L'homme de l'avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue. (pv N. August Wojnarowski) TERMINE

À l’appartement, les derniers jours avaient été plutôt éprouvants, en raison du séisme qui avait eu lieu à Bowen, où l’épicentre se trouvait. Les dégâts n’étaient donc pas négligeables, partout dans la ville. Le logement d’August et de Willow n’avait pas été épargné, puisque même si les murs étaient toujours bien droits et solides, c’était le bordel à l’intérieur. Les livres tous tombés de la bibliothèque, leurs classeurs qui s’étaient tous ouverts, délivrant toutes leurs paperasses – et un professeur d’histoire en couple avec une journaliste entraîne forcément bien des papiers qui volent en liberté -, la vaisselle s’était retrouvée en mille morceaux sur le plancher de la cuisine, bref, ils avaient eu bien du ménage à faire à leur retour après le séisme. Enfin, August, plutôt. Willow n’avait pas été épargnée non plus par le séisme, et son séjour à l’hôpital et sa convalescence l’empêchaient évidemment de s’activer partout dans l’appartement. August comprenait. August préférait largement le faire seul que de la pousser à forcer alors qu’elle devait s’en remettre. Il avait tellement été inquiet de la savoir blessée que maintenant, il était prêt à remettre leur logement en ordre en s’assurant prioritairement qu’elle allait bien.

Toutefois, maintenant que quelques jours étaient passés, August devait retourner à ses occupations. Le lycée était encore fermé jusqu’au surlendemain, pour évaluations et réparations, mais l’université, plus solide, avait rouvert ses portes la veille. Le professeur d’histoire avait une conférence inscrite à son horaire depuis bien des mois déjà. Il ne pouvait pas se désister sous prétexte qu’il était trop chamboulé par les récents événements. Si les étudiants étaient prêts à se déplacer malgré l’état d’alerte, alors lui aussi devrait en faire l’effort. Pour eux. L’homme se rendit donc sur le campus après s’être assuré que Willow avait tout ce dont elle avait besoin pour les prochaines heures. Il aurait sans doute l’air désorganisé, lui qui n’avait pas eu le temps de réviser ses notes et son diaporama. Tant pis, il se fierait à ce qu’il avait de plus précieux : sa mémoire. Cette mémoire parfois défaillante mais qui tenait le coup.

Lorsqu’il entra dans l’auditorium inscrit dans le courriel électronique reçu par le directeur du département d’histoire, August découvrit une salle plutôt bien remplie, malgré les circonstances. Les dix premières rangées étaient pratiquement complètes. Il offrit un sourire à ceux dont il réussit à capter le regard, dont une brunette assise en première rangée, bien prête pour cette conférence. Une fois installé et l’heure de la conférence sonnée, August fit le tour du bureau qui se trouvait à l’avant de l’amphithéâtre et s’assit dessus, devant les étudiants. « Bonjour à vous, merci de vous être déplacés pour m’écouter, malgré tout ce qui s’est passé dans les derniers jours. Profitons-en pour faire pause, reculer dans le temps, mettre de côté tout ce que ça a entraîné. Ce n’est pas un crime que de vouloir soulager un peu ses pensées. La plupart des gens le feront en se tapant toute la série Stranger Things en une journée, nous, ce sera en parlant d’histoire … à chacun son réconfort. » Débuta-t-il avec un sourire au bord des lèvres. Dédramatiser. Inspirer, expirer. Vivre.

Quelques élèves gloussaient déjà à l’arrivée d’August, mais il ne s’en préoccupa pas plus qu’il ne le fallait. Il n’était pas là pour faire le beau auprès de ces universitaires, mais bel et bien pour leur partager son savoir, ses connaissances et sa passion. Avec un peu de chance, ce partage ne serait pas à sens unique. August n’était pas particulièrement fan des formes d’enseignement comme les cours magistraux. Il préférait largement des plénières où tout le monde était invité à poser des questions, proposer des réponses et des théories, bref à ses yeux une classe était un lieu d’échange sans un centre d’autorité. August ne prétendait pas détenir la vérité absolue. Il ne pensait pas que sa façon de voir et d’interpréter l’histoire et ses faits était la seule, l’unique, la bonne. Voilà pourquoi il s’efforçait constamment d’aller chercher le fond de la pensée de ses élèves, même ceux trop gênés pour lever la main par eux-mêmes. Évidemment, pour ce faire, il devait créer une ambiance de respect au sein de ses groupes ce qui, au lycée, n’était pas forcément une tâche facile. C’était à l’âge des moqueries et de l’intimidation. Pour cette raison, ses visites à l’université lui semblaient toujours très enrichissantes, car il interagissait avec des adultes bien au-dessus de ces jeunes années de honte et d’humiliation pour certains. Lever la voix et parler haut et fort de leurs principes n’était plus une peur à avoir.

August se présenta et introduisit d’une certaine façon la conférence, relatant les récents événements sans les laisser alourdir l’ambiance. Alors qu’il s’apprêtait à débuter sa conférence intitulée Histoire coloniale et mémoire aborigène en Australie, le professeur d’histoire remarqua un petit groupe d’étudiantes dont les yeux étaient rivés sur le document tenu entre les mains de l’une d’entre elle. La brunette assise en première rangée. Le trentenaire s’approcha tranquillement, délaissant son bureau utilisé comme chaise, et croisa les bras en se penchant légèrement par-dessus la principale intéressée. « Je serais intéressé aussi à savoir ce qu’il y a d’aussi intéressant … » Lança-t-il d’un ton de voix doux, sans reproche, à la limite de l’amusement. Un fin sourire éclairait le visage du professeur alors que la jeune femme releva les yeux vers lui. August avait pu, en consultant vite fait le document entre ses mains, lire le titre de l’article qui parlait du peuple Maya et de leur calendrier qui avait créé un climat de peur quelques années auparavant. Tout comme les Kuku Yalanji l’avaient fait en Australie ces dernières semaines. August fronça légèrement les sourcils, reculant et croisant les bras. « J’ai l’impression que si je vous parlais de l’histoire de la colonisation et de son impact sur les peuples aborigènes, je manquerais une sacrée belle occasion de profiter de cette conférence pour qu’on discute des nombreux questionnements que vous devez avoir depuis un mois, et encore plus depuis le séisme. » August marqua une légère pause, balayant le regard de la salle. Personne ne s’opposait à cette proposition. Tout le monde semblait de son avis. Prêts à s’ouvrir, prêts à se questionner, prêts à remonter dans le temps pour retracer certaines autres prédictions. « Vous, mademoiselle. Parlez-nous donc de ce dont traite cet article. » Proposa-t-il en regardant la brunette à l’avant. Les étudiants plus loin dans l’amphithéâtre n’avaient aucune idée de ce dont il s’agissait. À elle de le partager afin de lancer ce qui serait, selon lui, une merveilleuse discussion.

Dès qu’August s’approcha du rassemblement d’étudiantes, les voisines de la jeune femme au centre de toute l’attention reprirent leur place en silence. August esquissa un sourire en voyant leurs airs coupables. Il n’avait jamais prétendu avoir une quelconque autorité, mais visiblement, son statut parlait davantage. Il partagea alors son intérêt avec la brunette, voulant lui aussi savoir ce qui créait autant d’émoi en ce début de conférence. Il n’était pas indigné, non pas le moins du monde, mais il était tout de même intrigué. La jeune femme avait sursauté dès qu’il avait pris la parole, et elle rangea bien rapidement le mystérieux papier. Heureusement, August avait eu le temps de lire le grand titre. Sinon, il aurait cru qu’il s’agissait de quelque chose de très personnel dans lequel son nez n’avait pas d’affaire. Il ne voulait en aucun cas mettre la jeune femme mal à l’aise par rapport à un mot n’ayant même pas de lien avec l’histoire. Toutefois, de ce qu’August avait pu lire du titre, un lien était à faire. Il ne se gêna d’ailleurs pas pour mettre au courant le reste de la classe du sujet concerné, en parlant des questionnements qu’ils pouvaient avoir par rapport au séisme. Sans vraiment réfléchir à une potentielle gêne de la part de la brunette, August lui demanda de lui résumer l’article qu’elle détenait. Elle le regarda, un mince sourire aux lèvres, un peu intimidée, avant de reprendre possession du papier et de le lire à voix haute. « Eh bien, c'est un article sur le peuple Maya et plus exactement, leur calendrier, les Mayas utilisaient un système de numération positionnelle en base 20. Ce qui a laissé croire que la fin du monde arrivait le 12/12/2012. Mais depuis les archéologues, on trouvait un autre calendrier qui va bien au-delà de 2012. Si je peux me permettre de donner ma vision des choses, je pense que les Mayas n'entendaient pas la fin du monde comme nous mais, plutôt comme la fin d'un monde que l'on connaît. D'ailleurs, on a remarqué de gros changements climatiques, le soir du 12 décembre 2012, il y a eu un alignement des planètes mais on sait également que les pôles bougent légère chaque année, ce qui entraîne des changements. » Entre-temps, August était retourné vers son bureau, écoutant attentivement chaque parole de l’étudiante. Il se rassit les fesses posées sur le devant du bureau, les bras croisés sur son torse, une main posée sur son menton. Il posa son regard sur la jeune femme et l’écouta. « Et quel lien pourrions-nous faire avec les prédictions des Kuku Yalanji ? » Demanda alors August, non pas directement à l’étudiante qui venait de lire, mais à la classe toute entière. Ce fut tout de même la brunette qui répondit. « Je ne connais pas tellement les conditions de la prophétie des Kuku Yalanji, les Américains n'en parlent pas tellement et je n'ai pas trouvé d'information sur le net à ce propos. » August hocha la tête, ravi que la jeune femme participe. « Cette prophétie est transmise depuis des siècles et des siècles chez les Kuku Yalanji. Mais elle s’est aussi transformée à travers le temps, puisant sa source toujours dans les changements de la nature, mais trouvant justification selon les avancées scientifiques sur lesquelles leur tribu pouvait se baser. On peut soupçonner qu’au départ, cette prophétie est née d’une certaine peur en raison des changements dû notamment aux changements climatiques. Certains cours d’eau se sont asséchés. Certaines espèces animales ont disparu à cause des bouleversements des écosystèmes. Les Kuku Yalanji ne pouvaient alors pas se l’expliquer. Mais, récemment, ils ont pu observer de nouveaux phénomènes, en lien avec l’espace, par exemple. Malheureusement, à ce stade-ci, je ne peux moi-même pas vous expliquer avec précision leur théorie, puisque les documents complets n’ont pas encore été rendus publics. » Avec le séisme qui avait eu lieu, évidemment que les autorités avaient commencé à prendre le tout un peu plus au sérieux. « Que pensez-vous de cette prophétie, et surtout des événements véritablement survenus le 16 septembre ? Coïncidence ? Ou alors avaient-ils réellement prédits une certaine fin du monde, une fin du monde tel qu’on le connaissait, comme l’a dit votre collègue ? » Demanda August, regardant toute la classe.

Encore une fois, ce fut la brunette à l’avant de la classe qui prit la parole pour répondre aux interrogations d’August, celles auxquelles il n’avait lui-même pas de réponse. Il n’y avait de toute façon, pas encore à ce jour, de réponse absolue face à toutes ces prophéties. Bien trop de doutes planaient encore. Les connaissances de l’homme n’arrivaient pas à expliquer tout, alors parfois, certaines personnes s’en remettaient aux mains de toutes autres sciences plus taboues, méconnues, obscures. August posa son regard sur la jeune femme, bien décidé à lui laisser la parole si elle désirait la prendre. De toute façon, un moment de silence s’était écoulé entre la question et la réponse, et personne d’autre qu’elle n’avait manifesté le besoin ou l’envie de parler, de partager. Aussi bien qu’elle le fasse, sinon, August allait devoir se perdre dans une tirade et il n’en avait pas forcément envie. Il n’aimait pas s’écouter, contrairement à bien d’autres professeurs très peu pédagogues qui ne vivaient que pour entendre leur voix raconter leur savoir. « C'est étonnant car le séisme coïncide avec le changement de saison...et avec le solstice d'automne moment où le jour et la nuit font la même durée. Peut-être que tout est lié après tout ?! De plus, il me semble avoir entendu un bon nombre de tribu avoir les mêmes prophéties. Alors comment plusieurs, personnes auraient pu en même temps se mettre d'accord sur la date d'une fin du monde quelconque ? Peut-être que les étoiles auraient une réponse ou tout simplement, l'histoire est amené à ce répéter... » Des peut-être, des si, et toutes sortes d’hypothèses, il y en eut un paquet durant le reste de la conférence. Finalement, après que la jeune femme ait parlé et étalé ses certitudes mais aussi ses incertitudes, d’autres étudiants se donnèrent le droit et le courage de lever la main et de parler. Tous en avaient visiblement beaucoup sur le cœur, et dans la tête, et l’échange qui en résulta fut des plus intéressants. Ils n’apprirent finalement rien de bien concret, rien d’assuré, mais ils ressortirent de la conférence avec un certain bagage en plus. Des idées et des questions plein la tête. Des sujets de recherche plus poussés. Un chemin à suivre. Une fois l’heure écoulée, les étudiants commencèrent discrètement à ranger leurs effets personnels. August consulta sa montre et réalisa qu’effectivement, son temps était terminé. Il trouvait plutôt touchant de voir que les étudiants ne se jetaient pas sur la porte, mais qu’ils attendaient poliment la clôture de cette séance. « Eh bien, ça a passé vite. Je garderai mon diaporama pour une prochaine fois, je crois. » Dit-il avec un sourire en regardant derrière lui, l’image projetée qui annonçait encore et toujours le sujet de la conférence qui finalement, n’avait pas été abordé. « J’ai inscrit au tableau mon adresse de messagerie si jamais vous désirez continuer la conversation, ou me poser des questions sur n’importe quel autre sujet. Il me fera plaisir de prendre le temps de vous répondre. Si vous avez des questions immédiates, je serai ici jusqu’à ce qu’un autre professeur vienne revendiquer l’auditorium … » Blagua-t-il, sachant pertinemment qu’il y aurait sans doute un autre cours qui débuterait dans une dizaine de minutes, peut-être. « Bonne fin de journée à tous et merci de votre participation active. » Il retourna alors à son bureau ranger ses dossiers, tout en étant disponible pour n’importe quel étudiant. D’ailleurs, il jetait de furtifs regards à la brunette à l’avant, bien décidé à l’aborder avant qu’elle ne quitte la salle. Il attendait cependant que celle-ci se vide un peu, question de ne pas attirer l’attention de tous sur eux.

La plupart des étudiants avaient quitté l’amphithéâtre, et August décida donc de finalement relever la tête de sa petite valise de cuir qu’il avait enfin refermée. Il aurait interpellé la jeune femme si elle ne s’était pas déjà retrouvée devant lui. Il cacha assez bien sa surprise de ne pas l’avoir ni vue ni entendue se faufiler jusqu’à lui. Le professeur sourit à l’étudiante, ravi de voir qu’il n’était pas le seul à avoir encore des questions, des commentaires, bref un intérêt pour l’autre. Gênée, elle replaça la bandoulière de son sac sur son épaule et éclaircit sa voix. Le trentenaire l’écouta alors attentivement. « Je tenais à vous présenter mes excuses, je n'aurais pas dû lire ce document...Vous n'avez pas pu faire votre conférence et j'en suis navré. » August avait commencé à secouer la tête, pour la déculpabiliser, et s’apprêtait à la rassurer quand elle reprit plutôt la parole. « J'espère néanmoins que vous m'accepterez toujours dans vos conférences, j'ai trouvé le sujet fort intéressant...Et ce n'est pas parce que je suis à l'origine de ce lancement. » August rit à son tour, de bon cœur. Après tout, c’aurait été une bonne justification aussi. Si elle en avait parlé, inévitablement, cela signifiait que le sujet l’intéressait aussi. Le jeune homme déposa sa petite valise à documents sur le bureau à côté de lui. « Ne vous en faites pas, nul besoin de vous excuser. Je ne suis aucunement choqué par le changement de programme. Au contraire ! » Conclut August en arquant un sourcil, un mince sourire au coin des lèvres. « J’avais prévu et mis sur pied cette conférence avant que se passent tous les récents événements … En arrivant ici ce midi, j’avais ce petit doute. Je me voyais bien mal parler d’un sujet aussi éloigné, de ne même pas revenir un peu sur ce qui s’est passé à Bowen. Je pense qu’on avait tous besoin de faire de l’ordre dans nos idées, de se vider le cœur. Je suis donc plutôt content d’avoir trouvé, avec vous, une façon d’en discuter. » Il regarda à son tour le diaporama derrière lui, en profitant justement pour éteindre le projecteur à l’aide de la petite manette qui se trouvait sur le bureau. Il se retourna de nouveau vers l’étudiante. « J’ai rarement vu une étudiante aussi intéressée et passionnée par un sujet. Quels sont vos plans pour la suite ? Enseigner l’histoire, devenir historienne, … ? » Demanda August, curieux, mais aussi un peu dans son intérêt personnel. Si la jeune femme désirait enseigner l’histoire, tout comme il le faisait, il se ferait un plaisir d’être son maître de stage dans un futur proche. De la former à l’enseignement en l’invitant dans ses cours au lycée.

La question d’August sembla légèrement déstabiliser la jeune femme, alors que ce n’était aucunement dans ses intentions de la déstabiliser. Certes, il était vrai qu’il était peut-être encore tôt dans son parcours pour décider bien clairement de sa propre voie, mais en même temps, en prenant le cursus d’histoire, la plupart des étudiants avaient habituellement une petite idée en tête, même si leur spécialisation n’était pas encore choisie. Pour certains, c’était le contraire. Comme cette brunette, visiblement, qui avait déjà son centre d’intérêt mais qui ne savait pas où s’en aller avec. « Et bien, je m'intéresse beaucoup aux différents tribus, je viens moi-même d'une tribu amérindienne ... Alors ça doit être pour cela. Concernant, mon parcours après l'université, je ne sais pas tellement. Le métier d'historien me plaît plus ou moins mais, ne permet pas de réellement délivrer la passion de l'histoire. En revanche, je ne suis pas sûre d'avoir l'expérience suffisante pour ça. » August hocha la tête, tout d’un coup bien intéressé par les origines de la demoiselle. « Amérindienne, vraiment ? De quelle tribu, et quelle région ? Je dois avouer que les peuples autochtones des Amériques me sont assez peu familiers. » Alors peut-être que même sa réponse précise ne saurait éclairer le professeur d’histoire qui, certes, avait déjà comparé les aborigènes australiens à d’autres tribus autochtones à travers le monde, mais qui n’avaient évidemment pas pu faire un tour d’horizon assez complet. Le globe regorgeait de ces peuples tous plus uniques les uns que les autres. « Dites-moi, Monsieur, quel est votre parcours ? Car, j'hésite à faire un doctorat après le master et la licence, je ne sais pas si se serait réellement nécessaire. Avons-nous plus de crédibilité aux yeux du monde avec un doctorat ? » August hésita tout de suite en entendant la question. Il n’aimait pas dire que la crédibilité s’acquérait avec le niveau d’étude mais, en même temps, il était vrai que la reconnaissance venait avec. « Pour ma part, j’ai fait un doctorat. J’aurais eu l’opportunité, à cette université-même, de poursuivre avec comme chercheur postdoctoral, mais j’ai eu d’autres opportunités qui se sont présentées à moi. » Notamment son poste au lycée de Bowen, qui était exactement la clientèle auprès de qui il se voyait travailler, mais aussi son projet de rhumerie qui était une véritable passion et qui prenait beaucoup de son temps. « Tout dépend réellement de ce que vous désirez faire ensuite, et de ce qui vous passionne. Pour le job que j’occupe actuellement, le doctorat ne m’était pas nécessaire, mais j’avais ce besoin de pousser plus loin, de chercher encore, de découvrir. Certes, si vous désirez être une historienne reconnue, capable de publier des livres, un doctorat vous aidera certainement. Mais si vous souhaitez plutôt enseigner votre passion à d’autres, à un niveau inférieur que l’université, la maîtrise suffira. » August, en gros, voulait seulement lui dire de suivre son cœur, ses envies. Lui-même avait pris ses propres conseils et ça l’avait mené exactement là où il le désirait dans sa vie.

Vue la réaction d’Haley, August se douta bien qu’il ne devait pas être le premier à s’intéresser autant aux origines autochtones de la brunette. Elle devait avoir une réponse bien détaillée et préparée dans sa tête, à répéter à qui le lui demandait. En même temps, l’Amérique était bien loin pour les australiens qui, même chez eux, n’avaient pas vraiment de contacts avec les aborigènes de l’endroit. August connaissait un minimum les différents peuples parce qu’il les avait étudiés, lui qui s’était spécialisé dans l’histoire de l’Australie, mais n’importe qui ne s’y intéressant pas d’une quelconque façon n’était jamais confronté à leur réalité. C’était triste mais, au beau milieu des villes, ces tribus étaient en quelque sorte des peuples invisibles. Le professeur écouta donc avec grande attention et beaucoup d’intérêt la réponse de l’étudiante. « Je suis de la tribu des Arapahos, la réserve se trouve vers Denver à la lisière de la forêt nationale d'Arapaho. Ayant grandi dedans, je connais beaucoup de choses et je pense d'ailleurs que c'est grâce à cela que je m'intéresse aussi fortement aux différentes peuplades. » Il hochait la tête à chacune de ses affirmations, buvant ses paroles comme de l’eau. Il essayait de situer les Arapahos, se dessinant mentalement une carte des États-Unis avec l’État du Colorado en son centre. « Oui, je peux très bien comprendre d’où provient votre intérêt. » Dit-il en souriant. La recherche de ses origines, la comparaison à d’autres semblables, tout cela était normal pour l’être humain. « À quel âge avez-vous quitté la réserve ? » Demanda-t-il, un tas de questions se bousculant dans sa tête. Il espérait qu’Haley ne se gênerait pas pour lui dire qu’il se montrait un peu trop curieux, si tel était le cas. August était juste un passionné de l’histoire, du monde ou de l’Homme, ou des hommes individuellement. Chacun amenait une si belle richesse à ce monde. Chacun à sa façon.

Ce fut finalement au tour d’Haley de questionner August, ce qui le soulagea en quelque sorte. Au moins, il n’était pas le seul à vouloir faire la conversation. Il lui expliqua son parcours, brièvement, mais nommant tout de même chaque chemin pris afin de lui dresser un portrait d’un type de parcours qu’elle pourrait suivre aussi. Il y en avait tellement d’autres. Haley l’écouta et s’appropria certaines de ses affirmations afin de tenter de se diriger elle-même vers une certaine branche. « Je ne sais pas encore ce que j'aimerais faire, l'idée du professorat, je n'y ai jamais vraiment pensé et je ne suis pas sûre de pouvoir un jour faire des conférences ou enseigner comme vous le faites. En plus ça doit être plutôt compliqué pour y entrer non ? Je pense qu'il faut avoir quelqu'un déjà dans le secteur... Plus les nombreux stages que cela doit demander ... » August hochait la tête, pour marquer sa compréhension de ses dires, mais il n’hésita pas à ensuite lui faire part de sa façon de penser. « Si vous désirez enseigner à l’université, nul besoin de suivre des cours pour enseigner, bon nombre de professeurs ne sont formés que dans leur domaine, et non pas dans celui de l’enseignement. J’avoue que ça ne fait pas toujours de bons pédagogues, mais … » Il rigola, haussant les épaules. Il ne termina pas sa phrase et embarqua plutôt sur son cas à lui. « Pour le lycée, oui cela prend des cours de plus, des stages aussi, mais il n’est pas rare justement que le milieu de stage vous engage par la suite. Ça n’a pas été mon cas parce que j’ai fait mon stage dans mon pays natal, mais je n’ai pas eu trop de mal à me placer ici. » Il marqua une pause, avant de continuer. « Mais il est certain que ce n’est pas pour tout le monde. Et vous avez tellement d’options devant vous. Si vous avez un jour envie de voir de quoi l’enseignement a l’air, pour les adolescents, il me ferait plaisir que vous veniez parler à mes élèves. Pourquoi pas de l’une de vos recherches écrites dans le cadre d’un de vos cours ! Cela vous donnerait une idée de si vous aimez ou non. » Proposa August, toujours prêt à aider de futurs collègues à s’orienter.