Bien sûr qu'un jour s'en va pour l'un et pour l'autre s'en vient (orso)

Le médecin généraliste avait du retard. Il y avait encore cinq personnes devant lui et Livio était clairement à deux doigts de plier bagage, légèrement à cran. Alors, pour éviter de perdre un rendez-vous - et parce qu'il avait besoin de ce papier du médecin - il avait préféré sortir, prendre l'air et souffler un bon coup. Son moral, c'était les montagnes russes. Il pouvait se lever du bon pied - sans mauvais jeu de mots - et être rapidement énervé face à une petite contrariété. ça, c'était surtout pendant les semaines sans les enfants. Quand il avait Leandro et Milla avec lui, il suffisait de les regarder jouer, de voir leurs sourires pour fondre et s'apaiser totalement. Vous l'avez donc compris, c'était une semaine sans les enfants et son regard noir en témoignait. Sortant du cabinet, il avança son fauteuil roulant jusqu'au centre de la place, s'abritant du soleil si chaud en se calant sous un arbre. Là, il sortit son paquet de cigarettes et en prit une qu'il porta à ses lèvres. Alors qu'il s'apprêtait à l'allumer, il redressa le regard, ses yeux bleus s'arrêtant sur une silhouette bien connue. Orso. Son meilleur pote. Enfin, celui qui était son meilleur pote. Depuis que Livio s'était mis avec Aura, les deux jeunes hommes n'avaient jamais vraiment renoué. Pas comment avant, du moins. Puis l'accident était arrivé. Il savait que Orso avait aussi eu quelques problèmes, d'addiction notamment. Mais trop fiers, ni l'un ni l'autre n'avaient pris des nouvelles, mutuellement. Ils s'étaient toujours débrouillés pour prendre des nouvelles auprès d'autres personnes. Aura, notamment. Alors oui, il aurait pu le laisser passer devant lui, Orso et son pas pressé, et faire comme si Livio ne l'avait pas vu. Ce serait la simplicité. Mais sans qu'il ne comprenne pourquoi, un sifflement sortit de ses lèvres, comme ils le faisaient pour s'interpeller quand ils étaient plus jeunes. "Hey Orso !" s'exclama-t-il levant brièvement la main, pour le saluer.

Mon retour à Bowen, après plusieurs semaines en Sicile, avec Aura et les enfants, ça avait été bien bénéfique. Déjà, j'étais sorti de mes addictions, et c'était vraiment une bonne chose. J'm'étais bien remis en forme aussi et j'avais attaqué la saison de canyoning avec un bel entrain. J'me sentais mieux. Y avait encore pas mal de truc qui merdait, sentimentalement parlant, mais j'reléguais ça au seconde plan. Du moins j'essayais. C'était pas toujours aisé, mais j'tentais d'aller de l'avant. Déjà parce que ma soeur avait besoin de moi, et puis parce que moi aussi, j'avais besoin de moi-même. De me retrouver. De plus être juste un fantôme. J'quittais le boulot, vers 17h et avant de rentrer au loft, j'passais faire quelques courses pour le soir. On fonctionnait toujours comme ça avec Detlev et Arielle. J'ramenais les produits et c'est eux qui cuisinaient. C'était un bon deal. Et moi j'aimais bien faire mon p'tit tour après le travail. J'étais passé à l'épicerie et j'trimbalais mon tote bag rempli de légumes. J'faisais tout à pied ce dernier temps, pour continuer à maintenir ma forme physique. Alors que j'traverse la place de la ville, j'entends quelqu'un siffler puis m'interpeler. J'relève les yeux et j'tombe sur Livio. Près d'un arbre, en train d'se fumer une tige. J'lui rends automatiquement son geste de la main et j'me dirige vers lui. "Hé mec!" que j'dis avec un sourire. Ca m'fait un peu drôle de le voir Livio là. On s'était pas vu depuis .. beaucoup trop longtemps. Et entre nous, c'était un peu weird. Enfin j'en savais trop rien en fait. On avait été si proche, mon meilleur pote qu'il avait été durant de longues années, avant de se mettre en couple avec ma soeur. Ca m'avait un peu fucked up quand ils m'avaient annoncé ça, j'l'avais mal pris. Méfiant envers Livio. Mais finalement, les années avaient passées et ça s'était tassé. Sans jamais que lui et moi on renoue comme avant. Mais là, les choses avaient bougé. Bien, bien bougé. Ils avaient divorcé et surtout, Livio avait été victime d'un accident de voiture. Je ne l'avais pas revu depuis. J'me sentais un peu con en fait, parce que j'avais pas pris de nouvelles alors que son état était quand même critique. J'arrive à sa hauteur, et j'remarque forcément qu'il est toujours en fauteuil. Aura m'avait dit, mais ça m'fait un p'tit choc quand même. J'tends la main pour lui donner un check amical. Parce que quand même, Livio, il avait beaucoup compté pour moi. Il avait été important. "Bro, ça fait mais tellement longtemps.." que j'dis en insistant bien sur les mots. J'me cale contre le tronc de l'arbre à côté duquel il se trouve. "Comment ça va mec?" que j'demande, sincèrement, pour le jauger un peu, pour jauger notre relation, pour voir si on pouvait reconnecter. J'étais pas totalement contre l'idée, mais ça faisait si longtemps, que j'restais sur mes gardes. J'restais le frère jumeau de son ex femme, son ex meilleur ami, ça faisait beaucoup de feels avec lesquels composer. Moi le premier. Mais globalement, j'étais quand même content qu'il soit à nouveau dans mon espace.

@Livio Manzoni

En vrai, il aurait peut-être dû laisser passer Orso et ne pas l’interpeller. Parce que quand il s'approcha de lui, ce fut un mélange d'émotions qui s'empara de Livio. Il y avait toujours cette joie de voir son ami, avec les doux souvenirs des moments passés ensemble. Mais étrangement, il y avait aussi cette pointe d'aigreur, mêlée à une espèce de tristesse, de colère, de rancoeur. Des émotions avec lesquelles il se levait chaque matin depuis son accident et qui se collaient à sa carcasse sans qu'il ne puisse s'en défaire. Certaines personnes parvenaient à les apaiser, comme ses enfants. D'autres appuyaient là où ça faisait mal. Comme Orso. Orso qui n'avait pas été là pour lui quand il en avait eu besoin. Orso pour qui il n'avait pas été là aussi, quand lui en avait besoin. Oui, il aurait peut-être dû le laisser passer et ne pas l'interpeller. Mais il y avait cette petite partie au fond de lui qui avait besoin d'Orso dans son paysage. Alors qu'il tirait sur sa cigarette, tout juste allumée, Livio hocha la tête quand le jeune Luciano affirma que ça faisait longtemps. « Ouais, au moins un an. » De un, parce que ça allait faire un an qu'il a eu son accident. De deux, parce qu'ils ne s'étaient pas vus les semaines précédentes. Ça devait remonter à Noël, l'année dernière, quand toute la famille avait été réunie autour de Leandro. Quand il lui demanda comment ça allait, il finit par dire : « Comme sur des roulettes ! » Le trait d'humour était clairement moyen, mais c'était sa façon de dédramatiser la situation. Et surtout, ça lui évitait de dire comment il allait vraiment. « Et toi, comment ça va ? » Il marqua un temps d'arrêt, se permettant d'ajouter, tâtonnant : « Ta sœur m'a dit que ça n'avait pas été la grande forme dernièrement... » Oui, il restait évasif parce qu'il ne voulait pas mettre Aura en porte-à-faux, à faire croire qu'elle disait tout à Livio sur Orso. Loin de là. Mais Livio connaissait Aura. Il savait quand quelque chose la tracassait. Et à ce moment-là, en plus du divorce, Orso la tracassait. Ça avait été un moment suspendu hors du temps, où ils avaient parlé confidences, comme avant, quand tout était encore normal. Avant qu'il ne gâche encore tout en signant les papiers. Livio releva ses yeux vers Orso. Il n'était pas dans le jugement, mais dans ses yeux bleus, on voyait bien qu'il s'inquiétait pour lui. Un reste d'amitié qui continuait à brûler, malgré tout.

C'était bien inattendu cette entrevue avec Livio là, au détour d'une course que j'avais à faire en ville. C'était toujours un peu bizarre avec lui, depuis qu'il s'était mis en couple avec ma soeur. Ca avait brisé un truc. Assurément. Mais de l'eau était passé sous les ponts depuis. On avait été ok l'un avec l'autre, pendant une longue période. Ils étaient heureux ensemble, ils avaient de beaux enfants, alors forcément, j'avais mis de côté ma p'tite rancoeur et finalement, Livio m'avait bien montré qu'il était capable d'aimer ma soeur, comme elle le méritait. C'était surtout ça qui m'avait un peu fuck up à l'époque. Parce que Livio et moi, on avait été des sacrés partenaires de dragues pendant des soirées mouvementées en Italie. Mais avec l'âge, il s'était visiblement un peu calmé, et l'amour qu'il avait donné à Aura, ça avait un peu apaisé mes doutes. Et puis là, depuis un an, on avait complètement disparu de la vie de l'un et de l'autre. On avait vécu chacun de notre côté, des évènements tous plus difficile les uns que les autres. Et on s'retrouvait là, en face de l'autre, avec tout un tas de trucs avec lesquels on était censé dealer et du coup, ça m'faisait tout drôle. On s'jaugeait, on savait des trucs de l'un et de l'autre, et du coup, on marchait un peu sur des oeufs. J'me sentais vraiment con de ne pas avoir pris de nouvelle depuis son accident. J'lâchais un sourire franc quand il fit une p'tite réflexion sur son fauteuil roulant. C'était assurément son humour à lui, et ça permettait probablement de dédramatiser sa situation. Il me retourna la question et je haussais un peu les épaules à sa réflexion. Bien évidemment qu'Aura lui avait parlé de ma reprise de cocaïne, j'pouvais pas lui en vouloir. "Ouais, j'ai un peu merdé." que j'dis assez sincèrement. "J'ai renoué avec mes p'tits démons de Florence, si tu vois le genre.." J'crois qu'il avait pas besoin d'un dessin Livio, il savait parfaitement que j'avais toujours eu ce p'tit penchant très malsain pour la drogue, et il savait par quoi j'étais passé en Italie. Alors il avait pas besoin de plus de détails. "Mais j'suis clean maintenant, Aura m'a pas mal aidé quand on est rentré à Sicile, tous les deux en décembre." Ca aussi il devait le savoir Livio, et il devait également se douter que j'étais au fait de leur divorce. En vrai, d'le voir là, face à moi, j'ressentais beaucoup de remords et j'sentais que j'avais besoin de mettre ça à plat, parce que Livio, il comptait vraiment pour moi. "Tu sais Livio, j'm'en veux pas mal de pas avoir été présent, pour tout ça." que j'dis en englobant d'un geste de la main la situation entière de tout ce qu'il avait enduré. C'était peut-être un peu abrupte comme entrée en matière, mais j'avais toujours été assez frontal quand quelque chose me tourmentait et ouais, j'm'en voulais, vraiment. Et j'voulais qu'il le sache.

Il pouvait comprendre que quelque chose s'était brisé entre eux, quand Livio s'était mis avec Aura. Il pouvait comprendre que cela avait été délicat pour Orso. Mais il avait cru que cela aurait pu renforcer leur lien, parce que d'un coup, en plus d'être son ami, il était devenu quelqu'un de sa famille. Seulement, ni l'un ni l'autre n'avaient fait le premier pas pour essayer de retrouver leur complicité d'antan. En réalité, Livio s'évertuait à croire que leur lien était le même, mais tout avait changé. Il n'était plus le gars sans attaches qui faisait la fête en semaine, en week-end. Il n'était plus le gars qui draguait sur l'instant, qui privilégiait les histoires sans lendemain. Il s'était marié, il était devenu papa. Il s'était assagi. Il n'était plus le Livio avec qui Orso avait fait les 400 coups. Elle était là, la différence : ils avaient pris des chemins différents. C'était une chose commune. Tout au long de notre vie, on laissait des amis de côté parce que les objectifs de vie changeaient. Mais il n'aurait jamais cru qu'Orso ferait partie de ceux-là. Maintenant, il était divorcé. Une nouvelle vie s'ouvrait à lui, mais il ne savait pas si cela était rattrapable avec le jeune Luciano. Il l’espérait. Il avait perdu Aura. Il ne voulait pas perdre Orso aussi. Pourtant, là, près de lui, il ne savait pas comment agir, quoi dire, quoi faire. Il se permit une petite boutade sur son statut actuel, plus pour dédramatiser qu'autre chose. Mais ça avait eu son effet, il avait vu le petit sourire sur le visage de son ami. Seulement, ils ne pouvaient pas se contenter de cela ou futilités. Sans le dire clairement, il lui fit comprendre qu'il savait qu'Orso avait eu quelques moments difficiles, dernièrement. Comme il le disait, il avait renoué avec les petits démons de Florence. Livio savait très bien de quoi il parlait, ayant eu l'occasion de le voir flirter avec ces démons-là, dans leur jeunesse. Livio aussi avait testé, plus jeune, par curiosité, pour faire comme les autres. Mais il en était resté là. Le maniaque du contrôle qu'il était avait détesté cette sensation de ne plus s'appartenir. Il esquissa un léger sourire quand il lui affirma alors qu'il était clean. « Tu arrives à gérer le manque ? » se permit-il de demander, sachant que le chemin vers la désintoxication était fluctuent. Mais il avait eu Aura à ses côtés, ce à quoi Livio répondit : « Tu avais ta meilleure alliée à tes côtés. Aura est très forte pour aider dans ces moments-là. » Elle l'avait porté aussi, juste après son accident. Et c'était bête mais il savait qu'elle le porterait encore aujourd'hui s'il en avait besoin. Alors qu'il tira sur sa cigarette, Livio releva le regard vers Orso, étonné d'entendre ses derniers mots. Après, c'était digne d'Orso, c'était lâché comme ça, sans crier gare, juste avec le cœur. L'italien haussa les épaules et répondit, avec le même objectif : « C'est passé, maintenant. Je ne vais pas te mentir, au début je t'en ai voulu de ne pas être là.... comme j'en voulais au monde entier. » C'était cela qui avait atténué la rancoeur. Sa colère était envers tout le monde. Pas qu'envers Orso. « Tu avais tes problèmes, aussi. Et c'est con parce que moi aussi je n'ai pas été là. » Il marqua un temps d'arrêt avant de se reprendre : « Ce qui est con, tout simplement, c'est ce qu'on est devenus tous les deux. » C'était ce qu'on appelait tâter le terrain.

C'était pas évident d'se retrouver là, en face de Livio. C'est comme si on faisait un point sur ce qu'on était devenu, sur nous, notre amitié qui s'était effacée avec le temps, sur nos éloignements, sur ce qu'on avait traversé, l'un sans l'autre. C'était assez déstabilisant. Livio, j'pensais souvent à lui. Et j'm'en voulais pas mal de pas renouer avec lui. Surtout après son accident. Mais j'crois que j'avais pas trouvé la force en fait. Et plus les jours passaient et moins j'trouvais de courage. C'était un cercle vicieux. Et une année entière s'était écoulée. Des choses s'étaient passées, on avait vécu tous les deux de grosses tempêtes et il avait fallu du hasard pour se reparler. J'me sentais pas sur la défensive avec lui, dans le fond, c'était toujours Livio, mon meilleur pote de l'époque. Mais c'était surtout que j'peinais à vraiment savoir où me positionner vis à vis de lui. On avait Aura en commun. Elle lui avait parlé, elle lui avait donné des nouvelles de moi. De ma lutte contre l'addiction. Et Aura, elle m'avait aussi donné des nouvelles de lui. C'était notre seule intermédiaire. Et j'pouvais pas lui en vouloir à ma jumelle, d'avoir vendu la mèche à Livio vis à vis de ma consommation. Je hochais la tête vigoureusement. "Ouaip, depuis mon retour là, j'suis dans la maîtrise. J'sais que ça s'ra jamais gagné, mais j'me sens mieux." J'aurais pas eu le même discours quelques mois auparavant et au fond, j'étais content de revoir Livio en ayant toutes mes capacités intellectuelles - même si certain se plairont à dire que j'en ai pas des masses, au moins, elles étaient toutes là, cleans et alertes. Je pouvais que aller dans le sens de ce que disait Livio. Aura, elle était géniale. Dans toutes les circonstances. "Ouais, j'me sens bien chanceux, crois moi. Elle a été incroyable." Elle ne m'avait jamais jugé, elle m'avait jamais jeté la pierre, elle ne m'avait jamais tourné le dos. Elle avait été d'un soutient indéfectible. Et je lui en étais éternellement reconnaissant. Le nombre de fois où Aura m'avait sauvé la mise, il était inqualifiable. On parlait avec assez de simplicité, j'ressentais pas de haine dans les propos de Livio. J'crois qu'on s'était juste éloigné et qu'on avait pas eu la force de revenir dans l'espace de l'autre. Voilà tout. J'lui disais que j'm'en voulais, parce que c'était vrai. C'était sincère. J'aurais voulu être présent. Livio répondit avec tout autant de franchise. Ouais il m'en voulait. J'le comprenais. "J'crois qu'on s'est juste manqué, pendant une sacrée période. C'était weird, parce qu'en parallèle, Aura m'avait dit que vous vouliez .. divorcer. Alors j'savais plus tellement quel était ma place en fait." J'crois que c'était surtout ça le problème. C'était que le couple Aura/Livio, avait fait du mal à l'amitié Orso/Livio. Qu'on le veuille ou non. Et il n'y avait personne à blâmer. Je hochais la tête à la phrase de Livio. Qu'est ce qu'on était devenu au juste, lui et moi? Mais ouais, c'était con. Ca c'était une certitude. "C'qu'on est devenu, c'est pas inbougeable. Mais ouais, c'est con qu'on se soit éloigné comme ça. T'as toujours été bien important pour moi." Que j'lui dis toujours très sincèrement. Puis, un mince sourire s'étirait sur mes lèvres, en repensant à tout ce qu'on avait pu vivre ensemble, en tant que meilleurs potes. "Tu vas finir par m'faire chialer bro, arrête ça tout de suite." que j'lui dis, mon sourire devenant soudain très franc. C'était un p'tit truc qu'on avait toujours eu lui et moi, cette faculté à se dire qu'on était important l'un pour l'autre mais sans jamais garder le sérieux trop longtemps. Juste pour pas rendre l'ambiance trop pesante. Et c'est con, mais ça m'faisait du bien d'évoluer à nouveau dans l'espace de Livio.

Ainsi était faite la vie : des amitiés se faisaient puis se défaisaient. Plus l'on avançait dans l'âge, plus les cercles d'amis se restreignaient. Mais pour Livio, il avait toujours espéré qu'Orso reste dans son paysage. Ils en avaient traversé, des belles expériences ensemble. Pour autant, l'italien ne regrettait en rien ce qu'il s'était passé. Il s'était éloigné d'Orso, oui, mais pour une très belle raison : l'amour. Il n'aurait peut-être pas dû tomber sous le charme de la sœur jumelle du jeune Luciano mais c'était des choses qui ne se contrôlaient pas. Grâce à cela, il s'était marié et avait eu deux beaux enfants. Il referait donc la même chose, de la même façon. Mais aujourd'hui, ils avaient peut-être la chance de renouer, de faire le point sur leur amitié, eux qui avaient tous les deux traversés de fortes tempêtes dans leurs vies mutuelles. Aura, en quelque sorte, avait été leur intermédiaire. C'était ainsi qu'il avait appris la rechute d'Orso. Le jeune trentenaire hocha la tête, rassuré, en apprenant que son ami gérait beaucoup mieux le manque. « Tu es quand même accompagné ? » Si jamais l'envie refaisait surface. Sombrer dans la drogue, c'était devenir un funambule quand on décidait de s'en sortir. Bien sûr, il parlait d'accompagnement sur le plan médical ou psychologique. Sur le plan familial, il avait Aura, la meilleure des alliés. Il espérait que l'inverse était tout aussi vrai, qu'Orso était là, aux petits soins pour sa jumelle. Parce qu'elle aussi n'avait pas eu une année facile. « C'est Aura. » ponctua-t-il avec un sourire alors que Orso la qualifiait d'incroyable. Elle était unique, même. Puis, tout doucement, la conversation se dirigea vers eux, vers leur amitié oubliée, mise de côté. Ce n'était finalement pas si mal qu'Orso n'ait pas daigné lui parler après son accident. Livio aurait cherché à le provoquer, rythmé par cette colère qui avait qualifié son quotidien. Ils s'étaient peut-être évités la dispute de trop. Mais les mots de son ami lui arrachèrent un sourire, secouant la tête : « Tu ne savais plus quelle était ta place depuis que je me suis mis en couple avec elle. » C'était important de le rectifier. Ce n'était pas le divorce qui avait fait perdre sa place à Orso, mais leur histoire dans sa globalité. « Pourtant, tu avais la même place pour moi. » Si ce n'était plus encore, parce qu'il y avait l'aspect familial qui entrait en jeu. Il était devenu son beau-frère. Un bref temps. Néanmoins, le divorce ne semblait pas avoir altéré davantage leur lien. Orso aurait pu lui en vouloir, du mal qu'il avait fait à Aura en demandant le divorce. Cela aurait été légitime. Mais la suite de ses mots montrait une toute autre voie qui s'ouvrait à eux. Ce n'était pas inbougeable. « Pour moi aussi, t'as toujours été important. » Ils s'étaient souvent amusés, tous les deux. Mais ils avaient su être là aussi quand ils en avaient besoin, plus jeunes. Il se mit à rire alors que Orso allégeait l'atmosphère pleine d'émotions. « Tu peux mettre ça sous le coup de l'allergie, ça passera toujours. » Ils n'étaient jamais vraiment expansifs en terme d'émotions, mais oui, elle était bien là. Livio montra le cabinet médical d'où il sortait et demanda, hésitant : « J'ai un rendez-vous médical, là, mais... ça te dirait qu'on aille boire un verre en début de soirée ? Je n'ai pas les petits, cette semaine. »

J'avais toujours retourné la situation dans plein de sens différent, pour essayer de bien tout intégrer, mais je crois que j'avais pas eu tellement beaucoup de pouvoir la dessus. Quand Aura et Livio étaient tombés amoureux l'un de l'autre, j'avais pas tellement eu mon mot à dire. Est-ce que je pouvais réellement aller à l'encontre de leur histoire? Bien sûr que non. Au final, ma jumelle était heureuse avec lui, ils avaient eu une belle histoire tous les deux, et Livio, au fond, même si on s'était éloigné, j'lui avais toujours gardé une place spéciale. J'avais été suspicieux au début, forcément, mais j'avais du me rendre à l'évidence, ils avaient un truc à vivre tous les deux et doucement, Livio était passé du stade de "mon meilleur pote" à celui de "mari d'Aura". Ca avait entaché un peu notre relation mais d'le retrouver là, après tout ce qui s'était passé, c'était assez spécial. C'était pas désagréable, parce qu'au fond, j'crois qu'on avait encore un sacré lien tous les deux. Je hochais la tête à sa question. "Ouais, j'fais ce qu'il faut, et pis, généralement, pendant l'été, ça va mieux. J'serais assurément plus prudent à l'hiver prochain." C'est ça qui avait causé ma perte, ça et ma rencontre avec Maxine. Mais quand l'hiver était là, j'avais plus d'activité professionnelle, plus de rythme, plus rien qui me rattachait à la routine et c'était pendant cette saison que j'étais le plus vulnérable. Cette dernière année, j'avais pas géré le virage mais on m'y reprendra plus. Je l'espérais. Et j'étais bien entouré, Aura pour commencé et Arielle aussi, avec qui j'avais enfin renoué. J'lui parlais de "ma place" dans notre amitié, entre lui et Aura, leur divorce, l'accident. J'm'étais un peu égaré et j'avais pas su gérer, j'avais pas su être présent pour lui. J'souris doucement lorsqu'il m'assura que ma place, elle n'avait jamais bougée. J'étais d'accord avec lui, lui assurant à mon tour que le chemin qu'on avait pris, lui et moi, il était pas fixe. J'crois que ça tenais qu'à nous de lui donner la direction qu'on voulait. On s'échangeait des p'tites phrases assez cutes, ça m'avait jamais trop gêné de dire à Livio qu'il était important pour moi, et inversement. Mais j'soulignais quand même qu'il fallait qu'on arrête ça avant que j'me mette à pleurer. C'était de l'humour bien sûr mais honnêtement, ça me faisait du bien qu'on le verbalise. C'est comme si je renouais avec un vieux pote. Et que rien n'avait vraiment changé. Même si, au final, tout avait changé. Leur divorce, ça m'avait fait tout drôle, forcément, et pis j'avais vu Aura vraiment dévastée, inquiète. Mais j'pouvais pas en vouloir à Livio, j'y arrivais pas. Livio devait partir, là tout de suite, mais il me proposa qu'on se retrouve le soir même pour aller se boire un verre tous les deux. "Carrément, j'ai rien de prévu. On s'trouve genre au hendrix?" J'marquais une pause. "Wo, ça fait combien de temps que nous deux, on est pas sorti boire un verre ensemble? J'sais pas si Bowen est prêt pour ça!" que j'rajoutais avec le sourire. J'me décollais de tronc d'arbre contre lequel je m'étais posé. "On s'dit à tout' alors, bro!" que j'lui dis en lui donnant un rapide check.

Orso affirmait qu'il s'était sorti de ses déboires avec toutes ces substances. Mais Livio savait aussi que c'était une bataille de longue haleine. Que cela prenait des années pour s'en sortir réellement. Mais son ami semblait savoir où était son talon d'Achille. C'était l'hiver qu'il était le plus propice à sombrer, ce qui n'étonnait pas Livio. Orso, c'était une pile électrique. Il avait sans cesse besoin d'être occupé. Alors, en basse saison, les démons pouvaient facilement revenir. « Que ce soit l'été ou l'hiver, si tu as besoin de quoique ce soit, tu sais que tu peux taper à la maison à toute heure. On se fera des Scrabble en plein hiver. » Non. Mais s'il fallait l'occuper, Livio serait le premier volontaire à se proposer. Parce qu'il voulait retrouver sa place dans l'entourage d'Orso. L'un et l'autre voulaient retrouver leur place mutuelle. Leur lien ne se referait pas aussi facilement, mais ils avaient l'air partant pour se redonner une chance de sauver leur amitié. Ils tenaient encore l'un à l'autre, c'était certain. Livio avait eu peur que le divorce efface tout, mais Orso semblait passer au-dessus. Alors que c'était justement à cause de ce divorce que la rancoeur aurait pu se faire plus forte... Livio avait fait du mal à Aura, contre son gré, bien sûr, mais il était le principal acteur du naufrage de leur mariage. Enfin, surtout son accident. Le jour où il comprendrait cela, ce sera sûrement le début d'un nouveau chapitre pour lui, le moyen de relever la tête et d'avancer, tel le battant qu'il avait toujours été. Mais à cet instant, il n'en avait pas encore la force. Il essayait doucement de recomposer avec son statut d'être vivant et d'homme. Et cela commença par renouer avec sa vie d'avant, celle dont Orso faisait partie. Il ne comptait plus les soirées qu'ils avaient passé ensemble, à écumer les boîtes de nuit et bars de Florence, à repartir bien souvent accompagnés. « Le Hendrix, c'est parfait ! 21h ? » répondit-il, un large sourire sur les lèvres, emballé par la soirée qui se profilait. Aux paroles de Orso, Livio éclata de rire, l'un de ces rires joyeux qui égayaient la pièce. « Des années ! Je crois que Bowen ne nous a jamais vu à l'oeuvre ! » Livio et Orso, c'était quelque chose ! Des défis stupides, de la drague à tout va, de l'alcool, le cocktail explosif pour ces deux phénomènes. Livio espérait être à la hauteur, cela faisait bien longtemps qu'il n'était pas sorti entre potes. Il rendit son check à Orso et le quitta afin d'aller à son rendez-vous.

21 heures, au Hendrix, Livio était déjà là, installé à une table près du comptoir. Il avait même pris le temps de s'apprêter, de se coiffer, de se parfumer. Comme avant, quand tout roulait dans sa vie. Et honnêtement, cela faisait du bien de retrouver cette part de lui-même. Quand Orso arriva, il l'interpella : « Hey  ! » Il le regarda et se fit taquin : « Beau gosse, quand même ! » Il se tourna vers le comptoir où il y avait la carte des boissons. « Tu veux commencer par quoi ? Je préviens. Ce soir, je rentre en taxi, je n'ai pas les gamins, donc je compte en profiter. » Ce qui laissait entrevoir que ce soir, il ne se mettait pas de limites.

tw : alcool & évocation de drogue.

Livio, il se positionnait à présent comme quelqu'un de bien présent dans ma vie. Ca m'faisait pas mal plaisir de renouer avec lui. J'savais pas tellement ce qu'Aura allait en penser. C'était peut-être pas très adroit de ma part mais en vérité, j'm'en fichais un peu. Parce que Livio, avant d'être son mari, il avait été mon meilleur pote. Et assurément, notre amitié avait été belle, intense et elle avait tenue une belle longueur, au fil des années. Avant de s'étioler jusqu'à aujourd'hui. Ca sonnait un renouveau. Et de savoir que j'pouvais à nouveau compter sur lui, genre vraiment, ça m'donnait encore un peu plus de confiance sur ma capacité à passer le prochain hiver. Sa remarque me fit éclater de rire. "Wo, tu sais comment me cueillir toi, avec tes activités bien bien fun." Un scrabble, au coin du jeu avec une camomille, c'était l'opposé exact de ce que j'avais vécu l'hiver dernier, à coup de boite de nuit, de musique m'éclatant les tympans et de poudre blanche m'électrisant l'esprit. Le gap entre les deux était magistral, mais je savais parfaitement que par là, Livio me proposait sa compagnie, pour les jours où j'aurais envie de replonger. Fallait que j'm'entoure, assurément, et Livio venait gonfler les rangs des personnes sur lesquelles je pouvais compter. On s'mit d'accord pour se retrouver le soir même au Hendrix, pour s'faire une soirée entre bro. Comme à l'ancienne. Comme à l'époque de Florence, et où emplissait les bars de nos présences, nos rires et accessoirement nos conneries et nos dragues sur un bon nombre d'italiennes. On avait jamais refait ça à Bowen, et c'était l'occasion parfaite. On s'quittait là, tandis que je rentais au loft, avec mes p'tites courses. Cette rencontre là, avec Livio, ça m'avait mis de bonne humeur. Même Arielle souligna mon sourire assez inhabituel ces derniers temps. La magie Manzoni avait opérée sur moi. Incontestablement.

J'me préparais un peu avant 21h pour ne pas arriver trop en retard. Ca c'était un peu mon point faible, la ponctualité. Mais j'arrivais tout de même à franchir les portes du bar avec seulement dix minutes de retard. Un exploit. J'voyais Livio qui était déjà installé et j'répondais par un geste de la main, m'approchant de lui. "Yo, bro!" que j'dis en m'installant en face de lui. J'me mettais à l'aise sur ma chaise, prenant de la place, comme j'faisais toujours. Lui et moi, on avait un beau charisme d'italien là. C'était indéniable. A sa réflexion, j'écartais les bras, l'air de dire "bah hééé, qu'est-ce tu crois?" "Ma certo che sì, quando si tratta di uscire!*" que j'lui dis, alors que l'italien revenait naturellement dans la conversation. "T'es pas trop mal non plus, mec!" que j'dis moi aussi assez taquin. En vrai, on était beaux gosses, c'était pas discutable. Livio s'activa sur la carte des boissons et annonçait la couleur pour ce soir. "Wo, c'est bien appréciable d'entendre ça! Nos corps de trentenaire nous feront très certainement regretter ça demain, mais pour alors, sky is the limite." que j'dis en riant. Ce "sky is the limit" c'était notre petit running gag à tous les deux, à l'époque de Florence. C'était la phrase qu'on sortait à tout bout de champ, quand on devait prendre une décision et qu'on optait inlassablement pour le choix le plus risqué. "On attaque à quoi ? Genre, bière pour démarrer tranquille ou on opte pour un alcool bien fort, pour fêter les retrouvailles de notre duo?" J'suivrais le lead de Livio. Même si j'avais complètement arrêté la cocaïne, l'alcool en revanche, j'disais jamais non. Et encore moins en bonne compagnie.

*"Bien évidemment, toujours quand il s'agit de sortir!"

@Livio Manzoni