damsel in distress -r.

J'avais voulu me lever tôt ce matin pour aller courir un peu, question de me garder en santé, moi qui passais mes journées assis devant un écran la plupart du temps. Malheureusement, ma paresse l'emporta sur mon ambition et je restai au lit à dormir cette heure-là. Ça m'avait carrément fait du bien de me reposer les yeux davantage. Toutefois, qui dit paresse du matin, dit sport du soir. J'avais donc enfilé mes souliers de course ainsi que des vêtements plus sportifs et j'avais pris le chemin vers le Mullers Lagoon, ce beau parc qui longeait le lac. C'était le plus beau sentier que je connaissais à Bowen. Certes, le paysage de la plage était beau, mais courir dans le sable ce n'était pas mon fort, et l'allée piétonnière était toujours bourrée de gens, à n'importe quelle heure de la journée. Je préférais davantage le calme du parc ; en plus, ça me permettait de ne pas avoir à me sentir nul en me comparant aux autres coureurs plus avancés que moi qui se tenaient plus souvent à la plage. Bref, une fois arrivé, je m'échauffai un peu avant de partir le chronomètre de mon lecteur de musique. Rien de mieux qu'un peu de rock pour sortir la furie en moi et me donner un petit coup de pied au derrière pour courir plus vite. Toutefois, une scène qui se passait sur un banc un peu plus loin attira mon attention. Je n'entendais aucunement ce qui se passait à cause de la musique dans mes oreilles, mais les sourcils froncés de la demoiselle et les mouvements insistants de l'autre homme envers elle me firent comprendre que quelque chose clochait. Je m'approchai donc du banc de parc sur lequel une guitare était déposée, tout près de la demoiselle qui était maintenant debout, le poignet emprisonné par les doigts de l'homme, qui releva les yeux vers moi. « Tout va bien ici, mademoiselle ? » Demandais-je en regardant la jeune femme avec un sourire qui se voulait rassurant et confiant, pour lui faire comprendre qu'elle n'avait qu'à me faire un signe ou quoi que ce soit si jamais elle était dans une mauvaise situation. Tout de suite, l'homme, se sentant menacé, m'envoya balader en me disant que tout allait bien et que je pouvais m'en aller. Je le regardai sérieusement. « Ce n'est pas à vous que je parlais. » Lui lâchais-je sèchement. Je n'étais pas très violent et je ne ferais jamais de mal à une mouche, mais c'était tout de même mon devoir de citoyen d'intervenir si j'avais des doutes quant à la sécurité d'une femme - ou d'un homme, peu importe.

L'homme serrait de plus en plus fort le poignet de la jeune femme. Je le voyais dans le visage apeuré et souffrant de celle-ci mais aussi dans la contraction des muscles de son agresseur. Je sentais la panique monter en moi. Je ne m'étais jamais retrouvé dans une situation pareille et, pour être honnête, je doutais présentement fortement de mes habiletés à intervenir adéquatement. Je n'étais ni fort, ni intimidant, ni persuasif. En gros, je n'avais aucune autorité et aucun pouvoir et c'était très facile à voir. Ainsi, si je tentais quoi que ce soit par moi-même, l'homme allait clairement se foutre de ma gueule. Heureusement, je ne sortais jamais sans mon allié, même quand j'allais courir. Quel allié? Mon téléphone portable. Entendant la demoiselle se plaindre faiblement et me supplier de l'aider, je ne perdis pas une seconde de plus avant de sortir mon téléphone et de composer le 911. Je montrai mon écran à l'homme. « Il ne me reste qu'à appuyer sur le téléphone vert. Alors c'est ton choix. Sois tu fous le camp et tu ne t'approches plus jamais d'elle, soit tu attends l'arrivée des flics et t'es dans la merde profonde. » Évidemment, sachant qu'il n'avait plus d'autre choix, il déguerpit. Dès qu'il fut assez éloigné, je m'approchai de la jeune femme encore sous le choc. « C'est bon, c'est fini. Tout va bien ? Rien de cassé? » Son état n'étant pas alarmant, je la fis s'asseoir à côté de moi sur le banc, toujours très doucement pour ne pas l'effrayer. « Tu le connaissais ? » Demandais-je. Peut-être s'agissait-il d'un ex un peu trop possessif et frustré de la rupture, ou une histoire dans le genre. Pour le moment, la jeune femme était en sécurité. Je ne partirais pas avant qu'elle se soit calmée et qu'elle se sente en sécurité.

Je n'agissais pas de peur d'envenimer la situation. Je voyais bien que la demoiselle s'impatientait et qu'elle avait mal, mais je préférais régler les choses de façon civile plutôt que par les poings. Pourquoi ? Parce que cet homme était visiblement plus fort que moi et me lancer comme ça dans la gueule du loup ne l'aiderait en rien. Je tentai donc de discuter avec l'homme, de le persuader de lâcher la jeune femme et de lui foutre la paix, en repartant sans regarder derrière lui. Je n'étais pas un homme méchant ou violent, mais parfois les menaces pouvaient être utiles. Je les préférais aux attaques physiques. Alors que je sortais mon portable de mes poches, j'aperçus le regard terrifié et intrigué de la demoiselle et je lui rendis un regard rassurant. Au simple mot "police", son agresseur avait foutu le camp. Il fallait avoir un peu confiance en les techniques d'un nerd, quand même. Je m'étais souvent fait intimider quand j'étais plus jeune ; peut-être était-ce l'héritage que j'en conservais. Savoir me défendre grâce à ma ruse et mon intelligence. Une fois le calme revenu, je m'assurai que la brunette allait bien. En s'asseyant, elle m'affirma qu'elle allait bien, toujours sur ses gardes. Je pris place à ses côtés, à une distance raisonnable, et lui demandai si elle le connaissait, cet imbécile. « Et l'auteur de ces lettres anonymes ... savait-il que tu te trouverais ici ce soir ? » Toutes ces histoires de rencontres virtuelles, d'harcèlement, j'avais toujours trouvé que c'était le côté le plus néfaste des Internet. Moi qui étais pourtant un parfait exemple de l'homme qui entretient plus de relations virtuelles que réelles, je savais que certaines personnes utilisaient cette sorte de confidentialité à des fins plutôt mauvaises. Tout d'un coup, la demoiselle que je venais en quelque sorte de sauver se leva et me remercia en me disant qu'elle ne voulait pas m'embêter avec ça. Je me levai tout aussi vite. « Tu ne m'embêtes pas, je t'assure. En fait je préfère largement que tu m'en parles pour qu'on s'assure qu'un truc pareil ne se reproduise pas. Je me connais assez en informatique, si tu veux j'peux trouver le moyen de bloquer tout contact entre ton harceleur et toi. » Voilà que je me faisais peut-être un peu trop insistant envers une femme qui venait de se faire agresser par un inconnu. J'étais moi-même un inconnu, en train de carrément s'inviter chez elle pour améliorer la sécurité de son ordinateur. J'eus un rire gêné. « Ou je peux tout simplement te donner le numéro d'un endroit qui te règlera ton problème. En tout cas ... ce serait plus prudent, je pense. » Lui avouais-je avec un mince sourire en coin, les sourcils haussés.

Au moins, je croyais fortement dégager davantage de bonté que son aissaillant précédent. Enfin, je n'étais pas du tout une menace pour elle. En même temps, il est vrai que parfois l'agresseur se cache derrière un visage doux et bon comme le mien, alors je comprenais fortement la jeune femme d'être tout de même sur ses gardes. Surtout après un incident pareil ... elle serait plutôt insouciante si elle se jetait tout de suite à la merci d'un second inconnu. Enfin bref, pour le moment, j'essayais encore de la rassurer mais peut-être allais-je trop loin dans mes efforts, ce qui pouvait me faire paraître un peu trop intense. Après tout, lui proposer d'aller vérifier son système de sécurité d'ordinateur chez elle était effectivement une approche peu délicate de ma part. J'aurais tout simplement pu lui donner les directives et espérer qu'elle s'en sorte sans mon aide. La brunette m'apprit toutefois que cela n'avait rien à voir avec l'Internet ; il s'agissait de courrier. « Je vois que tu es une musicienne ... t'aurais pas une chaîne Youtube ou un truc dans le genre sur lequel tu aurais divulgué des informations sans les rendre privées ? Ou par Facebook aussi ça se voit assez souvent, les gens postent des adresses pour inviter des amis à une fête et l'événement est public, donc ... tout le monde connaît ses informations. » Il fallait faire attention avec ce genre de choses. On se croit protégé parce qu'on est derrière un écran d'ordinateur, mais en réalité, c'est tout le contraire. Pour ma part, tout ce que je postais était réservé à un petit public, mes amis proches quoi. Bref, j'essayais simplement de donner quelques pistes à la demoiselle afin qu'elle s'assure de faire plus attention à l'avenir. Et si elle était déjà prudente, peut-être avait-elle à faire à un fan plus expérimenté en piratage ou informatique ou même à un fan qui la suivait partout ... jusqu'à sa résidence. Ça aussi, c'était plausible ; il aurait eu son adresse de cette façon. Mais dans ce cas-là, je ne pouvais rien pour elle. Je réservais l'intervention à la police. La jeune femme me demanda finalement mon nom. Je souris. « Nelligan. Je suis pas un monsieur, pas encore en tout cas ... » Je ne savais pas si je devais lui demander son nom, après ce qu'il venait de lui arriver. Alors je la regardai, elle prête à partir avec sa guitare en main. « Bon et bien ... je vais te laisser continuer ton chemin ... » Lui dis-je.

Dans une société comme la nôtre, un trop grand coup de main paraissait si déplacé. Je trouvais dommage que l'individualisme ait rendu tout le monde si méfiant, sur leurs gardes. Plus personne ne se faisait confiance. Dans certains cas, c'était bien mieux ainsi. Toutefois, dans d'autres, je me disais souvent qu'on devait passer à côté de pas mal de belles rencontres et de beaux moments, à force de fuir à chaque doute. En même temps, en ce moment, je ne pouvais pas vraiment le reprocher à la jeune femme. Elle venait tout de même de se faire brusquer par un autre étranger, alors dans les circonstances, je pouvais comprendre qu'elle n'ait qu'une seule envie, celle de rentrer chez elle au pas de course. Finalement, j'haussai les épaules avec un mince sourire lorsque la brunette se reprocha presque à elle-même d'être venue à sa rencontre. « Tu ne pouvais pas savoir. On peut pas se douter de ce genre de choses ... » Certes lors d'une rencontre avec un étranger, il est toujours mieux d'avertir quelqu'un de l'endroit où on se trouve ou mieux encore de s'assurer d'être accompagné, mais en même temps elle était une adulte, les conseils de maman et papa devaient être bien loin dans sa tête. J'aurais sans doute fait la même chose ; enfin, après tout, la première fois qu'Abygaëlle et moi nous étions donnés rendez-vous après avoir passé des années à jouer à des jeux vidéo en ligne ensemble sans se voir, j'étais bel et bien seul. Heureusement pour moi, elle n'était pas cinglée comme l'assaillant de la demoiselle. Bref, la brunette et moi rigolâmes un peu suite à ma remarque sur le fait d'être un monsieur, et sa réponse plus que logique. « Ah pour ça, je crois bien que oui ! » Après m'être présenté, sans savoir si je devais lui demander son prénom, la musicienne affirma qu'elle allait attendre avant de rentrer. J'hochai la tête. « Si tu veux, je peux attendre avec toi, euh ... ? » Demandais-je comme pour qu'elle me dise finalement son prénom. Après tout, si je me proposais pour attendre qu'elle soit en sécurité, je devais bien connaître son identité, sinon, ce serait bizarre.

Pour ma part, j'étais un grand romantique. Bien que accro aux nouvelles technologies, on dirait que pour le reste de ma personnalité, j'étais resté dans le modèle romantique du XIXe siècle d'Europe. Pour une femme que j'aime, j'étais prêt à tout. Lui offrir le plus beau des colliers, lui préparer le petit déjeuner au lit pour aucune occasion spéciale, lui préparer un bain chaud et lui faire un massage par la suite, et tous les gestes du quotidien tels que marcher du côté le plus proche de la rue et elle du trottoir, lui tenir la porte et la laisser rentrer en premier, la reconduire à sa porte, etc. J'étais un amoureux de l'amour. Malheureusement, mes occasions de le démontrer étaient plutôt rares puisque je n'étais pas vraiment le Don Juan de la ville de Bowen. Aucune fille ne s'intéressait à moi. Mes ex se comptaient sur les doigts d'une seule de mes mains. On me disait souvent que c'était parce que je n'avais pas assez confiance en moi et que ma basse estime personnelle se ressentait facilement. Je ne savais pas trop. Bref, je souris faiblement à la réponse de la musicienne, car j'en compris que cela voulait dire qu'elle ne connaissait pas beaucoup de monde à Bowen. « Tu n'es pas originaire d'ici ? » Demandais-je. Et si elle avait toujours vécu ici, alors je venais de tourner le couteau dans la plaie, car cela voulait dire qu'elle n'avait jamais eu beaucoup d'amis. J'allais me sentir affreusement coupable. Je demandai finalement le nom de mon interlocutrice alors que je lui proposais de rester avec elle le temps qu'elle se remette de ses émotions et qu'elle se sente plus en sécurité. « Sans problème. Tu veux me jouer un morceau ? » Proposais-je en m'asseyant sur le banc sur lequel elle était tout à l'heure. Elle disait être musicienne, j'aurais bien aimé entendre ce qu'elle faisait comme musique ! Mais je réalisai alors à quel point ça pouvait être gênant de jouer juste devant moi, comme ça, au beau milieu d'un parc. « Non laisse tomber, moi-même j'dirais non si on me demandait ça, j'avoue. » Je rigolai. « Tu joues souvent dans des bars ou salles de spectacle ? » Je n'allais pas lui demander de noms, parce que je ne voulais pas qu'elle pense que j'allais devenir un autre "stalker" qui allait la suivre partout pour la voir performer.

Pas de chance. Lola avait toujours vécu ici, à Bowen. Je me sentais maintenant totalement comme une vraie merde d’avoir dit cela. Parce que maintenant j’avais l’impression qu’elle pensait que j’allais la juger, ayant tout de suite déduis que c’était parce qu’elle ne venait pas d’ici. Non, elle était seulement une fille un peu plus renfermée, peut-être tout simplement. Je cherchais une bonne réplique pour me rattraper, mais la seule qui me vint en tête, ce fut le cliché de : « Oh bah tu sais, c’est pas la quantité qui compte, mais la qualité ! » Si j’avais pu me donner une baffe à moi-même à ce moment-ci, je l’aurais fait. Mais cela aurait fait en sorte que Lola aurait eu une opinion de moi encore plus mauvaise. En plus d’être cruel et méchant dans ses commentaires, il était cinglé aussi ! Non, quand même, je ne pouvais pas me rendre aussi bas. Sans doute pour changer rapidement de sujet et aussi pour tenter de me rattraper en ayant l’air plus gentil, je lui proposai de me jouer un morceau, avant de retirer ma demande, voyant que c’était bien trop intimidant pour elle. J’hochai la tête à sa justification de son refus que j’avais deviné avant même d’entendre la réponse. « Non je comprends, c’était idiot de ma part de demander. C’est pas trop le meilleur moment, j’avoue. » J’eus un rire gêné. À défaut de l’entendre chanter, je m’intéressai quand même à sa musique en lui demandant où elle se produisait. J’eus un visage surpris en l’entendant prononcer le nom de Donovan. « Oh, tu es la cousine de Donovan ? Donovan Emery ? Je suis un de ses amis, et le meilleur ami de Victoria ! » J’arborai finalement un visage fier. « Bon eh bien tu vois, maintenant, nous ne sommes plus des inconnus ! » Je connaissais Donovan et Victoria depuis tellement longtemps, j’étais même surpris que les chemins de Lola et moi ne se soient jamais croisés, dans de telles circonstances ! En même temps, il est vrai que des cousins et cousines ne sont pas nécessairement tout le temps ensemble. Mais quand même !

De toute façon, qui étais-je pour juger ? Je n’avais jamais été le garçon le plus populaire de Bowen. Bon, avec les années, je me faisais de plus en plus d’amis. Mais au lycée, j’étais carrément le ringard qui passait ses journées à jouer à des jeux vidéo. C’est connu, à l’adolescence, les petites cliques se forment et j’étais loin d’être le profil sportif, beau gosse et populaire. Je n’étais pas intimidé ou quoi que ce soit mais disons que je passais plutôt inaperçu. Mon cercle d’amis était donc assez restreint également. Comme dit plus tôt, avec le temps, je m’étais lié d’amitié avec bien plus de gens, dont bon nombre de personnes avec qui j’allais au lycée mais à qui je n’avais jamais adressé la parole à cette époque. Bref, je pouvais facilement comprendre, en fin de compte, la situation de Lola. Je n’allais donc pas juger, malgré que je me sentais tout de même stupide de l’avoir embarrassée de cette façon.

Bref, la conversation changea complètement d’ambiance quand Lola me parla de son cousin Donovan, qui était en fait un de mes bons amis, et le mari de ma meilleure amie. Le monde était petit, tout de même ! « Comment aurais-t-on pu le savoir ? En fait peut-être qu’on l’ignore mais on a possiblement d’autres amis en commun ! » Bowen n’était pas la plus petite des villes, mais pas non plus la plus grande. Qui sait. Lola m’expliqua finalement son lien plus détaillé avec Donovan. J’hochai la tête. Je dois avouer que malgré mon amitié avec le jeune homme, je ne connaissais pas vraiment sa situation familiale. « Votre famille n’habite pas Bowen ? » Et si jamais il y avait un drame familial derrière tout cela et qu’ils avaient simplement cessé de se parler, j’allais encore une fois me sentir mal à l’aise. J’espérais donc que ma question n’était pas trop indiscrète. En même temps, si j’avais toujours peur d’être indiscret, je ne converserais jamais avec les autres …