bright afternoon air (aisling & nora)

C’était généralement Isaiah qui cuisinait pour la famille, rôle qui ne lui déplaisait pas du tout. Il savait qu’Aisling n’aimait pas particulièrement traîner dans la cuisine alors que lui aimait beaucoup la préparation de repas. Il était donc logique qu’il s’en occupe. Aisling s’occupait d’autres choses à la maison, qui correspondaient moins aux envies (ou à la rigueur) d’Isaiah. Il s’attendait donc à la réponse de sa petite amie après la question de Nora, et il lui envoya un simple sourire sans ajouter quoi que ce soit. Il aurait pu l’imiter à son tour, prétendant au chaos dans la cuisine, mais au fond elle n’était pas si mal que ça, Aisling, quand elle s’y mettait. Elle ne foutait pas le feu. Ils discutèrent ensuite de la méthode la plus appropriée pour transmettre une recette à Nora. Le pigeon voyageur aurait été tout indiqué pour Isaiah, cependant il semblerait que ce ne soit plus une manière de faire commune. Aisling avait raison de se moquer, déjà, de l’idée des mails. Il rit à son tour, capable d’autodérision. « Pour ça il faudrait déjà que je retrouve le mot de passe de mon adresse courriel. J’ai été obligé de m’en créer une pour accéder à certains services mais je ne m’en sers pas. » Les institutions financières, les ministères, et d’autres, commençaient à instaurer des services exclusivement en ligne (même s’ils prétenderaient le contraire, même s’ils diraient que oui oui, il y aurait une personne humaine au bout de la ligne, après avoir fait quelques choix d’option digne d’un labyrinthe chiffré), alors Isaiah n’avait pas eu d’autre choix que celui de se créer une adresse mail. Pour se créer un compte, il fallait pouvoir se faire envoyer un mail de confirmation d’inscription, imaginez-vous. Avec cette méconnaissance de base des services technologiques, vous comprendrez bien qu’Isaiah et Instagram, ce n’était pas une histoire intime. « Même sans un peu d’exagération c’est déjà beaucoup. Tu as moyen de savoir combien de personnes regardent tes publications, abonnées et non abonnées confondues ? »  Heureusement que Nora avait de la patience, oui, comme le songeait Aisling. C’est qu’Isaiah n’en avait pas fini avec ses questions de débutant. Il aurait bien questionné la raison derrière le délai de vingt-quatre heures de ce que Nora appelait une story, mais il sentait qu’il partait trop loin. Il ne saisissait juste pas pourquoi on mettrait une date limite à une information pertinente. Isaiah approuva les propos qu’ajouta Aisling à propos des experts qui ne parlent qu’entre eux, sans transmettre l’information. « Et c’est peut-être plus accessible pour certaines personnes, aussi. Si on regarde seulement des chefs de renom cuisiner, on peut se dire qu’on n’a pas les techniques pour réaliser la recette. Avec des gens comme nous, avec peu d’expérience, pas de formation, ça prouve que n’importe qui est capable de le faire. » Et là, il se permit quand même une petite taquinerie, puisqu’il avait passé son tour auparavant. « Même Aisling ! » Il rit légèrement. La blonde ne semblait pas contre cette idée d’émission de cuisine, et Nora semblait partante elle aussi pour tester. Comme elles le disaient, ce n’était pas du temps perdu si ça ne fonctionnait pas. Ils étaient ensemble. « J’aurais jamais cru dire ça un jour, mais … ok ! Faisons une émission culinaire pour Instagram ! » Il secoua la tête de gauche à droite en posant sa main sur son front, le dire à voix haute c’était encore plus étrange. Heureusement il arriva à se rattraper plus tard en expliquant sa vision - et son dédain, aussi - des réseaux sociaux. Il n’était pas dans le jugement vis-à-vis de Nora, cela dit. Au contraire, il se montrait très intéressé à ses explications, à ses perceptions. Il esquissa un sourire alors que sa petite amie le qualifiait de romantique. Pour certains aspects, elle n’avait pas tort. Aisling fut la première à répondre à Nora et Isaiah continua de hocher la tête, en accord avec les propos de la blonde. L’ébéniste tendit son bras afin que sa main puisse serrer doucement l’avant-bras de Nora, qui pleurait beaucoup pour les oignons, mais un peu parce qu’elle était touchée du sujet, aussi. Il lui sourit avant de ramener sa main vers la dernière carotte qu’il avait à couper. Nora et Aisling convinrent de s’échanger des comptes Instagram féministes pendant qu’Isaiah mélangea tout ce qui venait d’être coupé. Il alla allumer le rond du poêle pour faire revenir ça quelques minutes à température moyenne. Il tourna la tête vers Nora pour lui répondre. « N’importe où, en vrai. Des cafés et des bars, oui, même si ce n’est pas les endroits dans lesquels je traîne le plus souvent. Payer dix dollars pour un café alors que je pourrais me le faire ici, par moi-même, non merci. » Évidemment qu’il y mettrait un peu son grain de sel même quand ce n’était pas la question. « Je n’hésite pas à aborder les gens, en fait. Peu importe le contexte. Si je suis assis à côté d’une personne dans le bus, je vais entamer une discussion, plutôt que de fixer le vide et de rater l’opportunité de connaître son monde un petit peu. Si je suis dans la file d’attente dans un commerce, je vais discuter avec les gens autour, tant qu’à tous être en train d’attendre. Généralement les gens sont réceptifs. » Pas tout le temps, parfois une personne enlevait son écouteur pour le remettre tout de suite après, d’autres fois son regard restait rivé sur son téléphone, etc. Isaiah lâchait prise. Il ne se montrait pas toujours aussi insistant que lors de sa première rencontre avec Aisling au zoo ! « J’accorde quand même beaucoup d’importance au débat intelligent et ouvert, j’aime pouvoir argumenter et écouter les arguments des autres. Tant que ça se fait dans le respect et l’ouverture. Je ne vais pas automatiquement me braquer dès qu’un avis est contraire au mien, à moins que ça vienne vraiment toucher à des valeurs fondamentales pour moi … Et puis, si l’autre personne est fermée, ne veut rien entendre et veut juste crier plus fort que les autres, là, ça me dérangera vite et je passerai mon chemin. » Aisling serait probablement un peu moins nuancée que lui.