La dose de caféine obligatoire ► Woody

Les raisons qui me poussaient à me trouver à cet endroit, environ vers l’heure du lunch, un samedi matin, étaient les mêmes que Charlie. Une soirée bien arrosée. Comme à chaque samedi matin, après tout. Je me réveillais toujours avec un goût de bière de fond de baril à la bouche, et la tête qui tournait encore comme si je me trouvais sur un bateau qui tangue. La seule exception de ce matin bien particulier était que, pour une fois, je ne me réveillais pas avec une inconnue ou une amie dans mon lit. Ce lit était vide, mais une silhouette connue se dessinait sur le côté inoccupé, dans mes rêveries matinales. En effet, en ouvrant les yeux, je m’imaginais le corps de Sara étendu à mes côtés, comme il l’avait été à quelques reprises durant les derniers jours. Pas ce matin, et c’était bien ainsi. Je n’aurais pas une humeur convenable avant d’avoir pris mon café. Il valait donc mieux passer un coup de fil ou rendre visite à Sara plus tard. Pour le moment, j’allais me remettre de ma soirée avec mes potes au café le plus près.

Je m’assis à une table au bord de la fenêtre, laissant mes yeux s’habituer à la lumière sans qu’une migraine ne m’oblige à les fermer. Je buvais de temps en temps une journée de mon café noir, laissant mon regard vagabonder d’un passer à l’autre. C’est donc avec surprise que j’entendis quelqu’un m’interpeller. Je tournai juste la tête et aperçut Charlie, la meilleure amie de Sara, qui me regardait avec un large et magnifique sourire. Je ne pus m’empêcher de sourire à mon tour, d’autant plus que Charlie avait été une grande alliée dans la dernière année. Comme si nous avions été les seuls à comprendre la douleur de l’absence de Sara. À notre propre manière, nous avions vécu notre deuil ensemble. Depuis le retour de Sara, le trio que nous formions ne s’était pas encore proprement réuni. « Charlie ! Je suis content de te voir ! Ça va super, et toi ? » Puis je me ravisai, ne voulant pas avoir l’air trop enjoué. Mes yeux brillaient, et je tentai de chercher vite une excuse pour cette joie de vivre. La vérité était que depuis que Sara et moi formions un « nous », j’effleurais un peu mieux le bonheur. Sauf que Sara était encore mariée, et la situation était compliquée, alors il fallait qu’on se fasse discrets. Je ne voulais donc pas mettre Charlie dans le coup, ne sachant pas si Sara serait d’accord. « Bien sûr, bien sûr, assieds-toi. » Dis-je en enlevant les journaux qui traînaient de son côté de la table. « Dure soirée, hein ? » Demandais-je, sachant bien pourquoi elle portait ses lunettes fumées, même si elles n’étaient maintenant plus sur ses yeux.

Habituellement, j’avais effectivement mon air je-m’en-foutiste, le mec au-dessus de tout, qui peut paraître un peu snob lorsqu’on ne sait pas qu’il s’agit de son air blasé habituel. Charlie, elle, savait maintenant pertinemment que j’étais tout simplement un grand mec morose de temps en temps, sauf quand j’avais un petit peu d’alcool dans le sang ou alors une vraiment bonne journée. Sinon, disons que j’avais un ton de voix assez monotone et des petits yeux fatigués qui fuient les conversations inutiles. Ce matin, c’était différent. Certes, j’étais heureux de voir Charlie depuis le temps, mais je cherchais aussi à trouver une façon d’agir pour qu’elle ne remarque pas les changements que je vivais intérieurement. C’était raté. Pas pour rien que je n’étais pas acteur. J’eus envie de me gifler quand elle lâcha un « oh » de surprise devant tant d’enthousiasme de ma part. Elle se contenta ensuite de s’asseoir et je tentai de faire comme si de rien était. Charlie souligna toutefois mon humeur joyeuse. J’haussai les épaules avec un mince sourire d’un gamin pris la main dans le sac. « J’imagine que je me suis levé du bon pied pour une fois. » Je rigolai légèrement en harmonie avec elle. Afin de détourner l’attention de moi, je touchai un mot à Charlie sur son allure en général, proposant l’hypothèse qu’elle avait eu une dure soirée la veille. Je souris à sa réponse : touché. « Bah disons que je reconnais quelques indices qui me permettaient de le conclure hors de tout doute raisonnable. » Je rigolai. Charlie expliqua davantage la soirée qui l’avait conduite jusqu’ici. J’hochai la tête face à ses explications. Elle me renvoya finalement la balle, remarquant mes petits yeux. C’était la chance de me rattraper, et tout de suite un mensonge se monta dans ma tête. « Oui ! Mes vendredi soirs habituels, tu sais ! Et puis disons que je suis pas rentré seul alors ça aide pas au sommeil … » Je pris un air songeur. « C’était Tatiana ? ou Laetitia ? Enfin un truc exotique dans le genre. » Je rigolai. Je ne sais pas si Charlie goberait ces prénoms dignes d’actrices de cyberpornographie mais bon, j’aurais essayé. Au moins, elle ne pourrait jamais se douter qu’il se passait quelque chose entre Sara et moi si elle continuait de croire que je n’étais qu’un pauvre séducteur sans ambition amoureuse.

Je remarquai que Charlie avait failli s'étouffer avec son café, et je ne fis que froncer les sourcils tout en continuant mon horrible mensonge. Je n'avais pas fait le lien entre celui-ci et la réaction de la jeune femme. Dans ma tête, il n'y avait aucun doute à avoir : elle n'était pas au courant de ma relation "secrète" avec Sara. Je ne me posais donc aucune question allant en ce sens. La demoiselle avait toutefois sans aucun doute remarqué ma mimique interrogative puisqu'elle justifia son mal de gorge par les cigarettes fumées la veille. Je souris. « Je ne me souviens pas que tu te mets à fumer comme un pompier quand t'as un verre de trop dans le nez. » Relevais-je avec étonnement. Puis j'haussai tout simplement les épaules. « Faut dire ça fait un moment qu'on est pas allé prendre un verre. » Dis-je comme pour justifier cet oubli de ma part. Bref, après ce petit interlude inutile et bourré de mensonges dont je n'étais pas conscient, Charlie reprit mes propos en rappelant le prénom débile que j'avais trouvé. « Les filles qui ont un prénom en A sont toujours les plus cochonnes. » Lançais-je à la blague. Et à quelque part, j'espérais presque ce préjugé était vrai. Certes, Sara et moi avions déjà été intimes, mais peut-être Sara me révélerait-elle bientôt ses fantasmes les plus fous, les plus sexys. « Les prénoms en I par contre ... ish ... » Grimaçais-je. Puis je rigolai devant la tête de Charlie. Je rigolais, évidemment. De toute façon, un prénom n'a rien à voir avec la personne, on le sait tous.

J'acquiesçai en riant à la remarque de Charlie sur le fait que le jour où elle et moi ne sortirions plus les soirs de week-end, alors ce serait signe que nous étions vieux ou casés. Je riais jaune, par contre. Parce que mes soirées ressemblaient de plus en plus à cela, malgré que je sortais quand même de temps en temps avec mes potes pour boire un coup - on n'allait pas m'enlever ce plaisir ! Il faut toutefois que j'avoue que ce nouveau mode de vie plus rangé, plus tranquille, me plaisait assez. Passer du temps de qualité avec Sara me faisait du bien, et cela me permettait de moins courir après le temps. En me couchant à des heures plus raisonnables et en dormant franchement mieux dans les bras de celle que j'aimais, je pouvais profiter au maximum de mes journées de congé. « T'as raison ! Et moi non plus je suis pas encore prêt pour me passer les menottes en me casant. Tu me connais, j'fonctionne pas bien quand j'suis en cage. » Dis-je avec un air un peu macho qui, tout d'un coup, sonnait tellement faux à mes oreilles. Ce genre de répliques ne m'appartenait plus. Charlie me questionna davantage sur ma soirée. Elle demandait toujours un tas de détails, mais cette fois-ci cela me dérangeait contrairement à d'habitude. Normalement, j'aurais été enchanté de pouvoir lui réciter mes tactiques de drague et les positions qu'on avait prises au lit. Sauf que là, rien de tout cela n'était vrai, et je n'avais pas planifié cette fausse soirée dans ma tête. Ce serait de l'improvisation pure et dure. « Ce sont toujours de bonnes soirées quand j'me souviens pas du prénom ! C'est encore mieux comme ça. Et je l'ai dénichée au Elm Street, elle venait de Collinsville, elle cherchait un endroit où passer la nuit parce qu'elle avait trop bu pour reprendre la route hier soir ... Et comme je suis un bon samaritain bah ... je l'ai invitée chez moi ! » J'étais tellement convaincant, j'étais persuadé que Charlie n'y verrait que du feu.

J'hochai la tête à la réponse de Charlie quant au fait qu'on ne se voyait plus vraiment, elle et moi, alors que nous avions été si proches l'un de l'autre lors de la difficile épreuve de la perte de Sara. « Oui. Faudrait réunir le trio, comme dans le bon vieux temps. » Je souris. Cela ne faisait pas si longtemps que ça. Je parlais de nous trois comme si nous étions gamins à l'époque de nos rencontres hebdomadaires. Non, cela ne faisait que deux ans tout au plus. Sara était revenue depuis quelques mois déjà, et elle était disparue pendant près d'un an. Deux ans. Deux ans que notre trio ne s'était pas réuni autour d'un énorme pichet de sangria ou de bière. Deux ans que nous n'avions pas parlé jusqu'aux petites heures du matin, dans l'appartement de l'un ou l'autre. Je souris à ces souvenirs, puis notre conversation me ramena au moment présent puisque je devais mettre toute ma concentration sur mon interminable mensonge. Charlie me renvoya la pique sur les prénoms. Je rigolai. « De ce que j'ai entendu, ils sont les meilleurs au lit, ceux-là. » Répondis-je pour ce qui est hommes dont le prénom se termine en "y", comme moi. Je lui fis un clin d'oeil et rigolai. Fidèle à mes répliques imbues de moi-même.  

J'hochai la tête à la remarque de Charlie quand elle dit qu'elle me connaissait et qu'elle savait que je l'avais bien accueillie. « Bah évidemment, j'ai une réputation à maintenir moi. » C'était vrai, en plus. Woody le tombeur, Woody le charmeur, Woody qui vous promet les plus belles nuits de vos vies, petit déjeuner non-inclus. Quand la ville apprendrait que ce cher Woody n'était plus sur le marché, ça ferait toute une histoire à raconter sur les bancs de coiffeuse. Depuis l'âge d'avoir une érection que j'entretenais cette réputation. Personne ne s'imaginait que j'allais me poser maintenant. Pourtant, pour le moment, je ne regrettais rien du tout. Je pense même que je ne le regrettai pas. C'était le bon choix, je le savais. Sara avait toujours su faire battre mon coeur, contrairement à toutes mes autres conquêtes qui n'étaient que d'autres femmes à compter parmi mes accomplissements.

Charlie se décida enfin à changer de sujet et à me demander, de façon plus générale, comment j'allais. Si j'écoutais mon coeur et pas ma tête, et si je ne venais pas de m'entêter à créer un mensonge monumental rien que pour une soirée, j'aurais parlé des derniers jours passés avec Sara. Parce que c'était tout ce que j'avais envie de raconter, tout ce dont j'avais envie de parler. Je me contentai d'un : « Pas grand chose. C'est sûr j'ai rattrapé le temps perdu avec Sara. On s'est beaucoup vus ces derniers temps. Sinon ... le boulot, le sport ... » Un autre mensonge, même si ce n'était pas tant voulu. Le sport, ça allait de moins en moins bien. À cause de ma sclérose en plaques, faire du sport devenait déjà plus difficile, et ces derniers temps j'avais toujours l'impression d'avoir les jambes ankylosées. Mais Charlie ne savait rien de tout cela, alors encore une fois mon mensonge tenait la route. « Et toi ? » Je souris, buvant mon café.

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Charlie & Woody

Be honest, brutally honest. That is what's going to maintain relationships.

Afin de terminer cet interminable discours imprégné de mensonges, Charlie décida d’arrêter le questionnaire sur la vie sexuelle et/ou sentimentale de Woody. Elle voulait maintenant vraiment prendre de ses nouvelles et rattrapait le temps perdu, elle aussi. Elle lui demanda donc tout simplement comment il allait. Les dernières fois qu’ils s’étaient vus, la réponse n’était pas vraiment positive, mais pour Charlie non plus. Les deux jeunes gens étaient très tristes et inconsolables face à la disparition de leur meilleure amie. Mais maintenant qu’elle était de retour, et par rapport à ce dont elle savait de la relation de Sara et Woody elle s’attendait à une réponse maintenant positive. Elle lui demanda également ce qu’il avait à lui raconter depuis le temps qu’il ne s’était pas vu. La réponse ne fut pas très croustillante. Woody se contenta d’un « pas grand-chose ». Mais il mentionna Sara, qu’ils avaient rattrapé le temps perdu. Charlie sourit face à cette réponse, elle se rappelait que Sara lui avait dit exactement la même chose l’autre fois sur la plage. Cette expression l’avait surprise et elle n’avait pas pu s’empêcher de la questionner. Mais elle ne ferait pas ça à Woody. Du moins, pas aujourd’hui. Elle ne comptait pas lui tirer les vers du nez. Puis il parla de sa routine : sport et boulot et retourna la question à Charlie.
Cool que tu aies revu Sara et que vous arriviez à vous voir souvent ! Moi pareil, pas grand-chose… La routine également. Travail, sport, soirées… parce que bon, je ne change pas et que j’en ai besoin après mes semaines stressantes. Et puis, dès que j’ai un peu de temps, j’essaie de voir Sara aussi ! lui répondit-elle en souriant. Décidément elle non plus n’avait pas de choses bien croustillantes à raconter. Elle n’était pas en couple, elle n’avait pas pris de décisions majeures dans sa vie qui avait tout chamboulé. Non, elle continuait à mener sa petite vie comme elle le faisait toujours. Elle but alors une gorgée de son café et le regarda. On est passionnant, dis donc ! ajouta-t-elle alors en riant.

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Spoiler:

Quelque chose dans le sourire de Charlie lorsque je mentionnai le rattrapage du temps perdu avec Sara me parut spécial. Comme si cette remarque l'amusait pour une raison quelconque. J'étais bien loin de m'imaginer que c'était parce qu'elle savait que nous étions ensemble. Pensant que ce n'était que du bonheur de voir que Sara et moi nous retrouvions aussi, je ne relevai pas ce sourire mystérieux. Après tout, il était vrai qu'on pouvait tous se réjouir du retour de Sara. Je serais tout autant heureux de savoir que Charlie et elle passaient du temps ensemble. Sara avait besoin de se retrouver auprès des gens qu'elle aimait et qui l'aimaient. Pas comme ce Jamie qui avait fait de son retour un enfer encore pire que prévu. Je lui en voulais tellement d'avoir réagi de cette façon, et d'être allé se réfugier dans les bras de sa Cassandre. En même temps, de cette façon-là, je pouvais avoir Sara pour moi comme je l'avais longtemps espéré. Qui sait, si Jamie l'avait accueillie à bras ouvert comme tout bon époux, probablement ne serions-nous pas un couple aujourd'hui.

J'hochai la tête à la réponse de Charlie à propos de sa vie, et de comment elle cherchait elle aussi à trouver le temps de voir Sara le plus possible. « Et .. et comment ça se passe, quand tu la vois ? Vous discutez de quoi ? » Demandais-je, presque subtil. Je voulais juste savoir ce qu'elles faisaient. Sara parlait-elle de moi d'une certaine façon ? Je savais bien qu'elle ne voulait pas que notre relation se sache, pas pour le moment du moins, mais peut-être avait-elle parlé de moi à Charlie différemment qu'à l'habitude. Et Charlie, avec son sens aiguisé de la déduction, aurait peut-être des doutes ? Je voulais seulement savoir si Sara pensait à moi en dehors de nos moments d'amour. J'étais curieux. Bref, après cette petite discussion sur nos routines franchement ennuyantes, Charlie s'exclama que nous étions passionnants. Je rigolai. « En même temps, j'préfère de loin mener cette petite vie tranquille. La fausse mort de Sara dans la dernière année et maintenant son retour à Bowen, c'est déjà bien assez mouvementé pour moi ! » En y repensant bien, ma vie était pleine de surprises malgré la routine. Je n'en glissais seulement pas toujours un mot à Charlie. D'abord, Sara et moi, mais surtout, Charlie n'était pas au courant que je souffrais de la sclérose en plaques. À moins que Sara le lui ait dit. Sauf que cette dernière savait à quel point je voulais taire cette information. Je doutais donc fortement que Charlie était au courant qu'une maladie me grugeait de l'intérieur. Je préférais de loin me convaincre que je menais ma petite vie tranquille et morose, c'était mieux que de penser au futur qui m'attendait. « Tu fais quoi aujourd'hui ? Tant qu'à être ensemble, on pourrait aller retrouver Sara si elle a rien de prévu ! » Proposais-je, sans penser au fait qu'il serait difficile de cacher ma relation avec elle devant Charlie, toute une journée.

J’écoutai attentivement les paroles de Charlie lorsqu’elle me raconta brièvement de quoi elle discutait lorsqu’elle était avec Sara. J’étais à la recherche d’un quelconque indice à propos de ce que disait Sara à mon sujet. Comment arrivait-elle à mentir de la sorte à sa meilleure amie ? Disait-elle la vérité à moitié, de façon détournée, ou cachait-elle réellement toute trace d’amour entre nous deux ? Visiblement, Sara avait préféré jouer la carte du silence, puisqu’apparemment j’étais loin d’être le centre de l’attention dans les conversations des deux jeunes femmes. J’étais déçu et soulagé à la fois. Déçu parce que j’aurais aimé que nous n’ayons pas à nous cacher. Soulagé parce que cela voulait dire que mon attitude d’aujourd’hui vis-à-vis de Charlie était cohérente avec celle qu’avait Sara en sa compagnie. Nous étions les maîtres de ce jeu. « C’est bien que tu la pousses à sortir un peu, enfin en respectant son rythme quand même. J’crois qu’elle a peur de le faire seule, mais au fond ça lui fait du bien. » Avouais-je. Sara était effectivement encore un peu désorientée, en ce moment – ce qui était très compréhensible. Toutefois, il fallait qu’elle comprenne qu’elle était bel et bien vivante, et qu’elle devait recommencer sa routine, ses activités, fréquenter ses endroits favoris. J’étais content d’avoir une alliée en Charlie de ce côté-là.

La jeune femme souligna la fin de notre vingtaine et cela me fit un pincement au cœur. À mes yeux, approcher de la trentaine rimait avec autre chose que vieillesse … plutôt avec dégénération, maladie. Charlie avait donc quand même raison de dire qu’il fallait profiter de la vie. Surtout dans mon cas, puisque dans quelques années, je serais limité dans certaines de mes actions. J’hochai la tête, tout simplement. « Ouais, t’as raison. On ne sait jamais ce qui peut nous arriver, en plus. Qui sait, peut-être que dans vingt ans j’serai physiquement incapable de faire tout ce que je peux faire aujourd’hui ! » Paroles en l’air, semblaient-elles être. Pourtant, elles reflétaient une vérité déchirante. À l’aube de mes cinquante ans, je serais probablement privé de bien de mes mouvements. J’imaginais déjà le fauteuil roulant et cela me dégoûtait.

Finalement, pour continuer sur une note plus joyeuse et ne pas m’enfoncer davantage dans mes commentaires révélateurs, je proposai à Charlie de profiter de cette rencontre inopinée pour se retrouver les trois ensemble, enfin. Le trio réuni pour la première fois en un an. Charlie sembla ravie de la proposition. « Super !! Oui, oui, vas-y appelle-la !! » Répondis-je avec tout autant d’entrain. Sara allait sans doute faire une crise nerveuse en sachant qu’elle se retrouverait avec tous les deux, baignant dans le mensonge, mais tant pis. Il fallait bien que ça arrive un jour ou l’autre ; aussi bien le faire le plus rapidement possible.