little darlin', the smiles returning to their faces ; here comes the sun (charlie)

Six mois. Plus de six mois, même, depuis leur conversation crève-cœur, à Charlie et à Woody. Déjà, cette discussion-là avait mis du temps à venir, le trentenaire s’étant isolé dans sa souffrance pendant plusieurs semaines, plusieurs mois, jusqu’à en perdre la notion du temps. Jusqu’à ce que soit Léo qui le tire de là, ni l’un ni l’autre de gaieté de cœur, mais parce que Charlie attendait, depuis tout ce temps-là, Charlie avait besoin de lui. Rapidement, cela s’était avéré une erreur. Woody n’était pas prêt à cette confrontation, à cet affrontement des questions de sa petite amie pour lesquelles il n’avait aucune réponse claire. Il s’était ouvert et elle aussi. Elle avait parlé de mariage et d’autres enfants, et lui avait complètement paniqué. À l’intérieur de lui l’ouragan s’était levé et il avait voulu fuir. C’est ce qu’il avait fait. Elle ne l’avait pas retenu.

Six mois et quelques jours plus tard, Woody avait un peu remis de l’ordre dans son esprit. Il avait passé les premières semaines dans cette même routine étourdissante, retournant dans cet inconfort devenu si familier que finalement, il s’y sentait comme chez lui. Puis, avril était arrivé, il avait tenté de sortir de sa tête, de son terrier aussi. Sans pour autant donner de l’espoir aux autres, il avait repris certaines activités. Le yoga au lever du soleil. Les longues marches au bord de la plage en fin de journée. Les visites au marché local pour faire le plein d’aliments équilibrés. Sans forcer les rencontres avec les autres, Woody avait d’abord renoué avec lui-même.

Puis, la Fête de la mangue avait débuté à la fin du mois de mai et il avait cherché à tout prix à éviter les lieux où les défis et événements se déroulaient. Cette Fête, bordel qu’il l’avait aimée, et aujourd’hui il n’aurait plus été qu’un fardeau pour une équipe, n’importe laquelle. Alors, sans délaisser ses tentatives à une routine équilibrée, il s’était fait pas mal plus discret dans ses sorties. Jusqu’à juillet, deux semaines sans doute avant la fin des festivités, il en avait eu assez d’attendre. Il voulait voir Charlie. Il voulait lui montrer qu’il avait un peu repris le dessus sur ses démons. Que pendant tout ce temps-là il ne l’avait pas oubliée, bien sûr que non, au contraire elle avait été la lumière du phare, à clignoter à un rythme soutenu, même dans ce silence radio. Alors, il l’avait invitée à le rejoindre au grand quai du district est de la ville, pour discuter. Il avait réservé une table sur le bateau-restaurant, mais s’ils n’en étaient plus là, si elle n’avait pas envie, ils pourraient s’asseoir au banc du bout du quai, celui où Woody l'attendait actuellement, et regarder les oiseaux plonger dans les vagues. En silence ou non. C’est elle qui choisirait.

En l'espace de six mois, Charlie aurait pu avoir eu le temps de commencer à soigner ses blessures et son deuil. A dire vrai, la pâtissière s'était concentrée sur bien d'autres choses durant ces six mois. D'abord, l'hospitalisation de son frère Jules qui en a découlé une bonne nouvelle, celle de la greffe de ses poumons. Même si cela générait un peu de stress, elle espérait que cette intervention médicale permettra à Jules lui accorder de nombreuses années auprès d'elle. Puis une autre bonne nouvelle s'y est ajoutée, celle de sa promotion à Imogen. Après deux années d'apprentissage auprès de Charlize, sa patronne la récompensait chaleureusement en lui donnant plus de responsabilités à l'ouverture d'une quatrième boutique de l'enseigne. Elle exigeait d'elle-même être à la hauteur, alors Charlie s'impliquait à deux cent pour cent.

Pendant ces six mois, bien sûr qu'elle avait pensé à Woody. Leur dernière discussion l'avait longtemps hanté. Elle regrettait de lui avoir confié l'entièreté de ses pensées. Il avait pris peur, surtout lorsqu'elle avait prononcé le mot mariage et parler d'enfants. L'effrayer n'était pas le but, bien au contraire, elle voulait juste lui faire comprendre qu'elle tenait immensément à lui. Mais une fois de plus, il préféra fuir et cette fois Charlie n'eut ni la force ni le courage de le retenir. Depuis elle ne cessait de ressasser cette discussion. N'arrivant pas à passer à autre chose, même si elle aurait eu l'occasion une ou deux fois de se jeter dans les bras d'un autre, elle ne le fit pas. C'était Woody qu'elle voulait, et personne d'autre.

Au moment où elle s'y attendait le moins, il refit surface. Elle n'en croyait pas ses yeux. Woody l'invitait à le rejoindre au grand quai du district est de la ville, pour discuter. Son cœur faisait des bonds. Les mauvais souvenirs refassaient surfaces mais leurs bons prenaient tellement le dessus, qu'elle se résigna à refuser. Alors ce matin-là en se préparant, elle prit soin de choisir une jolie robe. Ce n'est pas un hasard qu'elle se vêtit de sa robe orangée, évasée, courte laissant apparaître un décolleté prononcé. Elle portait cette même robe un jour où ils avaient fait l'amour dans le jardin du physiothérapeute. Oh, elle n'était pas certaine qu'il la reconnaîtrait, mais au moins elle savait quel effet pouvait-elle provoquer en lui.

Ainsi elle se présenta à lui dans cette robe, ses cheveux blonds détachés aux épaules. Elle le vit assis sur un banc, et rien que de le revoir physiquement lui faisait du bien. Charlie ne parvenait à sourire, mais l'expression de son visage révélait un réel soulagement de pouvoir être près de lui, ne serait-ce  qu'un peu. Elle ne savait pas bien comment le saluer, alors elle resta planté bêtement devant lui, se dandinant un pied sur l'autre. Salut... souffla Charlie, qui attendait surtout qu'il fasse le premier pas pour lui dire quoi faire.

Ses cheveux avaient poussé, à Woody. Il ne les portait plus aussi courts qu’avant. Probablement parce qu’il n’avait pas eu envie de passer chez le coiffeur, surtout, et que c’était Charlie auparavant qui passait le rasoir électrique dedans. Alors il les avait laissés descendre le long de sa nuque, il les portait ainsi lorsqu’il était bien plus jeune, au début de la vingtaine. Ça lui faisait bizarre de sentir le vent dans sa chevelure, chatouillant sa nuque. Ce n’était pas déplaisant. Ça le ramenait à une autre époque, ça lui rappelait que malgré le changement, malgré les chutes, il était encore le même homme, à quelque part en-dedans. Il attendait donc assis sur le bout du quai, ses cheveux dansant mais le reste de son corps, complètement immobile. Ses mains étaient jointes entre ses deux jambes, son dos était droit. Il donnait l’impression de méditer les yeux ouverts. Peut-être était-ce ça, aussi, mais ses pensées étaient concentrées vers Charlie, vers cette rencontre qu’il visualisait. Il ne savait pas exactement comme il allait dire les choses mais il savait globalement le message qu’il voulait lui faire passer. Il espérait juste qu’il ne soit pas trop tard. Il aurait compris, cela dit, que ça le soit. Charlie avait déjà été bien trop douce, patiente et compréhensive avec lui. Il n’en méritait pas autant et il le savait. Une silhouette arriva finalement devant lui, elle s’était positionnée entre le  banc et la mer, le soleil derrière elle ravivant davantage les couleurs de cette robe que Woody ne reconnaissait que trop bien. Il ne put s’empêcher de lui sourire. Les souvenirs lui remontaient en tête. Ça lui semblait bien loin, cette torride matinée dans son jardin. Mais peut-être pas inatteignable. « Salut. » Il n’osa pas faire de commentaire sur sa robe, il n’osa pas la dévorer du regard comme il aurait eu envie de le faire. Ils n’en étaient pas là, ils avaient bien des mots à échanger et bien des écarts à régler. « J’ai … j’ai réservé une table sur le bateau, le départ est pour bientôt. Ou alors on peut juste s’asseoir ici, si tu préfères pouvoir partir quand tu veux. Mais j’espère qu’on restera pour un moment. » Lui dit-il, ne bougeant pas de sa place assise. Il avait beau avoir retrouvé un mode de vie bien plus sain qu’en début d’année, ça n’enlevait pas que sa maladie avait profité de ce temps-là pour gagner du terrain, pour prendre de l’avance sur lui.

Les cheveux longs lui allaient bien, de toute façon, peu importe ce qu'il pouvait changer chez lui, Charlie était persuadée qu'elle serait toujours attirée par lui. Ce qui la perturba, c'était surtout qu'ils se retrouvent sans se se toucher, sans s'embrasser. Pourtant Dieu sait qu'elle en mourrait d'envie, et elle espérait secrètement que, pour lui aussi, ce fut le cas. Quand elle arriva à sa hauteur, elle aperçut son sourire. Il n'avait fait aucun commentaire sur la robe qu'elle portait néanmoins ce sourire-là, peut-être reflétait-il le souvenir de cette chaude matinée dans le jardin de Woody. Pour elle, rien que cette hypothèse lui paraissait une petite victoire. Après leurs très brèves salutations, Woody lui annonça qu'il avait réservé une table sur le bateau (elle se tourna instinctivement pour regarder le bateau qui se trouvait derrière elle),  mais lui assura ensuite qu'ils pouvaient aussi rester assis là. J’espère qu’on restera pour un moment. avait-il rajouter. Le cœur de Charlie se mit à fondre. Une table sur un bateau? répéta Charlie, faisant une moue impressionnée. C'est... plutôt romantique. lui fit-elle remarquer sur un ton taquin, ne pouvant s'empêcher de sourire. Soudain c'était comme si, le lourd poids de leurs discordes, n'existait plus. Comme si leur belle complicité n'avait jamais été endommagée par les pleurs, le deuil, et les disputes. Car avant tout, Woody et Charlie c'était aussi ça ; une belle complicité. Ils ne devaient néanmoins échapper à une discussion sérieuse, autrement, Woody n'aurait pas demandé à la voir. Charlie s'attendait à tout et à la fois, à rien. Avec plus d'assurance et détendue, elle s'assit près de lui sur le banc.  Est-ce que tu veux... Enfin, est-ce qu'on a le temps... de discuter avant? lui demanda-t-elle avec douceur. Avant qu'ils passent un temps en tête à tête sur ce magnifique bateau, Charlie avait besoin d'entendre certaines choses. Six mois sans se parler, ce fut long, et attendre quelques minutes supplémentaires lui semblaient de trop.

Le regard de Woody suivit celui de Charlie lorsqu’elle regarda le bateau derrière eux. En soit, ce n’était pas un très grand bateau, c’est un petit bateau-mouche à deux étages seulement, vitrés de bord en bord afin d’offrir la plus belle vue à tous. Woody aurait pu choisir n’importe quel lieu qui ne les obligerait pas à rester à la même place pendant deux heures, mais il avait effectivement opté pour le choix le plus romantique qui soit, à Bowen. Il avait même réservé la table au deuxième, celle tout au bout, qui donnait une vue sur le pont et sur la mer. Il devait se douter qu’à quelque part, cette discussion coulerait doucement, qu’elle tournerait bien. Il connaissait Charlie et il savait où lui en était rendu. Il avait donc laissé l’espoir décider. « Oui, j’ai … Je pense que je cherche un peu à me faire pardonner, et je voulais le faire dans un décor qui serait à la hauteur, au cas où mes mots ne le soient pas, comme souvent … » Il esquissa un sourire coupable, baissant momentanément les yeux vers ses pieds, passant une main dans ses cheveux qui ne cessaient de partir au vent. Charlie s’assit près de lui sur le banc, ce qui le laissa croire un instant qu’elle n’en avait rien à faire de ce dîner, qu’elle voulait juste qu’ils en finissent, crèvent l’abcès et s’en aillent, peut-être. Il se sentit nerveux, plus qu’il ne l’était déjà. « Je pense qu’on a environ quinze minutes, avant qu’il quitte le quai … » Répondit-il avec autant de douceur, tournant légèrement son corps vers Charlie, sans pour autant cesser de faire face à l’océan, qui l’apaisait de son calme aujourd’hui. « Je m’étais un peu … préparé … pour savoir quoi dire pour une fois, tu vois. Et là, c’est con, les mots me viennent pas. » C’était peut-être Charlie, c’était peut-être la robe, c’était peut-être le fait qu’ils ne soient pas sur le bateau comme dans sa visualisation. Woody n’était pas un maître dans l’art de la communication, Charlie le savait.

Surprise, ou plutôt agréablement surprise, Charlie ne s'était certainement pas attendue à ce que Woody l'invite en tête à tête sur ce beau bateau. Lui qui avait peur que ses mots ne soient pas à la hauteur, il se trompait. Ça me touche beaucoup, mais tu te sous-estimes. Quand tu m'as dit que tu espérais rester un moment avec moi... Un mince sourire aux lèvres, elle marqua une pause et se pencha. Ça m'a fait plaisir. avoua Charlie dans un chuchotement. Il le savait, elle n'était pas du genre vénale. Charlie, elle tenait surtout aux petites attentions et aux actes. Sur sa table de chevet était encore exposée cette jolie pierre bleue dont Woody l'avait donné, bientôt deux ans auparavant. Bientôt deux ans. Elle s'en souvenait comme si c'était hier, parce que ce jour-là, il l'avait embrassé pour la première fois, en haut, dans une cabine de la grande roue. Pour tous ces petits souvenirs, pour tous ces beaux moments qu'ils ont vécu tous les deux, elle ne chercha pas à lui mettre la pression. Il n'était pas obligé de dire quoique ce soit. Il semblait regretter, et l'avait dit lui-même, il cherchait à se faire pardonner. Si Charlie espérait entendre des mots de regrets, Woody, lui, perdait visiblement tous ses moyens. Pour elle,  une étreinte lui aurait suffit aussi. Le fait qu'il soit là, face à elle, représentait déjà quelque chose pour Charlie. Ce n'est pas grave. assura-t-elle en haussant les épaules. Pourtant six mois sans aucune de ses nouvelles, c'était long, très long.  Pendant un court instant, elle sentit une vague de tristesse monter. Ses yeux cherchèrent les siens puis restèrent bloqués sur la commisure de ses lèvres. Tu m'as manqué. finit-elle par dire à haute voix, malgré elle.

Il se sous-estimait effectivement beaucoup, Woody, ce qui contrastait énormément avec sa personnalité d’avant. Autrefois plein d’assurance, un peu trop cocky d’ailleurs, il doutait désormais de tout chez lui, se dénigrant dès qu’il en avait l’occasion. Il ne s’aimait pas, Woody. La seule raison pour laquelle il s’aimait, avant, c’était en raison de son succès, de ses réussites sportives. S’il n’avait plus ça, si son corps ne le portait plus vers la victoire, alors il n’avait plus rien pour lui. C’était ainsi qu’il se voyait depuis plusieurs années maintenant, ce manque d’estime bouffant toujours un peu plus de sa lumière. Il sourit lorsque Charlie admit que cette phrase, anodine pour le trentenaire, lâchée comme ça sans trop réfléchir, avait fait plaisir à la blonde. Comme quoi, il ne fallait pas toujours tout analyser. Il fallait laisser aller les choses telles qu’elles lui venaient. Il ne répondit rien et la pâtissière vint s’asseoir à côté de lui. Là, les mots lui manquaient cependant, à l’homme qui s’était imaginé cette scène-là tant de fois mais jamais dans cet exact ordre. Il se désorganisait donc face à elle, elle dans cette robe qui le déstabilisait, elle dans cette douceur qu’elle n’abandonnait jamais, elle dans son regard rivé sur ses lèvres. « Tu m’as manquée aussi. » Ce fut au tour des yeux de Woody de descendre vers les lèvres de Charlie, vers son décolleté aussi, puis vers ses lèvres à nouveau. Pendant un bref instant, les images dans le jardin lui revenaient, se mêlant à la fantaisie de reproduire la scène ici sur ce banc, face à la mer, au bout de ce quai passant. Évidemment, ce n’était pas possible. « Est-ce que je peux t’embrasser ? » Demanda-t-il à Charlie, incertain de pouvoir prendre les devants sans sa permission, après tout ce qu’ils avaient traversé. Puisqu’il ne savait pas où ils se situaient, il ne voulait pas brûler des étapes qu’elle attendait peut-être.

Woody paraissait avoir perdu tous ses moyen. En dehors du fait qu'il manquait de confiance en lui, ce long laps de temps sans se voir ni se parler, ne l'aidait pas non plus. Pourtant la pâtissière faisait en sorte de le rassurer et de lui montrer que malgré toutes les épreuves traversées, elle le portait toujours dans son petit cœur émietté. Il lui avait manqué terriblement et elle se surprit à le lui dire à brûle-pourpoint, comme si elle avait gardé ça en elle depuis trop longtemps. Assise près de lui, inconsciemment elle s'était rapprochée en l'entendant dire qu'elle lui avait manqué aussi. Un mince sourire de soulagement apparut sur son visage alors que les yeux bleus de Charlie se posèrent sur les lèvres de Woody. À son tour, il avait regardé ses lèvres. Elle le remarqua et le rythme de son cœur s'accélèra. Elle reconnaissait ce regard, pour l'avoir vu de nombreuses fois, dont cette fameuse fois où ils avaient dérapé dans son jardin. Ça l'a rendait toute chose d'ailleurs. Il lui avait demandé la permission de l'embrasser, il était gentleman Woody, pourtant il en avait jamais eu besoin, elle se serait donnée à lui. Oui souffla-t-elle comme une évidence, car elle se penchait déjà pour chercher les lèvres de Woody et l'embrasser. Elle aurait aimé y mettre plus de douceur, mais son désir prononcé apporta quelque chose de plus à ce baiser. Pour sûr, cette robe orangée qu'elle portait là, était désormais sa robe porte-bonheur. 

Justement, Woody savait bien trop que Charlie se serait donnée à lui, de tout son corps de tout son cœur, peu importe s’il avait demandé la permission ou non. Et souvent par le passé, Woody n’avait pas respecté les femmes, prenant, prenant, tout ce dont il avait besoin, sans jamais donner ce que l’autre réclamait en retour. Il s’était au moins délivré de ça, le trentenaire, et même s’il avait encore beaucoup à apprendre par rapport au respect de l’autre, il respectait au moins davantage le corps des femmes qu’auparavant. Lorsqu’elle souffla son consentement, Woody s’apprêta à avancer son visage vers le sien, mais finalement c’est Charlie qui se penchait vers lui, pour récupérer ses lèvres des siennes, un contact trop longtemps coupé. Il s’imaginait alors l’allonger sur ce banc, découvrir ses seins déjà peu couverts par le décolleté, lui en dévorer les pointes, glisser sa main sous le tissu orange jusqu’à son intimité, puis lui faire l’amour à la vue de tous. Woody avait été en manque de Charlie et leurs retrouvailles criaient cette carence. Décidément, oui, cette robe orangée était dotée d’une force hors de ce monde, d’un pouvoir d’attraction qui lui ferait toujours perdre la raison, à l’aîné des Rutkowski. Son corps électrisé se calma un peu lorsque leurs lèvres se séparèrent. Il baissa les yeux, tentant de reprendre ses esprits, riant légèrement. « On devrait monter sur le bateau. Parce que si on continue comme ça, je risque de ne plus vouloir y embarquer. » Lâcha-t-il en regardant Charlie. « Mais je pense qu’il faudrait prendre le temps de parler quand même. » Lorsque les mots lui reviendraient. Lorsque ce qu’il avait visualisé reprendrait place dans sa tête, dans le bon ordre, dans les bonnes séquences.

À la vue de tous les passants, Woody et Charlie échangèrent un baiser qui hurlait au grand monde à quel point leur manque s'était fait ressentir.  La langue de Charlie s'insinua entre ses lèvres et tout l'air contenu dans ses poumons s'évapora. Lentement elle savoura chaque seconde les sensations dont lui procurait ce baiser. Elle aussi, se voyait déjà allongée sur ce banc, à moitié nue. Un souvenir lui traversa l'esprit, celle de ce mouvement qu'il faisait en entourant sa bouche sur sa poitrine. Une chaleur commençait à envahir son corps entier et elle ne sait pas bien comment, mais leurs lèvres finirent par se séparer au même moment. Le regard fuyant, Charlie plaqua une main sur sa bouche. Tout d'un coup, il faisait chaud. Oui, pardon, c'est vrai, tu as raison. admit-elle, confuse, les joues rougies non pas par timidité, mais par l'excitation qui avait doucement monter en elle. Elle se redressa et garda les yeux fermés pour rassembler rapidement ses idées. Lorsque Woody lui rappela qu'ils devaient parler, son cerveau se reconnecta à la vie réelle. Elle ne sait pas bien si ce que Woody avait à dire allait être difficile à entendre, elle refusait pour le moment d'appréhender.  Je suis prête, enfin, j'aurais préféré ne pas être rouge comme une tomate en montant à bord... C'est de ta faute, tu sais! lança Charlie, réprimant un sourire. Elle se leva du banc et tendit instinctivement sa main vers Woody.

Il n’était pas le seul, Woody, à avoir ressenti cette vague de chaleur déferler sur lui. Dans tout son corps le courant électrique avait réveillé son épiderme, cherchant à tout prix le contact de Charlie sur lui, partout sur lui. S’ils n’avaient pas été dans un endroit aussi public, sans doute se seraient-ils abandonnés l’un à l’autre, mais les cris et les rires des enfants sur le quai, les discussions des adultes, les moteurs des bateaux devant eux, tout ça les ramena à la réalité. Woody qui évoqua leur réservation sur le bateau aussi, les ramena à la vie réelle. Le trentenaire se contenta de sourire en la voyant s’excuser et rougir. Lui ne s’excusait pas, mais il avait la même chaleur qu’elle sur les joues. Il mentionna son désir qu’ils discutent, malgré cet interlude des plus excitantes, ils ne pouvaient pas tout simplement effacer une demi-année et continuer comme si rien ne s’était passé. Woody lui devait plus que ça, à Charlie. Il se devait de s’ouvrir un peu plus à elle, de ne pas fuir au premier moment de panique. « Ça te va bien, ce rouge tomate. » Il la regarda avec un sourire, avant de baisser les yeux sur ce qu’elle portait. « Ça match avec … cette robe. » Évidemment qu’il mettrait l’emphase sur la robe, pour qu’elle comprenne peut-être que les souvenirs lui étaient remontés en tête et que cet élan de désir provenait aussi de là. D’une main, Woody attrapa sa canne, et de l’autre, il attrapa la main tendue de Charlie. Il s’aida à se relever à l’aide des deux. Il se dirigea avec elle jusqu’à l’entrée du bateau, une rampe leur permettait d’accéder à l’intérieur. « Bonsoir, on a une réservation au nom de Rutkowski. » Indiqua-t-il. S’il y avait un autre Rutkowski sur la liste, il en resterait surpris, à moins que ses parents aident décidé de s’offrir une soirée romantique en même temps que lui. Pour ce qui est de son frère ou de ses sœurs, il ne pouvait s’imaginer une telle coïncidence. L’hôtesse les conduisit jusqu’à leur table au deuxième, Woody peinant à monter les marches à une vitesse normale pour les autres, mais se débrouillant pour ne pas trop retarder, malgré l’engourdissement. Il s’assit en face de Charlie, à côté d’eux la vitre leur donnait une magnifique vue sur la mer déjà.

En effet, si tous deux s'étaient retrouvés dans un endroit plus intime, ce baiser les auraient amener à déraper. Et même si se réconcilier sous la couette avait du bon, Woody et Charlie devaient discuter et mettre les choses à plat. Trop de mois de silence se sont écoulés et si ils voulaient que leur relation montagneuse fonctionne, ou du moins redémarre, il fallait remédier à ce que cela n'arrive plus. Le passage à l'acte nécessitait donc d'attendre (un peu). En détachant leurs lèvres, le brouhaha des passants les ramena à la terre ferme. Cet instant d'évasion avait coloré les joues de la pâtissière. Encore à la fois confuse et excitée, Charlie affichait un sourire satisfait en suivant le regard de Woody qui désignait sa robe. Que c'était bon de se sentir de nouveau désirée. Contente qu'elle te plaise toujours autant. lança-t-elle, une flamme qui s'allumait dans ses yeux. Alors peut-être qu'il se souvenait de cette torride matinée. Les voisins avaient dû les entendre de leur jardin ce jour-là. Les joues encore écarlates, Charlie se releva, mettant difficilement fin à ses pensées érotiques. Woody se redressa avec l'appui de sa canne et attrapa la main de Charlie. Cela semblait insignifiant, mais ce contact lui faisait un bien fou. Ils montèrent ensemble à bord du bateau. Woody donna son nom à la réception et Charlie ne put s'empêcher d'être touchée à l'idée qu'il ait pris une initiative romantique. Une fois installés à leur table au deuxième étage, la blonde resta impressionnée. Ils étaient placés juste à côté d'une vitre qui leur permettait d'admirer l'étendue de la mer.  La vue est magnifique. Je dois t'avouer que je ne m'attendais pas à ça. lui dit-elle, visiblement éblouie.

À la réponse de Charlie, Woody esquissa un sourire en secouant tout légèrement la tête de gauche à droite, la toisant, suspicieux. « Tu l’as fait exprès, pas vrai ? » Bien sûr qu’elle l’avait fait exprès. Elle n’avait pas choisi d’enfiler cette robe-là de manière anodine. Elle savait. Elle savait l’effet que ça ferait sur Woody et avant même de connaître la finalité de ce rendez-vous, si Woody voulait rompre pour de bon et lui rendre sa liberté totale ou alors s’il voulait les rabibocher, elle avait quand même choisi cette robe. Ça en disait beaucoup. Ça en disait long sur le désir de Charlie que cette relation ne se termine pas. Dans un sens, cela conforta Woody dans sa décision. Ils montèrent donc sur le bateau et à l’étage, où une vue exceptionnelle les attendait. « Ça fait longtemps que je n’étais pas monté sur ce bateau … Je me souvenais que c’était beau, ouais, mais ça surprend à chaque fois. » Ça lui faisait à peu près le même effet, à chaque fois qu’il revoyait Charlie après trop de mois de silence, d’absence, de manque. Il sourit en regardant la pâtissière qui admirait l’horizon. Il se sentait nerveux, Woody. Probablement parce qu’il avait à la fois l’impression de commettre une erreur, à la fois parce qu’il était bien, avec elle, et qu’il commençait à comprendre qu’il ne voulait jamais que ça se termine, ce sentiment. Le serveur arriva pour leur proposer quelque chose à boire. « Voudrais-tu du vin ? » Proposa Woody en regardant Charlie. Ils n'étaient clairement pas venus ici pour ne pas en profiter.

En la toisant du regard, Charlie ne dérougit pas. Lui, il ne le faisait pas exprès, mais dès qu'il posait ses yeux verts sur elle, elle était absorbée. Il se pourrait bien que oui... finit-elle par admettre sur un ton vague mais qui ne tromperait personne. Bien entendu qu'elle l'avait l'avait exprès! Elle portait cette robe aux nuances mandarines, parce qu'elle voulait réveiller en lui l'homme qui l'avait déshabillé dans son jardin. Elle voulait qu'il la trouve belle, attirante, et bien plus encore. Il n'y avait que son regard qui lui importait et celui de personne d'autre, mais ça, sans doute le savait-il déjà.

En attendant d'aborder leur discussion sérieuse, Charlie et Woody montèrent ensemble dans le bateau et rejoignèrent une table au deuxième étage. Installés près d'une immense vitre, ils avaient vue sur la mer. Tu as choisi un très bel endroit. lui dit la blonde qui, contrairement à Woody, n'avait jamais monté dans ce bateau. Cela lui paraissait invraisemblable, elle qui s'était plutôt attendue à une simple discussion au bord du quai. Le serveur arriva ensuite et Woody lui demanda si elle souhaitait boire du vin. Oui avec plaisir. accepta-t-elle sans réfléchir. Charlie ne songeait qu'à profiter de ce moment présent, dont elle savait déjà précieux.  Tu sais, il faut que nous trinquons. Sous un air énigmatique, elle marqua une pause.  Tu as devant toi la future Cheffe Pâtissière de la quatrième boutique Imogen! lui annonça-t-elle fièrement. L'heureuse nouvelle était très récente et pourtant dès que Charlize le lui avait annoncé, elle rêvait de pouvoir la partager avec Woody. Il avait suivi son parcours de combattante dans la pâtisserie et il savait qu'elle se donnait à mille pour cent dans son travail. Et puis il y avait quelque chose de merveilleux à partager de si bonnes nouvelles avec l'être aimé.

Il avait choisi cet endroit parce qu’il avait l’impression que ce serait à la hauteur, à la hauteur de Charlie, à la hauteur de la conversation qu’il désirait avoir avec elle, à la hauteur si jamais ses mots ne suffisaient pas à s’excuser assez. Ce ne serait jamais assez. « J’fais si souvent les choses pas comme il le faut, il fallait bien que je fasse quelque chose de bien pour une fois … » Il esquissa un sourire. Il se doutait que Charlie ne serait pas d’accord avec ses dernières paroles, mais elle ne pourrait pas non plus nier qu’il avait énormément merdé, Woody, depuis le début de leur relation. Le serveur, rapide sur le service, vint tout de suite les aborder afin de leur proposer à boire. Le physiothérapeute questionna la pâtissière à savoir si elle désirait du vin. Il hocha la tête à sa réponse et zieuta rapidement la carte des vins. « Un nebbiolo, le … le Paolo Scavino Barolo, s’il-vous-plaît. » L’élégance du Pinot noir et l’intensité du Cabernet Sauvignon dans une bouteille, le nebbiolo était l’un des cépages favoris de Woody. Une fois le serveur reparti, Charlie le dévisagea d’un air mystérieux, lui annonçant qu’ils devaient trinquer. « Ah bon ? » Lui aussi s’imaginait trinquer, une fois leur conversation passée, mais elle avait visiblement d’autres raisons de célébrer. Lorsque la pâtissière le mit dans le coup, un large sourire s’afficha sur les lèvres du trentenaire. C’était spontané, c’était naturel, parce qu’il était réellement heureux pour Charlie. Et fier d’elle, aussi. « Quoi !? Charlie,  c’est … félicitations ! Tu le mérites. Tu le mérites tellement. » Il était déçu de ne pas déjà avoir le vin pour lui lever son verre. « Elle sera où, cette boutique ? » Et si jamais Charlize comptait ouvrir une boutique à l’extérieur de Bowen afin d’élargir sa clientèle et de faire grandir sa business ?  Cette pensée le fit tout légèrement paniquer, signe qu’il s’était attaché à elle, et que même durant des mois de silence, il pouvait supporter l’absence s’il ne la savait pas trop loin de lui.