Coffee time [Noma]

Noam avait donné cours toute la matinée. Il se sentait un peu fatigué, heureusement que l'heure du repas était arrivé. Il avait déjeuné avec quelques collèges, parlé de tout et de rien. Mais s'il ne voulait pas entrer dans une sieste digestive à l'issu du déjeuné, il avait plutôt intérêt à prendre une bonne dose de café. Et il savait, que les élèves ne lui pardonnerait pas s'il ne le faisait pas. Ils allaient juste en profiter pour bavarder ou faire la sieste, selon les profils. Après plusieurs années d'exercice, il commençait à bien les connaître. Et on a beau dire, même s'ils sont censés être adultes et matures, tirer au flanc quand c'est possible est le propre de la plupart des êtres vivants de ce monde. Personne n'avait envie d'utiliser de l'énergie quand il n'en était pas obligé. C'était un instinct de survie, en quelque sorte, que ses élèves avaient rarement la bonne volonté de contrer.

Bref, sur ce, il s'éloigna de son groupe de collègues pour se rapprocher de la machine à café. Là, il y vit un message connu à qui il offrit un large sourire.

-Selma ! Mais quel plaisir ! Ca faisait longtemps que tu n'étais pas passée dans le coin. Non ? Je me trompe ?

Retourner entre les murs de l’université rappelle toujours à Selma de lointains souvenirs du temps où elle était étudiante. L’endroit a forcément changé depuis ce temps-là mais les bâtiments sont toujours les mêmes et certains professeurs aussi. Il y en a certains qu’elle a pu avoir en cours lorsqu’ils étaient dans leurs premières années et à présent ils approchent doucement de la retraite, ce qui ne la rajeunit pas. Il lui arrive parfois de venir pour donner des conférences aux étudiants. En temps que journaliste, ancienne grande reporter et autrice d’ouvrages de voyage, elle a plutôt pas mal de choses à raconter sur sa vie et ses expériences, de quoi venir plusieurs fois par an échanger avec les étudiants. Parfois c’est aussi l’occasion pour elle de recruter un journaliste stagiaire qui ne sait pas dans quoi il s’embarque en ayant la jeune femme comme tutrice. Après un repas rapide avec quelques personnes du département de journaliste, elle les abandonne pour aller reprendre un café, celui du repas ne lui ayant pas suffit. Sa consommation est beaucoup trop importante par rapport à ce qu’elle devrait, surtout pour une personne aussi active qu’elle, ce n’est pas l’énergie qui lui manque mais ça fait partie de ses habitudes. Tandis qu’elle attrape son gobelet, elle voit Noam qui lui sourit, elle lui sourit en retour. A force de venir à l’université elle commence à connaître pas mal de monde, surtout ceux qui, comme elle, squattent la machine à café. « Oui, c’est vrai ! Je sais plus quand c’était la dernière fois mais avec la sortie de mon dernier livre je n’ai pas eu beaucoup de temps. » explique-t-elle au professeur. « J’ai fait une conférence ce matin sur un reportage que j’ai fait au Brésil il y a quelques années et sur comment préparer un reportage à l’étranger. » Lui qui est professeur de biologie, ces problématiques doivent lui sembler bien lointaines. « Je t’offre un café. » dit-elle en glissant une pièce dans la machine, sans attendre son approbation.

Noam était toujours très heureux de voir. Il avait toujours trouvé qu'elle avait une énergie incroyable, et les discussions avec elle étaient toujours passionnantes. Elle avait vu tellement de choses, elle savait tellement de choses. Noam qui, lui, n'était pas très voyageur, aimait écouter ses récits et se laisser porter, fermer les yeux et avoir l'impression d'y être.

-Oh, oui, j'imagine. Tu as donné des interviews, fait des dédicaces ? Oh lala, je ne l'ai pas encore acheté, il faut que je me dépêche avant que tu ne me fasses une interrogation.

Il eut un petit rire, plaisantant sur le supposé besoin de Selma à ce que ses connaissances lisent ses livres. Evidemment qu'elle ne lui avait jamais mis la pression pour ça.

-Est-ce que tu es venu expliquer à nos étudiants pourquoi ils devaient absolument l'acheter ?

Bien sûr que non. Elle venait parler du Brésil, donc. Il hocha lentement la tête, signe qu'il écoutait, et en même temps, qu'il réfléchissait. Le Brésil, c'était bien plus prés de son ancien chez lui que d'ici. Cette pensée le fit sourire.

-Ca devait être très intéressant pour eux. C'est sûr qu'en tant que journaliste, c'est primordial.

Ils allaient bien plus à l'étranger que lui après tout ! Déjà, pour Noam, il avait l'impression d'avoir faire le parcours du combattant pour son immigration Etats-Unis/Australie. Et il ne changeait même pas de langue !
Il eut un léger rire alors qu'elle introduisait sa pièce dans la machine pour lui offrir le café.

-Tu as déjà gagné tant de droits d'auteur ?

Selma a toujours été beaucoup trop active, avec sans cesse des tas de projets en préparation. Elle planifie plusieurs voyages en parallèle, écrit un nouveau livre, prépare des articles pour le journal ainsi que ses futurs voyages pour celui-ci, pas de quoi s’ennuyer. Sa vie n’est pas plus tranquille que lorsqu’elle partait faire des reportages sur le terrain, sur les fronts de guerre ou pour certaines investigations. Parfois cet aspect de sa vie lui manque mais elle ne se sent pas encore prête à retourner au front et couvrir les grands événements. « Oui c’est ça, il faut gérer la promotion du livre et ça prend pas mal de temps. Mais faut que je t’en envoie un, j’ai complètement oublié ! Et après ça sera l’interrogatoire. » plaisanta-t-elle. Comme il s’agit essentiellement d’un livre axé sur les conseils pour la randonnée, notamment l’équipement, lire une carte, tracer un itinéraire et de quelques photos de ses voyages pour faire rêver le lecteur, elle ne sait pas trop sur quoi elle pourrait le questionner. « Surtout que c’est compliqué de vraiment savoir à quoi s’attendre quand on n’a jamais mis les pieds sur le terrain. Et même quand on y est allé, chaque reportage est différent, chaque pays est différent donc c’est toujours compliqué de faire des explications générales, mais j’essaie. » Elle ne se voit absolument pas devenir professeur, étant bien trop peu patiente et compréhensive pour ça mais elle apprécie donner des conférences. Selma glissa ensuite une pièce dans la machine pour offrir le café à son ami. « Il m’en reste encore un peu des livres précédents. » répondit-elle en riant à propos des droits d’auteur. « Et toi, des projets en vue ? »

Noam éclata de rire quand elle décréta devoir lui en envoyer un. Il n'était pas du genre à vouloir profiter de ses relations avec les gens pour en tirer parti, aussi petit le privilège soit-il.

-Ne t'en fais pas, s'il est disponible à la librairie de Bowen je vais le trouver.

Noam écoutait la journaliste avec attention. Il aimait toujours quand les gens parlaient de leur passion. Tout comme il aimait parler de la sienne, notamment avec ceux qui la partageait un peu, même en amateur.

-Ah oui, je comprends. Ce n'est pas comme si tu pouvais leur parler des points primordiaux de chaque pays du monde... Pensez-y pour quand tu voudras écrire une encyclopédie.

Il afficha un sourire taquin. Avec tous les livres qui avaient écrit, peut-être qu'en les rassemblant, ça en faisait déjà une, non ?
Il se contenta de sourire alors qu'elle justifiait l'offre du café par ses autres droits d'auteur. Malgré tout, il se rendait bien compte que ce n'était pas ce qui la rendait riche. Après l'avoir laissé mettre sa pièce dans la machine, il attrapa un gobelet et pressa le bouton voulu pour le remplir.

-Oh, moi ? Je n'ai jamais songé à écrire de livres !

Il répondit avec un sourire.

-Ce que je programme c'est plutôt ma liste de lectures.

Ça ne dérangeait pas Selma d’envoyer quelques exemplaires à ses amis lorsqu’elle sortait un nouveau livre. De nombreux auteurs font cela et ce n’est pas ça qui fera grandement baisser les ventes. De toute façon ses livres ne sont pas des best sellers, ils se vendent plutôt bien et sont en tête de gondole des libraires du coin parce qu’elle est née ici mais en dehors du Queensland ses ventes sont plus réduites même si elle reçoit régulièrement des messages de personnes appréciant son travail sur Instagram et lors des dédicaces qu’elle peut faire un peu partout en Australie. « Oui, tu devrais le trouver sans difficulté. » dit-elle sans insister pour lui offrir, s’il tenait à l’acheter. La journaliste évoqua ensuite sa conférence, qui tournait davantage autour du journalisme que du voyage même si les reportages à l’étranger comportent une certaine part d’aventures. « Je suis pas prête à écrire un truc pareil. » répondit-elle en riant. Elle ne se voit pas écrire sur chaque pays, déjà parce qu’elle n’a pas été partout pour ses reportages et également parce qu’elle n’a pas le courage d’écrire quelque chose d’aussi gros et de pas forcément très passionnant. Ses livres sont comme des manuels, des guides mais il y a aussi une part d’aventure où elle raconte des anecdotes sur le trek qu’elle décrit ou bien des récits parfois un peu plus longs de ses périples. Une fois le café mis en route, Selma prit des nouvelles de son ami et de ses potentiels projets. Elle sait qu’il a moins le goût de l’aventure qu’elle, ne bougeant pas partout dans le monde pour faire de la randonnée mais elle se dit qu’il doit bien avoir quelques projets. La jeune femme lui sourit avant de répondre « Ça prend un peu moins de temps de planifier des lectures que d’écrire tout un livre ! A part planifier ta liste de lectures tu n’as pas d’autres choses de prévues ? »

Noam sourit quand elle lui confirma qu'il devrait trouver son livre sans grande difficulté. Tant mieux. C'était plutôt bon signe, ce genre de choses, non ? Les libraires avaient prévus que le livre ait assez de succès pour l'avoir en stock.

-Je vais chercher ça alors.

L'Américain rit avec elle alors qu'elle semblait refuser l'idée d'écrire une encyclopédie. Bon c'est certaine que, d'une part ce n'était pas à la porté de tout le monde, et de l'autre ça demandait beaucoup d'investissement personnel.

-J'attendrais ton autobiographie alors.

Il était certain qu'elle pouvait être passionnante, si elle concentrait ainsi les petites anecdotes qu'elle racontait régulièrement. C'était le genre de choses qui plaisaient énormément au professeur de biologie.
Il rit de nouveau quand elle commenta le temps que lui prenait sa planification, par rapport à ses projets à elle. Il secoua légèrement la tête de gauche à droite.

-Ca c'est certain.

Il détourna le regard, son café refroissant dans ses mains, pour réfléchir à sa question.

-Et bien, je suis en train d'essayer de bouturer une espèce de plante sur laquelle je ne m'étais jamais essayé avant, ce n'est pas facile. J'ai peur que mes bébés plantes ne prennent pas...

Il esquissa un sourire, comprenant bien que ses considérations devaient sembler bien obscur pour des gens ne s'y connaissant pas tellement en plantes.

-Sinon, rien en particulier. Je suis toujours assidument mes élèves, j'essaye de leur trouver des stages quand ils en ont besoin...

Cela faisait plaisir à Selma l’enthousiasme de son ami pour son nouveau livre et pour les autres qu’elle pourrait écrire. Parfois elle doute que le sujet intéresse vraiment ou d’avoir des choses pertinentes à dire. Elle se demande si elle est la seule passionnée par le fait de marcher pendant des heures au milieu des montagnes, parfois sans croiser personne pendant des jours. A en croire le succès de certains autres livres du genre et les gens qu’elle peut croiser dans les points de ravitaillement de ses treks, elle n’est clairement pas la seule. Quand à écrire une autobiographie, raconter ses aventures à pied, les galères, les joies, ça lui plairait bien mais si elle veut faire une biographie complète, certains sujets plus personnels et plus sombres devraient être abordés. Elle ne se sent pas prête à parler de la raison qui a fait qu’elle a fini par arrêter les grands reportages ou de sa séparation douloureuse d’avec León qui est encore bien présente. « Tu risques d’attendre longtemps, j’espère que tu as d’autres livres à lire en attendant. » le taquine-t-elle. Elle sourit quand Noam lui explique qu’il tente de bouturer deux nouvelles espèces mais qu’il n’est pas sûr que ça prenne. « J’imagine que ça demande pas mal de patience de devoir attendre en se disant en ne pouvant rien faire. » Et le sentiment d’impuissance, Selma déteste ça, tout ce qui demande d’attendre et d’être patient sans rien faire, ce n’est clairement pas ce qui lui convient. Le bouturage aurait davantage tendance à la frustrer qu’autre chose, à devoir patienter plusieurs semaines ou mois avant que les choses ne prennent vraiment. « Tu es vraiment un professeur exemplaire ! » A sa place elle ne serait sans doute pas aussi bienveillante, raison pour laquelle elle n’est pas prof. « Tout ça pour qu’ils finissent par se faire torturer par un tuteur dans mon genre. » ajoute-t-elle en riant. Elle n’est pas tyrannique mais exigeante avec les personnes qu’elle prend en stage, elle les prévient toujours avant pour qu’ils sachent à quoi s’attendre. Elle leur donne énormément de conseils mais est souvent avare de compliments. Heureusement aucun élève de Noam ne risque de tomber avec elle, leurs domaines étant relativement éloignés.

Il esquissa un sourire, hochant lentement la tête.

-Pour cette petite pépite, j'attendrais le temps qu'il faudra ! Je pourrais être béta-testeur quand même ?

Avoir le privilège de lire son autobiographie en avant première, ce serait incroyable. Noam se rêve déjà en petit privilégié de l'autrice-journaliste-aventurière.

-Et oui, c'est un peu la magie des plantes. La patience. Et la chance, aussi. C'est ce qui fait leur charme, enfin, à mes yeux.

Et puis elles étaient indéniablement calmes ! Enfin, ce n'était pas qu'il ne supportait pas les animaux, il avait une petite chienne d'ailleurs. Mais c'était vraiment différent. Il ne pourrait pas se permettre d'avoir autant de chiens que de plantes, ce serait un refuge à ce stade.

Il eut un léger rire avant de hausser les épaules quand elle le qualifia de professeur exemplaire. Il faisait son possible pour ses élèves, c'était certain, mais exemplaire, il ne savait pas s'il se qualifierait ainsi. Ses collègues en faisaient-ils moins que lui ?

-N'exagérons rien.

Il secoua la tête avec un sourire amusé. Elle, une horrible tutrice ? Il ne l'imaginait pas ainsi une seconde.

-Tu les bouscules un peu, c'est tout !

Il y avait sûrement de bien plus mauvais tuteurs de stage que Selma et ça... On ne pouvait rien y faire. Certains avaient trop de travail pour s'occuper convenablement de leur stagiaire, d'autre leur refilait simplement le sale boulot, et d'autres ne savaient pas du tout se mettre à leur porté.

Dans ses livres, Selma livre parfois des parties plus personnelles d’elle, des anecdotes sur sa vie, sur ses rencontres mais rien qui ne pourrait ressembler à une auto-biographie. Elle préfère refouler les douleurs de sa vie plutôt que les exprimer, gérant elle-même les choses qui ont pu lui arriver même si cela consiste globalement à tenter de les ignorer au maximum, se persuadant que ça ne l’affecte pas tant que ça. « Tu seras peut-être déjà à la retraite si ça arrive un jour. Et tu pourras le lire en avant première si tu n’as rien de mieux à faire pour t’occuper. » répond-elle en souriant. Peut-être que dans vingt ans sa vie sera suffisamment apaisée pour qu’elle puisse jeter un regard sans trop de douleur sur son passé. Noam est bien différent d’elle sur certain aspects, notamment sa patience avec les plantes. La jeune femme possède un jardin plutôt fourni, étant habitué à marcher dans des paysages verdoyants, elle ne s’imagine pas avoir une pelouse rasée comme jardin, mais elle les laisse pour la plupart faire leur vie et ne met pas trop d’attentes dans ses plantes, ne se sentant pas la patience de pleinement s’occuper d’elles. « Pour les gens qui ont suffisamment de patience, ça doit être apaisant. » Mais elle ne fait pas partie de ces gens-là. Tout comme elle juge Noam comme étant un professeur exemplaire tandis qu’avec les étudiants elle se retrouve davantage dans celui de la tutrice exigeante et stricte. « Oui c’est ça, certains me remercient au final et d’autres beaucoup moins. » C’est quitte ou double parfois. « Mais ils sont toujours prévenus de ce qui les attend. » Elle n’est pas si tyrannique mais il peut arriver que certains étudiants s’imaginent que le stage sera comme des vacances ou qu’ils peuvent se reposer sur leurs acquis.

Noam esquissa un sourire quand elle parla de retraite et se surprit, pendant quelques instants, à imaginer ce qu'il ferait à la retraite. Passerait-il son temps à lire, confortablement installé dans son fauteuil, dans une maison toujours plus remplie de plantes ? Sa petite chienne sera-t-elle toujours là pour prendre place sur ses genoux ? Sera-t-il toujours... seul ? Ses réflexions lui donnèrent le vertige et il secoua rapidement la tête de droite à gauche pour s'en débarrasser.

-Je suis certain que je trouverais facilement du temps pour ça oui !

Apaisant ? Noam dodelina légèrement de la tête en y réfléchissant. Oui, maintenant qu'il y pensait, c'était sûrement aussi un peu pour ça qu'il les aimait tant. Il sourit de nouveau.

-C'est vrai. Peut-être devrais-je inviter les gens stressés chez moi alors, faire des cures. Tu devrais passer !

Le professeur n'était pas vraiment surpris par les mots de Selma. Elle avait du caractère, même s'il l'appréciait énormément. Il ne l'imaginais pas une seconde comme quelqu'un d'horrible, mais exigeante, oui, évidemment.

-La prochaine fois, je leur expliquais personnellement comment il faut te prendre pour s'attirer tes bonnes grâces !

La jeune femme n’imagine pas sa retraite comme quelque chose de très paisible. Elle ne se voit pas rester chez elle toute la journée. Elle continuera sûrement à voyager, à faire des randonnées, sans doute moins exigeantes au fil du temps, quand son corps lui fera comprendre qu’elle doit baisser le rythme si elle ne veut pas rester coincée chez elle à cause d’un problème de santé. Elle continuera aussi probablement d’écrire, elle se mettra peut-être aux romans, aux fictions, toujours axées sur le voyage. Les possibilités sont multiples surtout qu’elle a tendance à se découvrir une nouvelle passion chaque semaine, n’ayant pour constance que la marche à pied et le voyage. Selma ne doute pas que son ami trouvera du temps dans ses vieux jours pour lire, elle l’imagine davantage passer du temps chez lui à lire, à éventuellement prendre soin d’un jardin ou de tout un tas de plantes, un quotidien bien plus paisible que celui qu’elle s’imagine pour elle. Justement le professeur lui proposa de passer chez lui pour prendre soin de ses plantes, histoire de la détendre un peu. Elle en aurait bien besoin, elle qui vit toujours à mille à l’heure, qui a besoin de bouger pour se sentir bien et dont le stress fait parti du quotidien. Il s’envole souvent grâce aux randonnées, quand elle marche seule dans la nature, elle se sent bien plus calme que lorsqu’elle est chez elle à Bowen. « Oui, ça peut être une idée. Mais je pense vraiment que les plantes ont quelque chose, quand je suis dans la nature, je me sens toujours mieux qu’à l’intérieur ou entourée de monde. » expliqua-t-elle avant d’évoquer son sale caractère de tutrice de stage pas forcément toujours tendre, mais toujours juste. « Et tu leur dirais quoi ? » demanda-t-elle, curieuse. Pour s’attirer la sympathie de Selma en temps que stagiaire, il faut surtout, selon elle, rester humble et accepter la critique. Ce qui l’énerve sans doute le plus, ce sont les étudiants un peu trop ambitieux qui s’imaginent décrocher un pulitzer dans l’année alors qu’ils ne sont encore qu’étudiants et qu’ils n’ont écrit aucun article ambitieux.

Noam prit un instant pour réfléchir à ses mots. Elle se sentait mieux dans la nature. Était-ce vraiment les plantes en tant que tel qui l'apaisait ? Ou bien le grand air ? Le fait de marcher même ? Noam avait une connexion particulière avec ses plantes, mais bien parce que c'était les siennes. Evidemment, il était toujours très enthousiaste à l'idée d'en voir en se baladant. D'en croiser de nouvelles. Mais est-ce que ça avait sur lui cet effet apaisant ?

-Ce n'est pas plutôt parce que tu es dans ton élément quand tu marches en pleine nature ?

Il esquissa un sourire mesquin.

-Et parce que tu n'aimes pas tellement les gens ?

Il eut un léger rire à sa propre question, taquin.

Après tout, il pouvait facilement comprendre ça, le sentiment de liberté quand on était seul à l'extérieur, et l'oppression quand on était dans la foule. La peur, même.

Un petit sourire en coin naquit sur le bord de ses lèvres à sa question. Comment amadouer Selma ? Evidemment, il ne pouvait pas vraiment se mettre à la place des étudiants, mais il pourrait quand même leur donner quelques pistes.

-Commence pas aller lui chercher son café préféré ! Et puis, n'oubliez pas quelques chocolats.

Il lui tira gentiment à l'heure.

-Soyez bien ponctuels et notez bien ce qu'elle vous dit, parce qu'elle risque de ne pas répéter ! Et n'oubliez pas d'être dans une forme physique impeccable pour pouvoir la suivre au pas de course partout.

Même si la réflexion de Noam se veut humoristique, il ne tape pas loin de la vérité. Les plantes présentes dans la nature font partie d'un tout, formant un paysage que Selma peut admirer durant ses longues randonnées. Il n'y a pas que la végétation, il y a aussi les montagnes, les déserts parfois et le calme. Si elle est tout de même sociable, la solitude n'est pas quelque chose qui dérange la journaliste. Randonner des jours seule en pleine nature ne lui pose pas de problèmes mais elle n'est jamais contre un ou une partenaire de route. Sur certaines expéditions plutôt courtes, il lui arrive de partir accompagnée mais sur les trajets plus longs, de plusieurs mois pour certains, trouver quelqu'un avec qui partir n'est pas chose aisée. Autrefois elle partait parfois avec son mari mais cela fait des années qu'ils n'ont plus fait de voyage ensemble. « Tu m'as percé à jour. » Répond-elle en riant. « Toi tu n'as jamais eu envie de partir plusieurs jours en pleine nature, voir des plantes qui ne sont pas en pots chez toi ? » Elle essaie souvent d'influencer son entourage pour les emmener vers la randonnée, certains finissent par s'y tenter. Parler trek et pleine nature pourrait être une option pour l'amadouer mais le café fonctionne aussi. Les recommandations de Noam sont plutôt exactes. « S'ils respectent tout ça, tout devrait bien se passer. Je peux même faire une concession sur le chocolat s'il y a besoin. » Dit-elle en riant. « Tu pourrais faire passer les entretiens à ma place en fait. »

La question de Selma n'est pas stupide, loin de là. Et il prend le temps d'une vraie réflexion - courte réflexion certes- autour de ça. Il jeta un coup d'œil par la fenêtre pour admirer le ciel avant de reporter son attention sur la journaliste écrivaine.

-Si, ce genre d'activité est plutôt tentante à vrai dire. Mais plusieurs jours seul... Honnêtement, je crois que je suis un peu trop stressé pour ça.

S'il se faisait mordre par un animal venimeux ? Attaqué par une bête sauvage ? Surtout dans un endroit comme l'Australie... Il ne donnait pas cher de ses chances de survie ! Il avait au moins la qualité d'être réaliste.

Selma semble approuver les idées de Noam concernant les qualités obligatoires de ses stagiaires. Il prit un air sûr de lui à sa suggestion.

-Mais madame, je suis un recruteur né, laissez-moi faire.

Il finit par éclater de rire et haussa légèrement les épaules.

-Je commence à te connaître. Mais s'il y avait un choix à faire parmi mes élèves, je pourrais t'aider à choisir le bon sans problèmes. Ce serait dommage qu'un stage se passe mal, et pour toi, et pour eux.