biome fest ✩ charlize

Il y avait ce genre de lieux qui vous faisait toujours vous sentir bien. A Bowen ils étaient assez nombreux pour Charlize, la plage et son eau à perte de vue où elle passait de longues heures avec sa fille, sa pâtisserie, évidemment, son havre de paix, la forêt également, où elle aimait aller faire son footing, à une époque qui lui semblait maintenant bien lointaine et tant d'autres encore. Malheureusement beaucoup de ces endroits lui rappelaient également Axten, leur histoire avait marqué tellement de lieux, elle avait des souvenirs de son mari dans toute la ville et c'était aussi doux que douloureux, de le réaliser pleinement. C'était une des raisons qui l'avait poussé à rester plus de temps que prévu en Europe, après la mort d'Axten, auprès de sa famille polonaise elle pouvait souffler, elle n'avait aucun risque d'avoir cette impression de croiser un souvenir de leur histoire au coin d'une rue, là-bas ils n'avaient pas de passé, c'était elle et Romy, un point c'est tout et ça lui avait fait du bien. Seulement elle avait dû revenir à Bowen, pour ses proches, pour Imogen. Mais tous les jours elle était confrontée au manque et à ce vague à l'âme qui la prenait lorsque sa mémoire se réveillait. Seul le jardin botanique restait à part, c'était son endroit à elle, au milieu des plantes et de la verdure, avec les parfums de jasmin et de bruyère fraîche, elle était rarement venue ici avec Axten, c'était donc là qu'elle allait, lorsqu'elle avait besoin de se ressourcer. En ce moment il y avait cette exposition incroyable de peintures, elle ne l'aurait manqué pour rien au monde. Cet après midi, alors que Romy était encore à l'école et que son travail était terminé, elle avait donc pris un peu de temps pour elle. La chaleur était intense, elle serait bien sous la grande verrière. Elle avait pris son tiquet pour l'exposition en saluant la guichetière qu'elle connaissait bien, à force. Et puis elle déambulait parmi les toiles. Tout à sa contemplation, elle ne remarqua pas tout de suite la grande blonde qui découvrait les œuvres en même temps qu'elle. De fait, elle n'aurait jamais pensé la croisé ici, puisque Penelope avait quitté la ville depuis des années. Pourtant, en tournant au coin d'une allée, les deux femmes se trouvèrent nez à nez. Charlize ne put cacher sa surprise, elle resta bouche bé face à l'autre qui la dévisageait également. Penny ? C'est bien toi ? Elle avait cette impression dérangeante de se trouver face à un fantôme.

Face à Charlize c'était tout son passé qui lui revenait en plein figure. Des années d'amitié avec Penelope, envolées d'un claquement de doigts le jour où elle avait disparu. Il fallait avouer qu'elle lui en avait voulu à l'époque, parce que quand elle était attachée à quelqu'un, Charlize avait énormément de mal à voir partir cette personne, surtout dans les conditions du départ de la blonde, autant dire, aucune, rien qui ait pu lui faire comprendre, avant, qu'elle s'apprêtait à tout plaquer. Pourtant, depuis, elle en avait vu d'autres, elle avait vécu le même genre de départ de la part d'Axten, sans prévenir, du jour au lendemain son mari avait foutu le camps, envolé. Mais il avait fini par revenir et lever le voile sur son départ mystérieux. Finalement cette mésaventure là, bien que traumatisante, lui avait ouvert les yeux sur une réalité qu'elle ignorait encore à l'époque : on ne pouvait pas juger sans savoir, pour son mari elle n'avait pas toutes les réponses. Et pour Penny c'était pareil, elle ne savait pas tout, loin de là, elles étaient amies, mais elles avaient chacune leur jardin secret. Alors la colère s'était transformée petit à petit. Et aujourd'hui, alors qu'elles se faisaient face avec stupéfaction, alors même que Charlize avait l'impression de revivre le même genre de retrouvailles qu'avec Axten, elle se sentie pleine de gratitude, la vie les remettait sur la même route. Maladroitement elle s'avança et la pris dans ses bras avec douceur. Je suis contente de te revoir ici ! Elle lui sourit avant de s'éloigner un peu. Je vais bien, même j'ai cru une seconde rencontrer un fantôme. Et toi ? Cela faisait bien dix ans, pas beaucoup moins, que les deux jeunes femmes ne s'étaient pas vues, à l'époque Charlize n'était pas mariée, elle n'était pas non plus maman, sa vie avait beaucoup changé et celle de Penny sûrement aussi.

C'aurait été déplacé de la part de Charlize que de reprocher quoi que ce soit à Penny, après tout elles étaient certes amies, mais elles ne se devaient rien. Et puis Charlize aussi était partie un jour, sans revenir, sans donner de nouvelles à personne, à peine à sa famille, la privant de leur petite fille et nièce, par la même occasion. Les circonstances n'étaient probablement pas les mêmes, Penelope n'avait pas d'enfant, pourtant elle avait un mari elle aussi. Non, le choses n'étaient pas pareil, chaque histoire était différente. Surtout, cela faisait des années maintenant, il y avait donc prescription finalement. La vie était parfois trop courte, ou déjà trop compliquée, pour s'embarrasser de vieilles rancœurs. Alors, comme à son habitude, la blonde se montrait tactile, elle n'hésita pas longtemps à prendre son ancienne amie dans ses bras, quitte à ce que ça la gêne un peu. Elle sourit à la jeune femme et son sourire s'élargit d'avantage quand Penelope confirma l'allusion à un fantôme. A peu de choses près ? Ce n'est pas un grand oui, ça ! Mais elle avait loupé quelques wagons de l'histoire, alors ce genre de réflexion poussait à la curiosité. La pâtissière compris vite que sa vieille amie détournait la conversation pour ne pas parler d'elle, elle-même connaissait bien cette technique, pour l'utiliser souvent. Oui, on peut dire ça... Pour une fois elle se prêtait à l'exercice, si elle voulait en apprendre plus sur Penny, il fallait bien qu'elle en donne un peu. Mais par où commencer ? Ces dix années avaient été si riches, si belles et si dévastatrices en même temps. Charlize avait eu l'impression de vivre mille vies. Pourtant ce qui lui venait naturellement en tête, parmi ces dix années, c'était le plus beau. J'ai une petite fille, elle s'appelle Romy. Même si, évidemment, avec le plus beau venait le plus triste, mais elle en parlerait plus tard, peut-être pas ce jour-là. Et si on s'asseyait, j'ai vu qu'il y avait une buvette un peu plus loin, on pourrait prendre un café.

Il était difficile de résumer dix années en une phrase, impossible même. Alors comme Charlize était d'un naturel plutôt positif, malgré les épreuves, elle préférerait toujours parler du beau en premier lieu. Et puis elle n'avait pas envie que la première image que Penelope aurait d'elle après autant de temps ce soit celle d'un femme veuve et malheureuse. Elle l'était, certes, mais il était temps d'aller de l'avant, elle travaillait dessus depuis des mois avec son psy et les groupes de parole, autant que ça serve. Elle évoqua donc Romy, d'aussi loin qu'elle se souvenait, la pâtissière avait toujours souhaité être maman un jour, ça passait après sa passion pour la pâtisserie et son envie de s'accomplir professionnellement mais elle avait su, surtout après avoir rencontré Axten, qu'elle aurait des enfants, avec lui, un jour. Ils avaient mis quelques années à réussi à concevoir, le parcours n'avait pas été simple. Mais tout cela était derrière elle et ne restait que le positif, cette petite fille belle et pleine de vie, sa merveille, son soleil. Les deux jeunes femmes trouvèrent une place sur une petite table d'où elles pouvaient observer les allés et venues des visiteurs, c'était très agréable. Charlize, les mains autour de son mug de thé, comme pour se réchauffer alors qu'il ne faisait pas froid, souriait en pensant à sa fille. Elle vient d'avoir sept ans. Tu sais, avant que tu partes on avait déjà commencé à essayer d'avoir un enfant mais ca a été plus compliqué que prévu. Alors c'est d'autant plus un bonheur de l'avoir. C'était toujours une émotion particulière de penser au parcours qu'ils avaient subit pour avoir cette enfant, mais Charlize n'avait pas souffert pour rien. Depuis quand tu es revenue ? Elle tentait d'y aller en douceur, mais la curiosité lui brûlait les lèvres.

Il était encore difficile pour Charlize de ne pas avoir les larmes au bord des yeux quand elle pensait au passé, à toutes ces années, ces épreuves et ces grands moments de bonheur qu'elle avait partagé avec son compagnon, son mari, son meilleur ami, son amant, Axten était tout ça pour elle. Si Penny avait eu besoin de ne pas s'oublier dans sa relation avec Marcus, Charlize, elle, avait tout donné, ils ne formaient qu'un Axten et elle, ils s'étaient connus si jeunes, ils s'étaient aimé avec une force et une passion dévorante, mais sans jamais en oublier les passions de l'un ou de l'autre. Ainsi la jeune femme était devenue une pâtissière et cheffe d'entreprise accomplie, lui avait gravi les échelons dans sa carrière de pompier, ils s'étaient soutenus, jusqu'au moment qu'ils avaient trouvé opportuns pour faire un enfant. C'était là que les choses s'étaient compliquées, mais une fois encore ils s'étaient épaulés, tirés vers le haut, là où d'autres couples auraient pu flancher. Jamais la blonde n'avait eu besoin ni même envie de rechercher l'affection d'un autre et encore aujourd'hui elle avait l'impression de le tromper si elle osait penser à un autre homme, alors qu'il lui avait lui-même donné sa bénédiction, voir même il l'avait obligée à refaire sa vie pour qu'elle ne reste pas seule. Que pensait-il d'elle là-haut aujourd'hui en la voyant, dépressive, perdue sans lui, incapable d'avancer ? Heureusement Romy était son soleil, elle rendait ses journées lumineuses, elle donnait un sens à sa vie. Charlize sourit en observant Penelope faire le calcule, sept ans, elle avait dû en vivre des choses durant toutes ces années elle aussi. Etait-elle maman également ? Elle le lui aurait peut-être dit ... Son sourire s'élargi quand elle se rappela le tout premier appartement de la photographe, elles avaient fait quelques soirées là-bas à l'époque ! Tu reviens à tes premières amours. On a quelques souvenirs dans ce quartier. Si Charlize n'avait jamais été une grande fêtarde, elle avait connu quelques lendemains de fête compliqués et c'était généralement en compagnie de Penny. Elle ne s'attendait pas à sa question, un peu brute de pomme, elle la fixa un instant, visiblement surprise, puis se repris. On croit qu'il suffit de s'aimer et paf ! Ca fait un bébé. Parfois même on n'a pas besoin de s'aimer ... Et parfois c'est le contraire, on a beau tout faire comme il faut, c'est plus difficile. J'avais plusieurs troubles ovulatoires, il m'a fallu des traitements, un assez long parcours, pour faire court ! Elle sourit avec douceur en reprenant une gorgée de thé. Tu n'as pas d'enfant ? La réponse lui semblait plutôt évidente, mais qui sait.

Le poids des souvenirs, certains étaient heureux, joyeux, frivoles, d’autres plus difficiles à garder. Mais la mémoire était formidable, avec le temps elle arrivait à arrondir les angles, à rendre la peine et la douleur plus supportables. Le temps faisait bien son œuvre sur certaines choses, bien qu’il efface aussi quelques précieuses choses qu’on aimerait garder pour toujours, comme le parfum de son amant, il effaçait aussi les traits, pour ne laisser qu’une sensation presque fugace. Charlize avait parfois du mal à se rappeler de certaines expressions d’Axten, elle n’avait plus le souvenir précis de ce sourire qui la faisait chavirer, pourtant elle donnerait tout pour ne jamais oublier. C’est le principal, oui. Déclara-t-elle à son tour, Romy avait fini par pointer le bout de son nez, effaçant avec elle les mauvaises années passées. Sûrement que si son mari n’était pas tombé malade, Charlize aurait voulu un autre enfant, peut-être même rapidement, mais elle savait aujourd’hui qu’elle n’aurait qu’une fille, jamais elle ne se sentirait de recommencer les traitements, pas sans lui. La réponse, parfaitement honnête de Penelope ne la choqua pas outre mesure. D’accord. Se contenta-t-elle de répondre, simplement parce qu’elle la comprenait, avant de ressentir ce profond besoin d’enfant, jamais Charlize ne s’était imaginé maman, elle s’était vue cheffe d’entreprise, pâtissière accomplie, c’était son grand rêve, elle s’était vue se marier avec Axten, parce qu’elle l’aimait. Mais pas forcément maman, pas au départ en tout cas. Elle s’était d’ailleurs sentie totalement décontenancée par ce besoin d’enfant qui s’était imposé à elle sans qu’elle ne s’y attende, qui avait fini par prendre tellement de place, fut une époque où elle avait cru qu’elle pourrait passer sa vie sans connaître la maternité et ça ne la dérangeant pas outre mesure. Non, ne t’excuse pas ! On n'est pas obligée de devenir mère pour être heureuse, ça ne me choque pas du tout. Il ne fallait surtout pas que Penny sente un quelconque malaise, il n’y en avait pas. Et… est ce que c’est ça qui vous a séparé, avec Marcus ? Charlize hasardait, elle n’en avait aucune idée, elle ne connaissait pas suffisamment le barman pour en connaître plus sur leur histoire.

Dans les souvenirs de Charlize, quand elle voyait Penelope et Marcus ensemble, le couple qu'ils formaient, ils étaient certes très beaux tous les deux, mais ils semblaient surtout très heureux, complices, on sentait l'électricité qui passait entre eux, cette attirance qui n'était pas à prouver. Elle se rappelait s'être dit qu'elle espérait que ce soit la même choses que les autres se disaient lorsqu'ils les voyaient Axten et elle. Parce qu'elle était parfaitement en phase avec son mari, ils étaient complices, ils étaient amants, ils étaient amis et surtout ils voyaient l'avenir de la même façon tous les deux. Chose qui, à en écouter Penny, n'était pas forcément évidente dans son couple. La pâtissière ne s'en serait jamais doutée, comme quoi, on ne connaissait jamais totalement les gens. Si elle respectait et comprenait totalement le choix de la photographe sur le fait de ne pas vouloir d'enfant, elle trouvait cela terrible qu'elle n'en ait jamais parlé à son propre mari et qu'elle ignore tout de son point de vue. Mais elle n'était pas là pour la juger, peut-être que leur couple n'était simplement pas si solide que ce qu'elle avait cru à l'époque, auquel cas la séparation était donc la meilleure solution. Charlize fronça les sourcils, pas certaine d'avoir compris la dernière déclaration de Penny. Tu veux dire, à l'époque, vous avez divorcé ? Ou ... là, depuis ton retour ? Elle se sentit tout d'un coup très intrusive dans ses questions, ça ne la regardait pas. Elle termina son thé et fit rouler la dernière goutte qui restait dans le fond de la tasse. Axten est mort. Depuis quatre ans. Elle évitait ainsi les questions indélicates.