On the other side ~ C.J

On the other side

Tamsin & C.J

Qu'il était bon d'être à nouveau anonyme. Depuis son retour, Tamsin goûtait le délice des plaisirs simples. A Bowen, si l'on se retournait sur son passage, au mieux était-ce pour la saluer simplement, pour diverses raisons. Connaissance personnelle, professionnelle, de famille ou ami commun ... On lui souriait pour le nom qu'elle portait et non pour une quelconque célébrité acquise avec une bonne mise en pli et beaucoup de rouge sur les lèvres. Personne ne lui demandait de poser "comme Marilyn" ni ne réclamait d'autographe ou, plus étonnant encore, de chanter un petit refrain gratuit, pour la postérité des réseaux sociaux.

Non, ici, Tamsin Blackwell n'était que la jeune femme qui avait grandi, était partie, puis était revenue. Elle appréciait ce retour aux sources, la fin d'une bien trop longue mascarade. Et pourtant, malgré toute la joie qu'elle éprouvait généralement d'avoir fait ce choix, elle en assumait également les conséquences. Qui fuit devra courir après la rédemption se récita-t-elle pour elle-même. Un mantra tiré d'un des dialogues de sa pièce. Inachevée. Comme tout ce qu'elle avait laissé en suspens lorsqu'elle était partie pour New York. On ne rattrapait pas cinq ans de silence en quelques semaines. On ne pouvait pas espérer le pardon en si peu de temps. Quant à la solitude, elle savait où vous rattraper, elle aussi.

Ce soir-là, elle lui était tombée dessus au détour d'un bar, d'un verre partagé en tête à tête avec elle-même. Après une épuisante soirée de répétition avec sa troupe d'amateurs adorés mais rouillés, d'appel en urgence à un plombier pour une canalisation défectueuse menaçant d'engloutir le théâtre, elle avait pu quitter le Rosa Parks' et espérer un peu de repos. Sauf qu'elle avait réalisé qu'un retour dans sa chambre d'enfants ne serait pas suffisant pour se détendre. Elle avait marché dans les rues, ses pas la conduisant sur la plage, avant de la ramener vers Northern. Au silence avait succédé le fourmillement des activités en tout genre, les rumeurs de groupes ou de duos riant de la soirée qui les attendait. Puis, elle avait atterri dans ce bar et s'était installée dans un box, seule, un cosmopolitan se réchauffant entre ses doigts. L'endroit était presque vide à cette heure tardive. Exactement ce dont elle avait besoin.

Ses pensées allaient et venaient entre hier et aujourd'hui, un futur potentiel et un avenir incertain. Le regard dans le vide, elle fixait toutes ses incertitudes, toute cette histoire qu'elle s'était créées, qu'elle essayait encore de construire. Maudissait l'inspiration qui lui manquait. Sa pièce n'était toujours pas terminée. Il lui manquait la fin, comme si elle se refusait à elle. Un inachèvement amer qu'elle ruminait en se mâchonnant les lèvres, en tapotant sur le bois de la table.

Et soudain, la musique.
Un piano.
De l'art sous l'une de ses formes la plus pure.

Sortie de ses rêveries peu rêveuses, elle osa passer le nez hors du box et remarqua un jeune homme dont les doigts, en écho aux siens, glissaient sur les touches blanches et noires. Et sans s'en rendre compte, Tamsin s'était levée, marchant vers le chef d'oeuvre et son auteur, tel l'enfant charmé par le serpent.

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La nuit est sombre, le ciel si gris, tu marches d'un pas lent. Pas vraiment décidé à avancer, mais il fallait bien qu'il trouve un endroit où se poser un peu, boire un coup, et peut-être même pisser. Tu avais les mains dans les poches et le menton dans le cou. La nuit, la ville semblait déserte. Comme s'il y avait un couvre-feu et que tout le monde se tenait à le respect. Ça te foutait un peu la chair de poule, tu n'avais pas souvenir de ça, mais en même temps, tu ne sortais jamais aussi tard la nuit, même plus jeune. Une lumière au loin attirait ton regard et tu pressais le pas. Quand tu vis l'enseigne du bar, tu sortis tes mains de tes poches pour les frotter l'une contre l'autre et souffler à l'intérieur pour les réchauffer. Pourtant la nuit n'étais pas froide, mais on ne pouvait pas enlever les habitudes qu'on trainent depuis des années. La premier chose que tu avais remarqué en entrant, c'était l'instrument de musique qui se trouvait à ta gauche. Pendant tout ce temps, tu n'avais pas eu l'occasion de toucher un piano. Sauf la dernière fois avec Lou. Mais ce n'était pas la même chose. Là, tu allais jouer quelque chose devant des inconnus. A cette heure là, tu ne risquais pas de t'attirer une émeute, c'est certain, mais tu ne voulais pas non plus gâcher la soirée de ceux qui voulaient se détendre un peu. Et après un shooter, tu décidais que tu n'en avais rien à foutre, et tu t'étais installé. Tu avais longuement regardé les touches, essayant de te souvenir, de te rappeler un air envoutant ou doux que tu pourrais jouer. Il n'y avait pas vraiment de morceaux qui te venaient à l'esprit et ça te rendait fou. Sans plus attendre, tu avais laissé ton doigt glisser sur une touche, puis sur une autre, fermant doucement les yeux et laissant tes mains prendre le contrôle. Comme si elles étaient leur propre chef, comme si tu ne les contrôlaient pas. Tu ne contrôlais plus rien, tu laissais ton esprit s'en aller au même rythme que la musique. L'air était léger, et émouvant, il te prenait au cœur. Pour peu, il t'aurait presque fait pleurer. Tu le verrais bien dans un grand film, un scène d'amour déchirante au début, et puis la tempête se calme et l'amour triomphe. Parce que tu avais beau penser le contraire, l'amour triomphait toujours, il était le seul à être gagnant. Et la mort aussi, parce qu'on ne pouvait pas y échapper. Toi qui voulais que ton air se termine sur une note joyeuse, ça c'était transformé en mélodie, qui annonçait la mort, celle qui gâchait l'amour et qui le rendait impossible. Celle qui disait que la mort l'emporterait toujours sur l'amour. Tu avais ouvert les yeux, les doigts encore tremblant sous l'émotion.

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L'art avait la puissance du danger, la violence du pouvoir et en même temps, la douceur de l'apaisement. L'art, cette arme à tout et contre tout, qu'il soit fait de peinture, de mots, de notes ou encore d'images. Tant de messages qui se frayaient un chemin par ses affres, pouvaient révolter des populations entières ou, au contraire, rien de moins que les calmer. Sous toutes ses formes et pour peu qu'on y soit sensible, que l'on se laisse porter, l'art était un moteur incroyable. Celui-là même qui faisait avancer Tamsin en cet instant. Elle avait oublié son verre. En réalité, elle avait oublié sa propre personne quelque part entre la banquette et le parquet qu'elle foulait, droit vers le musicien aux paupières plissées par une extrême concentration. Quant à elle, ses prunelles azurées brillaient, milliers d'étoiles scintillant pour la beauté de la musique.

Sans s'en rendre compte, elle ne tarda pas à se retrouver à quelques pas du jeune homme affairé, étudiant autant le jeu de ses doigts que son expression, autant la délicatesse de l'air que le déchaînement qu'il sous-entendait. La jeune femme avait assisté un certain nombre de maîtres dans leurs propres arts. Elle avait observé Jackson peindre, son ex-mari écrire et d'autres amis, d'autres amants déchaîner leur passion sur leurs supports de prédilection. Elle connaissait les maux de la créativité, le sublime d'une oeuvre en train d'être créée, avec ses points forts et surtout, ses faiblesses. Elle n'avait rien oublié des tables entières volant sous le coup de la colère, des échos de verre brisé, des éclats de joie alors que le point final était apposé. Elle en avait seulement perdu le sens depuis quelques temps, depuis qu'elle avait connu le monde des fards et des paillettes, puis la simplicité de sa ville natale. Si seule et volontairement esseulée dans son entreprise folle, elle ne se souvenait plus de ce que c'était de tout simplement ... Voir. Appréhender l'autre dans son processus de transcendance. Seigneur, comme cela lui avait manqué.

A tel point que lorsque l'étranger s'interrompit, ne laissant dans son sillage que les bris de la dernière note, elle se surprit à ressentir une sorte de frustration. Portée par ce même élan qui l'avait conduite jusqu'aux préludes de la scène, elle s'approcha un plus du piano. Son regard croisa celui du jeune homme, comme si elle le voyait lui, en tant qu'individu, pour la première fois. Pour elle, il n'avait été qu'un outil jusqu'ici. Désormais, il était l'outil lui-même. Téméraire, elle osa s'assoir à côté de lui sur le banc et contempla les touches, pour mieux en revenir au beau brun. Elle avait l'air hagard, un peu stone. Envoutée, donc. L'art avait aussi cette capacité-là, un impact sur elle pire que le plus percutant des coups de foudre. Il lui poussait des ailes alors que le garçon aurait tout aussi bien pu la renvoyer, dérangé par cette intrusion inopportune. Rien ne l'en empêchait, pourtant, cela ne vint pas à l'esprit de Tamsin qu'il puisse le faire, aussi se risqua-t-elle à un : " C'était magnifique. " Sobre, sans trémolos. Tout à fait sincère. " Vous l'avez composé vous-même ? " Curieuse, également.

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C'était toujours un drôle de sentiment que de jouer en public. Tu ne pouvais toujours pas dire qu'il y avait foule, mais il y avait quelques personnes et ça comptait. Tu avais toujours la boule au ventre à l'idée de te planter, à l'idée de recevoir un truc dans le dos. Tu ne pouvais pas voir ce qu'il se passait derrière toi et si quelqu'un décidait de t'agresser parce que tu les faisais chier, tu ne pourrais pas anticiper. Mais alors que tu touchais les dernières notes, c'était du mouvement à tes côtés. Mais tu avais gardé les yeux fermés, pour ne pas perdre ta concentration alors que la mélodie approchait de la fin, tu voulais qu'elle soit parfaite. Et lorsque se fut fini, lorsque tu ouvrais à nouveau les yeux, que tu reprenais conscience, une voix te félicitait. En guise de remerciement, tu inclinais la tête vers elle, si tu avais eu un chapeau, tu l'aurais posé contre ton coeur. C'est ce que faisait parfois les comédiens, avec une petite révérence pour saluer le public. Tu n'étais pas souvent allé voir des pièces de théâtre, mais c'était le souvenir que ça t'avait laissé. Et c'était amusant, comment certaines choses pouvaient nous marquer à jamais. Tu relevais les yeux pour la regarder, détailler la jeune inconnue qui s'était glissée à côté de toi. Elle était jolie, elle avait un air un peu triste. Comme si les notes lui avaient traversées le coeur, transpercées même. Toi elle t'avait transcendé. A chaque fois que tu la jouais, tu avais envie de chialer. Et tu avais les yeux emplis de larmes, elles ne couleraient pas mais elle étaient là pour te rappeler tes actes manqués. Tes regrets, qui t'oppressaient la poitrine. C'était avec rage que jouait toujours les dernières notes, pensant à chaque fois qu'à force de t'acharner comme tu le faisais, tu allais finir par briser une touche. Mais le piano allait bien, c'était très résistant, trop peut-être. Mais ce n'était pas plus mal, au prix où ça coûtait, il fallait bien que ça dure des années, voire des siècles. « Non, j'aurais aimé avoir écrit une telle œuvre. » Tu aurais été heureux si tu possédais un tel talent. Ce n'était pas ton cas, tu savais juste refaire vivre les œuvres, les grandes œuvres. Celle-là était une des plus connus de Chopin, notamment parce qu'elle avait été reprise pour un film. Un très beau film d'ailleurs. Tu tournais à nouveau le regard vers le piano, avant de prendre la parole. « C'était la ballade n°1 en sol mineur de Chopin. » Tu l'avais prononcé à la française, le fait de parler français t'aider pas mal pour ça. Il était l'un des premiers que tu avais étudié et c'était de lui que vous vous étiez inspirés avec Lou pour faire votre ballade. Ce mec était un génie, et tu l'aimais. Comme tu aimais tous les pianistes de son époque, ça t'impressionnait toujours de voir les petites merveilles pondues dans un climat aussi froid et terrible qu'était la guerre.

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Paraissait-il que les artistes se reconnaissaient entre eux. Quelque chose dans le regard ? Dans la façon de se mouvoir ? D'aborder la vie, tout simplement ? Tamsin n'aurait su le dire. Ni si la réponse à l'une de ses questions existaient, ni si la première affirmation était vraie. En tout cas, elle n'était pas en capacité de le faire pour le moment. Son esprit épuisé voletait entre les restes de musique et les rumeurs discourtoises de ses propres soucis. Elle fut gré au jeune homme de lui répondre avec une telle facilité, sans faire de chichis ou jouer les musiciens farouches. Elle était se fatiguée de ce genre de relations, de celles qu'elle avait connu des années durant. Aussi lui accorda-t-elle un large sourire, comme un remerciement. Elle avait beau ignorer si les artistes se reconnaissaient entre eux, elle savait voir une rencontre agréable lorsqu'elle se présentait. " Chopin. " tenta-t-elle de répéter, sans accent, à la française, tout comme son interlocuteur. Sa langue de Molière avait été quelque peu bâclée par des années sans pratique, bien qu'elle l'ait étudié au lycée. Le "o" traîna trop pour la rendre crédible. Ses joues se creusèrent davantage tandis qu'elle se riait d'elle-même. Des larmes au rire, il n'y avait souvent qu'un battement de cils avec la blonde. " Je n'y connais pas grand-chose en musique classique, donc je vais me contenter de vous croire sur parole. " Elle ne put s'empêcher de détailler le garçon. Il était bien de beaux mâles à Bowen sur lesquels se retourner et visiblement, il en faisait partie. Cependant, en temps ordinaires, la demoiselle n'était pas exactement de celles qui regardent. Comme quoi, quand certaines avaient besoin d'un trait d'esprit ou d'autres atouts, une balade mélancolique bien orchestrée et retranscrite suffisait à éveiller l'intérêt de notre comédienne. " Tamsin. " se présenta-t-elle en tendant la main à son interlocuteur. Elle qui avait pourtant choisi la solitude pour maîtresse à peine quelques heures plus tôt, changeait d'avis, finalement ravie d'avoir quelqu'un d'autre à qui parler qu'aux rumeurs de ses pensées.

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Tu avais souris lorsqu'elle avait essayé de la dire, comme toi. Elle n'avait pas l'accent, ça se voyait tout de suite. Rien de très moqueur, mais prononcé à l'anglaise, tu n'avais plus trop l'habitude. Tu n'en avais pas joué depuis longtemps et tu n'avais pas souvent l'occasion qu'on te demande ce que tu jouais. Tu passais inaperçu souvent. Et une fois l'air fini, tu commandais une bière avant de rentrer chez toi. Ce soir, c'était différent. Parce qu'elle était venue à toi, parce qu'elle t'avait adressé la parole, et parce qu'elle continuait. Elle te faisait confiance, si elle savait ce que ces mots pouvaient impliquer, tu n'étais pas certain qu'elle le dirait à nouveau. Mais tu n'étais qu'un parfait inconnu pour elle, sa confiance ne l'engageait pas trop. Tu la reverrais peut-être un jour en ville, mais pour le moment, tu te contentais de l'apprécier en face de toi. Tu dénotais qu'elle avait une façon bien particulière de s'exprimer, comme si elle découpait bien toutes ses syllabes, pour être sûre d'être comprise. Tu n'avais vu que cette façon de parler dans le théâtre. Même si tu n'étais pas un grand fan des pièces et des représentations, tu mettrais bien ta main à couper sur le fait qu'elle était comédienne. « Je pourrais vous jouer d'autres morceaux si vous souhaitez en découvrir plus sur Chopin, ou sur la musique classique en général. » Tu laissais ton regard se perdre dans le sien. Elle avait des yeux bleus. De ceux qui te rappellent à toi, de ceux qui te font rêver l'océan. Les grands lacs dans lesquels tu allais plonger parfois. La couleur du ciel lorsque tu faisais de la balançoire. Elle remontait tous tes souvenirs rien qu'avec un regard, alors que tu ne la connaissais pas. Et pourtant, tu te serais bien laissé porter quelques secondes de plus. Des heures durant, même. Tu lui tendais un petit main, avant de prendre la parole à ton tour. « CJ. » Tu te présentais à ton tour. Un sourire sur les lèvres parce que tu sentais déjà que ça allait titiller son attention. Qu'elle allait se mettre à réfléchir à ce que pouvait bien dire ces deux petites lettres. Le secret qu'elles pouvaient cacher. Parce que ton prénom était un secret, peu de femmes le connaissaient, aucunes ne savaient les raisons de ce prénom. Il n'avait qu'une signification pour toi. Tu n'osais pas le dévoiler, tu avais toujours peur des moqueries, même si tu pensais qu'elles te passaient par dessus la tête. Tu savais que c'était faux. Tu étais toujours sensible à ça. Se moquer de ton prénom, c'était se moquer de l'histoire d'amour, de ta mère. Comme lui manquer de respect en quelques sortes. Peut-être que tu t'emportais un poil, mais dès que ça touchait à l'histoire de ta famille, tu explosais. « Je peux vous offrir un verre ? » demandais-tu doucement. Il ne te semblait pas avoir vu de verre dans ses mains, et tu avais bien besoin d'un remontant après toute cette émotion.

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Tamsin & C.J

C'était étrange, la façon dont il la scrutait. Il n'avait rien de prédateur ou de curieux. Il n'avait pas ce truc comme les autres. Des le reflet de son regard, elle n'était ni un morceau de viande dont il jaugeait du label, ni une entité étrange dont il cherchait à capter l'essence. Non, il semblait simplement ... Rêveur ? Tamsin se demanda ce qu'il voyait au fond de ses prunelles, à quoi ses iris inconnues le renvoyaient. Ou encore, à qui, peut-être ? Voyait-il une amante abandonnée au petit matin, une mère aimante dont le destin l'aurait séparé, une soeur égarée ? On pouvait clamer aussi haut que fort qu'un étranger restait un étranger, la jeune femme était persuadée que dans tout être que l'on croisait, on cherchait l'image d'un autre que l'on avait déjà rencontré. Elle le lui aurait bien demandé. Elle avait comme la sensation qu'il comprendrait son ingérence, sa curiosité. Un truc d'artistes auraient raillé certains. Et ils auraient eu raison. Disons qu'il fallait déjà en être une, au moins un peu, pour digresser aussi facilement et à ce point.

Elle ignorait encore tout de ce jeune homme approché au détour d'un piano et nul doute, elle avait envie de savoir. D'autant plus lorsqu'il lui révéla son prénom. Ou plutôt, les initiales de ce que devait être ce dernier. Une lueur d'intérêt anima son regard alors qu'elle lâchait un : " Intéressant ... " aussi énigmatique que les initiales qu'il lui avait donné. Sa main était chaude contre sa propre paume, légèrement humide du reste de la fièvre qu'il avait mis lorsqu'il avait fait courir ses doigts sur le clavier noir et blanc. Elle la lui abandonna un instant de trop avant de la retirer et de hocher la tête à son invitation. Sans hésiter. La jeune femme était aussi de celles qui aimaient se laisser porter par ses envies, son instinct. L'atmosphère intimiste du bar quasiment vide, de cette fin de nuit pointant vers l'aube, la rendait d'autant plus téméraire. Ici, personne ne la connaissait. Ici, elle n'était personne. Juste une fille dans un lieu public, avec un garçon charmant qui la regardait au fond des yeux et se proposait sans être pressant. Exactement ce dont elle avait besoin. " Avec plaisir, C.J. " appuya-t-elle, un léger sourire en prime. Elle le laissa prendre commande et une fois son verre en main, elle le leva vers le jeune homme. " A votre talent ! " trinqua-t-elle, tout à fait sincère. " J'ai une petite idée de ce que vous faites de vos nuits par votre démonstration. Est-ce que cela remplit aussi vos journées ? " Il n'était pas donné à tout le monde de pouvoir vivre de son art, elle en savait quelque chose. Etait-ce le cas pour lui ?

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Un flottement dans l'air, une seconde de silence, tu ne la quittais pas des yeux, scrutant le moindre de ses traits, cherchant quelque chose. Tu ne savais pas pourquoi, mais son visage ne t'étais pas si inconnu que ça. Et pourtant, il était impossible pour toi de te souvenir où. Comme si tu avais un trou de mémoire, un blanc, et ça t'agaçait. Tu n'aimais pas ne pas savoir, tu n'aimais pas ne pas être capable de te souvenir. Tu devais pourtant faire avec, ce n'était pas comme ça que marchait la mémoire, au contraire, elle prenait toujours les gens au dépourvu, à la dernière minute. Pourtant, tu avais une bonne mémoire pour les visages, mais le souvenir du sien ne voulait pas remonter à la surface. « Vous trouvez ? » Tu étais bien curieux de savoir ce qu'elle pouvait trouver intéressant au fond. Le fait que tu t'appelles CJ ou que tu te contentais de donner ces deux lettres à chaque fois, comme si tu essayais de cacher ta véritable identité. C'était le cas au fond, tu ne voulais pas qu'on puisse connaître ton prénom parce qu'il attisait toujours la curiosité et la moquerie des autres. Tu n'aimais pas qu'on puisse se moquer de toi, même si aujourd'hui tu arrivais plus facilement à passer par dessus. Tu n'avais pas choisi ton prénom, et tu faisais avec. « A votre compagnie ! » rétorquais-tu un fin sourire aux lèvres. Tu portais ton verre à tes lèvres, pour laisser l'alcool couler le long de ton gosier. C'était une sensation toujours agréable. Un peu brûlante parce que l'alcool avait toujours l'effet de décaper ta gorge quand tu en prenais, mais tu aimais tellement le goût que ça ne te dérangeait plus à force. Il t'en fallait même une sacrée dose pour faire en sorte que tu sois ivre, complément ivre. Ça faisait même bien longtemps que tu ne l'avait pas été. « Non, malheureusement le piano vient de retrouver sa place que très récemment. Je suis facteur pour le moment ! » annonçais-tu en haussant les épaules. A une époque, tu aurais aimé pouvoir vivre de ta passion, de vivre du piano et donner des concerts aussi souvent que tu le voulais, puis tu avais fuit ta vie, courant aux quatre coins du monde. Tu aurais pu continuer de jouer du piano, mais tu avais mis tout ça de côté, comme si tu cherchais à oublier celui que tu pouvais être. Celui que tu aurais aimé être, tombant dans l'alcool, les petits boulots, et les relations d'un soir. Un coup pour prendre du plaisir, rien de plus. Te fermant hermétiquement aux émotions. « Et vous ? Vous semblez avoir une oreille musicale, vous travaillez dans le domaine ? » demandais-tu un sourire en coin. Peut-être musicale, mais pas très cultivée sur la chanson française.

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Oui, cette façon dont il avait de se présenter, ses initiales, elle trouvait cela intéressant. Elle ignorait pourquoi, quel sentiment exact cela lui inspirait. Cette touche de mirage dans le désert de la nuit s'accordait à ses sens, à son humeur du moment. Deux parfaits inconnus, anonymes, dans un bar. Oui, cela lui plaisait. Voilà pourquoi elle avait accepté ce verre et pourquoi elle se montrait si curieuse, sans embarras aucun. L'impression de retourner à ses tous débuts à New York, alors qu'elle débarquait sans un sou ni un contact, ses années de début de vie d'adulte où déjà, tout lui semblait possible, où toute conversation, toute rencontre était prétexte à émerveillement ... Parfois, cela lui manquait. Parfois, elle aurait aimé retrouver cette naïveté, cette candeur propre aux jeunes gens téméraires. Sauf qu'elle avait grandi depuis. Des choses s'étaient passées. Il y avait eu un mariage, l'étoile montante, le succès et tant d'autres événements. Cette scène-ci était tel un rappel, une occasion sûrement unique de retrouver un peu de celle qu'elle avait laissé vieillir et suivre son chemin au gré de vents contraires. Elle aurait voulu s'en sentir coupable, cependant, elle en était incapable. Un interlude. Une opportunité. Peut-être le devait-elle bien à la demoiselle expatriée qu'elle avait abandonné derrière elle, dans sa course vers l'accomplissement erronée.

La blonde arqua un sourcil interrogateur alors qu'il répondait à sa question. Facteur ? Pourquoi pas, après tout. Elle avait bien été serveuse, n'est-ce pas ? Elle était bien placée pour savoir que la renommée ne payait les factures que si elle existait. Du reste, il fallait bien vivre. Et après tout, peut-être y trouvait-il son compte. Peut-être la musique était-elle une passion qu'il préférait conserver en hobby. Il n'aurait pas été le premier. Si elle ne partageait pas cette conception des choses, cela ne l'empêchait pas de l'entendre et de la comprendre, d'une certaine manière. " Effectivement, c'est plutôt éloigné. " répliqua-t-elle en souriant après avoir avalé une gorgée de son cocktail, sans jugement aucun. Tamsin n'était pas dans cet état d'esprit. Elle partait du principe que chacun menait son existence comme il l'entendait. Peut-être en apprendrait-elle davantage sur les raisons de ce choix. Ou peut-être pas. Elle ne voyait pas plus loin que l'instant suivant, que les mots d'après. Elle acquiesça à l'interrogation de C.J., ses joues se creusant en cet air mutin dont elle usait lorsqu'elle se voulait évasive. " Plus ou moins. Je me suis essayée à quelques comédies musicales et aux cours de chant ... Mais je suis meilleure comédienne que chanteuse, je pense. Et je serais bien incapable de jouer d'un instrument comme vous le faites. " Son regard dévia de celui du jeune homme pour en revenir au piano. Elle avait essayé d'apprendre auprès d'un compositeur, environ trois ans auparavant. Son agent lui avait assuré que si elle voulait toucher encore plus au succès, il fallait qu'elle élargisse ses compétences. Echec cuisant. Elle n'était pas suffisamment rigoureuse pour le solfège et trop lunaire pour retenir les accords. Sa détermination était ailleurs, sur la scène. Finalement, cela lui convenait tout à fait. Cependant, ce soir, elle avait envie d'essayer encore. Son index effleurant l'une des touches blanches, elle reporta son regard vers son interlocuteur. " Est-ce que vous me montreriez ? Pour essayer ? " osa-t-elle, soudain excitée à cette idée, les prunelles embrasées. Après tout, ce n'était pas comme si elle avait quelque chose à perdre, quelle que soit la réponse.

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Elle s'était perdue dans sa réflexion. Tu ne la quittais pas des yeux. A ce moment précis, tu aurais aimé pouvoir lire dans les pensées, histoire de voir à quoi elle pouvait bien songer. Ce qui pouvait la rendre si silencieuse d'un coup. Ca te rendait presque curieux, et pourtant tu te retenais de lui demander. Tu te contentais d'hausser les épaules lorsqu'elle avouait que c'était un métier éloigné. Tu aurais dit que c'était même aux antipodes de tes ambitions musicales. « Oui, mais c'est un métier intéressant. » Un des meilleurs qu'il t'avait été donné d'exercer. Sur ton classement, avec les années, il arrivait au moins dans le top cinq, voire même le top trois. C'était un métier assez facile, qui te faisait marcher et qui ne prenait pas trop le chou. Ce n'était peut-être pas le métier de tes rêves mais tu devais avouer qu'il te plaisait bien. Tu n'allais pas chipoter. Tant que tu avais assez d'argent pour te payer un toit et manger, tu ne demandais rien de plus. « Oh oui ? Vous avez déjà joué à Broadway ? » demandais-tu curieux. Ça expliquerait peut-être pourquoi tu avais eu le sentiment étrange de connaître son visage plus tôt dans la soirée. Si elle avait joué à Broadway, tu avais de fortes chances d'avoir vu sa pièce. Tu n'étais pas allé souvent là-bas, parce que mine de rien, ça coûtait un bras, mais tu avais voulu te faire plaisir, dépensant l'argent que tu avais en trop à chaque fois. Au moins, il servait à agrandir ta culture. Tu aimais bien trop les arts pour passer à côté d'une chance pareil. D'autant plus que tu avais eu l'occasion de voir un classique comme Cats. Bien que cette pièce était de moins en moins représenté maintenant. Et puis une pièce de Shakespeare qui n'était pas Roméo et Juliet, mais Hamlet. Tu avais beaucoup aimé le travail réalisé autour de cette pièce. « Avec plaisir ! » Tu posais ton verre sur le couvercle, passant tes mains sur les siennes, pour les placer sur des notes. Tu les manipulais pour commencer, appuyant sur trois quatre touches qui te venaient à l'esprit, composant un début de mélodie. Tu le répétais avec elle une bonne dizaine de fois avant de la laisser le reproduire par elle-même. Et pendant qu'elle s'occupait à répéter la mélodie dans les notes aiguës, tu glissais tes doigts dans les sons graves pour l'accompagner, reproduisant la même mélodie qu'elle, avec un temps d'écart pour donner un petit effet à votre mélodie. « Vous ne vous débrouillez pas trop mal, après, c'est qu'une question d'entraînement et d'envie d'apprendre, rien de plus ! » ajoutais-tu en souriant. Le piano c'était comme le théâtre. Ça se travaillait, le plus possible. Après il fallait avoir l'oreille musicale et connaître ses accords par coeur. Et puis après c'était comme le vélo, on pouvait ne pas en faire pendant des années, être un peu rouillés au moment de reprendre et ça revenait au fur et à mesure. Il n'y avait qu'à fermer les yeux et laisser ses doigts ses balader tout le long du clavier. Rien de bien compliqué, pour toi en tout cas.

Spoiler:

Sujet: Re: On the other side ~ C.J Lun 10 Oct 2016 - 12:31

On the other side

Tamsin & C.J

Tamsin n'appréciait pas particulièrement se tourner vers ses années américaines. Surtout dans des moments de mélancolie à l'image de celui qu'elle avait traversé ce soir avant d'atterrir dans ce bar. Elle ne pouvait s'empêcher de ressasser erreurs et regrets, occultant le travail de titan qu'elle avait accomplir là-bas, ne se concentrant que sur l'aigreur de ce qu'elle considérait comme des échecs. Aussi, lorsque C.J l'interrogea à propos de Broadway ne put-elle retenir une légère moue contrite. Elle doutait qu'un homme qui semblait avoir tant de goût ait entendu parler de l'étoile montante qu'elle avait été, pâle figure de Marilyn Monroe, cils papillonnants et robe trop serrée autour de son buste trop gracile pour être crédible. Pourtant, elle préféra se contenter d'une réponse vague. " Oui, j'en ai découvert le décor. Et l'envers, également. Bowen est, finalement, une bouffée d'air frais après tant d'artifices. " Elle ne perdit rien de son sourire tandis qu'elle lâchait ce discours laconique. Peut-être chercherait-il davantage. Peut-être pas. Chacun possédait ses secrets qu'il gardait jalousement, attendant le moment propice pour les révéler au grand jour.

De toute façon, un autre sujet, beaucoup plus intéressant, les attendait. Le sourire de la blonde redoubla alors qu'elle acceptait de partager un peu de son art. Elle tapa une fois dans ses mains, comme pour se mettre dans l'ambiance et échauffer ses doigts gourds. Au début, elle se laissa guider, appréciant la chaleur rassurante de la peau du garçon par-dessus la sienne. Résolument concentrée, elle tenta de retenir chaque mouvement, chaque note, les traits marqués par l'application. Puis, il laissa le moineau se risquer à s'envoler du nid. Elle réenchaina la mélodie, balbutiante, mais moins mauvaise qu'elle ne le pensait. A ses côtés, C.J accompagnait ses tâtonnements de notes graves. Leur duo résonnait bien agréablement à ses oreilles. Encore un peu envahie par la magie de leur échange, elle mit quelques secondes à réaliser qu'il avait repris la parole. " Je pense qu'il faut davantage. Le talent ne s'apprend pas. Mais merci, c'était très agréable. " répliqua-t-elle avec chaleur, l'oeil pétillant. Elle aimait ce genre de rencontres. Si bien que toute à son élan, elle osa avancer : " J'ai acheté le Rosa Parks' Theater. Je compte y monter une pièce, une adaptation de Romeo et Juliette, version moderne. J'ai déjà une troupe de comédiens, néanmoins, il nous manque un compositeur. Cela vous intéresserait-il ? " Elle se tapotait la lèvre inférieure de l'index, perdue dans ses pensées. " Naturellement, je crains de ne pouvoir vous rémunérer, nous sommes tous bénévoles pour le moment ... Mais si l'idée vous attire, j'apprécierais que vous joigniez votre passion à la nôtre. " Le refus ne l'effrayait pas. Après tout, qui ne tentait rien ...

AVENGEDINCHAINS

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Broadway été un pas pour tous les artistes, un peu comme Hollywood pour les acteurs. La clé du succès pour certains et la descente aux enfers pour d'autres. Tu avais aimé New York, tu avais aimé joué les touristes, tu avais aimé chaque pièce que tu avais pu admirer, même si tu n'avais pas pu y aller aussi souvent que tu l'aurais aimé. Parce que Broadway avait aussi un coût. « Et c'est comment Broadway du côté du décor ? » Elle avait mentionné les artifices mais c'était vagues, ça ne te décrivait même pas l'ambiance, le sentiment d'être d'être sur scène, le frisson qu'on ressent quand le public doit applaudir à la fin de la pièce ou de l'acte. Pas que tu voudrais connaître ça un jour mais tu étais assez curieux pour savoir ce que c'était tout ça. La mélodie s'était arrêtée, parce que vous aviez fini de jouer. Tu l'avait complimenté sur sa manière de jouer et tu ne l'avais pas fait pour être poli mais parce que tu le pensais vraiment. Tu n'étais pas du genre à être flatteur, tu n'aimais pas ça. « Je ne suis pas d'accord, certains ont tâtonné et même les plus grands noms qui possédaient "le talent" ont connu de cuisants échecs ! » Que ce soit Mozart, Bach ou encore Schubert. Peut-être des grands noms, peut-être des virtuoses voire des génies pour leur époque mais une grande partie de leurs œuvres n'étaient pas connue. La preuve était quand on demandait une oeuvre de Vivaldi, Les Quatre Saisons fusée rapidement mais quand on en demandait une autre, c'était un silence complet. « Je suis ravi de voir que vous m'trouvez assez doué pour une composition ! » C'était une proposition intéressante, tu n'avais pas l'occasion de pouvoir jouer souvent du piano, tu avais mis ça si longtemps dans ta vie ces dernières années, que tu avais oublié à quel point ça te rendait heureux. Alors jouer pour une pièce, pour une version de Roméo et Juliette, même ça te rendait heureux. Tu la laissais parler à nouveau, t'expliquer qu'elle ne pourrait pas te payer. Au moins elle était claire dès le départ, même si dans tout ça, il n'avait jamais été une question d'argent. « Si j'accepte, je le ferais bénévolement avec plaisir. » Tu n'étais pas vraiment du genre à chercher la gloire ou la fortune non. Tu vivais trop simplement pour vraiment te soucier de l'argent, pour vraiment t'y intéresser. Tant que tu avais de quoi vivre, tu n'avais besoin de rien de plus. « Combien y aurait-il de répétition et quand auraient-elles lieux ? » Tu n'avais pas vraiment de projet dans cette ville si ce n'était conquérir le coeur de Nevaeh. Pour le moment, tu vivais au jour le jour, travaillant comme facteur en sans vraiment te demander de quoi demain serait fait. Alors tu avais du temps de libre, du temps pour toi. Tout le temps du monde même puisque ton boulot était à temps partiel, tu n'étais pas vraiment chargé, ni débordé. Tu jouais parfois pour les cours de danse mais tu pourrais te faire remplacer et peut-être que ça pourrait coller avec ce qu'elle avait à te proposer

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