Be brave | Poppy & Vicky

Tu as peut-être ton horloge biologique qui fait des siennes à certaines périodes de l’année, tu n’as pas la moindre idée de ce que ce rendez-vous peut signifier pour la jeune femme que tu accompagnes à l’hôpital aujourd’hui. Tu as même du prendre sur toi pour t’y rendre, t’arracher de ton lit, etc. L’odeur, le blanc, le défilé permanent de blouses… Des raisons pour lesquelles tu ne fais, finalement, pas grand chose de fou dans ta vie. Tu n’as presque pas ouvert la bouche, elle non plus, depuis que vous êtes arrivées. « J’ai peur. » Prête à te compresser la main, tu ne doutes même pas une seconde sur ce qu’elle te dit. Pour la première fois, tu ne sais pas si tu dois lui dire la vérité : « ça arrive ce genre de soucis et il y a plusieurs façon d’y remédier quand bien même tu aurais un instinct maternel à assouvir » ou ce qu’elle veut entendre, comme un « ça va bien se passer, j’en suis sûre ». Avec de telles paroles, tu la ramasserais encore plus à la petite cuillère qu’en contournant la question. Tu te retournes vers Victoria et prends une profonde inspiration. « Tu respires, doucement, par la ventre. Tu écrases mes phalanges si tu y tiens, mais tu me fais pas une crise d’angoisse même si le personnel à la réputation d’être agréable à regarder. D’accord ? » Tu termines avec un fin sourire, en espérant que ta petite note d’humeur l’aide un tant soit peu à ne pas devenir folle. Évidemment, tu sais qu’elle est mariée (sans trop fouiner), mais vérifier le cliché des internes et autres infirmiers ne veut absolument rien dire, pour toi.

C’est fou ce que le temps est long dans de telles situations. Tu jettes un coup d’œil en direction de Victoria, puis vers les néons, ces satanés murs. Tu essayes de respirer normalement histoire que ça puisse aider la jeune femme dans sa propre démarche de relaxation. Tu te laisses glisser sur ta chaise, un peu comme une enfant à qui on pourrait lui reprocher de ne pas être un invertébré, et poses ta tête sur l’épaule de la blonde. Et dire que tu te mords la lèvre est un doux euphémisme, tu sais pertinemment qu'elle saigne depuis un moment. Empathique jusqu'au bout comme fille. « Madame Emery, je peux vous parler ? » Vous êtes restées silencieuses jusque là, un peu rêveuse aussi pour ce qui te concerne. Ainsi, tu n’as pas vu le médecin arriver. Tu te redresses aussitôt pour ne pas faire mauvaise impression, mais tu ne te lèves pas pour autant. Tu remarques également la jeunesse du médecin… Tu lèves les yeux au ciel : pourvu qu’il soit capable de dire les mots juste pour que Victoria ne s’effondre pas au point de toucher le fond. « D’accord mais j’aimerais qu’elle soit là. » Tu clignes des yeux. Tu comprennes qu’elle ait besoin de soutien, de réconfort – notamment si les nouvelles seraient mauvaises – mais avec cette histoire de secret médical, tu n’aurais jamais pensé qu’elle te traîne jusque dans ce bureau. Tu la fixes dans les yeux. « Je… t’es sure ? » Malgré son ton, tu lui poses tout de même la question. « Très bien, je viens. », souffles-tu doucement. Tu te lèves et la prend par les épaules jusqu’à ce vous arriviez dans le bureau. Et maintenant ? Tu as beau la connaître, tu es définitivement dans l’incapacité de prévoir sa réaction. Plus un regard vers ta meilleure amie désormais, tu hausses un sourcil en direction du médecin.

Tu n’as jamais connu Victoria dans un tel état de stress au point d’opter pour ce genre de langage que toi-même tu évites, jusqu’à être poussée au bout. Éducation oblige. Bouchée bée, tu l’as fixes incrédule cette fois. Mais où était donc passée cette fille avec qui tu passais du temps ? « Madame Emery, les troubles l’ovulation peuvent être dus à un dysfonctionnement des ovaires ou des structures cérébrales qui contrôlent leur activité. Dans votre cas il est fort probable que ne pouvez concevoir d’enfants. » Tu ne sais absolument pas de quoi il parle jusqu’à la dernière phrase. Tout ce charabia médical… Tu as carrément l’impression de venir d’un autre monde. Et puis, a-t-il déjà oublié les cours de psychologie suivis lors de ses études ? Quelle délicatesse… Tu hésites à lui sauter dessus pour passer tes nerfs, mais au final, tu prends ta meilleure amie dans tes bras. Tu respires bruyamment pour souligner ton agacement et adresses enfin ce regard glacial vers le médecin. Après avoir insisté, il comprend enfin que tu cherches à le congédier. « Je suis désolée. » Réponse lambda, tu le conçois, mais tu l’es vraiment. Désolée que la nouvelle la mette dans cet état : Victoria doit probablement toucher le fond à cet instant. Incapable de te mettre à sa place, tu ne comprends pas ce qui la mettre dans cet état. Tu ne comprends pas à quel point elle voulait que ce soit son enfant à elle et également celui de son mari, certainement parce qu’il s’agit d’une question que tu ne t’es pas encore posée. « Est-ce… Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? » De l’eau ? Un mouchoir ? Passer un coup de fil ? La traîner dans un bar pour qu'elle noie son chagrin dans un alcool fort ? Un de ces gros pots de glace ?

Tu es complètement abasourdie par la situation, par l’état dans lequel Victoria est, par les paroles du médecin. Cela semble être aussi bien Bagdad dans ta tête que dans celle de ton amie. Pourquoi n’existe-t-il pas un livre pour dire comment réagir et se comporter dans de telles circonstances ? À défaut, tu aurais bien voulu avoir une expérience précédence. La jeune femme assise à côté de toi ne mérite pas d’être « punie » de la sorte. C’est le genre de personne destinée à fonder une famille. Cela pourrait même être inscrit dans ses gènes. Tu fronces les sourcils au moment où elle se lève ? Où compte-t-elle se rendre ? Tu croises les doigts pour que Victoria n’agisse pas aussi inconsciemment que toi en cas de mauvaise nouvelle. Tu la fixes, sourcil relevé. Elle va bien ? La bonne blague… Elle va tout sauf bien. Pas besoin d’être surdiplômé comme le jeune médecin pour le comprendre. Pas besoin d’être une femme non plus… Enfin normalement. Plus elle parle, plus tu as envie de la secouer : il faut qu’elle réalise la chose, qu’elle pleure un bon coup, qu’elle redescende les pieds sur Terre. Tout cela maintenant. Pas plus tard. Pas lorsque tous les médecins de la ville, de la région ou du pays confirmeront ses mauvais résultats. C’est scientifique, véritable, toute cette histoire ne résulte pas de l’interprétation du médecin. « Victoria… On ne te laissera pas tomber pour ça. Personne. » Ou alors, c’est la preuve que son mari ne vaut pas la peine, mais tu ne diras rien à haute voix à ce sujet, parce qu’il est son mari, d’une part, et parce que tu ne le connais pas d’autre part.

Comment lui dire ? Tu n’en as pas la moindre idée. Il n’y a pas de manuel pour ça et tu n’as jamais eu l’occasion d’essayer (et puis il est peu probable que tu aies ce genre de conversation avec Thad). « Non, non. Faut pas que tu partes aussi défaitiste. » Il faut qu’elle le lui dise clairement et simplement, et surtout le plus vite possible afin que Donovan n’aille pas croire qu’elle a essayé de lui cacher la vérité. « Vous êtes ensembles depuis bien trop longtemps. Vous êtes vraiment faits l’un pour l’autre. Il y a peut-être eu des hauts et des bas, mais il ne va pas te quitter pour ça. » Donovan et Victoria, c’est peut-être le stéréotype du couple formé au lycée, mais ils sont toujours là, n’est-ce pas ? À tes yeux, il n’y a pas meilleure preuve pour lui faire comprendre qu’il ne la quittera pas maintenant. Certes, l’infécondité n’est pas un « rien », mais il y a toujours des solutions… Enfin toi, tu as grandi avec cette vision des choses.Tu ne les envies pas spécialement, mais tu es obligée d’admettre qu’ils forment un beau couple. « Vous vous aimez, ça se voit tellement. C’est même une évidence quoi ! » Le couple à la fois parfait et heureux. Du moins, en apparence. Tu commences à remettre sérieusement en question tes croyances. « Allez. » Tu la prends contre toi et passes tes bras dans son dos. Si Victoria a besoin de parler, c’est le moment le plus opportun. Évidemment, en tant que meilleure amie, tu seras toujours présente pour elle, toujours prête à lui prêter ton épaule si besoin. Mais sur le coup, ça ne lui fera pas de mal. Elle accusera le choc.

« J’ai envie de te dire que ce sont des choses qui arrivent. » Sauf que cela n’arrive pas aussi souvent, si ? Tu n’en as pas la moindre idée. Tu te contentes plutôt de vivre au jour le jour avec tes dessins que de te poser sur ce genre de questions. Et au final, tu aurais peut-être préféré que ce soit toi celle avec le problème des ovaires... Tu t'en serais probablement remise plus vite. « Attends moi ici… » Tu te mords la lèvre, hésitante. Ce n’est peut-être pas une si bonne idée que de la laisser seule dans ce couloir. Dans l’immédiat, tu n’as pas la moindre idée de ce que ta meilleure amie serait capable de faire. « En fait, non. Tu viens. » Tu lui prends la main et sans lui laisser le choix, tu traines Victoria jusqu’aux toilettes histoire qu’elle se passe un peu d’eau sur le visage, qu’elle essuie les dernières larmes et qu’elle se calme également. « Il t’a choisie, ne l’oublie pas. » Dépassée. Il n’y a pas d’autres mots pour décrire l’état dans lequel tu te trouves maintenant. Les larmes de la jeune femme sont revenues, encore plus nombreuses et plus puissantes que toute à l’heure. « Ces enfants n’ont rien demandé d’un côté, ils méritent de vivre même si ce que Donovan et cette femme ont fait est… horrible de ton point de vue. » Tu la reprends dans tes bras et passes ta main dans son dos, te voulant alors la plus rassurante possible. « Tu vas trouver un moyen de lui dire la vérité. Et vraiment s’il t’aime il l’acceptera. Vous, ensemble, allez trouver un moyen d’affronter cette nouvelle. »