aino ∇ self control.

Ça doit être depuis que j'ai demandé quelques heures de travaux en plus pour payer mon loyer correctement que ça me pompe d'être là, en train de servir de l'alcool aux alcoolos la nuit, servir des assiettes le jour pour des affamés qui ne laissent pas énormément de pourboire. Des semaines que je me retiens de tout envoyer en l'air que parfois ça tombe sur quelques clients, comme l'autre qui s'est pris une assiette dans la gueule et l'autre qui m'avait énervée au point de lui planter un bout d'verre dans l'mollet. Mais dans les deux cas, ça faisait du bien d'extérioriser ce que je pensais. Ce que je voulais faire maintenant pour un homme qui n'arrêtait pas de m'emmerder depuis des jours, m'attraper par la taille ça va bien deux secondes si ce type aurait été pas mal, mais là, c'est pas l'cas puis c'est un gros lourd baveux et je n'ai qu'envie de lui arracher le bras pour lui le faire bouffer, assiette dans une main, je commençais par hausser la voix, me retenant de lui pas lui casser celle-ci sur la tête pour qu'il se taise à jamais et qu'il me laisse continuer mon boulot. Je ne pensais pas une seconde au fait que mon boss m'avait déjà rattraper une fois, me disant de me calmer, cette fois ce type méritait clairement une correction et je me demande comment personne peut le faire. Je serre les dents et mon poing libre, mon regard planté dans le sien, n'écoutant plus que ma colère avant de voir Devan arriver, qu'est-ce qu'il foutait ? Pourquoi il gâchait tout ? Je grommelais, jetant l'assiette sur la table avant de suivre Devan qui semblait plus me prendre pour son clébard ou se prendre pour le chef, lui ne l'était qu'en cuisine, il n'avait pas de leçon à me donner. « Toujours raison ? Connerie ! »  Je croisais les bras, essayant de me calmer, mais ça explosait dans ma tête. « Tu m’interromps juste pour me dire ça !? » Je passais une main sur mon front, la passant ensuite dans mes cheveux en fermant les yeux, soupirant. « Ce gros con mérite que de bouffer une table plutôt que c’que tu lui prépares, fous lui du poison j’sais pas ! » Je ne pouvais plus tenir en place, je n’avais qu’envie d’aller voir l’autre abruti, mais l’autre me tendait la perche pour que j’le frappe à sa place. « Putaiiiin ! Laisse-moi aller tabasser la gueule de l’autre gros tas d’graisse, il n’sentira rien, j’ai de la marge avant d’toucher un os ! » Peut-être que je déformais la réalité, peut-être qu’il était plus maigre que ce que je pensais, mais dans tous les cas, je ne pouvais pas rester calme en voyant sa gueule, ça allumait un feu d’artifice chez moi.

Je roulais des yeux en soupirant, je serrais la mâchoire. Lui avait le don de gâcher tout, ça m'énervait, je n'aimais pas être arrêtée dans un élan, ce type méritait plus qu'une baffe, j'aurais été sympathique avec lui encore, ce n'est pas comme si j'avais projeté de l'assassiner. Je suis peut-être violente mais pas à ce point, à chaque fois je me trouve raisonnable. Je levais les yeux au plafond, basculant ma tête en écoutant ses autres paroles. Je sais que je trouverais difficilement du travail, s'il savait que je n'avais pas fait d'études, il me ferait sans doute plus de remarque, mais je suis contente que ce ne soit pas le boss finalement. « J'peux toujours faire mieux que servir les clients, hein. »  Je soufflais, j'avais d'autres talents sans doute, mieux qu'apporter une bière ou des assiettes à des gros-lards. « Puis si ça se joue qu'à un caractère … Bah merde. J'préfère finir dans la rue. »  C'était le plus gros mensonge que je n'avais jamais sortie, j'avais peur de me retrouver dans la rue, ça avait faillis m'arriver tellement de fois que maintenant je faisais tout pour ramasser assez d'argent et garder une maison. Surtout que mon actuelle est celle de ma grand-mère et je ne veux absolument pas la perdre. « Mec, arrête de me dire de te frapper, ça m'énerve encore plus. »  Je lançais mon regard dans le sien avant de me mettre à rire. « Wa. J'ne partage pas tes fantasmes, j'suis pas SM moi. »  Puis j'éclatais finalement de rire, j'en croisais des gens comme ça, mais moi ce n'était pas trop mon truc de faire de la violence aux gens pour qu'ils prennent du plaisir. C'est glauque, on est plus au Moyen-Âge. « Si tu veux te faire frapper, tu vas cracher dans des assiettes puis servir toi-même ta merde, c'tout. Moi j'frappe pas un innocent, j'suis pas la pire des salopes. »  D’ailleurs ça me vexerait presque qu’il pense que j’suis une femme comme ça. Je haussais un sourcil quand il parlait de boxe, en fait, il était sérieux depuis le début. « J’suis pas … autant sportive … » Pour ne pas dire allergique au sport, quand j’étais petite, je courais trois-cent mètre et je mourais littéralement en m’étalant par terre. Même si aujourd’hui j’ai repris un peu ma santé sportive en main, j’ne fais pas de boxe. « Puis … me faire frapper, c’est pas mon truc. » Et à cet instant, je m’attendais à une phrase du genre “bah pourquoi tu le fais aux autres ?” et ça me blasait déjà. « J’peux pas voir sa face, elle me donne envie de l’éclater par terre. » Je faisais ma gamine sans doute, mais j’retournerais jamais en salle tant que lui sera là à manger tranquillement sous mon nez.

« J'ai dit que je pouvais, pas que je voulais. »  Lui fis-je comprendre sur mon ton sec, cet emploi, c'est ma grand-mère qui s'est démené pour me le trouver, je ne veux pas le perdre maintenant. « Et j'm'en fous que personne ne me retienne, ok ? »  En principe, ça aurait été le moment parfait pour lui foutre une bonne baffe, je ne sais pas ce qui me retient de lever mon bras pour qu'il comprenne que je ne suis pas la fille qui accepte toutes les critiques du monde, surtout qu'il ne se privait pas non plus pour me dire ce qu'il pensait. Je ne me retenais pas non plus, ceci dit. Je parle toujours autant pour me défendre de ses paroles, essayer de le convaincre que casser la gueule de ce type pourrait se révéler être une bonne idée, mais il me fait toujours chier avec ses paroles, on aurait dit le Prêtre des cuisiniers. Je le laisse me parler longuement après, je serre les poings, prenant sur moi pour ne pas l'interrompre pendant son discours. Comment ça il me renvoyait chez moi ?  « D'un, tu m'as mal compris, parce que “ta merde” se serait ton repas plus ta putain d'salive, deux … D'où tu me revois chez moi ? T'es que l'cuisinier, pas l'boss. »  Je ne suis qu'une serveuse aussi, je n'ai jamais osé renvoyer quelqu'un chez lui, si on enlève les clients qui me faisaient chier donc que je virais tout simplement après qu'ils aient bien trop bus. Ce qui me frustre le plus, c'est qu'il juge le travail que je fais, faire mon travail correctement, ce que je faisais déjà bien de base, c'était juste qu'il y avait un pauvre connard au centre de la salle qui n'attendait qu'une chose de ma part et il l'aurait en me voyant partir. « Je fais déjà un travail correct. »  Je lui crache ça au visage, je défendais mon travail comme quand il défendait le sien.  « Puis j'ai jamais dit que mon boulot ne me plaisait pas, j'ai dit que j'pourrais faire mieux, comme toi tu pourrais faire mieux si tu le voulais. »  Quand il me demande si je peux me priver d'un salaire, je ne peux empêcher mon visage de se décomposer. Qu'est-ce qu'il en avait à foutre ? Je serre les dents, fermant les yeux une bonne seconde. « Ma vie ne te regarde pas, j'ai bien assez. »  Si seulement ce qu'on avait dans la tête pouvait se matérialiser, je serais riche de ce que j'avais, je n'en avais rien à faire des sous. Si seulement je n'en avais rien à faire de cette maison, mais c'était bien trop symbolique pour moi, il y avait tellement de souvenirs. Il n'y avait rien à jeter. Je ne pourrais pas voir quelqu'un d'autre vivre dans cette maison ou la voir se délabrer avec le temps. « Merde. Tu m'emmerdes. »  Chuchotais-je, posant mes mains sur mon front en levant le crâne au ciel. « T'as gagné, j'me casse. J'espère qu't'es heureux. »  

Je me mordais l'intérieur de la joue, c'était la première fois que ça m'arrivait et me faire virer comme ça chez moi, même pas par le patron, ça me foutait un peu plus la rage, mais j'essayais de tenir pour ne pas foutre une bonne claque ou un poing à Devan. Il n'avait rien fait. Rien, je présume. Sauf me renvoyer pour la journée, et ça faisait grave chier, il ne faut pas que ça arrive justement. Je passais une main dans mes cheveux, essayant de ne rien montrer sur mon visage de ma déception mélangée à ma colère. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais, mais j'étais certaine que le type à la salle devait se prendre une raclée, parce que sinon il allait continuer. Puis je ne suis sans doute pas la seule serveuse dans cette ville qui voulait lui foutre un poing, sinon ça serait vraiment pas de chance, tomber toujours sur des gros lourds, ça craint. « Ok. »  Grommelais-je, en parlant pas clairement. Il recommençait à me faire la leçon, leçon que j'avais appliqué pour assez de cons, mais ça ne semble pas compter. Si les serveuses doivent être vues comme des putes, si c'était ça qui était normal, alors je devrais sans doute me pencher vers autre chose. Je soupirais en le regardant, toujours les bras croisés. Je me retenais de rire pour son histoire de poivre, il était sérieux, c'était ça qu'il voulait faire ? J'esquissais un large sourire pour une fois. « Ça marche, si t'y mets du cœur. »  C'n'était pas la première chose qui me serait passé par la tête, quoi que, j'avais bien volé une salière pour Sacha, mais elle, c'est un autre business. « Si tu prends quelque chose, tu me le dis. »  Je haussais les épaules, je n'étais pas une garce jusqu'au bout, je ne voulais pas lui attirer les problèmes, au début ce n'était que “mon” histoire. « J'dois toujours rentrer chez moi ? » Je soupirais, je ne voulais vraiment pas perdre une journée de salaire, j'peux pas me le permettre, il ne semblait pas l'comprendre. « Et j'crois qu'on t'attend là-bas. »  Je pointais la cuisine avec mon menton.