once upon a time ♣ alfie

Elle parle de l'Espagne, comme par hasard. Alfie essaie de le cacher, mais il a eu une sorte de pincement au cœur quand elle a prononcé ce mot. Ce n'est pas comme si son pays lui manquait, loin de là, il n'y retournerait même pas en échange d'argent. Juste que ça lui rappelle sa sœur, cette petite chose de quinze piges qu'il a laissé seule avec leurs parents et un démon. Il se contente de finir sa bière sans laisser la moindre émotion transparaître à travers les traits de son visage. « L'Espagne ? » demande-t-il d'un ton curieux. Il laisse quelques secondes de silence planer entre eux-deux, essaie tant bien que mal d'oublier le fait que même si il n'en a pas particulièrement envie, l'Espagne reste son pays natal. Il sait qu'elle va le questionner, ça coule de source. C'est pour cette raison qu'il est bien décidé a prendre quelque chose de plus fort comme prochain verre. « Je viens de là-bas, justement, » dit-il sans grand intérêt dans la voix. Cependant, il est vrai que c'est un beau pays. Il fait chaud, il y a de beaux endroits à visiter. Comme en Australie quoi.

Espagne. Tu perçois un changement dans l'attitude d'Aflie, durant quelques secondes tout au plus. Surement une impression. Il finit sa bière et tu t'imagines ce pays, le soleil, la mer, le sable, cette langue dont tu as appris des rudiments durant ta scolarité. Tu n'étais pas très douée en espagnol, et personne à l'orphelinat pour t'aider. Tu ramais beaucoup, mais tu as réussi finalement en te bouffant tes cahiers de vocabulaire et grammaire. Que du bonheur... Malgré tout, cela ne t'a jamais dégouté du pays en lui-même et de sa culture. Une chose à voir avant de mourir, définitivement. Il répète curieusement le nom du pays. Et tu le regardes interrogative. Oui, l'Espagne... Quoi ? Ce n'est pas bien l'Espagne ? Et la réponse ne se fait pas attendre. Il vient de là. Ta bouche se transforme en un grand O. Tu dois avoir l'air d'un poisson à tirer cette tête. Oh, et bien. Tu fermes ta bouche et poses ton doigt sur tes lèvres. Pourquoi l'Australie ? La question sans aucun rapport direct, bien Ondine. Mais c'est le truc qui te turlupine le plus. Pourquoi avoir choisi l'Australie alors qu'on vient d'Europe ? La serveuse passe devant votre table et tu la hèles. Un whisky avec deux glaçons s'il vous plait. Tu poses tes yeux sur l'espagnol face à toi, attendant sa commande. Tu passes du mojito au whisky, why not.

C'était prévisible comme question. Alfie s'accoude sur la table et passe sa langue sur ses lèvres d'un air concentré. Va-t-il vraiment devoir tout lui raconter ? Quelle partie peut-il déjà éliminer, que n'a-t-elle pas besoin de savoir ? À peu près tout. Personne ne connait sa vie, personne ne sait pourquoi il est parti. La vie d'Alfie n'a pas été rose tous les jours, même si il laisse croire qu'il a une vie de rêve. On lui envie souvent ses voyages, ses grandes connaissances du monde, sa vie de nomade. Au fond, si ils savaient, personne n'en voudrait. Il profite du passage de la serveuse pour se laisser encore un peu de temps avant de répondre. « Je prendrai la même chose, » se contente-t-il de dire en levant les yeux vers elle. Passer d'une bière à whisky est moins pire que de commencer par un mojito. Elle s'éloigne, et il fait de son possible pour passer son masque du mec qui se fout totalement de tout, dont de son pays d'origine. Il esquisse un sourire en coin à l'intention d'Ondine. « L'Australie n'est qu'une destination parmi tant d'autres. Disons que j'ai commencé à en avoir ras-le-bol de devoir faire mes valises tous les trois mois. » Au fond, il ne ment pas. Alfie a bien eu envie de se poser quand il a décidé de rester ici, puis il a fini par s'attacher à cette petite ville et à certains de ses habitants. « Mais sinon, c'est pas si mal l'Espagne, je te rassure. Je ne voudrais pas briser tes rêves de voyage, » dit-il en riant légèrement.

Il a une mimique très attirante d'un coup, et tu ne peux t'empêcher de fixer cette bouche, surement un tout petit peu trop longtemps. Tu t'en rends compte et remonte ton regard jusqu'au sien. Tu fronces tes sourcils. Il a l'air étrange tout d'un coup, tu ne saurais pas expliquer pourquoi, ni ce qu'il s'est passé mais son attitude te laisse perplexe. Disparu le mec chaleureux et bavard. La serveuse passe et tu as envie de quelque chose de plus fort, Alfie te suit et commande la même chose. La jeune s'en va pour préparer vos verres. Il reporte son attention sur toi, et te répond. Tu déménageais tous les trois mois ? Ton regard se fait interrogateur, tu ne comprends pas. Mais pourquoi ? Tu n'as jamais voulu te poser avant d'arriver ici ? Tu as mille et une questions en tête. Certes tu aimerais voyager, mais pour des vacances, ce n'est pas un train de vie pour toi, de bouger sans cesse. Il ajoute quand même que l'Espagne n'est pas si mal. Ah ok. Pourquoi tu es parti alors? Tu marques une pause et rougis légèrement. Non, en fait ça ne me regarde pas, désolée. Je suis trop curieuse. Tu t'arrêtes à nouveau et baisses les yeux. Ne te sens pas obligé de répondre, moi-même je n'aime pas parler de mon passé. Comme pour te sauver de cette gêne, vos verres arrivent. Tu prends le tien et en bois une grande gorgée qui te brûle comme d'habitude la gorge au passage de l'alcool. Il te faudra encore quelques verres pour cesser d'agir comme une idiote.

Les questions fusent, et Alfie ne peut s'empêcher de rire. Il a l'impression d'être un phénomène de foire, comme ces humains à deux têtes qu'on retrouve dans les cirques de monstres humains et qui attirent les plus curieux. Il la laisse poser toutes ses questions avant de lui répondre, prenant chacune d'elle en considération. À la fin de son interrogatoire, Ondine s'auto-déclare comme étant trop curieuse, ce qu'il ne peut qu'affirmer. Mais ce n'est pas grave, après tout, ça lui donne un petit coté mignon. C'est toujours mieux quelqu'un qui s'intéresse à vous plutôt qui vous écoute avec autant d'attention que si il regardait un poisson tourner en rond dans son bocal. « Tracasse, ça me dérange pas. C'est vrai que je parle rarement de moi, disons que je n'aime pas trop être le centre d'attention. » Elle a soudainement l'air gêné, alors qu'elle semblait bien à l'aise il y a encore quelques minutes. Sa façon d'éviter le regard du garçon amuse ce dernier qui prend son verre pour y boire rien qu'une gorgée. Ce n'est pas comme une bière, il ne peut plus se permettre de le siphonner pour se donner du courage. « Disons que je ne m'entendais pas vraiment avec mes parents. On ne pensait pas de la même manière, alors je leur ai tourné les talons et je suis parti. » Alfie reste vague, et pourtant il n'en a déjà jamais autant dit sur lui à quelqu'un. Il repose son verre sur la table et contemple l'alcool bouger d'un coté à l'autre contre les parois.

Une tempête de questions, tu ne peux plus t'arrêter, tu meurs d'envie de tout savoir. Pourquoi a-t-il quitté son pays, pourquoi a-t-il choisi de voyager, quels payes a-t-il vu, qu'est devenue sa famille, est-il comme toi orphelin? Mais tu es trop curieuse, tu le sais, et tu en es soudaine gênée. Mais il te rassure, certes il n'aime pas être le centre de l'attention, mais il a la gentillesse de répondre à ta curiosité dévorante. Quel homme ! Tu relèves les yeux, tes joues toujours un peu rosée, et avec un sourire timide. Il te plait bien, il est doux, souriant, sympa. Tu passes une bonne soirée finalement. Es-tu en train de te faire un ami ? Tu l'espères bien. Il boit une gorgée à son verre et tu fais pareil, laissant la boisson dans ta bouche quelques secondes avant de l'avaler. Il prend la parole, parlant de son passé, de sa famille. Et là, ton coeur s'arrête, il manque quelques battements. Une boule te noue la gorge et sans réfléchir, l'énervement monte en toi comme une marée. Tu leur as tourné les talons juste parce que tu ne t'entendais pas avec eux ? ta voix se fait sèche, tu ne peux t'en empêcher. Toi tu n'as jamais eu la chance de connaitre tes parents, et personne n'est là pour t'en parler, pas même une photo d'eux, rien. Juste un ancien médaillon de ta mère que tu portes à ton cou. C'est ta famille, comment tu as pu leur tourner les talons juste pour ça ?

La soirée a finalement pris une tournure qu'il n'avait pas prévue. Alfie commence à apprécier Ondine, pas comme une fille avec qui il pourrait passer la nuit, mais comme une possible amie. Ce qui se fait rare, pour lui. Alfie voit beaucoup de monde, mais il n'y a que quelques personnes qu'il revoit de manière fréquente. Il a toujours été un solitaire, à vivre de peu et à ne pas s'attacher pour ne pas avoir du mal à dire au revoir au moment venu. Alors qu'il commence petit à petit à se délivrer auprès de celle qui partage sa soirée depuis un petit moment maintenant, il sent le ton de sa voix changer. D'un coup, Ondine passe de la timide et jolie blonde à une personne froide, sèche, agressive. « C'est plus compliqué que ça, » répond Alfie qui, lentement, perd son sourire. Il ne la regarde plus pendant plusieurs secondes. Il n'a jamais supporté qu'un ou une inconnue qu'il ne connait pas lui fasse la moral sur sa façon de vivre, ou sur ses choix. Après tout, de quoi elle se mêle ? Est-ce qu'elle connait sa vie ? Non. Sa dernière phrase le fait rire. Il relève brusquement les yeux vers Ondine, les traits durs et la mâchoire crispée. « Juste pour ça ? » Il secoue négativement la tête et boit son verre d'une traite, tant pis pour les bonnes manières. Alfie se laisse aller dans le fond de son siège et croise les bras contre son torse. « T'es en train de me juger sans même me connaitre là, t'es en courant ? »

Tout se passe pour le mieux, jusqu'au moment où il t'explique pourquoi il a quitté son pays natal. Sa famille. Une famille qu'il n'appréciait pas, alors il l'a quitté. Ca te met hors de toi, et ton attitude douce et bienveillante se transforme brutalement. Tu n'as aucun contrôle sur ça, c'est le genre de choses qui te rend dingue. Il avait une famille et il l'a quitté, il lui a tourné les talons parce qu'elle ne lui plaisait pas. Son attitude change également face à ta froideur. Ton regard se fait dur, le sien aussi. Sa machoire se crispe et toi, tu serres tes mains contre ton verre. Plus compliqué que ça. Tu pouffes sarcastiquement de rire. Plus compliqué. Avoir une famille et la fuir... Il rit, mais pas du même rire que plus tôt dans la soirée, pas ce rire séduisant et agréable, là c'est plutôt malsain, genre le rire d'un sociopathe dans un film d'horreur. Tu le fixes, les sourcils froncés, il répète tes mots. Tu hoches la tête alors que lui vide son verre. Tu bois une gorgée quand il s'enfonce dans son siège. Juger. Oui certes, tu le juges, mais comment faire autrement ? Tu sais quand t'as pas de famille et que quelqu'un te sort que juste parce qu'il ne s'entendait pas avec eux il s'est taillé... Voilà quoi. Alors oui je te juge, mais tes excuses sont bidons, c'est tes parents, c'est pas juste des inconnus ou des amis. Les liens du sang ça te dit rien? Tu l'as pas vraiment dis, mais ça le sous-entendais. Tu perds jamais ton calme d'habitude, et tu ne balances encore moins ton histoire comme ça. C'est bête mais tu es un peu gênée du fait d'être orpheline. Comme si tu n'avais pas mérité d'avoir une famille. Tu vides ton verre à ton tour, d'un cul sec. L'alcool te brule et tu fermes les yeux, les mains crispées autour de ton verre vide. Tu essayes de reprendre ton calme, de relativiser. Dur dur.

L'alcool lui brûle la gorge, mais il n'en a rien à faire. Il tente tant bien que mal de contenir ses émotions qui, d'habitude, ne font jamais surface. Il joue les durs, il fait comme si rien ne l'atteignait, sauf qu'elle a piqué la où ça fait mal. Sa famille. Elle se met à le juger, comme ça, alors qu'ils se connaissent depuis à peine une demie-heure. Elle lui balance des phrases aussi coupantes que du verre qu'il est obligé de se ramasser en pleine face sans broncher. Alfie tient bon. Il se mord la langue à sang, mais il ne dit rien pendant tout son discours. Il la laisse parler parce qu'il est poli, et qu'il ne veut pas s'énerver sur elle. Sauf qu'à un moment, ses nerfs lâchent. Les liens du sang, ça te dit rien ? Elle lui envoie cette dernière réflexion comme un énième coup, le coup final. D'un geste brusque, Alfie se lève. Tant pis si tout le bar le regarde, tant pis si il attire toute l'attention, il ne peut plus supporter de se faire engueuler comme un gosse. « Et toi, tu sais ce que ça fait de devoir élever deux petites filles à seulement dix ans ? Tu t'es déjà ramassé des coups par ton père qui, tous les jours, te traite d'incapable ? » Ses poings sont serrés sous le coup de la colère. Il ne lui laisse pas le temps de répondre, Alfie embraye directement. « Tu crois que c'est agréable d'avoir des parents qui cachent ton existence au monde parce qu'ils ont pitié de toi ? Parce que t'es pas assez bien pour eux ? Je ne crois pas non ! Alors oui, j'ai des parents, mais quand tu te retrouves embarqué dans une famille pareille, je te prie croire que tout ce dont tu rêves c'est de te casser et vite fait. » La serveuse a assisté à toute la scène, comme le reste du bar d'ailleurs. Lentement, Alfie dé-serre les poings et inspire profondément pour tenter de calmer sa respiration. Il tremble, un peu, il ne se reconnait pas. Jamais il n'aurait pensé faire une scène pareille devant tout le monde. Il fixe son verre vide sur la table, et se rend compte que sa vision se trouble. Il fourre sa main dans sa poche et jette sur la table de quoi payer ses deux verres. « La prochaine fois, évite de critiquer la vie de quelqu'un sans la connaître, » lâche-t-il en s'éloignant. Alfie ne se retourne pas, il marche d'un pas décidé vers la sortie. Il n'a plus envie de rester dans cet endroit où tout le monde doit soit le trouver ridicule, soit avoir pitié de lui.

Vous en êtes là, à vous incendier de mots. Certes tu le juges, mais ça te prend les tripes, ça te rend folle. Il te laisse finir de parler, tu en es étonnée vu son attitude. Il est contracté, on dirait un arc juste avant de lâcher la flèche. Tu sens venir la suite, mais tu ne t'attendais pas à ce qu'il se lève ainsi et se mette à brayer. Tu l'écoutes, tu ne savais pas ça, tu te sens mal, coupable. Tu l'as jugé et lui non plus n'a pas eu une vie facile. Au moins, toi tu as des parents. tu lâches ça à demi-mot, les yeux embués. Tu baisses ton visage d'habitude si souriant et rayonnant. Tu ne te doutais pas de la vie de l'espagnol. Pour toi voyages et tourner le dos à sa famille, ça t'aurais fait penser à un sale gosse de riche pourri gaté qui s'en va parce qu'il veut vivre sa vie... Tu ne t'attendais pas non plus à cette réaction si vive, mais finalement tu la comprends. Il jette un billet sur la table avant de te lancer une autre réplique cinglante. Et il tourne les talons. Tu restes là quelques secondes, hébétée. Puis tu prends ton sac et te mets à trottiner derrière lui. Il est déjà sorti, surement pour éviter tous les regards qui étaient fixés sur vous deux, sur lui. Tu arrives à sa hauteur et lui attrape le poignet, sans même y réfléchir. Je suis désolée. Tu baisses les yeux et tu le lâches, t'attendant à nouveau à des cris.

Il y est peut-être allé fort avec cette fille. Alfie ne raconte jamais sa vie aux autres, surtout pas en la gueulant bien fort de sorte à ce que tout le monde puisse l'entendre. Le truc, c'est qu'il ne s'est jamais ouvert. Il n'est pas habitué à ce genre de sentiment, la frustration, tout ça. L'air frais de l'extérieur lui fait du bien et apaise immédiatement son esprit en feu. Il dé-serre les poings et inspire un grand coup. À peine a-t-il mis un pas sur la marche de dehors qu'il sent une main entourer son poignet. Encore elle, pense-t-il. Il lui fait face mais, cette fois, il n'y a plus la moindre once de colère dans ses pupilles. Elle pourrait croire que c'est un schizophrène, un malade mental, mais c'est juste qu'Alfie est très doué pour cacher ses émotions. Elle s'excuse. Ça ne lui fait pas grande chose, mais au moins Ondine lui prouve qu'elle a finalement un minimum de respect pour lui. Il s'assied sur la marche, se fichant un peu qu'elle fasse de même ou pas. « C'est rien, » soupire-t-il d'une voix neutre, sans la moindre tonalité pouvant trahir un quelconque sentiment. Il regarde devant lui et profite de ces quelques secondes de silence pour se vider l'esprit. Ondine ne devrait pas se ramasser sa colère en plein visage, ce n'est pas de sa faute après tout. C'est vrai qu'Alfie pourrait passer pour un con, un gosse de riche, un crétin qui ne passe sa vie qu'à faire de mauvais choix. C'est souvent comment ça qu'on le voit d'ailleurs. Et pourtant, les apparences sont trompeuses. « Voilà pourquoi je parle jamais de moi, » finit-il par dire avec un nouveau sourire au coin des lèvres, très léger, mais surtout très faux.

Tu l'as provoqué, malgré ton gré. Il s'énerve et tout le monde vous observe, curieux, choqué. Certes, ces regards sur vous te gênent, mais pas autant que la réaction que tu as impulsé à ce jeune homme que finalement tu ne connais pas. Il sort, et tu ne mets pas beaucoup de temps à le suivre, tu le rattrapes à l'entrée du bar, et tu t'excuses. Sachant tout de même que ça ne changera rien. Un pardon, ce n'est que des mots finalement, ça n'efface pas la colère et les choses dites avant. Il s'assied et tu descends les marches, débouchant sur le sable encore chaud. Dehors, le soleil s'est couché. Tu restes debout dans ce sable tiède. Le silence te fait du bien, à lui aussi surement. Tu hésites à rentrer chez toi ; après tout tu as fait suffisamment de dégats pour un soir, là tu as une seule envie : pleurer dans les poils de ton Flocon. Ton seul véritable ami, ta seule famille. Ce chien, blanc comme la neige t'apporte à lui seul une montagne d'amour et de réconfort. En ce moment, tu rêves d'un de tes pyjamas très laids mais au combien confortables ! Tu as envie de te mettre sous tes couettes avec Flocon, mettre un film débile à la télévision, et t'endormir devant. Juste au moment où cette idée te fait vraiment envie, une voix s'élève dans la pénombre naissante. Tu soupires, tu te sens coupable. Le sourire qu'Alfie t'adresse n'a rien à voir avec ceux qu'il t'a offert plus tôt dans la soirée. Tu remontes les trois marches et viens t'asseoir à coté de lui. Faut pas le prendre comme ça, c'est ma faute, j'ai explosé sans savoir de quoi je parlais. Tu soupires et fixes tes pieds, gênée au possible. Tu sais quand je t'ai entendu dire ce que tu as dit, ça m'a rendu folle, mon unique rêve c'est d'avoir une famille. Même une que je pourrais détester. Mais au moins savoir, savoir d'où je viens, qui je suis... Tu lèves les yeux et cherches son regard. C'est dur tu sais, d'être orphelin. Et tes mots m'ont rappelé que j'étais seule, et à quel point je voudrais ne pas l'être. Tu as envie d'ajouter une tonne de trucs. Que malgré les relations conflictuelles qu'il a avec sa famille, ça reste sa famille, il doit y avoir des membres dont il est fier de partager le sang. Il sait d'où il vient.

Il n'y a jamais eu qu'une seule personne sur laquelle Alfie s'est réellement emporté, peut-être même plus qu'il ne l'a fait aujourd'hui. Son père, cet abruti, ce monstre qui n'a jamais été à ses yeux qu'un géniteur et rien d'autre. Mais au fond, il peut comprendre Ondine. Enfin non, il ne peut pas comprendre ce que ça peut faire de vivre sans parent, d'être orphelin et de n'avoir aucune idée de si oui ou non ceux qui t'ont donné la vie étaient des personnes bien. Tout ce qu'il peut faire, c'est imaginer la douleur qu'elle doit ressentir. Cette douleur causée par l'absence d'une figure maternelle et paternelle en même temps. Ni sa mère ni son père n'a élevé Alfie. C'est sa nounou qui lui a appris à ranger ses jouets, à parler un espagnol correct, à lire les livres d'histoire. Il s'est d'ailleurs toujours demandé comment ses parents avaient pu avoir eu envie d'un enfant. De trois enfants, même. Alfie pousse un soupir, comme pour faire s'envoler toutes ces rancœurs entre eux qui n'étaient la faute ni d'Ondine ni la sienne, mais celle de quatre personnes absentes. « Tu sais, ce n'est pas parce qu'ils t'ont fait naître qu'ils définissent qui tu es. » Alors qu'il ne la regardait plus, Alfie pose sur elle un regard devenu beaucoup plus doux, plus compréhensif. Il n'a jamais été très doué avec les mots, mais ces paroles ont quitté ses lèvres sans même qu'il ne le leur ordonne. Il parle sans réfléchir et, pour une fois, ce qu'il dit semble avoir un minimum de sens. « Tu n'es pas personne, tout le monde est quelqu'un. Tu es celle que tu choisis d'être, celle que tu construis toi-même, sans l'aide de qui que ce soit. » Il se tourne vers elle et plante son regard dans le sien. Pour lui faire comprendre qu'il est sincère et qu'il ne cherche pas juste à la faire tourner en bourrique, Alfie pose une main voulue affectueuse sur son avant-bras. La peau d'Ondine est douce, agréable à toucher. Mais ce n'est pas sur ça qu'il s'attarde. « Car oui, c'est à toi de construire ta vie. Tu n'es plus une enfant, t'as pas besoin de parents pour te pousser et te dire ce que tu dois faire ou non. » Alfie s'étonne presque lui-même. C'est la première fois qu'il parle comme ça, qu'il essaie d'aider quelqu'un. Maintenant, peut-être que cela suffira juste à agacer Ondine, ce qui lui fera comprendre qu'il est loin d'être psy et que jouer l'ami qui conseille est loin d'être un rôle qui lui convient.

Tu ne sais pas ce que c'est d'avoir une famille. D'avoir un parent à qui t'isentifier ou un adulte qui serait ton modèle, qui panserait tes blessures et sécherais tes larmes. Tu as dû te débrouiller seule et ce depuis toujours. À l'orphelinat, vous vous entre-aidiez, tu avais une amie proche mais elle a fini par être adoptée... Elle. Toi, personne n'a jamais voulu te garder. Tu n'as jamais compris pourquoi, tu avais toujours fait de ton mieux pour être polie, gentille, respectueuse. La petite fille parfaite. Ça n'a jamais porté ses fruits. Mais   Quelle était ton erreur ? En soit, c'est de l'histoire ancienne mais c'est dur à encaisser même maintenant que tu es une adulte. Tu rejoins Alfie sur la marche. Il prend la parole, et tu es étonnée des mots doux et bienveillants qui sortent de sa bouche après un soupir. Tu lèves les yeux vers lui et il te regarde d'un regard doux, comme plutôt dans la soirée. Sans que tu puisses le contrôler, une larme roule le long de ta joue pour s'écraser contre ta cuisse. Ses mots te touchent au plus profond de ton âme. Certes, tu te l'es déjà dis : connaître tes parents ne définit pas qui tu es et l'inverse est pareil. Mais l'étendre de la bouche de quelqu'un d'autre, d'Alfie et bien c'est autre chose. Il pose sa main sur ton avant bras. Ce contact te fait tressaillir, il se veut doux et rassurant. C'est le jour et la nuit par rapport an il y a quelques minutes. Tu lui adresses un sourire et posés ta main douce contre la sienne, ferme. Merci. Tu fermes les yeux pour noyer tes larmes. C'est Ce que j'essaye de faire, mais ce n'est pas facile tous les jours, hélas.

Voir cette larme rouler sur la joue d'Ondine lui fend le coeur. Tout à coup, il a l'impression que cette fille vient de s'ouvrir à lui. Elle lui montre sa sensibilité, sa douceur, et tout ce qui fait qu'il ne peut pas lui en vouloir éternellement. Alors qu'il vient de lâcher un discours digne du dalaï lama, Alfie sent la main d'Ondine se poser sur la sienne, et il peut voir ses yeux s'embuer de larmes. Il n'a pas envie de la voir pleurer, il ne veut pas être celui qui ré-ouvre ses plaies et qui lui rappelle qu'elle est seule. Car ce soir, elle ne l'est pas. Il est là. C'est une part d'Alfie que très peu de personnes connaissent, ce coté protecteur et bienveillant. Elle le remercie d'une petite voix et essaie de cacher son chagrin, mais il voit bien qu'elle est mal en cet instant. D'un bond, il se lève et lui tend une main pour qu'elle fasse de même. « Allez, sèche-moi ces larmes de crocodile ! » Il la regarde en attendant toujours qu'elle se lève. « Tu es jeune, belle, t'as la vie devant toi, alors vis dans le présent plutôt que de regarder le passé ! » Une fois qu'elle est debout, il la tire par la main en direction de la plage. Le contact physique avec les gens n'a jamais dérangé Alfie, alors il ne se soucie pas vraiment de savoir si oui ou non cela peut mettre Ondine mal à l'aise. « Je veux à nouveau voir un sourire sur ce visage, » ajoute-il en marchant en arrière afin de pouvoir lui faire face, s'approchant de plus en plus de l'océan.