#07 I'm a mess ∞ Eileen

▽ J'ai cent fois refait le match. J'ai compté les points, chacune de nos larmes. Mais quand on aime, on ne compte pas. On ne veut juste pas perdre. Mais personne ne gagne à ce jeu là

Un rayon de soleil s'installa confortablement dans la chambre encore silencieuse, tirant d'un sommeil profond le jeune homme blond qui s'étira lentement. Un sourire se dessina rapidement sur ses lèvres alors qu'il se tourna vers la jolie brune qui dormait à ses côtés. Ouvrant ses paupières, Julian regarda Eileen un long instant. Ses yeux verts observaient chaque traits fins du visage de la jeune femme. Chaque matin, il se rendait compte de la chance qu'il avait de l'avoir dans sa vie. Elle était son oxygène, celle qui lui permettait de garder le cap et de devenir l'homme qu'il était. Simplement, Julian avait encore ses travers, cette partie obscure qui le ramenait bien souvent sur terre. Brutalement, sans ménagement. Sortant de ses rêveries, Julian caressa le bras d'Eileen et déposa un baiser dans son cou. Il se détourna ensuite de sa contemplation et se leva, marchant d'un pas traînant jusqu'au salon, où il retrouva Shadow. Son chien se dirigea joyeusement vers lui, attendant son moment de caresses matinales. Le jeune homme s'accroupit et salua l'animal, ce sourire ne quittant en aucun cas ses lèvres. Lui ouvrant ensuite la baie vitrée, Julian se pencha pour attraper un des jouets de l'animal, afin de le lancer pour que Shadow se dégourdisse les pattes. Mais la catastrophe arriva. En se redressant, le jeune homme sentit une douleur dans son genou. Comme chaque matin. Comme à chaque fois qu'il forçait trop. Grimaçant, il avança jusqu'à la cuisine, où, d'un geste mécanique, il attrapa sa boîte de médicaments. Vide. La boîte était vide. Julian fronça les sourcils et jeta la boîte sur le plan de travail. Il devait forcément en avoir une autre. Il le fallait ! Tentant de ne pas s'énerver, il ouvrit le premier tiroir, fouillant minutieusement, à la recherche de ces précieux anti-douleurs. Rien. Lâchant un juron, il s'attaqua aux autres tiroirs, sans succès. Il ouvrit ensuite les placards, sortant tout ce que sa main attrapait, sans se soucier du bruit qu'il faisait. Et du boucan, il en faisait énormément ! La panique s'était emparée du jeune homme. Il n'avait pas d'autres choix que de trouver une nouvelle boîte de médicaments. Sans cela, il allait souffrir. Il le savait. Et cela, il ne le voulait pas... ►

▽ Tout comme il y a deux versions à chaque histoire, il y a deux versions à chaque personne. Une version que nous révélons au monde et l'autre que nous gardons cachée...  

Déjà, en temps normal, un Julian réveillé n'était pas très discret. Détestant être seul, il avait pris l'habitude de faire son petit boucan pour réveiller ses parents, ses amis, ses colocataires ou les filles de passage dans son lit. Mais quand l'énervement s'ajoutait à son caractère déjà bien piquant, le boucan se transformait en véritable apocalypse. Le jeune homme était littéralement en train de retourner l'appartement. Ce qui réveilla bien évidemment la jolie brune. En entendant les pas d'Eileen sur le parquet du salon, Julian bougonna de plus belle. Histoire de bien montrer qu'il était d'une humeur massacrante et qu'il ne valait mieux pas lui parler. Son esprit était fixé sur sa recherche de médicaments. Tout le reste était futile. Même cette peur qu'Eileen découvre le fait qu'il était un looser accro à des médicaments. Jusqu'à présent, il avait toujours pris soin de cacher ses anti-douleurs. Il n'en parlait même jamais. Pour lui, on ne pouvait pas le comprendre : ce n'était pas parce qu'il n'avait plus de béquille que tout allait mieux chez lui. Au contraire. Et cela son entourage ne le comprenait pas. Quand la main d'Eileen se posa sur l'épaule du blond, ce dernier se raidit et stoppa immédiatement ses recherches. Il tourna la tête vers elle, sourcils froncés et mine qui se renfrogna davantage en entendant ses paroles. Elle était sérieuse ? Il avait une tête à lui faire un petit-déjeuner, là, maintenant, dans cet état-là ? Eileen était de bonne humeur et c'était ce qui agaçait Julian. Quand il était mal luné, il détestait que les gens autour de lui soient de bonne humeur. Cela l'irritait encore plus ! Il se retint de soupirer et répliqua sur une voix qu'il tenta de rendre neutre :

Absolument pas.

Il lui tourna ensuite le dos et ouvrit un nouveau placard. Non pas pour chercher sa boîte de médicaments, mais pour sortir un bol et une boîte de céréales qu'il posa sèchement sur le plan de travail. Il jeta rapidement un coup d'oeil à Eileen et enchaîna :

Si tu ne te sens pas d'attendre ton "petit-déjeuner de fou", tu n'as qu'à prendre des céréales. J'ai d'autres choses à penser là. Je suis en train de chercher mes médic... enfin... quelque chose d'important. Et ça m'énerve.

Il ponctua sa phrase par un juron, en balançant une nouvelle boîte vide de médicaments dans l'évier de la cuisine. S'ébouriffant les cheveux, il contourna Eileen et se dirigea vers le salon, commençant à ouvrir de nouveaux tiroirs. Julian donnait l'impression d'être totalement déconnecté de la réalité. Il était ailleurs et c'était ce qui était le plus inquiétant. ►

▽ « Dans la contradiction, l’amour se renforce. Dans la confrontation et la transformation, l’amour se préserve.  »  

C'était plus fort que lui. Julian ne pouvait en aucun cas cacher cette mauvaise humeur qui venait de le submerger. Il était irritable et ne se gênait pas de le montrer à Eileen. Il le regretterait bien évidemment. Comme toujours, même. Le jeune homme était connu pour son impulsivité. Quand une chose le contrariait, il s'énervait rapidement, mais se calmait tout aussi vite. La jeune femme avait ce don pour le remettre bien vite à sa place. Mais aujourd'hui, il semblait que cela ne suffisait pas. Alors qu'Eileen s'était rapprochée de lui pour lui dire bonjour, Julian l'avait bien vite remballé. Il avait vu son sourire disparaître de ses lèvres, mais cela ne le faisait pas réagir. Il était obsédé par sa quête, tel un Gollum à la recherche de son Précieux. Mais le bol et le paquet de céréales posés brusquement sur le plan de travail furent l'élément déclencheur. Eileen lui reprocha rapidement la manière dont il lui parlait. Julian se tourna vers elle et arqua un sourcil, l'air de dire "tu es sérieuse, là ?".

Ne commence pas à me chercher des noises, Eileen. Je ne t'ai absolument rien dit ! Et il n'y aucun problème !

Oui, Monsieur jouait la carte de l'incompréhension. Non pas par pure provocation, mais simplement parce qu'il ne se rendait pas compte du ton qu'il employait. Elle avait raison d'être froissée. Mais avant que le Callaway ne s'en rende compte, il y avait encore du chemin à faire. Soit... il préféra ne pas prêter davantage d'attention, sous peine de voir sa colère augmenter. Il reprit donc sa petite recherche dans le salon, sans un mot. D'un point de vue extérieur, Julian devait probablement passer pour un fou, mais qu'importe ! Pour le coup, il n'avait pas envie d'aborder cette facette d'homme qui voulait plaire à tout le monde, ou celle du petit ami en or. Julian, c'était aussi cela : cet homme qui avait des travers peu recommandables, cette part obscure honteuse qu'il cachait avec tant de vigueur. En entendant Eileen prononcer son prénom, le blond se stoppa net. La douceur de sa voix l'avait fait réagir. En dépit du caractère pourri qu'il avait, en dépit de son entêtement, Julian avait une faiblesse. Eileen. Elle était la seule à pouvoir le faire réagir dans n'importe quel situation, qu'il soit ivre ou en manque de médicaments, comme à l'instant présent. Quand elle lui demanda ce qu'il se passait, il posa brièvement ses yeux verts sur elle, s'ébouriffant nerveusement ses cheveux. Il hésitait à lui dire ce qui le mettait dans cet état. Il ne voulait pas passer pour un malade, même si c'était ce qu'il était. Julian avait un réel problème avec ses médicaments, simplement, il préférait se cacher la vérité. Par aveuglement. Raison pour laquelle il répondit :

Rien. Il ne se passe absolument rien du tout.

Alors qu'elle se planta devant lui et qu'elle tenta de lui prendre la main, Julian esquiva le geste. Non pas pour lui mettre un vent, mais parce que le tremblement de ses mains attirerait directement son attention. Le jeune homme détourna le regard, comme si les yeux ambrés d'Eileen agissaient comme un scanner sur lui, comme si elle cherchait à percer ses faiblesses à travers son regard. Quand elle lui demanda de s'asseoir, Julian secoua la tête et recula de quelques pas, répliquant :

Non. Je ne veux pas m'asseoir. Faut... faut que je trouve mes médicaments. Je sais que j'ai une boîte d'avance. Il le faut. Je ne veux pas avoir mal, Eileen.

Ces derniers mots furent prononcés dans un murmure de détresse. A cet instant, il n'y avait plus d'ironie, plus d'humour. Plus rien. Il n'y avait que Julian, à nu, en face à face avec ses faiblesses les plus profondes.  ►

▽ « Il arrive qu'une femme rencontre une épave et qu'elle décide d'en faire un homme sain.  »  

Comme à chaque fois, les disputes chez Eileen et Julian ne se faisaient jamais en douceur. Il suffisait qu'il y ait un mot de travers, un ton un peu trop sec ou juste de la mauvaise humeur chez l'un pour que l'autre démarre au quart de tour. Si Julian s'était penché un peu plus sur sa petite amie, il aurait vite ressenti la colère qui s'était emparée d'elle. Mais le problème étant qu'il était trop buté et trop fixé sur sa recherche, le jeune homme ne faisait qu'alimenter la colère de la belle brune. Quand elle l'imita en posant brusquement le bol et les céréales, avec un haussement de sourcils qui voulait tout dire, Julian l'observa sans dire un mot, gardant un visage neutre. Toute l'attitude typique du Julian tête-à-claques. Il ne valait mieux pas répliquer, même si au fond, bien au fond de lui, il savait qu'elle avait raison. Il était quelque peu imbuvable, intenable. Mais que pouvait-il faire d'autre ? Ses capacités de réflexion n'étaient décidément pas au meilleur de leur forme.

Alors qu'il venait de reprendre ses recherches de manière encore plus active, il avait suffi qu'Eileen prononce son prénom pour le réagir. Ce qui, à l'origine, semblait cause perdue. Une avancée ? Non. Avec Julian, ce n'était jamais simple. Quand elle tenta de prendre sa main, Julian donna l'impression qu'il se renfermait de plus belle. Il sentait son regard sur lui et le jeune homme ne savait pas comment le prendre. Il en avait honte. C'était une sensation désagréable qui le submergeait. Bien plus désagréable que cette peur de souffrir. Il n'en fallut pas plus pour exploser. Pour lâcher ce qu'il avait sur le coeur, cette crainte, cette addiction qu'il avait depuis des mois et qui lui pourrissait sa vie. Oui, sa vie tournait autour de ces médicaments. Julian avait beau jouer le coq, l'homme que rien ne pouvait atteindre, il était en réalité totalement contrôlé par des médocs. Alors qu'il était au plus bas, il avait trouvé refuge dans ces anti-douleurs qui annulaient toute souffrance physique, mais aussi mentale. Pourtant, aujourd'hui, il allait beaucoup mieux, il avait Eileen, il était heureux. Mais il n'avait pas su faire l'impasse sur cette boîte orange qui hantait ses pensées. Aujourd'hui, il en parlait. Aujourd'hui, il cessait d'être le Julian fort. En dépit de tout ce scandale qu'il avait fait, une nouvelle peur s'était insinuée en lui : il craignait la réaction d'Eileen. Il avait peur qu'elle le prenne pour un looser et qu'elle l'abandonne. C'était stupide, mais à cet instant, Julian se montait la tête pour tout. Quand elle prit sa main, le blond ne tenta même pas de fuir. Au contraire, sa main resserra l'étreinte, comme s'il s'accrochait à elle. Sentant ensuite son autre main se poser sur sa joue, Julian tourna la tête vers et posa ses grands yeux verts humides, perdus sur elle, secouant la tête quand elle lui demanda de se calmer.

Non, ça ne va pas aller. ça va être pire encore. Tu ne peux pas me comprendre.

Mais si Eileen pouvait parfaitement le comprendre. Encore mieux, elle savait parfaitement comment manier Julian. Cette fille était une perle, parfaite sous tous les points. Elle était celle qui le connaissait le mieux. Pour le faire réagir, elle lui posa LA question qui tuait. Est-ce qu'il avait mal ? Le jeune homme soutint son regard et répondit directement :

Oui. - Avant de revenir sur ses paroles en enchaînant - Non... enfin... ça tire, comme d'habitude, mais c'est supportable.

Il était mis devant le fait accompli. Il venait de faire tout un scandale pour une douleur supportable. Pour une souffrance qui ne méritait pas qu'il prenne des anti-douleurs. Lâchant Eileen, il se laissa tomber sur le canapé et enfouit son visage entre ses mains, restant un long moment silencieux. Il atterrissait... difficilement. Se frottant le visage, il rompit ensuite le silence, en jetant un regard fuyant vers sa petite amie :

Je sais que j'ai un problème avec ces conneries, je m'en rends compte à présent. Tu dois me prendre pour un fou, ce qui serait parfaitement normal. Mais ne me laisse pas... ►

▽ « Make my heart a better place.  »  

Pour Julian, personne ne pouvait comprendre ce qu'il vivait. Il se donnait l'impression d'être toujours incompris, tout simplement parce que c'était plus simple à vivre. Au moins, il n'avait pas à s'expliquer. Il préférait clore les discussions avec un "tu ne peux pas comprendre", ce qui était un peu lâche, si l'on regardait bien. Mais Julian avait toujours énormément de mal à se mettre à nu et il avait trouvé une certaine facilité dans cette démarche. Toutefois, avec Eileen, cela ne fonctionnait pas. Même quand il n'était pas ouvert à la discussion, elle était toujours là à creuser, à tenter de percer cette carapace qu'il s'était crée pour se protéger. Ce qui était parfois agaçant, mais cela avait toujours de bonnes répercussions, quoiqu'il puisse dire. Pour le coup, Julian n'était pas d'accord - comme toujours diriez-vous -, sa priorité à lui était aussi le bonheur d'Eileen. Et il avait l'impression que s'il lui disait la vérité, ce bonheur allait être entaché. Mais pour la première fois, son mal-être avait été plus fort que tout. Bien plus fort que ce masque qu'il tenait tant à garder. Eileen l'avait mis devant le fait accompli. Il était face-à-face avec son problème. Il n'avait pas mal. Du moins, pas assez pour prendre ces fichus médicaments. Et il s'en rendait compte. Le blond était, à présent, prêt à "assumer" le problème qu'il avait. Par-dessus tout, il craignait les répercussions que cela puisse avoir. Notamment le fait qu'Eileen prenne peur et qu'elle le laisse tomber. L'abandon était la plus grande phobie du jeune homme. Il avait toujours été énormément entouré. Du coup, la solitude qu'il avait connu, après son accident durant le match de basket, l'avait marqué à tout jamais. Il ne voulait plus revivre cela. Surtout maintenant qu'il était en couple et complétement fou de la jeune femme en face de lui. Quand Eileen le rejoignit sur le canapé, Julian lui lança un bref regard, avant de secouer la tête, répliquant :

Au contraire, tu as toutes les raisons de me laisser. Je suis instable. Et ce n'est pas une chose à laquelle tu t'attendais quand tu t'es mise avec moi.

En gros, Julian insinuait clairement qu'il avait "menti sur la marchandise". Malgré son sourire qu'elle voulait rassurant et son baiser sur l'épaule, le blond ne parvenait pas à se sentir mieux. Ses yeux verts continuaient de balayer le salon, comme s'il était toujours à la recherche de ces médicaments. Ce qui était le cas, d'ailleurs. Son esprit ne pouvait se décharger d'une telle obsession. Même si Eileen tentait de dédramatiser la situation, il ne parvenait pas à faire l'impasse sur ce manque de médicaments. Il n'avait peut-être pas mal maintenant, mais dans une heure ou deux, qu'en serait-il ? Sur cela, personne ne pouvait le rassurer. Toutefois, les paroles d'Eileen le ramenèrent quelque peu sur Terre. Julian croisa son regard pendant un instant, avant de baisser la tête, jouant nerveusement avec ses mains.

Peur ? Je crois bien. J'avais peur de ta réaction ou de celle des gens auxquels je tiens. Personne n'a vu que j'avais ce problème-là. Il n'y avait qu'une exception : c'était une fille avec qui j'avais passé la nuit, bien avant que nous soyons ensembles, et qui avait compris que j'étais accro à mes médicaments. ça m'a mis dans une colère noire. Je ne voulais pas revivre cela, surtout avec des gens que j'aime.  Tu vois, Eileen, ça me plaisait de faire croire que j'allais mieux. On ne me prenait plus en pitié, on ne m'embêtait plus avec les "comment va ton genou ?", "et ta rééducation ?", "et tu vas faire quoi maintenant que tu ne peux plus jouer au basket ?". Je me complaisais dans un bien-être qui était complétement faux. Aujourd'hui, tout est retombé. Et je me rends compte que c'est bien pire que ce que je croyais. Et je suis désolé de t'infliger une telle chose. ►

▽ « On n'est pas celui que l'on voit dans le miroir. On est celui qui brille dans le regard d'autrui.  »  

On disait que l'on finissait toujours par connaître la vérité. Pour le coup, cela s'était vérifié. Après des mois et des mois de silence, l'addiction de Julian avait fini par ressurgir. A cet instant, il était bien loin de l'image glorieuse qu'il voulait tant avoir auprès d'Eileen. Cette fille était tellement bien qu'il voulait être à son niveau. Il ne voulait pas que ses failles fassent de lui le boulet que l'on traîne à la cheville. Et ses paroles démontraient bien l'état d'esprit que le blond avait, à cet instant. Néanmoins, quand Eileen plaisanta sur le fait qu'elle avait encore le ticket de caisse, un sourire éphémère passa sur les lèvres du jeune homme. Haussant légèrement les épaules, il répliqua :

Tu ne m'as pas trop abîmé. Tu devrais récupérer ta caution, sans aucun problème.

Le regard qu'il posa sur elle était bref, mais plein de douceur. Julian avait bien compris qu'elle tentait de détendre l'atmosphère bien trop tendue. Mais le jeune homme était aussi réputé pour avoir des idées bien fixes et une capacité de concentration qui pouvait être très courte. Il avait donc fini par reprendre sa recherche silencieuse. Sauf qu'Eileen le prit au dépourvu en l'appelant, lui demandant de la regarder. En sentant ses doigts fins se poser sur son visage, Julian reporta son attention sur elle, fronçant légèrement les sourcils. Elle l'avait grillé, quoi. Il hocha légèrement la tête pour montrer qu'elle avait toute son attention désormais. Alors qu'il lâcha tout ce qu'il avait sur le coeur, il écouta ensuite attentivement la réponse de la belle brune. Ne pas avoir peur de sa réaction. C'était impossible. Ils avaient traversé, certes, de nombreuses épreuves, mais les problèmes venaient toujours d'une tierce personne. Dans le cas présent, le problème venait de Julian.

Bah si, c'était normal d'appréhender ta réaction. Tu es quand même celle qui compte le plus pour moi... Après, je sais pertinemment que je ne suis pas un surhomme. Mais ouais, ça faisait du bien de mettre ses faiblesses de côté pendant quelques temps. Je n'ai jamais été du genre à montrer que ça n'allait pas.

Sauf après son accident, bien évidemment. Et encore, c'était plus physique que mental. C'était surtout sa béquille et ses boitements qui montraient qu'il n'allait pas bien. Jamais Julian ne l'avait clairement dit. C'était sa colère qui retranscrivait le tout. Comme aujourd'hui où il s'en était pris à Eileen. Bien heureusement, il avait décidé de briser sa carapace au lieu de déclencher une troisième guerre mondiale. Et cela n'était pas plus mal. En parler faisait un bien fou. Quand la jeune femme reprit la parole, Julian resserra sa main contre la sienne, hochant doucement de la tête, murmurant simplement :

Oui, c'est vrai. Tu as raison. Faut que j'arrête d'être aussi dur. Mais je tiens quand même à m'excuser d'avoir été vache avec toi, alors que tu étais à peine réveillée. C'était plus fort que moi. Je te promets que je vais aller vers l'avant. Il est hors de question que je te parle de nouveau d'une telle manière. - il s'arrêta un bref instant et plongea ses yeux verts dans ceux de la belle brune avant d'enchaîner tout doucement - Je t'aime trop pour ça.

Stop. Stop. Stop. Julian Callaway venait il clairement de dire qu'il l'aimait. A sa connaissance, c'était la première fois qu'il disait de tels mots à une fille. Il fallait une première à tout. Même si l'amour qu'il lui portait était indéniable. Il prit son visage entre ses mains et posa délicatement ses lèvres sur les siennes pour un baiser tout en tendresse. C'était dans ces moments-là qu'il se rendait compte de l'intensité de leur relation. C'était incroyable. Finalement, lui aussi avait le droit de vivre une telle expérience. Alors qu'il l'amena tout contre lui pour la serrer dans ses bras, ses lèvres dévièrent vers l'oreille de la demoiselle où il chuchota un "merci". Elle était là pour lui, sans aucune arrière pensée, et c'était plus que touchant pour le jeune homme. La relâchant ensuite, il la regarda de nouveau et proposa :

Bon, et si on se faisait ce petit-déjeuner de roi ?

Certes, le problème n'était pas réglé. Julian devait réfléchir à ce qu'il allait faire. Mais à cet instant, il avait surtout  besoin de s'occuper l'esprit, de se changer les idées, afin de ne plus être obnubilé par ses médicaments.
►

▽ « Elle a tout rempli. Elle est la seule raison pour laquelle je suis en vie. Je comprends pourquoi j'ai affronté la neige, les embouteillages, le gel sur la route : pour me rappeler que tous les jours, je dois me reconstruire et, pour la première fois de toute mon existence, accepter que j'aime un être humain, plus que moi-même. »  

"Mon homme". Ces paroles sonnaient étrangement à l'oreille de Julian. On n'avait jamais utilisé un tel possessif avec lui, tout bonnement parce qu'il ne voulait appartenir à personne. Ou tout simplement parce que personne n'avait voulu de lui jusqu'à présent. Il avait été le coureur de jupons, le gars que de nombreuses filles avaient voulu... pour une nuit. Pas pour la vie. Finalement, même si cela semblait étrange, il aimait qu'Eileen parle de lui d'une telle manière. Il en était même fier. Elle parvenait à lui redonner confiance et c'était pour cela qu'il baissait petit à petit les barrières, dévoilant la personne qu'il était réellement. Avec ses hauts et ses bas. Elle était douée pour cela et c'était l'une des raisons qui le poussaient à vouloir s'améliorer. Parce qu'avant toute chose, Julian voulait changer pour elle, pour ne jamais avoir à lui faire du mal, pour la rendre heureuse. Pour la première fois de sa vie, il pensait à quelqu'un d'autre et non pas à lui-même. Alors qu'elle lui rappela une nouvelle fois qu'il avait le droit d'avoir des faiblesses, Julian esquissa un faible sourire, hochant doucement la tête, alors qu'il répondit :

Que veux-tu, je suis buté et ce n'est pas à 24 ans que l'on me changera. Toute ma vie s'est bâtie sur l'apparence et j'ai souvent mis de côté mes points faibles. Il faut que j'apprenne à me dire que oui, je ne suis pas surhumain. J'y arriverai. Promis.

On dirait un enfant qui promettait qu'il ne recommencerait plus ses bêtises. Au fond, c'était ce qu'il était. Un grand enfant à qui on avait volé ses jeunes années et qui était devenu un homme sous la pression. Parfois durement, après de longues épreuves difficiles. Mais à l'inverse des autres fois, aujourd'hui, il n'était plus seul. Il y avait une femme à ses côtés, prête à affronter les travers du blond, prête à l'aider. A l'aimer comme il était. Quand ils avaient débuté leur histoire, Julian n'aurait jamais pensé qu'ils arriveraient à un tel cap. Il pensait qu'elle ne parviendrait jamais à le supporter et que l'attirance indéniable se serait effacée au bout de quelques semaines. Maintenant, cela faisait plusieurs mois qu'ils étaient ensemble. Et elle était toujours là. Il n'en fallait pas plus pour que le jeune homme ouvre son coeur. Utilisant les excuses comme phrase d'accroche, il avait lâché ces quelques mots que de nombreuses personnes, en couple, voulaient entendre. Ces quelques mots où les sentiments du Callaway se laissaient entrevoir. Oui, il l'aimait. Et il était prêt à le dire. Quand elle répondit son baiser, un sourire se dessina sur les lèvres de Julian quand il entendit son murmure. Jusqu'à présent, seule sa mère lui avait dit qu'elle l'aimait. Ce qui n'était pas du tout au même niveau. C'était plus fort que tout. Il l'amena tout contre lui et la serra fortement, ses gestes révélant les mots qu'il ne savait dire. Il n'y avait rien à répondre après de telles déclarations. Tout serait tellement fade. Ils restèrent un bon moment ainsi, muets, profitant simplement de l'instant et de la présence de l'autre. Le blond en oubliait presque ses médicaments et ses douleurs. Elle était son remède, voilà tout.

Désireux de rattraper cette journée, Julian lui proposa directement un petit-déjeuner royal. Il laissa même échapper un rire quand elle lui répliqua qu'il y avait forcément autre chose que des céréales dans le coin. Il haussa légèrement les épaules, faisant une petite moue :

Je ne suis pas un cordon-bleu, tu sais. Les céréales, c'est la facilité. Et puis, c'est tellement bon.

Julian, c'était le fana de céréales. A n'importe quelle heure, il pouvait arriver avec un bol de céréales. Après tout, fallait bien nourrir le grand dadais qu'il était. Un corps de sportif, ça s'entretenait, voyons ! Alors qu'elle se redressa, il la suivit jusqu'à la cuisine, la regardant faire avec attention. Elle prenait les choses en main, ce qui arrangeait quelque peu Julian. Il n'était pourtant pas macho, juste un piètre cuisinier. Il sourit à la jolie brune, faisant mine de réfléchir longuement, avant de répondre :

Des oeufs brouillés seraient parfaits. Et attention, je serai exigeant. Faut voir si tu es bonne à marier.

Il la taquinait bien évidemment. Eileen pourrait être la pire maîtresse de maison, la pire cuisinière qu'il n'en aurait strictement rien à faire.

Je peux t'aider ? Je sais battre les oeufs à merveille. Tant que je n'ai pas affaire à la cuisson, je gère !

Alors qu'il se retourna pour ouvrir le tiroir, afin de récupérer une fourchette, le jeune homme se figea quand il vit une boîte orange. La fameuse boîte orange qui hantait ses pensées. Il la prit en main et l'observa dans un silence inquiétant. Il était tenté de prendre un cachet. Pour se soulager physiquement et moralement. Mais les paroles d'Eileen retentirent dans son esprit. Il entendait la voix de la jeune femme qui lui demandait s'il en avait vraiment besoin. Julian fronça les sourcils et se retourna vers Eileen. Contre toute attente, il lui tendit la boîte :

Tiens... Prends-la pour moi, s'il te plaît. Je ne veux pas que cette merde gâche de nouveau la journée.
►

▽ « Je sais une chose : dès l'instant où je t'ai vu, j'ai su que tu étais le seul visage et la seule voix dont je ne me lasserais jamais. Parce que depuis ce jour là tout a basculé, tout a semblé parfaitement s'emboîter. C'est vraiment une chance d'avoir tout à découvrir de toi. »  

Il n'y avait décidément qu'Eileen qui pouvait détourner les paroles sérieuses de Julian en quelque chose de plus léger, de plus agréable. Alors qu'il avait clairement annoncé qu'il s'était souvent cru sur-humain, dans le genre à ne pas se laisser affecter par ses sentiments, la belle brune lui glissa qu'il était et qu'il restera son "Arrow". Un léger sourire amusé prit place sur les lèvres du blond, ce dernier secouant la tête, répliquant alors :

Je commence à croire que tu as vraiment buté sur ce fameux Arrow. Je vais songer à une reconversion professionnelle.

Il lui rendit un sourire complice. Le fils à papa qui devenait justicier, Julian en était bien loin. Fils à papa, oui, il l'avait été. Justicier, il n'était pas près de l'être. Sauf si l'on venait à toucher à Eileen, là, il était certain que Julian n'hésiterait pas à brandir les poings, comme il l'avait déjà fait lors de la dernière fiesta dans son appartement. Soit... il appréciait la façon de faire de sa petite amie. Elle savait le manier. A croire qu'elle avait su dompter le fougueux qu'il était. Ce que personne n'avait réussi à faire jusqu'à présent. Et c'était donc dans la plus grande normalité qu'il avait enfin avoué ses sentiments. Tout simplement. Julian n'aurait jamais pensé que cela allait être si facile, si... naturel. C'était le bon mot. Tout était d'un naturel déconcertant. Lui qui avait pris en grippe tout ce qui concernait l'attachement ou les sentiments, il s'était planté sur toute la longueur. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il devenait fleur bleue, mais oui, il aimait celui qu'il devenait grâce à elle. Il aimait cette douceur, cette envie de la protéger, de lui dire qu'il l'aimait. Il ne craignait désormais plus cela et c'était avec une grande envie qu'il voulait voir jusqu'où leur relation pouvait mener. Au fond de lui, il savait qu'elle était la bonne. Il l'avait toujours su. Et ce n'était pas pour rien qu'il ne l'avait jamais oublié, même s'il avait eu de nombreuses filles dans les bras. Malgré la distance, malgré les années qui passaient, elle avait toujours eu sa place dans son esprit. Peut-être était-ce pour cela qu'il n'avait jamais réussi à avoir d'autres relations stables. Elles étaient toutes fades, bien loin de la tornade brune qu'Eileen pouvait être... Alors qu'ils étaient installés sur le canapé, le petit-déjeuner était désormais de mise. Un débat sur les céréales s'organisa alors. D'un air faussement sérieux, Julian secoua la tête :

Non, pas forcément devant la télé. Je ne suis pas aussi difficile que toi. Dans le jardin, c'est tout aussi bien.

Oui, oui, ils discutaient bien des endroits dans lesquels ils pouvaient manger des céréales. Niveau conversation futile, ils faisaient forts. Mais cela était un excellent moyen pour que Julian cesse de se torturer avec sa boîte à médicaments. Il se leva d'ailleurs dans cette optique-là : s'occuper pour mieux oublier. Se mettant en tête de préparer des oeufs brouillés, Julian commença à mettre la pression à Eileen en sous-entendant qu'il allait observer ses talents de cuisinière. Même si elle cuisinait si mal, il s'en ficherait royalement, mais autant en plaisanter :

Ouais, tu peux avoir la pression. Des oeufs brouillés ratés, ça peut être une bonne cause de rupture.

Il éclata de rire, lui adressant un clin d'oeil. Il fallait surtout être bien atteint pour rompre à cause d'oeufs brouillés. Alors qu'il prit le grand bol dans lequel elle venait de casser les oeufs, il répondit par un "oui chef" quand elle lui annonça qu'elle allait le surveiller. Mais lorsqu'il ouvrit le tiroir pour attraper une fourchette, il finit par retrouver sa boîte de médicaments. Julian venait de se raidir et son visage s'était subitement renfermé. Machinalement, il avait commencé à ouvrir la boîte pour prendre un comprimé, mais il s'était arrêté tout aussi prestement. Il ne voulait pas. Il ne voulait pas apparaître comme faible, alors qu'il avait clairement dit qu'il voulait s'en sortir. Sans hésitation, il la tendit à Eileen afin qu'elle s'en débarrasse pour lui. Mais la proposition qu'elle lui fit sembla plus intéressante. Moins radicale. Il valait mieux arrêter en douceur plutôt que tout arrêter brusquement. Tandis qu'elle le remercia de sa confiance, le jeune homme secoua la tête en répondant :

Tu es ma copine, tu es celle qui me connaît le mieux. Et... ouais, je suis d'accord pour ce que tu me proposes. Je pense que c'est la meilleure solution. Je te promets d'être moins exécrable et de ne pas t'appeler à deux heures du matin. - Il lui adressa un léger sourire, continuant de la regarder comme s'il comptait lui demander quelque chose. Il se passa la main sur la nuque, détournant un instant le regard avant d'enchaîner - D'ailleurs, je pensais à quelque chose la dernière fois. Je réfléchissais à notre relation, au temps que l'on passait ensemble, tout ça quoi. Et je me disais que...euh... si tu le voulais bien, je te donnerai la clé de mon appart' pour que tu puisses passer quand tu veux. Tu pourrais laisser des affaires ici, comme ça, s'il y a des soirs où tu ne veux pas être seule chez toi, tu pourrais rester avec moi, tout en ayant tout ce qu'il te faut. C'est à toi de voir.

Ok, Eileen et Julian passaient beaucoup de temps ensemble. Il lui arrivait de dormir chez elle, elle dormait chez lui. Mais en demandant cela, Julian rendait la chose plus officielle.
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