(18+) hold me darling, just a little while, then you'll be the sun in somebody else's life (lou)

Sa secrétaire était partie depuis une heure déjà. Lennox n’avait plus de rendez-vous pour la journée, mais il avait prétexté avoir encore des dossiers à classifier. Il ne voulait pas qu’elle soit là. Elle ne voulait pas qu’elle le voit. Qu’elle le trouve dans cet état. Il n’allait pas bien. Il était sur le bord du gouffre. Il savait depuis des mois que ce n’était qu’une question de temps. Avant que le fil ne se rompe. Avant qu’il ne tombe. Plus bas, toujours plus bas. Et cette fois, plus rien ne le retiendrait. Parce que Lennox n’avait plus d’ange gardien. Il n’avait plus de lumière pour éclairer son acte. Il était dans la noirceur totale, et personne ne se rendrait compte de son départ. Cette fois, Lennox était bel et bien seul avec lui-même. Et c’était bien ça qui était le plus pesant. Le trentenaire releva les yeux vers sa porte de bureau entrouverte. La salle d’attente était déserte, et la rue si peu passante. Il faisait frais, froid même. Ou peut-être était-ce les frissons sur sa peau qui lui donnaient cette impression. Il soupira et ouvrit le tiroir de son bureau. Il en sortit ce sac qu’Effy lui avait donné le mois dernier. Elle le lui avait donné pour les mois à suivre. Un paquet de petites pilules colorées. Il les conserva au creux de la paume de sa main, passant son pouce par-dessus le plastique, sentant chaque relief sur sa peau. Il ferma les yeux et se laissa glisser légèrement sur sa chaise, appuyant sa tête derrière lui. Il avait ce sentiment amer, cette nostalgie, cette angoisse qui lui tiraillait encore et toujours l’intérieur. En un mois, il n’en avait pas pris une seule. Peut-être parce qu’il savait, au fond de lui-même, que ce jour viendrait. Ou peut-être qu’il avait essayé de s’en sortir une toute dernière fois. Vainement. Comme toujours. Lennox s’était bien rendu à l’évidence que toute tentative de s’accrocher ne le mènerait nulle part. À chaque fois qu’il se hissait un peu plus haut, c’était pour mieux retomber encore plus bas. Il se leva de sa chaise, attrapa le verre d’eau vide sur le coin de son espace de travail, et marcha d’un pas lent jusqu’à la machine à eau dans la salle d’attente de son cabinet. D’un regard vide et absent, il remplit son verre à ras-bord, ayant perdu contact avec la réalité pendant ces quelques secondes. Il revint à son bureau, referma la porte derrière lui ; complètement cette fois-ci. Il retourna s’asseoir et posa son verre d’eau droit devant lui. Il le fixa pendant dix longues minutes. Avant d’ouvrir le sachet, de laisser tomber chaque pilule une à une dans sa main, et de porter celle-ci jusqu’à sa bouche. Il attrapa son verre d’eau et en avala la totalité en quelques gorgées. Il ne restait plus qu’à attendre. Lennox ferma les yeux, laissant tranquillement tomber sa tête sur son bureau, appuyée sur ses bras croisés. Il perdit la notion du temps, mais au bout d’un long moment, Lennox sentait que son cœur battait vite, tellement vite. Il avait de plus en plus de difficulté à respirer et il ne savait même plus si c’était dû à l’angoisse et à la peur ou bien si c’était réellement physiologique. Ses muscles étaient complètement tendus. Sa mâchoire crispée. Il avait besoin de se lever, tout son corps le démangeait. Il se mit sur ses pieds, mais tout tournait autour de lui. Il se sentait confus, perdu, égaré. Encore plus que pendant toutes ces années de sa longue et pénible vie. Lennox tituba jusqu’au côté de son bureau. Il se retenait à celui-ci. Et avant d’atteindre la poignée de la porte, Lennox s’était effondré au sol. Son corps tremblait et il cherchait son souffle. Il avait l’impression de se noyer, d’étouffer. Il se sentait glisser. Enfin.

La voix de Lou était loin. Tellement loin. Comme un mirage. C’était ça, c’était un mirage. Lennox était en train de mourir, Lennox voyait sa vie défiler devant ses yeux et sa vie, c’était ça. Sa vie, c’était Lou. Le reste, le reste n’était pas une vie. Le reste ne comptait plus Lennox n’arrivait plus à ouvrir les yeux pour voir une dernière fois son visage. Même si ce n’était qu’une illusion induite par sa surdose, Lennox aurait voulu voir son visage pour une dernière fois. Ses pensées étaient trop embrouillées pour qu’il se la dessine par lui-même. Mais il n’arrivait pas à les ouvrir ; ses paupières étaient trop lourdes, et son corps trop agité et trop fatigué à la fois. Alors il se laissa sombrer, s’accrochant plus que jamais à la voix de Lou. Qu’elle soit imaginée ou non, elle sonnait encore comme une mélodie à ses oreilles, et c’était bien la seule chose qui pouvait encore le sauver.

Les prochaines heures avaient été le noir total, Lennox ayant perdu conscience avant même que les ambulanciers n’arrivent à son cabinet. Il s’était endormi paisible, la tête de Lou contre son torse, ses larmes mouillant sa chemise. Si c’était son dernier souvenir, alors il pouvait partir en paix. Vivre toute une vie dans le malheur valait finalement la peine, si c’était pour vivre ses derniers moments et passer de l’autre côté accompagné de la femme de sa vie. Malheureusement, ce ne serait pas le cas. Les médecins ayant pris en charge Lennox dès son arrivée d’urgence à l’hôpital avait rapidement ciblé quelles molécules agiraient comme antidotes permettant d’antagoniser les effets de la drogue consommée par Lennox. Grâce à – ou à cause de – Lou, ils avaient eu le temps de réagir avant qu’il ne soit trop tard. Lennox survivrait. C’était ce qu’ils avaient dit à Lou alors qu’ils amenaient la civière de Lennox dans une chambre privée. Qu’il s’en sortirait. Ça, Lennox ne le savait pas encore.

Jusqu’à ce qu’il revienne à lui. Il était encore dans le brouillard. Il n’ouvrit pas les yeux tout de suite. Il revenait à lui mais ne comprenait toujours pas vraiment où il se trouvait, et ce qui s’était passé. Peu à peu il se souvenait des derniers moments de lucidité qu’il avait vécus. Il se souvenait de son verre d’eau se reposer sur son bureau. Il se souvenait d’avoir senti son corps s’alarmer, son cœur battre plus vite que la normale. Il se souvenait de la voix de Lou. Cette douce mélodie. Il se souvenait avoir cru être mort, ou alors en train de sombrer doucement. Il prenait finalement conscience qu’il se réveillait. Et Lennox ne croyait pas aux autres mondes, à une vie après la mort. Il ne voulait pas y croire. Il ne voulait pas croire qu’il n’y avait aucune possibilité que tout s’arrête enfin. Il ouvrit les yeux, lentement, et la lumière au-dessus de lui lui confirmait ses craintes les plus profondes, les plus douloureuses : Lennox était vivant. « Non … Non … Non … Pas encore … Pas une autre fois … Non … » Il s’agita dans son lit, son bras retenu par le soluté auquel il était attaché. Il essayait de se relever dans son lit mais son corps était tellement faible, il avait du mal. Mais il bougeait. Il vivait. « Ça ne peut pas être vrai … » Disait-il d’une voix affolée, alarmée, désespérée. Les larmes lui montaient aux yeux et sa voix se brisait. « Ça ne peut pas … je ne peux pas … » Il abandonna tout effort et laissa sa tête lourdement retomber sur son oreiller, les larmes roulant le long de ses joues, sa respiration était courte, il paniquait, il angoissait. Parce qu’il était encore vivant.  

Les médecins ou infirmiers, peu importe ce qu’ils étaient, tentaient de calmer Lennox qui se débattait dans son lit, incapable de se rattacher à la réalité d’être encore vivant. Il ne pouvait simplement pas y croire. Il ne pouvait se rendre à l’évidence que tout ce qu’il entreprenait échouait, même sa propre mort. Après un moment, les hommes autour de lui arrivèrent à le maîtriser, et Lennox laissa tout simplement retomber sa tête lourdement sur son oreiller. Une infirmière était en train de lui administrer un sédatif, par le biais de son soluté. Tout de suite, Lennox se sentait devenir plus lourd. Ce n’était pas une forte dose, visiblement, mais juste assez pour qu’il cesse toute tentative de repousser toujours pour aller on-ne-sait-où. Il avait l’impression de perdre la tête, de perdre tout contrôle. Jusqu’à ce qu’il entende une voix qui lui était si familière, tentant de se frayer un chemin entre le personnel de l’hôpital. Lennox tourna la tête et ses yeux se posèrent sur une Lou tout aussi perdue que lui, qui se jeta à son cou, le serrant si fort qu’il en eut le souffle coupé. En pleurant toutes les larmes de son corps dans le cou du jeune homme, la québécoise lui demanda pardon pour le festival, et pour aujourd’hui. Fronçant les sourcils, Lennox ne tarda pas à comprendre que son hallucination d’un peu plus tôt n’en était pas une. Lou avait bel et bien été là, à ce moment où il se pensait finalement en train de passer de l’autre côté de la barrière. De sa barrière. Puis, Lennox entendit les trois mots que Lou et lui n’auraient jamais eu le temps de se dire s’il était vraiment mort aujourd’hui. Ces trois mots qui, dits quelques jours auparavant, auraient peut-être permis à Lennox d’éviter le pire. Mais ils avaient eu trop d’orgueil, et Lennox avait eu trop sur le cœur. Depuis trop longtemps. Il posa sa main sur la taille de Lou, à la droite de son corps, et la repoussa légèrement rien que pour arriver à la regarder dans les yeux, même si elle, elle ne le verrait pas. Et tant mieux, puisqu’il avait les yeux emplis de larmes. Les médecins, devant ce moment plus qu’intime, avaient décidé de sortir de la chambre de Lennox. De leur laisser ce moment bien à eux. Rien qu’à eux. « Je t’aime aussi, Lou. Je t’aime tellement … » Dit-il alors que sa voix se brisait entre chaque nouveau sanglot. « Je suis désolé … je n’y arrivais plus … je n’y arrive plus … » Il continuait de pleurer. Tout ça, c’en était trop pour lui. « Sans toi … sans toi ma vie ne fait plus aucun sens … » Lâcha-t-il en secouant la tête et en reniflant. En toute vérité, la dépendance de Lennox, ce n’était pas les drogues, c’était d’abord Lou. Et pour compenser de son absence, il avait trouvé une autre façon d’oublier. Quand Lou était là, tout s’illuminait, mais dès qu’elle le quittait, il retombait dans une noirceur des plus profondes. Autant pouvait-elle l’élever, autant pouvait-elle le laisser complètement brisé dès qu’elle n’était plus dans ses bras. Lennox ne vivait que pour elle. Et rien qu’à la pensée de la perdre, Lennox avait décidé de couper le fil. C’était un amour malsain, mais c’était un amour des plus forts.  

Alors que tous les deux fondaient en larmes devant le trop-plein d’émotions des dernières heures, Lou décida de rompre la distance entre eux et de venir se coucher auprès de lui. Lennox se doutait bien que ce n’était pas une bonne idée ; les médecins n’avaient justement pas eu le temps de faire les examens nécessaires sur Lennox, de prendre des nouvelles, de l’envoyer voir un psychologue, peu importe. Ils auraient sans doute bien des choses à lui dire. Et malgré qu’ils aient bien voulu leur laisser leur intimité un moment, Lennox imaginait bien qu’ils reviendraient éventuellement. Lou ne pourrait rester blottie contre lui indéfiniment. Cependant, en ce moment, ces détails importaient peu au trentenaire. Il n’en pouvait plus, lui non plus, de cette infime distance qui les séparait. Il voulait sentir Lou contre lui, parce que cela faisait trop longtemps qu’il ne l’avait pas serrée contre lui. Il l’entoura donc de l’un de ses bras, celui qui était le plus libéré de tous ces fils. Le jeune homme ne savait même pas à quoi tout cela servait. Il se sentait comme un animal en cage. Heureusement, Lou était là pour calmer ses angoisses. Elle équilibrait pour toute la détresse psychologique qu’il ressentait présentement. Au niveau physique, il n’était pas forcément mieux : il avait un mal de tête énorme et tout son corps tremblait encore, il avait la bouche sèche et avait faim, mais cela lui importait peu puisque Lou était là, maintenant. Et qu’elle ne partirait plus jamais. Face aux paroles rassurantes de la jeune femme, Lennox la serra un peu plus fort contre elle. « Mais je ne sais pas si j’arriverai un jour à être l’homme que tu attends de moi, Lou … » Murmura-t-il. Après tout, si au festival elle s’était attendue à ce qu’il soit jovial et heureux sans un petit coup de main, elle pourrait s’attendre de nouveau à ce que cela se reproduise. Lennox n’avait plus l’impression de pouvoir sourire de nouveau. Son monde s’était écroulé et même si Lou était debout avec lui parmi les ruines, il ne savait quand même pas s’il se relèverait un jour complètement de cette chute. « Je ne voudrais pas te tirer vers le bas … Tu mérites d’être heureuse. » Ils avaient déjà eu cette conversation au moins mille fois mais, aujourd’hui, avec le récent événement, peut-être que Lou réaliserait à quel point Lennox disait vrai.  

Lennox ferma les yeux alors que Lou frottait doucement son nez contre son visage. Ce contact si doux, si simple, suffisait à calmer toutes ses angoisses. Il avait cru mourir d’une crise de panique, mais dès que Lou était entrée dans la pièce, tous ses muscles s’étaient détendus. Son esprit s’était apaisé. C’était ça, l’effet que Lou lui faisait. Elle lui faisait oublier ce qui n’allait pas. Ses tourments étaient toujours bien là, ancrés au plus profond de lui-même, mais Lou les chassait le temps de ses baisers, le temps de ses sourires. Elle était comme un baume sur ses nombreuses plaies. Et elle ne s’attendait pas à ce qu’il change. Elle l’aimait pour qui il était, aussi fou cela pouvait-il être. Il déposa un baiser sur le dessus de la tête de la jeune femme après ces paroles. Il l’aimait tellement. La jeune femme lui demanda finalement de lui dire, la prochaine fois, lorsqu’il ne désirait pas faire une activité en particulier. Question de leur éviter ce genre de dispute qui, visiblement, devenaient hors-proportion et les poussaient si loin l’un de l’autre. « J’essaierai. C’est juste que … je veux tellement te rendre heureuse … Je veux connaître tes amis, je veux faire avec toi tes activités préférées … c’est juste … plus difficile que je le pensais. » Avoua-t-il. Lennox avait cru que, une fois amoureux, il pourrait s’ouvrir un peu plus au monde. Il habitait malheureusement une âme beaucoup plus sombre que ce qu’il pensait. La jeune femme releva finalement la tête vers lui et déposa un doux baiser sur ses lèvres. Ça faisait tellement de bien à Lennox de sentir de nouveau ses lèvres sur les siennes. Peu de temps après, suite à une légère hésitation, Lou se cacha quelque peu le visage sur son torse et lui avoua avoir menti aux ambulanciers concernant leur statut. Afin de pouvoir demeurer à ses côtés. Lennox baissa les yeux vers elle, d’abord perplexe, puis finalement hésitant. Très hésitant. Il entrouvrit la bouche, attendit un moment, avant de finalement déclarer : « Et si on transformait ce mensonge en vérité ? » Demanda Lennox d’une voix basse et innocente. C’était certainement une question lancée sur un coup de tête, provenant d’une tête pas du tout équilibrée d’ailleurs, mais pourtant ça semblait si juste aux oreilles de Lennox. Comme si tout, enfin, faisait du sens. Il aimait Lou d’un amour plus fort que tout, d’un amour plus fort que la mort visiblement. La voir dans les bras d’un autre le pousserait vers le fin fond de ce monde. La perdre l’anéantirait. Sans Lou, Lennox n’était plus Lennox. Si, par miracle, Lou ressentait elle aussi cette émotion si intense, si belle et si folle, alors il ne voyait aucune raison de ne pas franchir ce pas. C’était la suite logique de leur histoire haute en rebondissements. Six mois s’étaient écoulés depuis que Lennox avait posé ses yeux sur cette magnifique créature qu’était Lou. En six mois, Lou avait fait ressentir toutes les émotions du monde à Lennox, lui qui se croyait incapable de ressentir quoi que ce soit excepté la souffrance. À ses côtés, il avait ressenti la peine, l’amour, le désir, la colère, la détresse, le plaisir, et même, oserais-je dire, la joie. Il voulait continuer, encore et encore, à ressentir toutes ces émotions, surtout l’amour. Jour après jour. Années après années. Si Lennox avait un avenir, il n’était qu’auprès de Lou.

De toute sa vie, Lennox n’avait sans doute jamais regretté quelque chose autant que les dernières paroles qu’il avait prononcées. S’il avait pu revenir dans le temps, il aurait sans doute seulement ri à l’anecdote de Lou. Pas parce qu’il ne pensait pas ce qu’il venait de dire, au contraire. Mais surtout parce que Lou ne répondait plus rien. Rien du tout. Silence total. Silence pesant. Le trentenaire était figé, n’osant même pas baisser les yeux pour regarder son regard à elle. Même si elle ne le verrait pas. Même si elle ne verrait jamais la frayeur, l’angoisse et le regret dans ses yeux. Il avait l’impression qu’avec ses sens décuplés, Lou arriverait quand même à transpercer son âme et à y lire la tornade d’émotions qui se déroulait en ce moment en lui. Déjà qu’avec sa tête collée contre son torse nue, la brunette devait sentir son cœur battre une fois sur deux, ou battre beaucoup trop vite. Heureusement que son cœur n’était branché à aucune machine ; les médecins auraient accourus, criant à la crise cardiaque. Ce n’était pas le cas. C’était un cri de son cœur, oui, mais un cri de détresse, de douleur, de chagrin. Il s’était, encore une fois, fait des illusions quant aux sentiments de Lou. Il ne doutait pas qu’elle l’aimait. Mais il doutait qu’elle l’aimât au point où lui l’aimait elle.

Un bruit se fit entendre dans le couloir, réveillant Lou de son songe et faisant en sorte que Lennox posa finalement ses yeux sur elle. Elle entrouvrit la bouche, et la fraction de seconde entre cette ouverture et les paroles qui en sortirent parurent une éternité aux yeux de Lennox. Au lieu d’un oui ou d’un non auxquels s’attendait Lennox, Lou lui remémora la fête de la commémoration. Il fronça les sourcils. « Oui … je me souviens … » Malgré ses facultés affaiblies de ce moment-là, Lennox n’oublierait jamais cette soirée passée avec Lou. Il n’oublierait jamais une seule seconde de sa vie passée auprès de Lou, peu importe son état. La jeune femme renchérit en disant que ce serait le même chose pour cette demande, aussi différente fut-elle de celle de la fête de la commémoration ; la réponse, elle, serait la même. Lennox demeura silencieux un moment, avant de hocher la tête plus pour lui-même que pour Lou. Elle avait raison. Encore une fois, c’était elle qui se montrait la plus sage. Lennox, lui, laissait ses émotions le mener par le bout du nez. Il ne pensait qu’avec son cœur quand il était question de Lou, la raison ne trouvant même plus sa place dans toute cette intense passion. Le jeune homme laissa sa tête retomber sur son oreiller en poussant un léger soupir. « Tu as raison. Je suis désolé. Je n’aurais pas dû te mettre dans cette position … » Il regarda le plafond un moment, se maudissant d’avoir gâché un moment qui aurait dû être tellement plus beau. « Je te redemanderai ta main comme il se doit, le temps venu. Promis, mon amour. » Il caressa du bout des doigts le bras de Lou, jusqu’à ce que ses doigts effleurent un bandage qu’il n’avait pas remarqué jusqu’à maintenant. Le regard du trentenaire descendit jusqu’à la main de la jeune femme, qui était bel et bien enroulée dans un pansement blanc. « Qu’est-ce que tu t’es fait à la main ? » Demanda-t-il avec inquiétude.

Il était impensable aux yeux de Lennox qu’il puisse regretter d’avoir demandé à Lou de s’unir à tout jamais avec lui. Il aurait plutôt regretté de ne jamais l’avoir fait, un jour ou l’autre. En même temps, il était déchiré parce que d’un autre côté, il avait l’impression de se montrer complètement égoïste en lui demandant ainsi sa main. Parce qu’autant pouvait-il être persuadé que personne ne lui procurerait autant de lumière que Lou, autant savait-il pertinemment que lui ne serait qu’un nuage gris sur le monde de Lou. Loin de lui le désir d’enchaîner la jeune femme à lui et d’être le boulet qu’elle aurait à traîner pour les années à venir. Surtout qu’elle était encore si jeune, si pleine de vie. Bien plus que lui, dont les traits se fatiguaient, dont le souffle faiblissait. Mais Lennox n’avait-il pas toujours été un peu égoïste, d’une certaine façon ? À peu se soucier de ce que les autres ressentiraient après son départ, en autant que lui pouvait enfin avoir l’âme en paix. L’âme effacée. À peu considérer ce que les autres éprouvaient à son égard ; si lui ne s’aimait pas, alors aucune autre réponse n’était possible.

« Tu n’as pas à te justifier, Lou. » Déclara-t-il alors, caressant la peau de la jeune femme du bout des doigts. Et puis, lui qui s’attendait, après ce long moment de silence, à un refus le poussant dans la plus grande des solitudes, Lennox se réjouissait un peu de cette réponse, finalement. Parce que bien que rien n’était gagné, tout n’était pas perdu non plus. Pour une fois, Lennox caressait une sorte d’espoir ; l’espoir que Lou devienne son épouse. Celle qu’il chérirait jusqu’à la fin de ses jours, peu importe combien d’années cela représentait. Celle auprès de qui il s’éveillerait à tous les matins, lui permettant finalement d’avoir un soleil même dans les journées les plus sombres. Celle qu’il se promettait déjà d’aimer comme personne d’autre ne pourrait l’aimer. Le trentenaire ne répondit rien à propos du lien de confiance entre eux, parce qu’il ignorait lui-même si Lou devait lui faire confiance. Si lui-même devait se faire confiance. Lennox était un être imprévisible, malgré la stabilité négative de ses émotions. Le jeune homme lui confia alors que lorsque le bon moment viendrait, lorsque toutes ses idées seraient bien claires et que Lou ne pourrait plus avoir aucun doute, il lui demanderait sa main de nouveau. La réponse de la québécoise le fit sourire, et des larmes de joie avaient remplacées celles de désespoir de son réveil antérieur.

Dans cette bulle de rêves et de bonheur, Lou et Lennox demeurèrent silencieux un moment, jusqu’à ce que Lennox reprenne suffisamment contact avec la réalité de ce côté du gouffre, en touchant le bandage qui ornait le bras de Lou. « Oui, ça. » Répéta Lennox après elle, soucieux. La jeune femme lui parla du défaut de sa cuisinière, et de l’incendie que cela avait provoqué. Lennox fronça les sourcils, se redressant un peu dans son lit, entraînant Lou avec lui dans ce changement de position. « Légèrement brûlée ? Ça ne me semble pas être aussi superficiel, comme blessure. » Dit-il tout en observant la main de sa douce moitié. Il tourna les yeux vers le visage de la Lou, voyant bien qu’elle lui cachait quelques choses. Ses joues brûlantes et son regard fuyant la trahissaient. Son ton peu convaincant, aussi. « Lou. S’il-te-plaît. Ne me cache pas la vérité … » La supplia-t-il. « Tu ne me protèges pas en me mentant, c’est tout le contraire … » Déclara-t-il, la tristesse et l’inquiétude reprenant le dessus, écrasant sa petite bulle de soulagement et de clarté d’un peu plus tôt.

Les grands yeux bleus de Lou se posèrent sur lui, et malgré qu’elle soit aveugle, il avait l’impression qu’elle le regardait dans le blanc des yeux. Ce qui amplifiait davantage le malaise ressenti par Lennox de savoir qu’elle lui mentait, ou qu’elle ne lui disait pas toute la vérité – à ses yeux, c’était la même chose. Que Lou omette certains détails ou qu’elle invente une histoire, pour Lennox c’était synonyme de mensonge dans les deux cas. Lorsque la belle pianiste le rassura en lui disant qu’elle allait bien, il se redressa légèrement et la serra un peu plus contre lui, comme si elle pouvait s’envoler à tout moment entre ses doigts. « Tu vas bien cette fois, oui. Mais si ça se reproduisait ? Si les conséquences étaient bien pires qu’une simple brûlure au deuxième degré ? » Souffla-t-il. Lou minimisait ce qui s’était passé dans son appartement, alors que c’était plutôt un drapeau rouge qui venait de s’ériger au-dessus de leurs têtes. C’aurait dû être le signal d’alarme pour qu’elle comprenne qu’il n’était pas sage pour elle de vivre avec un colocataire qui n’était pas là la moitié du temps, qui ne pouvait s’assurer de sa sécurité. Lennox savait bien qu’il ne devait pas materner Lou, loin de lui le désir de l’infantiliser ou de la surprotéger, mais son handicap amenait inévitablement quelques ajustements dans sa vie, et celui-là en était un. L’incident provoqué en était la preuve. Lennox essayait d’y aller avec le plus de douceur possible en abordant le sujet avec des pincettes, ne sachant pas encore vraiment comment en parler avec Lou. Ils avaient beau être amoureux comme des fous, comme des cons, ils ne connaissaient pas tout de l’autre. Pas encore. Ils se découvraient peu à peu à chaque pas vers l’avant. Et ce serait sans doute ainsi pour toute une vie ensemble. C’était ça, s’aimer et vieillir à deux. « Je ne supporterais pas que tu te blesses gravement pour une simple inattention, ou une erreur futile, Lou. » Ajouta-t-il à sa précédente phrase, caressant doucement la joue de son ange. Elle reprit en lui expliquant que lorsque le feu avait pris, elle avait eu une crise de panique. Qu’elle n’avait pas su quoi faire et qu’heureusement, un pompier était arrivé pour la sortir de là. Lennox s’en voulait tellement de ne pas avoir été là, ou tout simplement de ne pas avoir été au courant pour pouvoir la réconforter dès ce moment. Lorsque la jeune femme lui avoua qu’elle ne voulait pas que l’histoire arrive à des oreilles indiscrètes, Lennox ne comprit pas qu’elle cherchait en fait à protéger le pompier. Comment aurait-il pu savoir qu’elle lui mentait à lui, pour en protéger un autre ? Dans sa tête, le pompier avait été là pour éteindre le feu, pour rétablir la situation, et c’était tout. C’était son travail. Son travail n’était pas de mentir pour qu’une aveugle ne soit pas déclarée inapte à vivre seule. Si Lou avait besoin d’aide de ce côté-là, elle devait l’obtenir. Ce n’était pas de l’aider que de la laisser risquer que cet événement se reproduise de nouveau. Et que les conséquences soient pires. Bref, Lennox pensa plutôt que Lou cherchait à éviter que ses amis ou que ses connaissances l’apprennent. Elle avait peut-être honte de cet incident, et même si Lennox pensait sincèrement qu’elle n’avait pas à le voir de cette façon, il pouvait aussi comprendre. Tout comme lui aurait préféré que son entourage ne soit pas mis au courant de son second échec à s’enlever la vie. Mais il savait que dans quelques jours, la triste nouvelle aurait fait le tour. Il ne pourrait pas échapper aux regards, encore une fois. « Je n’en parlerai à personne, Lou, tu le sais … » Dit-il. De toute façon, il n’avait personne à qui en parler, non plus. Le jeune homme ferma un moment les yeux pendant que Lou passait sa main dans sa chevelure. « Ton appartement, il a l’air de quoi ? Tu vis où, présentement ? » Peut-être n’était-ce que des dégâts mineurs et qu’elle pouvait encore y vivre. Ou peut-être était-elle retournée à son auberge d’avant et ça, Lennox ne le voulait pas. Lou vivrait chez lui. Avec lui. Dès qu’il pourrait sortir de son lit d’hôpital.