Without a shelter from the storm + Adrian

Le jugement de la part d’un sans abris avait une importance capitale dans cette situation, je me devais de lui réserver un chapitre entier dans ma thèse. Au travers de toutes les confessions de Sara, je me remémorais tout de même mon but ultime. On ne se plaint pas devant un sans abris, on cherche à le comprendre sans trop le comprendre... C’était risqué et toute cette saga avec Sara m’inspirait à devenir docteur, mais au delà de tout ça, je la trouvais réellement intéressante. Ma question avait eu pour effet de la déstabiliser visiblement. Elle me parlait d’un accident qui a changé sa vie du tout au tout apparemment. De vivre sa vie à fond, je hochais la tête tout en comprenant. C’était exactement ce que je faisais sans toutefois avoir vécu un accident. « Et pour vous, vivre la vie à fond, profiter de la vie, ça inclus quoi exactement? » lui demandais-je patiemment. Elle me disait que parfois, elle s’autorisait quelques folies ou ce qui semblait l’être. J’étais attentif en me demandant si ça consistait en le fait d’apporter des pâtisseries au sans-abri, si c’était le cas, je me disais qu’on devrait remédier à la situation rapidement... Je voyais qu’elle craignait de perdre son identité au travers des folies et des limites repoussées. J’affichais une mine songeuse à laquelle je me questionnais réellement à savoir quoi lui répondre. « Et le pire qu’il pourrait arriver en poussant les limites, ce serait quoi? Avez-vous un exemple de ce qui serait trop loin pour vous? » lui demandais-je en me questionnant jusqu’où elle était prête à aller. « Vous êtes bien trop malin pour être assis sur votre trottoir tous les jours... » Je pouffais de rire maladroitement. « Parfois j’alterne, j’aime bien les bancs aussi. » confiais-je gentiment en haussant les épaules, je tassais le sujet avec aisance en me disant que ça ne servait à rien que la vérité se sache à l’heure actuelle. Pour faire suite à ma proposition de tarte aux bleuets, elle me questionnait et je riais de plus belle. « Mary Poppins n’a qu’à bien se tenir! » lui dis-je simplement en gardant un once de mystère. « Vous verrez bien, Sara, vous verrez bien. » Et puis, si j’étais mal foutu, il y avait toujours ma mère qui savait quoi faire derrière un fourneau.  

Un cours de psychologie donnait envie de découvrir le monde, leurs failles, leurs secrets les plus intimes soient-ils! À ma question, elle semblait un peu gênée et rapidement, sa première idée était facilement réalisable. Je hochais la tête avec un sourire aux lèvres. « Ça me va. » lui dis-je donc en me levant pour tendre la main vers la sienne, c’était une invitation presque officielle à danser. « Et pour le deuxième point, je crois que nous sommes en bonne voie. » lui dis-je avec un fin sourire aux lèvres. Si elle avait besoin que je chante, je le ferais, mais j’attendais toujours sa réponse, mais elle m’en donnait une nouvelle. Une peur de l’avion, ce qui me semblait banal, un premier rôle. « Je dois donc vous inscrire dans une pièce de théâtre, Mademoiselle Sara? » lui demandais-je toujours avec un fin sourire aux lèvres, prêt à me présenter à plus d’une répétition et de tous les soirs de représentation. Puis, elle me répétait que j’étais psy et que c’était qu’un jeu. Je me mettais à rire doucement. « J’ai quelques cours de psychologie dans mon bagage, certes. » lui avais-je confié alors que j’ignorais la remarque sur le parfait clochard, ça me donnerait une liberté et elle se sentirait moins coupable. D’ailleurs, elle commençait à s’excuser et je secouais la tête. « C’est normal d’oublier, je vous rassure. Et je ne veux pas qu’on s’arrête à cette couverture de sans-abris, si ça peut vous rassurer. » Elle rebaissait le regard timide et ma main était toujours belle et bien tendue vers elle, attendant sagement une réponse. « Mais sachez qu’un magicien, ne révèle jamais ses trucs et faites-moi plaisir et venez danser avec moi. » Oui, en plein milieu de la rue, dans le noir, sous le regard intrigué d’un chien et de quelques passants nocturnes.  

Elle faisait déjà du théâtre, mon sourire s’agrandissait. Il ne fallait plus qu’un ou deux trucs de plus pour qu’elle se produise. Je trouverais bien une solution, un petit quelqu’un pour m’aider à trouver un amphithéâtre pour Sara. Pour lui faire répéter un rôle quelconque, une pièce que je connaitrais un jour ou l’autre. Juste nous deux, puis par la suite trouver cette même troupe et la pousser à me faire confiance. J’étais fonceur après tout, je n’avais pas froid aux yeux pour me retrouver à la rue du jour au lendemain. « Je suis persuadé que vous brilleriez comme personne avec un premier rôle. » lui confiais-je, le regard attendri. Je l’écoutais me dire que c’était agréable de discuter avec moi et je riais doucement. Pourquoi pas, après tout? « Ce n’est pas plus grave, vous savez. Un bon nombre de gens ne font plus la distinction. » Je lui faisais un sourire. J’avais l’impression que mon background me suivait, mon background d’enfant riche, de fils à papa, d’homme qui suit son père point barre. Je la regardais alors qu’elle me confiait apprécier la magie, j’en prenais donc note. Peut-être pourrais-je emprunter la cuisine de Maxine ou de Léo pour m’aider à faire tout ça. Elle se levait finalement pour mon plus grand plaisir, je prenais sa main que je glissais sur mon épaule, je posais ma main sur sa taille et je joignais ma main à la sienne. « Évidemment que je sais danser! » riais-je. Évidemment que je savais... Les bals de débutante, mon propre mariage... Je me mettais à bouger doucement avec elle. J’approchais mes lèvres de son oreille pour fredonner lentement Somewhere only we know de Keane. Je me décollais d’elle en la faisant tournoyer quelques instants. Ma voix n’était pas mauvaise, elle n’était pas non plus excellente, mais elle devrait être suffisante pour la faire sourire. « Si vous êtes capable de danser avec un pur inconnu, Mademoiselle Sara, vous avez assurément tout ce qu’il faut pour être sur une scène. » lui confiais-je gentiment en continuant de bouger lentement.  

« Et pour quelles raisons, valables, bien évidemment, n’êtes-vous pas faite pour les premiers rôles? » questionnais-je un peu plus. Puis, elle me sortait une phrase sur les rêves qui se transformaient en cauchemar, je fronçais les sourcils. « Je crois que les rêves poursuivent leur trajectoire en restant des rêves, malgré la déception qu’ils peuvent occasionner. My two cents. » Elle devait en avoir vécu des trucs malheureux pour être rendue à ce point désespérée. Puis, nous dansions de longues minutes alors qu’elle se laissait faire sagement. Elle me disait que j’étais fou. « Le génie frise la folie, tu sais. » me contentais-je d’admettre, le sourire léger. Elle me tutoyait, j’allais en faire autant. Puis, elle me posait la question. Le genre de question que je ne me laissais jamais poser. « Je ne crois pas être en train de jouer au super héros, je crois plutôt que je suis en train de donner une perspective différente. » Voilà. Si quelqu’un me tendait la main pour m’aider, est-ce que je ravalerais ma fierté... Je soupirais en cherchant une réponse à cette question. Qu’est-ce qu’un réel sans-abri dirait? « Oui... Non... Peut-être. Ça dépendrait de la situation, j’imagine. » Moi qui n’avait aucun conflit avec ma famille. J’avais eu de bons amis, de l’amour, j’en avais à profusion. J’avais eu bien d’autres choses, également. « Tout est tellement complexe, de nos jours, je sais pas où je mettrais les pieds. Et on s'habitue à ce mode de vie. » confessais-je finalement. Je continuais de la faire danser lentement. Elle me faisait penser à Sienna lors de notre mariage ou lors de notre quotidien où je la faisais danser en plein milieu d’une tâche de vaisselle.  

« Parce que je bafouille nerveusement, je deviens rouge pivoine et puis je fini par faire une syncope sur scène! C’est suffisant comme raison? C’est trop de pression pour moi les premiers rôles... » Je l’observais attentivement. C’était des raisons comme d’autres. Je hochais la tête. Elle semblait être légèrement mal à l’aise. Je trouverais bien une thérapie secrète à lui faire faire. Je devrais la retrouver bientôt. Suite à mon avis, mon commentaire, elle me disait que c’était bel et bien une belle excuse, ça me faisait rire doucement. « La réalisation d’un rêve peut être un bel objectif. C’est une tentative comme une autre de goûter au bonheur. » lui dis-je simplement en sachant que je vivais moi-même mon propre bonheur. « C’est... gentil de m’offrir une nouvelle perspective, en effet. Merci. » « Tout le plaisir est pour moi. » Renchéris-je. Son commentaire m’extirpe un sourire. « C’est très gentil et un très beau compliment. » Je rougissais sans doute, flatté, les pas dansants. Elle s’arrêtait et reculait. Alors que j’allais lui demander si tout allait bien, elle semblait plus fâchée... Et elle souhaitait rentrer. « Oui, bien-sûr. » lui dis-je en hochant la tête, compréhensif. « Est-ce que tout va bien, Sara? » lui demandais-je avec une pointe d’inquiétude dans la voix alors que je la regardais en fronçant les sourcils. « Je peux vous raccompagner, si vous ne vous sentez pas bien. » Il aurait été facile d’ajouter que je n’avais rien d’autre de prévu, mais je me disais qu’elle devait le savoir.