On veut des rêves qui nous soulèvent. •• Pawel

∞ Il doit être aux alentours de 20h, et tu es assise à une table, seule, vêtue simplement d'un jean, d'une blouse crème, et d'une veste en cuir noir. Tes longues boucles sont lâchées dans ton dos, comme bien souvent, l'exception étant lors de tes cours de danse. Tu es dans un bar, tu sors encore. Pourquoi? Cela reste une question à laquelle tu n'as aucune réponse. Ce n'est même pas que tu aimes nécessairement te saouler, seule dans un lieu plutôt sordide. Donc, ce que tu fais là, t'en as pas la moindre idée. Quand t'es chez toi, tu peux trop réfléchir, penser, et ça, tu préfères éviter, histoire de pas finir en déprime totale en pensant trop à ton passé. Tu ne supportes pas l'alcool, tu le sais, et pourtant, tu en es déjà à ton troisième verre de martini, super ingénieux, tu le sais pertinemment. L'excès te tuera, mais faut bien mourir de quelque chose non? Autant savoir de quoi. Toi t'as choisi l'alcool et la cigarette. Tu vides ton verre, et jettes un coup d'oeil à la salle, elle est vaste, et bien remplie, des éclats de rire fracassent le brouhaha qui règne. Et toi t'es toute seule à boire. Tu te lèves et t'avances vers le bar, ta tête te tourne un peu, mais tu ignores volontairement le signe de l'alcool qui te monte. ❝ Un martini s'il vous plait. ❞ Ta politesse est toujours présente, c'est quelque chose que tu tiens de tes parents, et tu sais qu'ils seraient fiers de toi de savoir que tu n'as pas changé, au moins pour ce point. Tu attends ton verre en tapotant des doigts sur le comptoir, d'un air vide, essayant d'éloigner, avec ton attitude de glace, les potentiels et involontaires prétendants.

•• On veut des fleurs à nos douleurs... Tu éteins la radio; non mais qu'elle chanson geignarde. Comme si le monde allait se refaire avec une chanson. La révolution française ? Ouais, t'en as entendu parler à un quelconque voyage en France. Rien d'autre. Ton attrait pour se pays s'arrête ici. Ah non. Il y a Ambre aussi. Enfin... Tu soupires et claques la porte de ton appartement. Tu ne fermes pas à clé. De toute façon, il faudrait vraiment trouver quoi y voler; tu n'as rien de bien précieux. Dans la rue, l'air est frais; pourtant tu restes en t-shirt. Rien à foutre. Tu t'engages dans le premier bar que tu vois. T'es un habitué ici, et quand tu t'accoudes au comptoir, le serveur – Mathieu non ? Peut-être, peut-être pas – te sers directement un verre de whisky. Le verre est froid, les glaçons craquellent à l'intérieur et tu serres le verre dans ta main usée, fatiguée, déjà vieille alors que tu es jeune. De l'autre, tu ébouriffes tes cheveux bruns. Puis tes yeux verts balaient alors la salle. Rien de bien spécial ce soir. Tu remarques des regards toujours de cette jolie brune aux joues rosies à chaque fois qu'elle croise le tien. Cela fait plusieurs jours qu'elle t'observe ainsi. Peut-être cèderas-tu ce soir. Tu ne cèdes pas à n'importe qui. On a beau te connaître comme un coureur de jupons, les gens seraient choqués d'apprendre que tu ne t'offres pourtant pas à tout le monde du tout. Tu reviens vers le bar et c'est un peu plus loin que tu la vois. Merde. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Ah oui, Winnie. Comme Winnie l'Ourson, sauf que là, c'est une Oursonne. Elle est blonde, elle a des yeux bleus & encore un peu tu la confondrais avec Ambre. Quand tu la vois, tu ne vois pas Winnie d'ailleurs. Mais ton Olympe, quand tu étais Ronan. Tu soupires et plonges alors le nez dans ton alcool. Triste remède à tes tourments.

∞ En attendant ton verre, tu observes les alentours, la salle. Tu reconnais quelques têtes, vaguement, pour les avoir déjà vues dans ce même endroit. Puis ton regard s'arrête sur quelqu'un de bien précis. Il est là, accoudé au bar, un verre à la main, et le regard ailleurs, vers son verre en réalité. Ton verre à toi arrive, tu le prends, puis, bois une gorgée, laissant l'alcool te brûler un peu la gorge. Tu pousses un soupir, comme pour te donner du courage et tu t'avances alors, d'un pas assuré, vers le brun. Pawel. Il ne t'aime pas, tu le sais, et pour tu ne sais quelle raison, cela te blesse, plus que ça ne devrait. Peut-être parce que tu es habituée à avoir l'attention et' l'amour' des hommes, que tu es habituée à être appréciée, admirée par la gente masculine ? Il y a de grandes chances. Le fait est que tu t'es mise dans la tête de le faire changer d'avis sur toi, de faire qu'il t'apprécie. Toi et tes challenges personnels... C'est surement peine perdue, mais tu es comme ça toi, tu aimes les choses d'apparence impossibles. Te lancer corps et âme dans des causes sans espoir, quitte à être encore plus blessée au final. Tu arrives à sa hauteur, et t'installes à ses cotés, silencieuse, et tu poses tes prunelles océan sur lui. « Whisky? » Sublime entrée en matière Winnie, vraiment. Tu bois une nouvelle gorgée, en attendant sa réponse.

•• Tu ne dis rien, tu ne montres rien. Jamais. Elle est là un peu plus loin mais tu préfères faire comme si tu ne l'avais pas vue, comme si elle n'existait pas, comme si elle ne te rappelait personne. Tu fais mine d'être absorbé par ton verre pour ne pas risquer de tourner ton visage vers elle, vers sa silhouette dont ton regard semble être attiré comme un aimant. Alors tu es là, tu te perds dans d'ultimes pensées toutes plus futiles les unes que les autres; elles s'emmêlent dans ton esprit brouillon et diffus. Tu prends une nouvelle gorgée. Ton regard de corbeau se pose sur un point que tu es le seul à voir; existe-t-il seulement. Et puis d'un coup, sa voix. Tu ne l'as pas entendu approcher. Tu ne l'as pas sentie venir. Mais elle est là. Elle a presque la même voix qu'Ambre aussi. Tu serres les dents. Toute personne normale, retrouvant une personne qui ressemble fortement à une personne que... l'on côtoyait, réagirait bien. N'importe qui, rien que pour ça, l'aimerait. Il y a toujours eu quelque chose qui fonctionnait de travers chez toi, n'est-ce pas ? Oui, bien sur. Toi, tu la détestes. Pour ça, oui. Tu vrilles alors tes prunelles chocolats sur les siennes, cherchant son regard comme pour mieux trouver la force de la repousser. Car il s'agit bien de force et non de volonté. Ta volonté, elle, te crierait de rester près d'elle. « Tiens donc, tu n'as pas d'ami ce soir, c'est ça ? » Ton sec, détaché. La distance a toujours été, pour toi, la meilleure défense.

∞ Il ne te remarque pas tout de suite, et tu le vois serrer ses dents quand il aperçoit ta présence. Calme Winnie, ne le laisse pas te toucher. Enfin, il lève la tête, et ses yeux se plonge dans les tiens. Sa voix te blesse, en plein coeur, comme toujours lorsque l'on te parle sur un ton pareil. Il est sec, brut, et il a l'air de ne pas vraiment s’intéresser à toi. Tu déglutis, et fais mine, comme toujours, ce qu'il te dit ne te touche pas, rien ne te touche. Menteuse. T'as envie qu'il t'apprécie, t'en as même besoin. Tu n'arrives pas à comprendre ce besoin, surement une sorte de compensation du manque d'amour que t'as eu pendant ton adolescence, qui sait?... Tu soutiens son regard chocolat, qui te fait fondre. « Si, et figures-toi que je suis en ce moment-même avec lui. » Ta voix est à l'opposée de la sienne, elle est chaleureuse, douce, voir amicale. Mais si l'on y fait bien attention, on peut remarquer comme elle est fragile, et peu assurée. Il te rend comme ça ce Pawel. Il arrive à te faire redevenir la petite fille fragile que tu étais avant. Tu portes ton verre à tes lèvres et bois une gorgée, histoire de faire monter l'alcool encore un peu plus à ton cerveau, pour oublier, pour relativiser, pour ne plus être blessée par les dires du beau brun. Parce que tu sais qu'il va continuer sur sa lancée, comme à chaque fois que vous vous croisez. Comme chaque fois que tu tentes de te rapprocher de lui, de faire 'naître' un lien positif entre vous deux. Ton verre est à nouveau posé sur le comptoir, et tes doigts passent furtivement sur le bord de celui-ci, et tu attends sa prochaine offensive.

•• T'as toujours été un peu plus attentif que les autres. Plus observateur. Peut-être que cela vient de là, le fait que tu décryptes plus facilement les émotions des personnes qui t'entourent. Et que tu crois difficilement à la comédie que t'offre Winnie à cet instant-là. La joie que tu entends dans sa voix, cette chaleur, cette douceur, tu n'y crois pas. L'indifférent calme qu'elle te présente ne te trompera pas. Tu ne comprends pas. N'importe qui réagirait. Soit par la violence, soit par la même distance dont tu fais preuve. Chercherait à savoir, à comprendre : elle ne t'a rien fait et tu la hais. Il y a un soucis, non ? Mais elle, non. Elle ne t'a jamais clairement demandé. Elle n'a jamais menacé de se mettre en colère. Etrange, tout de même. Mais bon, tu n'es pas du genre à te soucier des uns et des autres. Vil égoïste petit vagabond. Tu étouffes un rire moqueur et secoues la tête, attrapant ton verre entre tes doigts usés que le travail au cirque ont forgé. « Moi... ton ami ? Allons, Winnie, je te croyais bien moins naïve que cela. Après, si tu veux faire un tour dans mon lit, on peut éventuellement s'arranger. » Mensonges. Tu mimes, toi aussi. Tu prends le rôle de celui que tu n'es pas. Tu te montres manipulateur et calculateur ; pourtant, ceux qui te connaissent savent que tu ne l'es pas du tout. Mais existe-t-il au monde une personne qui te connaisse assez bien pour affirmer ça ? Non. Triste réalité. Tu préfères la provoquer, te montrer sous un plus mauvais angle encore que celui que tu abordes. Moyen de défense. Plus elle te croira mauvais, moins elle s'approchera de toi. Non ? Tu finis ton verre sans aucun mal et le repose sur le comptoir, en commandant un autre d'un geste. Puis alors, tu reposes tes yeux sur elle, indifférent, attendant de voir ce qu'elle compte faire, ou répondre.

∞ Comment est-ce qu'un simple homme peut te mettre dans un état pareil ? Face à lui, tu te sens vulnérable, faible, tu n'es plus toi en sa présence, tu as l'impression d'être une moins que rien, c'est comme ça qu'il te traite, qu'il te fait te sentir, et pourtant, tu t'obstines à essayer, à lui donner une chance de ne pas être ce crétin arrogant et indifférent. Tu t'obstines, même s'il fait mal, même si ses propos te blessent à chaque fois. Le beau brun étouffe un rire, il se moque de toi, mais une nouvelle fois, tu prétends ne pas voir, ne pas comprendre. Ses doigts attrapent son verre et il boit. Tu fais pareil, pour te redonner une contenance. Un tour dans son lit ? Naïve ? ... Ta gorge se noue quelques secondes, il se fiche encore de toi, et là, en plus, il t'humilie carrément. Tes yeux s'enflamment, non pas parce que tu es attirée par sa proposition, mais parce que tu ne vas pas te laisser faire, pas laisser passer ça. Un sourire carnassier étire tes lèvres. « Oh oui, arrangeons-nous, j'adorerai passer par ton lit, comme toutes les autres filles sans cervelle et sans plus aucune estime d'elles-même. Vas-y Pawel, ajoute-moi à la liste de tes nombreuses et chanceuses conquêtes. » Ton ton est sarcastique, mais il reste doux, tu craches ton venin, mais pas de façon méchante. Tu regrettes directement tes paroles, et ton regard bleuté se détourne, pour balayer la salle du regard. C'est son regard d'ange qui t'en empêche d'être comme il est avec toi, ses prunelles chocolats t'empêchent d'arriver à lui lancer les choses les plus atroces. Il a cet air, qui te fait penser au tien, cet air de petit garçon perdu, blessé. Ce doit être aussi pour ça que tu ne lui en veux pas réellement, que tu cherches à lui trouver des excuses pour son comportement toujours infecte envers toi. Pauvre Winnie, pauvre faible femme.

•• C'est ça, jouons, jouons. Jouons à celui que tu n'es pas, celui dont tu ne partages aucune valeur et que pourtant, tu offres à tout le monde en guise de reflet. Cette attitude n'est pas la tienne, mais personne n'est là pour le remarquer. La réponse de la petite blonde te fait sourire. Elle semble entrer dans le panneau à fond. Alors, elle aussi ? Elle aussi, certainement oui, te croit le genre de mec qui fait passer n'importe qui dans son lit. Sait-elle seulement à quel point cela est faux ? À quel point ces rumeurs sont basées sur la fausse image que tu donnes de toi à tout le monde ? Tss, balivernes. Tu la croyais plus maligne mais il semble que tu te sois trompé. Pourtant sur les autres, tu te trompes rarement. À moins qu'elle n'ait dit ça que pour entrer dans ton jeu et qu'elle sache pertinemment que tu n'es pas comme ça. Mais comment pourrait-elle le savoir, hein ? Bon sang, Pawel, ne mélange pas tout. Tu n'es pas face à Ambre. Non, tu es face à son parfait sosie. Bien que pour toi, Ambre sera toujours plus belle. Plus rayonnante. Plus distinguée. Plus... toujours plus. Tu effaces son nom de tes pensées. Ambre n'est pas; Olympe non plus. Ronan est parti, ne laissant qu'un Pawel à la dérive. « Hum... non. » Tu braques tes yeux sur elle, te rapprochant soudain pour laisser ton souffle errer sur son visage. « Je ne pense pas que tu le mérites. » Un sourire narquois sur tes lèvres avant de prendre une gorgée de ton nouveau verre et de t'asseoir sur le tabouret le plus proche que tu tires jusqu'au comptoir. Mais que veut-elle, bon sang ? Que tu te montres si vil et mauvais avec elle ne suffit pas à l'éloigner. Alors... que veut-elle ? Pourquoi prendre le risque d'encaisser à chaque fois plus de paroles dures que tu utilises dans l'unique but de te défendre contre tes souvenirs, hein ? Tu n'en as aucune idée. Et c'est bien ce qui t'inquiètes.

∞ Tu entres dans son jeu, tête baissée, sans faire attention à quoique ce soit. Tu vas finir blessée, une nouvelle fois Winnie. Mais tu t'en fiches, le jeu en vaut la chandelle, c'est ce que tu te dis. C'est ce que tu te dis toujours. Soudain, il s'approche de toi, et son souffle s'écrase contre ton visage. Tu restes de marbre, extérieurement parlant, parce qu'au fond de toi, ton coeur se met à battre plus rapidement. Ses prunelles observent les tiennes, et tu arrives à ne pas montrer à quel point cette proximité te plait, te rend légèrement euphorique. ❝ Je ne le mérite pas? C'est que t'es drôle comme gars toi ! ❞ Cependant, un sourire en coin se forme sur tes lèvres, et tu hausses les épaules. ❝ T'façons, qui te dis que j'en aurais envie? ❞ Mais n'est-ce pas le cas au fond? Il t'attire, c'est certain. Mais de là à coucher avec lui ?... Non, tu n'es pas, plus comme ça. Les relations d'un soir, ça ne te va pas. Tu bois une nouvelle gorgée, tes pensées dérivent, ta tête commence vraiment à tourner. Mauvais signes, mais tu n'en tiens pas compte. Tu t'en fiches, tu ne le laisseras pas t'échapper, tu veux des réponses à ces questions que tu n'oses pas formuler à voix haute. Pourquoi est-il comme ça ? Pourquoi te déteste-il alors que tu ne lui as jamais rien fait ? Tes yeux bleus cherchent les siens, à nouveau. ❝ Qu'est-ce qu'un gars comme toi fait tout seul dans ce bar? ❞ chuchotes-tu en finissant ton verre. Réussir à avoir quelques réponses, au fur et à mesure, essayer de préparer le terrain pour les questions qui t’intéressent vraiment.