Horses lend us the wings we lack | Lullaby & Tyler

J’avais été heureux de revoir Lullaby au Elm Street. Après lui avoir posé plusieurs lapins ces derniers jours, j’avais finalement pu me libérer du temps pour passer un moment avec la jeune colombienne. Est-ce que j’avais fuit ? Est-ce que je me cherchais des excuses ces temps-ci pour ne pas avancer ? Très certainement. Pourtant, je m’étais résonné. Nos conversations étaient naturelles depuis le tout début, j’avais été ravi de l'accueillir chez moi et bordel qu’est-ce qu’elle était belle. Trop jeune, c’était probablement son seul défaut. M’amuser, vivre sans lendemain, en ce moment… cela me faisait peur. J’avais eu quarante ans au début du mois et j’avais pris conscience que je ne voulais pas me retrouver seul comme un con dans dix ans. Pourquoi toutes mes aventures de ces derniers temps étaient avec des femmes entre dix et vingt ans de moins que moi ? C’était plutôt flatteur certes, mais allais-je vraiment avancer ainsi ? Et est-ce qu'au fond j’en avais réellement envie ? Tout se bousculait dans mes pensées, heureusement, mon sourire revint alors que je me garais devant la communauté “The Bowery” où résidait maintenant Lullaby.
— Salut beauté fatale, disais-je sur un ton plaisantin en lui ouvrant la porte de mon pickup.
Un SMS à la rousse incendiaire quelques heures plus tôt, je lui avais demandé de m’accompagner au ranch Horseshoe. J’aimais beaucoup monter à cheval et je savais que Lully aimait les animaux également. Le propriétaire du ranch m’avait appelé pour venir lui rendre visite et dégourdir les pattes de certains de ses chevaux qui manquaient d'exercice en cette fin de saison touristique. J’avais de suite pensé à la colombienne pour m’accompagner.
— Tu vas avoir besoin de ça. Dis-je en lui tendant un de mes chapeaux Stetson que j’utilisais habituellement plus pour me protéger du soleil dans les champs que pour avoir l’air d’un cow-boy tout droit sortit d’un western.
Cette sortie ressemblait en tout point à une sortie romantique à la con. J’en avais conscience et pourtant je savais qu’avec Lullaby il n’y aurait aucune gêne, elle avait le dont de m’enlever toute inhibition dès que nous parlions.
— Tu vas bien depuis l’autre jour ? L’interrogeais-je avec un sourire au coin des lèvres.
La voiture redémarra en direction de la sortie de la ville, une belle journée en perspective pour faire une balade à cheval au bord de la plage.

J'avais accepté de le voir, même après un ghostage en règle, m'en voulant du coup de l'avoir chauffé ou tenté de le chauffer par sms interposés. En vrai, j'avais perdu l'habitude d'être avec des gens, comme dans la civilisation véritable, j'avais été tellement seule pendant des mois, je ne savais plus trop, ce qui se faisait ou ne se faisait pas !

Descendant les escaliers, pour rejoindre la rue, Tyler s'était garé devant, m'accueillant avec ce sobriquet marrant qui me fit sourire.

- Salut étranger.

Aucune idée de ce que nous allions faire au ranch, mais j'étais partante pour aller me changer les idées. Est ce que je pensais que c'était un rencard ? Aucune idée. Est ce que j'en avais envie ? Peut être, oui, non, aucune idée. Etais-je perdue dans ma vie ? Définitivement.

Le pick up s'arrêta, et nous y voilà, tout sourire, il me posa un stetson sur la tête et je ris doucement.

- ça c'est la classe... Dis-je en passant les doigts sur le rebord du chapeau.

Je grimaçais, parce que la question soulevait trop de "aucune idée", dodinelant de la tête, je le suivis vers les écuries, glissant les mains dans mes poches, ne sachant pas trop quoi dire.

- Et bien... je vais, c'est déjà pas mal. Je t'avoue que j'ai eu un espace de... enfin... Je pinçais mes lèvres. Je ne suis pas très en phase avec la civilisation et ses codes depuis mon retour du bush, et du coup, j'ai la nette impression que je suis nulle en relation humaine... c'est beaucoup trop compliqué, beaucoup de contraintes, de règles, et d'incompréhension.

Je ne sais pas s'il comprendrait ma perte de repaires, après tout qui d'autres avait ma vie bordélique ? Si seulement, je n'étais pas la seule, ce serait sans doute nettement plus facile en réalité.

- Je pensais l'autre fois au bar, que tu voulais vraiment parler, et puis en fait, j'ai du dire ou faire quelque chose qui t'a braqué, et tu as préféré aller discuter avec une belle blonde dehors... bref, désolée si je suis maladroite vraiment, j'interprète super mal les signes et les paroles on dirait, et désolée du coup de t'avoir envoyé mes boobs en photo, c'était "lame" ou carrément ridicule pour le coup !

Je ris nerveusement, véritablement désolée de mon incapacité à comprendre les autres, je me pensais bien plus perspicace en fait, et force m'est de conster que je suis bien meilleure avec les animaux qu'avec les hommes...

Je m'arrêtais pas loin de l'entrée de l'écurie, allant caresser le museau d'un des chevaux.

- C'est plus facile pour moi de communiquer avec les animaux... J'embrassais sa tête, entre ses deux naseaux, appréciant la douceur de cette partie de leur museau. Alors raconte, comme elle s'appelle ?

La réaction de Lullaby en arrivant au ranch me ravit. Son beau sourire collé à ses lèvres en disait long. Je savais qu’elle serait dans son élément ici et j’étais content d’avoir choisi l’endroit idéal pour la revoir. Le deuxième Stetson sur ma tête, nous sortions de la voiture pour prendre la direction des écuries. D’habitude plutôt joviale, la jolie colombienne me semblait d’humeur plutôt sombre et ses paroles me touchèrent, alors que je réalisais que j’étais en partie responsable de ses doutes actuels.
— Tes boobs sont magnifiques pourtant. Il ne semblait pas m’en être plaint. Tentais-je de la rassurer avec un brin d’humour.
La jalousie et les femmes, clairement, ça me faisait fuir au quart de tour. Pourtant je savais que cette fois, je m’étais bel et bien conduit comme un con. Il fallait que je m’explique, mais trouver les bons mots n’était pas chose facile. Je préférais m’en sortir par une pirouette dans un premier temps, alors que la colombienne s'approchait d’une jument baie.
— Elle, elle s’appelle Goldie, disais-je l’air de rien en désignant la jument qu’elle venait de caresser. Et le programme c’est que nous partons en balade sur la plage tous les deux. Tu peux monter Goldie et moi je prendrai le grand gaillard d’à côté. Lui c’est Zeus, disais-je en allant caresser ma monture préférée, un hongre noir avec une tache en forme d’éclair sur le chanfrein. Le propriétaire est un ami et il sait que j’adore monter à cheval, alors il m’appelle de temps en temps. J’ai pensé que ça te plairait comme tu adores les animaux. J’ai bien fait ?
La remise était juste à côté des box, il ne nous fallut pas longtemps pour préparer les chevaux et  nous mettre en route vers la plage. Monter à cheval, partir en balade, c’était de la pure évasion et tout de suite je relâchais toute la pression. Alors au rythme du pas des chevaux, je me décidais enfin à parler.
— La fille que tu as vu l’autre soir… C’est compliqué, soupirais-je. Pénélope est la sœur de mon meilleur ami de fac. Leur père est gravement malade et elle avait besoin d’en parler. Voilà ce que tu as vu.
Mon sourire sincère se tournait vers Lullaby, j’espérais qu’elle passait un bon moment et qu’elle allait elle aussi se confier à moi. Mis à part notre entrevue au Elm écourtée, nous n’avions pas eu trop le temps de discuter de ce qu’elle était devenue ces derniers mois.
— Pourquoi as-tu l’impression d’être perdue avec les gens en ce moment ? Avec moi tu te débrouilles très bien pourtant, tu sais même me faire me confier mieux que la plupart des gens. Si je ne t’ai pas parlé au Elm, c’est uniquement que c’est nouveau pour moi, je gère mal ma relation avec mon père depuis longtemps et c’est un sujet dont je parle peu. Tu m’avais dit il y a quelques mois que tu avais toi aussi une famille disfonctionelle, j’pense que tu peux comprendre ça mieux que personne non ?

Je ne relevais pas la boutade sur ma poitrine, j'étais sérieuse, je voulais m'excuser, c'était pas délicat ce que j'avais fait, et terriblement pathétique, ambiance : je cherche toutes les solutions possibles pour qu'on me laisse pas seule avec ma solitude. C'était pas bien malin. Mais il finit par détourner mon attention, et de mon vague malaise, en me parlant de Goldie, de Zeus et me parler du programme. Un large sourire s'afficha sur mon visage, éclatant et sincère, c'était une idée géniale.

- C'est juste parfait compte tenu de ma semaine... merci. Lui répondis-je, en posant ma main sur son avant bras, exerçant une légère pression.

Goldie était en marche et moi en selle, tenant les rennes, fermant les yeux pour sentir l'air du vent sur ma peau, et profiter ensuite de la beauté des lieux. Le rêve... Finalement Tyler s'épancha un peu plus, et je l'écoutais, tournant le visage vers lui.

- Oh je vois... ça semblait plus intime quelque part, vous devez bien vous connaître depuis le temps. Dis-je simplement en hochant la tête.  J'ai l'adresse d'un très bon chamane, venant d'une tribu dans le bush au besoin... il en soigne des gens depuis des décennies.

ça pouvait faire rire, mais les sorciers des tribus, comme les guérisseurs avaient montré l'étendue de leurs talents depuis des siècles. Un médicament est bien peu de chose, en comparaison du toucher de certains êtres vivants.

- Et bien dysfonctionnelle, ça fonctionne pour les familles presque normales en réalité, mais si ta famille a essayé de te tuer, de te séquestrer dans une hacienda en Colombie, pour vendre la drogue familiale, alors je dirais que toi et moi avons des similitudes. Lançais-je de but en blanc, tenant mon stetson d'une main, regardant le visage de Tyler d'un air tout à fait sérieux, mais souriant malgré tout. On a la famille qu'on choisit pas au départ. Dis-je haussant une épaule. Mais je suis contente que tu t'ouvres un peu avec moi, personnellement je n'avais jamais résumé en une phrase, ma famille et ce que j'ai vécu avec personne... c'est une première, c'est plutôt appréciable.

Je sentais Goldie d'agiter, je la sentais réagir à moi quelque part, à ce relâchement dont j'avais fait preuve à l'instant, et à mon envie palpable de Liberté.

- Let's go ? Lançais-je à Tyler, avant de laisser retomber les rennes sur l'encolure de Goldie, assez pour qu'elle prenne son envol, pas trop non plus pour que je garde le contrôle ou un semblant de contrôle.

Les sabots se mirent à battre sur le sable humide, et le vent fouetta clairement on visage, le chapeau tenant sur ma tête par miracle, magique moment de paix, de vitesse et d'adrénaline en même temps.