Friends are allowed to make mistakes and change their minds ft. Conchobáhr Rosenbach

Je lâchai une petite grimace - pas avec la langue comme un enfant de trois ans, juste une petite mimique de genre “ha ha, très drôle” - à Theodore quand il voulut que je félicite Pippa de me supporter. Un regard amusé plus tard, je passais à autre chose. C’était juste rassurant, en fait, que mon ami d’enfance recommande à me glisser des petites piques du genre, inoffensives. Ça voulait peut-être dire qu’on arriverait à mettre Chamonix derrière nous, finalement. Peut-être pas d’un seul coup. Mais pas à pas. En tout cas c’était pas un gars qui me détestait qui venait de me demander de le sortir d’ici pour aller voir la compétition de natation de sa fille. Même si je voulais l’aider, je demeurai un peu sur mes gardes, je n’avais pas trop l’impression que ce qu’il me demandait était réglementaire. Il fallait au moins qu’il avertisse quelqu’un qu’il quittait, non ? Qu’il ne voulait plus de soins ? Mais alors est-ce qu’il pourrait ensuite retrouver sa chambre ou bien on s’empresserait de la donner à un-e autre patient-e ? Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête, et voyant cette dernière, Theodore me souffla de ne pas m’inquiéter de tout ça. Tant que je n’étais pas tenu responsable. « Et mon avocat, au besoin. » Ajoutais-je, avec un sourire amusé parce que bon, clairement je n’allais pas avoir besoin d’un avocat juste pour avoir poussé un ami en fauteuil roulant à travers la ville alors qu’il devait être hospitalisé. Enfin, je l’espérais. Je me décidai donc à le suivre dans cette folie et je le transférai de la chaise au fauteuil roulant. Une fois cela fait - absolument pas naturellement, j’avais rushé sur ma technique -, Theodore me tapota le dos et me remercia. Je souris, derrière son oreille. « C’est rien. » Je me relevai, reprenant un air neutre, qui ne dura pas bien longtemps avec la prochaine blague du magicien. « Je vais emmener ce secret dans ma tombe. Elle serait beaucoup trop jalouse. Elle sait qu’entre vous deux mon coeur balance depuis qu’on était ados. » N’importe quoi. Theodore reprit son téléphone et quelques trucs à boire et à manger pour la route. Ça me fit rire. « Ça va, l’écureuil ? T’as toutes tes provisions ? » Il était prêt, qu’il me disait, et sa voix était tellement enjouée que j’étais finalement convaincu d’être en train de faire la bonne chose. Je le poussai hors de l’hôpital et hochai la tête quand il me lança que c’était à la Bowen Swimming Pool. « Y’en a pas cinquante six mille non plus. » Le narguais-je. À moins que sa fille faisait de la compétition extrême en nageant dans les glissades d’eaux du Bowen Waterpark. « Tu veux qu’on arrête lui acheter un truc en chemin pour la féliciter ? » Proposais-je.

Theodore n’était pas du genre rancunier, dans le sens où il préparait longuement une vengeance à l’encontre de ceux qui lui ont fait du mal. La preuve, il n’avait même pas porté plainte contre ceux qui l'avaient mis dans ce fauteuil, pourtant, il était quasiment certain de connaître leur noms pour avoir joué avec eux au poker une bonne partie de la soirée avant qu’ils ne se vengent justement… Ses proches ne comprennent pas pourquoi il ne les dénonçait pas, comme s’il les avait pardonnés. Ce n’était pas le cas, il ne pardonnera jamais ce qu’ils lui ont fait, mais une part de lui refuse de se faire justice. Il a toujours été comme ça, comme il en a jamais voulu à son père de l’abandonner en passant l’arme à gauche. Ne pas entretenir sa haine, c’était sa manière à lui d’oublier tout simplement.

Oublier les gens, c’était quelque chose qu’il faisait depuis, pour que personne ne lui manque, c’était comme ça qu’il avait pu quitter Bowen sans regret durant quinze longues années. En vouloir aux autres, c’est leur donner trop de crédit, rendre la peine ressentie bien trop réelle. Il ne pardonnait pas, il enfouissait et il n’avait pas l’intention, d’un jour, de déterrer toutes ces choses, toutes ces émotions vivaces bien cachées. Concernant Concho, c’était un peu la même chose, mis à part qu’il mettait seulement sous le tapis ce qu’il s’était passé à Chamonix et acceptait curieusement de tourner la page, peut-être parce qu’il était actuellement vulnérable… Ou tout simplement qu’une part de lui pardonne miraculeusement son ami d’enfance. Une chose certaine, ce n’était pas lui qui parlera de l’incident de Chamonix, il n’avait aucune envie de revivre ces émotions de ce jour-là, aucune.

“ Moi j’en ai bien conscience, mais elle c’est moins sûr… “ Répondit-il sur le même ton sérieux avant de sourire à son tour. Ils avaient partagé un amour strictement fraternel et c’était très bien comme ça aux yeux de Teddy, bien qu’il avait deux frères de sang, Concho avait été le seul à se comporter comme tel avec lui. “ Oui je pense que j’ai tout ce qu’il me faut ! “ Il ne voulait pas infliger un malaise à Concho qui prenait déjà une grosse responsabilité à l’instant et il n’avait aucune envie de faire le retour en ambulance.

Ils sortirent de la chambre sans trop croiser personne, dans l'ascenseur idem, plus tard dans le hall si, mais personne ne semblait remarquer qu’il n’était pas censé sortir sans autorisation médicale. Une fois les portes franchies, c’était si agréable. Il levait le regard vers le ciel automnal et sentait enfin l’odeur soufrée et iodée de l’océan.

Theodore fut tiré de ses songeries par la question de Concho, il tourna la tête pour essayer de le voir, mais son échine douloureuse ne lui permettait pas une rotation suffisante pour ce faire, alors il laissa tomber pour regarder à nouveau devant lui “ Je n’y ai pas pensé… “ Preuve qu’il était réellement un papa débutant… “ Quel genre de truc on achète pour ce genre d’événement ? “ Il se sentait un peu pris de court, mais il ne voulait pas décevoir Jenny en venant les mains vides. Comme Jenny était grande déjà, elle lui avait toujours verbalisé les cadeaux qu’elle souhaitait, il n’avait jamais encore dû faire le pari de lui offrir quelque chose sans la concerter. “ Il faut que ça ait un lien avec la natation je suppose ? “ Il se disait qu’elle avait déjà probablement tout ce qu’il faut en la matière, alors il paraissait que la tâche allait être plus difficile que prévu. Alors qu’ils avançaient, Theodore percuta le chemin pourtant logique, qu’ils étaient en train de prendre “ Concho ! Ne passons pas devant le bar de mon frère ! Si j’peux payer ton avocat je ne suis pas en capacité physique de nous protéger contre lui, et ça c’était même le cas avant que je sois en bouillie. S’il nous voit, il va nous massacrer ! “ Theo ne put s'empêcher de rire à imaginer la tête de Thomas s’ils les voyait passer devant le bar le plus naturellement au monde, pour sûr, ce serait la fin de cette excursion. Combien de fois dans leur enfance, Concho et lui avaient dû esquiver Thomas qui jouait sans cesse le rôle du papa dans sa vie ? On dirait que vraiment, certaines choses ne changent jamais !

J’aurais aimé avoir cette mentalité-là, cette force, ce courage, de ne pas en vouloir aux autres. De pouvoir oublier, aussi, ça aurait pu me servir à certains moments de ma vie. Sans être habité d’un esprit de vengeance, j’étais tout de même loin d’avoir le lâcher-prise de Theodore. J’essayais certes d’enterrer ma haine mais elle ne voulait pas rester six pieds sous terre, la mienne, non trop souvent je la recrachais, souvent dans le dos de ceux à qui j’en voulais, incapable de leur tenir tête réellement. Il y avait eu une fois, juste une fois, récemment en plus, où j’avais réussi à tenir tête à Léo Emerson, l’un de ceux que je ne portais pas dans mon coeur depuis plus de quinze ans maintenant. Léo Emerson et Woody Rutkowski, mes deux bourreaux du lycée. Dernièrement j’avais pu foutre mon poing dans la gueule du photographe et j’avais réussi à le knock out, ce qui m’avait quand même fait un peu de bien, je devais l’admettre maintenant, avec du recul. J’étais cependant loin de m’imaginer que dans quelques semaines, ce serait au tour de Woody de me mettre k.o., et que je me retrouverais dans cet hôpital à mon tour. Bien loin de m’imaginer, aussi, que ce ne serait même pas volontaire de sa part.

Les blagues sur notre amour caché terminées et les provisions faites, je commençai à pousser le fauteuil roulant de Theodore hors de sa chambre, jetant des coups d’oeil inquiets autour de moi, ce qui me mettait encore plus une cible sur le dos. J’étais tout sauf subtil. On réussit tout de même à franchir les grandes portes coulissantes de l’entrée principale de l’hôpital, nous retrouvant sur le trottoir. Theodore m’indiqua l’endroit où me diriger même si je l’avais pas mal deviné par moi-même. Je lui demandai alors s’il désirait qu’on arrête dans une boutique quelconque pour acheter un cadeau de félicitations à sa fille, Jenny. « Euh … Je ne sais pas si ça doit avoir un lien avec la natation. J’aurais pensé à des fleurs, mais si tu veux rester dans le thème, je sais pas … Y’existe peut-être des bijoux qui ont un lien avec l’eau ? Genre des formes de vague ou j’sais pas ? » Proposais-je, pas trop certain de mon idée, surtout parce qu’il fallait le trouver, ce truc bien précis. Et nous n’étions déjà pas trop en avance.

Je prenais le chemin le plus rapide et qui nous faisait quand même passer devant quelques magasins, mais Theodore m’arrêta en me demandant de ne pas passer devant le bar de son frère. « Merde, t’as raison … Ben, je vais juste faire le petit détour du quadrilatère, ça devrait le faire non ? » Bon, peut-être deux-trois coins de rue de plus avant de revenir sur la rue commerçante, au cas où Thomas regarde de biais à travers la vitre du bar ou alors qu’il soit sorti sur le trottoir pour je-ne-sais-quelle-raison. « J’ai l’impression qu’on est back in the days quand on rentrait par la fenêtre de ta chambre juste pour pas que Thomas sache qu’on rentrait tard. » Je ris, empruntant une rue moins passante et surtout, celle qui nous permettrait de ne pas passer devant le bar du frère de Theo.

Theo avait encore beaucoup à apprendre sur la vie de parents et moult réflexes à acquérir pour diverses situations et circonstances concernant Jenny. Cela lui demandera du temps, c’est difficile de prendre le train en marche. D’autant plus quand on n’est pas, de base, une personne particulièrement habile dans les relations humaines. “ Hm… Des fleurs ça a l’air bien finalement. “ L’histoire du bijou lui semble compliquée à réaliser. Le brun pensait que leur situation était assez complexe comme ça. Ils avaient plus de chance d’arriver en retard en cherchant trop longtemps un bijoutier qui vendrait quelque chose qui puisse plaire à sa fille et en raccord avec la natation.

Le brun était heureux d’être dehors, vraiment. Même s’il se sentait pas vraiment confortable avec le fait d’être en fauteuil roulant, d’être vu de manière qu’il jugeait insignifiante. Pourtant, il n’avait jamais songé cela d’un handicapé, mais à présent qu’il était dans cette situation, il se rendait compte que c’était avant tout les personnes vulnérables qui se sentaient mal dans leur peau et qui se jugeaient elles-même de manière impitoyable.

“ Oui ça devrait le faire ! “ Le plan de Concho pour éviter le bar des Kelly était clairement la meilleure chose à faire. Il imaginait déjà les deux hommes s’enfuir avec Thomas à leur poursuite en hurlant que ça va mal se passer. Une image du passé pour tout dire… Lorsqu’ils étaient gamins, Thomas était continuellement sur leur dos ! Tout ça parce que celui-ci c’était missionné de remplacer leur père. Theo dans ce terrible accident de la vie avait perdu son père et son frère. Les liens étaient encore compliqués à ce jour même si Theodore tendait à accepter le comportement de son frère, se révélant chaque jour un peu plus empathique envers autrui. Le magicien se métamorphose à Bowen. “ Je me faisais la même réflexion, franchement, il était insupportable ! “ Il marque une courte pose avant d’ajouter “ J’crois qu’on l'était aussi à notre manière. “ Plus Thomas lui interdisait des choses, plus il les faisait. C’était probablement parce qu’il était têtu comme ça qu’il avait fait carrière dans la magie, pour prouver à tous ceux qui disaient que ce n’était pas un métier, qu’il pouvait mieux faire, qu’il pouvait exploiter son potentiel.

Les deux compères s’arrêtèrent en chemin dans une boutique de fleurs et Theodore reparti chargé d’un bouquet de myosotis bleues et d'hortensia blanches. Direction donc la piscine, ce fut un trajet sans encombre, mis à part quelques regards insistant sur sa personne qu’il tentait d’ignorer, il le prenait mal, alors qu’en temps normal, les gens qui le reconnaissent le regardaient déjà de cette manière. Il allait peiner à changer de regard sur lui, il s’en rendit compte que maintenant, dans le cocon de l’hopital tout le monde est dans cet univers d’estropiés, mais dehors les choses diffèrent cruellement.

Une fois arrivé, en place, Theodore commençait à ressentir un certain stress qu’il ne connaissait qu’en présence de Jenny. La question qui prédominant était le doute, celui qu’elle puisse avoir honte de lui, dans cet état. Alors avant que les nageurs n’arrivent, il leva le regard vers Concho et lui demanda, l’air de rien… “ Merci de m’avoir trainé jusque là au risque de finir en prison ! Tu crois qu’elle va être contente de me voir débarquer comme ça, ici ? “ Dommage qu’il soit interdit de manger dans cet endroit, parce qu’il aurait bien pris un peu de carburant, s’endormir devant la compétition de sa fille c’était clairement exclu. “ T’es pas prêt de revenir me voir si j’te monopolise comme ça pendant des heures à chaque fois ! “ Plaisantait-il pour noyer le poisson. Il se demandait s’il n’avait pas fait preuve d'égoïsme, bien que Concho aurait pu refuser, Theodore n’était pas en mesure de lui forcer la main en quoi que ce soit. Leur petit secret n’allait de toutes manières pas durer, lorsqu’il félicitera Jenny. Il était prêt à parier que sa mère était dans le coin, une vraie mamie poule et elle risquait d’être véritablement en colère après lui et Concho risquait aussi de se faire engueuler. Si le magicien avait promis de protéger son ami d’enfance face aux flics, il n’avait rien promis concernant sa mère…

Des fleurs ça me semblait le meilleur choix dans les circonstances, ouais. Et puis, c’était un classique. Après les spectacles de danse des jeunes qui fréquentaient mon organisme, c’était pas mal le cadeau par excellence quand ils retrouveraient leurs proches. Je me disais qu’après une compétition de natation ce devait être similaire. « Parfait. Alors, des fleurs … » Je réfléchis un moment, pensant aux chemins qu’on pouvait prendre pour s’y rendre et aux commerces qu’on y croiserait. « Ouais, si j’passe par Powell, on pourra aller sur George Street ensuite, y’a Fiorella Florals pas loin. Ce ne sera pas un très long détour. » Il ne fallait pas ! Puisqu’on était déjà pas très en avance. Avant de songer à ce détour-là par contre, il fallait en prévoir un autre : celui qui nous éviterait de passer devant le bar de Thomas, le frère de Theodore. Je comprenais qu’il ne souhaite pas être vu de celui-ci alors sans rouspéter, je tournai le coin de la rue pour nous éloigner de la rue principale. Ça nous rapprochait de toute façon de la rue du fleuriste alors ce n’était pas du temps perdu. Puis j’avoue que je n’avais pas forcément envie, moi non plus, d’être repéré par Thomas. Il nous en avait fait baver, dans notre jeunesse. Il surveillait tous nos faits et gestes, comme s’il était le patron de notre vie. Je n’avais jamais trop compris pourquoi, avant. Aujourd’hui je comprenais qu’il avait pris sur lui le rôle du père de famille, qu’il avait sûrement vieilli avant ses frères, vieilli avant son âge, pour remplacer la perte de leur père. C’était triste, à quelque part. Triste aussi que l’effet que ça avait eu, était de creuser un fossé entre Theo et lui. « Ben clairement. Plus il insistait, moins on voulait écouter. J’pense qu’on a fait des trucs qu’on ne voulait même pas faire, toi et moi, juste pour faire chier Thomas. » Dis-je en riant. Nous n’étions pas des êtres trop trop turbulents, généralement, mais quand il s’agissait de désobéir à Thomas, alors là on devenait de vraies crapules. Je m’arrêtai devant le Fiorella Florals et je réalisai qu’il n’y avait pas de porte automatique pour les personnes en situation de handicap. Super. On s’arrangea pour rentrer quand même, avec Theodore qui tenait la porte pendant que je poussais. Une fois à l’intérieur, je constatai que l’espace entre les rangées de tables de fleurs, n’était pas très adéquat non plus pour un fauteuil roulant. Super. L’accessibilité universelle c’était pas encore partout hein. Theodore réussit tout de même sa mission, et on ressortit avec un bouquet bleu et blanc. Ça faisait “piscine”, “eau”. C’était parfait. Je nous remis en marche, direction la piscine. Une fois arrivé au complexe aquatique, je plaçai Theodore à côté de la première rangée de bancs de l’estrade, et je m’assis juste à côté. Les nageurs étaient encore dans les vestiaires, nous étions donc pile à l’heure. « J’ai toujours voulu passer une nuit derrière les barreaux de toute façon. » Blaguais-je. « Bien sûr qu’elle sera contente. Elle va avoir toute une surprise. » En tout cas à la place de la petite, j’aurais été content. Mes parents avaient souvent raté mes compétitions de danse, à l’époque. Mon père, toutes, en fait. Et ma mère, ça dépendait de son état. J’aurais aimé avoir la surprise de les voir dans la salle, quand je ne les attendais plus. « Mais non arrête, en vrai ça me fait plaisir cet après-midi, j’ai l’impression de rajeunir un peu, à prendre des décisions pareilles sur un coup de tête. Et puis, ce sera cool d’encourager Jenny. » Dis-je pour rassurer Theodore. Je ne perdais absolument pas mon temps, là.

Cette balade était teintée d’une grande légèreté, Theodore se sentait apaisé, dehors. Il sentait le soleil sur sa peau, l’air marin s'engouffrer dans ses poumons, il entendait les bruits de la ville, les gens qui menaient leurs petites vies et c’était une joie inexplicable de seulement graviter parmi eux. Cette séparation avec la société avait été brutale, il ne savait pas de quelle manière il allait surmonter tout ça, y retrouver sa place. Il avait déjà eu toutes les difficultés du monde à retourner dans cette ville qu’il avait quitté durant quinze ans, il se voyait confronté à une nouvelle difficulté alors que sa vie était censée prendre un tournant plus paisible. Il avait perdu beaucoup… Sa santé, son autonomie, beaucoup d’argent, du temps, la confiance de ses proches et la femme qu’il aimait. Dur en encaissé. Alors le retour d’un ami dans sa vie, il ne pouvait pas s’offrir le luxe de refuser, pire, il n’avait pas envie de lui en vouloir plus longtemps. Il avait juste envie d’avancer… De tourner la page. Pas particulièrement envers Concho, en général, pour chaque chose. C’était un bon début.

Ils esquivèrent donc le bar de Thomas se remémorant le passé. Theodore ne pouvait qu'approuver que le comportement de son frère les avait poussés à faire bien plus de conneries que prévues. C’était de bonne humeur qu’ils font une rapide emplette chez le fleuriste, malgré les difficultés d’accès.

Une fois à destination, ne restait qu’à attendre les nageurs. Il sourit amusé à la blague de Concho, avant d’éprouver une forme douceur à l’intérieur lorsqu’il fut réconforté par celui-ci. Elle sera contente de la voir. C’était tout ce qui importait pour lui. L'illusionniste posa son regard sur son acolyte qui affirmait ne pas se trouver là sous la contrainte. “ Tu sais… J’me rendais pas compte de la peine que je causais aux gens, en général… J’me rendais pas compte non plus que j’avais de la peine à chaque fois que j’partais ailleurs, que les gens me manquaient… J’n’ai plus jamais eu d’amitié comme j’en ai connu avec toi. “ Il ne doutait pas que ce n’était pas le cas pour Concho, il l'espérait de tout coeur, parce que c’était triste, pathétique même. Theodore avait mené une vie plutôt solitaire, dans son petit monde quoi. Seul avec du monde autour. Devenir père, ça l’avait obligé de sortir de sa bulle, de s'intéresser aux autres, redécouvrir ses émotions. “ Bref… J’suis désolé. “ vaut mieux tard que jamais pour des excuses sincères, non ? Et là, c’était un peu trop d’émotions, alors dans le doute que ce soit une hypoglycémie : “ Tu peux m’passer un soda ? J’espère que j’vais pas avoir envie de pisser après tout ça par contre…  “ Il lui glisse un regard rieur, grand dieu il préférait mourir d’explosion de vessie plutôt que de se faire accompagner aux wc par Concho, il y avait clairement des limites à ce qu’il était psychologiquement capable d’accepter !

Je ne m’attendais certainement pas à ce que la discussion prenne cette tournure. Certes, depuis le début de notre journée ensemble, l’ambiance était légère, presque bon enfant. On se remémorait de vieux souvenirs, on en riait, on se baladait simplement sous le soleil. Aucune prise de tête, ni sur le départ soudain de Theodore ni sur notre dispute à Chamonix. Aucun retour là-dessus. Comme si, sans se le dire directement, nous étions tous les deux prêts à passer l’éponge sur tout ça et à tourner la page. Ça faisait du bien, quand même, de se dire que c’était derrière nous. Je n’avais jamais été un gars de querelles, hormis par rapport à Woody et à Léo qui avaient carrément gâché mon adolescence. Et peut-être par rapport à Ally aussi qui me menait pas mal la vie dure même après des années de séparation, même avec toute cette distance. Bon, ok … Peut-être que je ne fuyais pas autant le conflit que ce que j’aurais souhaité. Dans tous les cas, j’appréciais les mots que me lançait Theodore cet après-midi. Je préférais aller de l’avant plutôt que de regarder en arrière, et peut-être que de mettre toutes les choses à plat était la meilleure manière de réellement tourner la tête vers l’avenir. Un sourire à la fois triste et touché se dessina sur mes lèvres quand il parla d’une amitié comme la nôtre, qu’il n’avait jamais retrouvée ensuite. « T’as été mon seul véritable ami pendant longtemps, Theo. Même quand personne voulait trop traîner avec moi, toi t’étais là. Tu t’en fichais de ce que les gens pensaient ou disaient, t’écoutais que toi. Et j’ai été chanceux que tu te dises à toi-même que j’en valais le coup. J’ai été très chanceux de t’avoir pendant ces années-là. » J’haussai les épaules. « Alors j’aurais pas dû t’en vouloir autant de voler de tes propres ailes et de faire des choix pour toi, dans ta vie. Tu m’avais déjà donné beaucoup. » Cela dit, il est vrai qu’il aurait pu me donner un peu plus de nouvelles, le con. J’acceptais donc ses excuses, à travers mes paroles. Puisque ça devenait pas mal émotif, en ce moment, Theodore me demanda de lui passer un soda. J’opinai avec un sourire, me tournant vers mon sac pour en extirper une canette que je lui tendis. « Oh, tu sais, c’est rien que je n’aie jamais vu. » Je ris. Bon, entre l’entrevoir quand on était ados et la tenir à l’âge adulte pendant que lui pissait, il y avait quand même un large écart.

Theodore n’était pas doué pour les effusions émotionnelles, mais il voulait sincèrement que Concho sache à quel point il a été important dans sa vie. Il était celui qui lui avait permis un jour de connaître la véritable amitié et ce n’était pas rien à ses yeux. Bien sûr qu’il n’était pas seul, il avait des amis, sa famille et un réseau énorme de connaissances. Mais un ami comme Concho, un confident, il n’avait plus connu ça. Il craignait bien trop d’être déçu par les gens, et souvent, ils lui donnaient raison. Il était loin de penser qu’il apprendrait à nouveau à faire confiance, dans les mois qui suivront, le chemin allait encore être long. Il décida de ne rien ajouter, parce qu’ils pourraient polémiquer longtemps sur ce qui aurait dû être fait. Theodore voulait seulement apprécier l’idée d’envisager qu’il était possible de simplement passer à autre chose. Dommage qu’il ait dû finir en compote pour que cela arrive, mais au moins il y avait un peu de positif à sa situation, non ?

Il riait également lorsqu’il évoquait une possible envie d’aller aux toilettes s’il buvait trop de soda. C’est que cette sortie le fatiguait bien plus qu’il ne l'avouera, mais il était hors de question pour lui de faire marche arrière. “ Ça va commencer je crois. “ dit-il en se redressant un peu dans son fauteuil,  pour voir les nageurs arriver sur le bord de la piscine. Il sentit ses joues rougir un peu, honteux de ne pas reconnaître Jenny avec leurs bonnets de bain. Il scrutait du regard les enfants, jusqu’à ce que sa fille ouvre la bouche pour se plaindre de l’odeur de la piscine, il la reconnut enfin sans peine sa voix et sourit amusé. “ Toujours en train de râler… “ Il était plus attendri qu’il ne l’avait imaginé, néanmoins, il n’ose pas trop se manifester, il ne voudrait pas la déconcentrer. C’est un peu trop lointain pour lui, les premiers fois où il faisait des spectacles de magie à Bowen, il sait seulement que sa famille espérait que ça lui passerait. Loupé. “ Dis… Si elle arrive dernière, j’suis censé lui dire quoi ? Que c’est pas grave, sans doute. “ Il n'était vraiment pas terrible comme père, il avait l’impression d’avoir beaucoup trop de retard pour le rattraper… Son accident n’arrangeait en rien la situation, il avait encore l’impression d’être toujours et encore affreusement égoïste. On ne change pas en un claquement de doigts, bien que cette fois, il se serait bien passé de finir au fauteuil. “ J’ai l’air complètement con avec ce genre de question… “ Déplorait-il alors que les nageurs se mettaient sur la ligne de départ, il commençait à ressentir un certain stress pour elle, parce qu’il a toujours été comme ça, lui. À vouloir gagner, à vouloir être le meilleur dans les domaines qui l'animent.

Sodas en main, la compétition allait commencer, m’indiqua Theodore alors qu’il se redressait dans son fauteuil. Les nageuses rentraient l’une après l’autre, sortant du vestiaire pour aller se positionner face à leur couloir. Je regardai les sportives en file, fronçant les sourcils. « Mais elles sont toutes pareilles c’est dingue. » Mêmes maillots ou presque, mêmes bonnets, mêmes lunettes de nage qui faisaient en sorte que c’était quasiment impossible de les différencier. L’une d’entre elles râla sur l’odeur de la piscine - alors que le chlore c’est la vie, comme odeur - et Theodore s’amusa du fait que sa fille était toujours en train de râler. Bon, c’était elle, du coup. Moi, je l’aurais jamais reconnue, Jenny, dans cet accoutrement pareil que tout le monde. « La pomme n’est pas tombée trop loin de l’arbre. » Dis-je avec un sourire, à propos de cette tendance à râler. Les petits soucis de dernière minute étaient en train de se régler sur le bord de la piscine. Après tout, ce n’était pas les Jeux olympiques, c’était un truc de petites municipalités. Je tournai la tête vers Theodore à sa question, réalisant que je ne savais pas plus que lui, alors que j’avais pourtant deux enfants. J’haussai les épaules en détournant le regard. Ce genre de réaction ça ne se planifiait peut-être pas, ça venait sur le moment. « Que c’est pas grave, ouais, mais que c’est normal qu’elle soit déçue, qu’elle a le droit de se sentir comme ça. Y’en aura d’autres, compétitions, et elle doit prendre ça comme une motivation à s’améliorer toujours un peu plus. » C’est ce que je m’étais moi-même répété, quand je faisais des compétitions locales de danse, il y avait à peu près dix ans de ça, à Melbourne. « Mais non pas du tout. Ça s’apprend sur le tas ce genre de choses. Et j’t’assure, j’en suis la preuve … t’as pas fini de t’en poser, des questions du genre. C’est ça, être père. » Je lui souris, avant de tourner vivement la tête vers la ligne de départ alors que le coup d’envoi s’apprêtait à être lancé. Au coup de sifflet, je ne pus m’empêcher de frapper vivement dans mes mains et de lâcher un « Wooooooooo ! » enthousiaste. Qu’est-ce que ce serait quand il s’agirait de Maxwell ou de Lara !