter qu'elle ne souffre davantage plus tard. Lui épargnant ainsi les nombreuses déconvenues qu'elle pourrait subir en partageant son quotidien avec moi. Heureusement, j'avais aussi une autre partie de moi qui avait la foi, et qui croyait en mes capacités à être un petit-ami exemplaire. Enfin peut-être pas exemplaire, mais pas trop décevant du moins. Et ça commençait par la fidélité. Aussi difficile que ça pouvait me sembler là tout de suite tandis que Luna m'aguichait sans ménagement, je pouvais compter sur mes sentiments pour Amara pour rester raisonnable. Et puis, c'était pas comme si Luna avait envie de faire des cochonneries avec moi en plus... Aucun risque !

Quoi que... La façon dont elle me regardait me laissait penser qu'elle était sérieuse. Elle avait vraiment envie de me mater aussi ? Surprenant, mais ça me rendait assez curieux pour vérifier si elle était sérieuse ou si elle se moquait de moi. Les mains sur ses hanches, je suivais son rythme, ce qui était plus facile que de suivre le tempo de la musique au final. Je faisais rien d'extraordinaire, j'étais juste là près d'elle, en train de la toucher. Luna se tourna pour trémousser ses fesses sur moi, me faisant immédiatement un certain effet, avant de me faire face à nouveau et de passer ses bras autour de mon cou. Wow... Il se passait quoi là ? Je reposais mes mains sur sa taille, la rapprochant un peu de moi.

- Tu vois, en faisant chacun un effort y a moyen qu'on puisse bien s'entendre, me murmura t-elle à l'oreille.

Merde, elle me déstabilisait... J'étais carrément pas prêt pour ce revirement d'attitude de sa part. Je préférais quand on se criait dessus, c'était plus simple. Je ne savais pas si elle se fichait de moi ou si elle me draguait vraiment. Mais aussi tentant que cette illusion pouvait être, la culpabilité commençait à m'envahir le cerveau alors qu'il ne s'était rien passé de dramatique. Je lâchai Luna et attrapai doucement ses poignées pour repousser son étreinte.

- Ouais enfin, si tu passais pas ton temps à me prendre la tête, il y aurait plus de problèmes. Et personne n'aurait besoin de faire d'efforts, répondis-je plein de mauvaise foi après m'être raclé la gorge nerveusement.

Putain de merde ! Je repoussai une fille ! Moi ! Pourtant sa petite danse m'avait fait de l'effet, c'était indéniable. Mais c'était purement biologique, une réaction tout à fait naturelle quand un cul venait se frotter à une bite ! J'y pouvais rien, c'était pas de ma faute... Pourquoi je me répétais ça sans arrêt dans la tête ? C'était comme si Ams' pouvait me voir, comme si j'avais l'impression que son aura planait au-dessus de moi et était en train de me juger. Mais il y avait pas de quoi stresser, j'avais rien fait de mal après tout.

Luna leva les yeux au ciel quand j'évoquai mes compétences professionnelles. Elle faisait ça tout le temps, lever les yeux au ciel. Et moi je soupirais. C'était comme un match de ping-pong au taf. Un regard, un soupir, un regard, un soupir... On avait notre propre méthode de communication, et c'était facile de se comprendre vu qu'on exprimait toujours la même chose à l'autre : l'exaspération. Mais je trouvais ça drôle, et je crois qu'elle aussi dans le fond. Sauf quand ça allait trop loin parce qu'on ne savait pas s'arrêter. Enfin surtout moi. Luna, elle, finissait toujours par lâcher l'affaire, me laissant le plaisir d'avoir le dernier mot.

J'étais conscient que mon manque de professionnalisme pouvait nuire à l'activité et à la réputation du Wojna, mais ça m'était complètement égal. Ce n'était qu'un taf après tout, et je n'avais pas l'intention d'y passer ma vie. Même si j'ignorais totalement ce que je pourrais faire d'autre... C'était pas comme si je croulais sous les diplômes et les expériences professionnelles. Mais je savais que je ne passerai pas ma vie à tourner en rond dans ce bar tous les soirs, c'était sûr. Déjà parce que ça me saoulait beaucoup trop pour que je veuille y passer tout mon temps, mais surtout parce que je finirais par me faire virer tôt ou tard. A force d'envoyer chier les clients et de cracher dans les consos des plus teigneux, je me doutais qu'un jour ça finirait par revenir aux oreilles du gérant.

-  Evidemment que j'en ai conscience, j'assume. Toi en revanche, on dirait que c'est pas encore aujourd'hui que tu vas admettre que t'es le pire casse-pieds qui puisse exister.

Je savais bien que j'étais chiant, surtout avec Luna, mais ça ne me dérangeait pas à partir du moment où on s'abstenait de me le faire remarquer.

- Je suis sûr qu'il y a pire casse-pieds que moi, en vrai.

C'était un demi aveu. Oui, j'étais casse-pieds, mais le pire qui puisse exister, certainement pas. Je trouvais que Luna se défendait pas mal au sein de cette même catégorie. On était au coude à coude. Que ça lui plaise ou non, elle était au moins aussi emmerdante que moi !

- Je rentre juste dans ton jeu à chaque fois, et ça me fait devenir aussi puérile que toi.

Encore une pique qu'elle me lançait ! Luna ne manquait pas une occasion de m'envoyer des fions. Mais c'était de bonne guerre, parce que je ne l'épargnais pas non plus.

- Ben voyons, comme si c'était moi qui te déteignais dessus ! J'y suis pour rien si t'es immature, répondis-je, un sourire en coin.

Que de provocations entre nous ! C'était sans arrêt. Mais on aimait bien ça. Jusqu'à ce qu'on finisse par franchement s'énerver. Cependant ça ne durait pas. On aurait dû se détester avec toutes les vacheries qu'on se balançait, pourtant ce n'était pas le cas. On se maudissait mutuellement par moments, mais au final, il n'y avait pas vraiment de haine entre nous.

Ça devenait même chaud à vrai dire, mais c'était complètement inattendu. On se détestait pas, d'accord, mais on ne se kiffait pas non plus, pas au point de se tripoter en tous cas. Elle était sexy, certes, je ne pouvais pas le nier, mais j'avais Ams' dans la tête...

- Tu vois comme t'es relou ? J'essaye d'apaiser le truc et toi tu recommences.

Je n'avais rien trouvé de mieux pour la repousser que de la provoquer à nouveau. Il ne fallait pas qu'on commence à s'apprécier, parce qu'elle commençait déjà à me chauffer et que moi j'étais faible. Tant pis si elle se mettait à carrément me haïr après ça, ça me faisait pas plaisir, mais c'était plus simple si je voulais éviter de faire quoi que ce soit avec elle qui pourrait nuire à mes chances d'avoir une relation avec Ams'. En plus, on était pas obligé de devenir intimes pour arrêter de se prendre le bec au boulot. Quoi que, même s'il se passait quelque chose entre nous, j'étais sûr qu'elle ne changerait pas d'attitude envers moi quand on serait au travail.

- Pourquoi tu stresses ? J'allais pas te rouler une pelle. Si je te connaissais pas, je penserais que t'es puceau pour réagir comme ça à un simple contact physique.

- Je stresse pas, ok ? Et puis... hésitai-je une seconde. Oui, voilà, t'as tout compris. Je suis puceau et les femmes entreprenantes, ça me fait flipper.

Ça aurait pu marcher comme stratagème si ça avait été un minimum crédible. Mais je n'avais même pas réussi à prendre un air sérieux en disant ça. Je lâchai un petit rire impossible à retenir, avant de me taper le front d'une main. Elle devait se demander ce qui me prenait et pourquoi je l'avais repoussée, prétextant une excuse complètement bidon.

- Écoute Luna... Il y a une fille que j'aime bien. Et elle apprécierait pas trop qu'on se frotte tous les deux.

Je me doutais bien que Luna n'avait pas envie que je la saute, et qu'elle ne faisait que me provoquer parce qu'elle savait que j'étais facile à chauffer. Et puis, elle aimait bien me déstabiliser et ça avait marché à fond les ballons. Mais rien que de se retrouver aussi proches l'un de l'autre sur la piste de danse, je savais que ça ne ferait pas plaisir à Amara.